29 juin 1991 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'union économique et monétaire, la situation en Yougoslavie, le travail au sein du Conseil européen, les aides financières de la CEE et le siège des institutions européennes, Luxembourg, le 29 juin 1991.

Mesdames et messieurs,
- S'il avait tenu à moi que vous m'entendiez plus tôt, vous seriez déjà libres, mais tout à fait à la fin de la conférence, a rebondi une discussion sur l'union économique et monétaire qui a occupé deux heures pour peu de résultats, puisque le texte adopté était celui du début. Phénomène assez constant dans ce type de réunion.
- Voici l'essentiel de ce que j'ai à vous dire avant de passer aux questions qui vous appartiennent : pour les conférences intergouvernementales, sur l'union politique et sur l'union économique et monétaire, le Conseil a considéré que le projet de la Présidence, que vous connaissez, constituait la base pour la phase finale des travaux. Au demeurant, le mot "base" a justifié des débats byzantins pendant quelques quarts d'heure. D'autre part a été confirmé le calendrier : conclusion des conférences pour la fin de l'année 1991, ratification en 1992 et entrée en vigueur du traité le 1er janvier 1993.
- Les principales questions traitées, vous les connaissez également. C'est la politique étrangère et de sécurité commune, c'est la co-décision avec le Parlement, c'est la politique sociale, la cohésion économique et sociale qui recouvrira la démarche qui doit être faite au bénéfice des pays les moins industrialisés. C'est l'union économique et monétaire. Des questions ont été traitées relevant de la politique extérieure de la Communauté. La première d'entre elles, ce fut la Yougoslavie qui a permis, peut-être pour la première fois, dans l'action et sur le terrain, au moment même où les choses se déroulaient, une intervention utile de la Communauté.
- On a parlé de l'Union soviétique, du GATT, de l'Algérie, du Moyen-Orient, de la non prolifération et des exportations d'armement, de l'Afrique du Sud. Je pense que j'en ai assez dit et qu'il vous appartient maintenant de me permettre de répondre à des sujets précis.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la troïka, comme on dit, a semble-t-il donné un déclic qui a permis aux hostilités de s'arrêter en Yougoslavie. Est-ce qu'il y a un accompagnement, une suite envisagée par les Douze qui permettent que ce ne soit pas seulement une embellie mais que celle-ci se prolonge ?
- LE PRESIDENT.- Cela ne dépend pas que de nous, mais pour ce qui dépend de nous, il a été précisément décidé de charger la nouvelle troïka du suivi, d'un suivi quotidien, puisqu'à tout moment, de nouveaux incidents pourraient faire naître une nouvelle situation. D'autre part, l'aide économique de la Communauté dépendra aussi de ce suivi.\
QUESTION.- Monsieur le Président, après vos entretiens avec Major et après le Conseil européen d'aujourd'hui, est-ce que vous avez le sentiment qu'à Maastricht, le Royaume-Uni sera en mesure de signer chacun des deux traités, celui sur l'union économique et monétaire et celui sur l'union politique ?
- LE PRESIDENT.- Je vais tout de suite répondre à votre première question. L'expérience de ces dernières années m'a appris que nous n'arrivons à un accord sur ces points que, comme le dit un feuilleton fameux, dans les cinq dernières minutes. Cela veut dire que le désaccord sur ces points fondamentaux, particulièrement avec la Grande-Bretagne, se poursuit jusqu'au Conseil européen et que, tout à fait à la fin, après constat de désaccord, soudain, tout le monde adopte le texte en question. Je ne peux pas vous garantir qu'il en ira de même. En revanche, je puis être certain que jusqu'aux cinq dernières minutes - je réserve mon jugement sur les cinq dernières minutes - le désaccord durera, c'est-à-dire que le débat continuera sur les positions que vous savez. Telle est l'expérience que j'ai jusqu'alors vécue. Vous vouliez me poser une deuxième question ?
- QUESTION.- Vous aviez parlé tout à l'heure de difficultés à propos de l'Union économique et monétaire, est-ce que vous pouvez nous en dire un petit peu plus ?
- LE PRESIDENT.- C'est une discussion née soudainement, pour moi de façon inattendue, je veux dire la raison a été inattendue, le fond ne pouvait me surprendre. C'est celui dont vous venez de me parler.
- Lorsqu'il a été question, à partir des conclusions du Conseil européen de Rome, de constater que nous poursuivions notre route tracée à Rome, à ce moment-là, M. Major a indiqué qu'il souhaitait que les réserves émises par la Grande-Bretagne à Rome fussent également rappelées, ce que j'ai d'ailleurs personnellement tout à fait approuvé. Il y a eu en effet des réserves à Rome, émises par Mme Thatcher. Si la Grande-Bretagne estime que ce qui a été accompli depuis cette époque n'a pas vraiment changé le fond de la question, il est normal qu'elle rappelle les réserves de l'époque. Mais comme un certain nombre de délégations tenaient à tout prix à ce que les désaccords fussent compris comme une sorte d'accord, les embrouilles ont commencé. Etait-on d'accord, ne l'était-on pas ? Et finalement, toutes les tentatives de synthèse ayant été épuisées, la France a fait savoir qu'elle voterait contre tout ce qui ne serait pas clair. On en est revenu au texte initial proposé par le Président de séance, M. Santer, à savoir que nous rappelions la référence au Conseil européen de Rome, et que nous rappelions en même temps les réserves britanniques. Point final ! Donc, deux heures passées à tourner en rond, pour revenir au même point. Ce n'est pas plus mal !.\
QUESTION.- En matière de défense européenne, êtes-vous satisfait de la formulation qui se retrouve dans le document final, et dans quelle mesure le rôle ou l'attitude des Etats-Unis pèsent sur les débats qui se déroulent ici entre les Douze ?
- LE PRESIDENT.- Sur le rôle des Etats-Unis, je vous laisse le soin d'apprécier. Sur le texte lui-même, je le trouve trop peu hardi, mais au point d'évolution des pensées où nous sommes, le texte me convient, puisqu'il laisse ouverte la chance de laisser grandir l'embryon de défense ou de sécurité européenne, naturellement lié à la naissance d'une union politique.
- QUESTION.- Est-ce que le mécanisme de consultation d'urgence de la CSCE va continuer à être appliqué, est-ce qu'il y aura une réunion des hauts fonctionnaires des trente-cinq ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons nous-mêmes, dans nos prises de position, fait explicitement référence à la CSCE. C'est d'ailleurs dans le cadre des textes de la CSCE qui fournissent une synthèse possible entre les revendications territoriales et l'intégrité des Etats que se trouve la formule qui répond à toute question. Donc nous n'avons pas l'intention de nous séparer de ce contrat que nous avons signé il y a peu de temps.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que, pour revenir aux deux conférences intergouvernementales sur l'union politique et l'union économique et monétaire, est-ce que vous considérez que ce Conseil européen, a donné une nouvelle impulsion aux négociations en cours?
- LE PRESIDENT.- Je considère qu'il les a faites avancer, par un excellent travail préparé par le Luxembourg. Quant aux conclusions, l'acquis a été enregistré, mais les progrès, quant à la décision, restent à faire. C'était d'ailleurs prévu comme cela pour Maastricht.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le Président slovène a dit, cet après-midi, qu'il n'était pas question de revenir sur l'exigence d'indépendance de la Slovénie. Comment voyez-vous, monsieur le Président, le compromis entre le droit à l'autodétermination des peuples et l'intégrité des territoires ?
- LE PRESIDENT.- Cette rénonciation du Président slovène n'a pas été demandée par la troïka européenne. Il a été demandé une sorte de moratoire ou de gel, concurremment au retour des armées dans les casernes. Sur le fond de la question, c'est-à-dire comment trouver la synthèse entre les deux exigences contraires aujourd'hui, je crois qu'il faut se reporter à la CSCE pour trouver les éléments de réponse.\
QUESTION.- Je voulais vous demander si le débat à propos de l'immigration et la proposition qui a été faite je crois par l'Allemagne, de communautariser les préoccupations liées à l'immigration par la possibilité d'un contrôle coordonné aux frontières, vous paraît être un progrès. Compte tenu de la situation particulière de la France et du débat intérieur en France, quels commentaires pouvez-vous apporter ?
- LE PRESIDENT.- Nous sommes affrontés au même problème et il est normal que nous recherchions des solutions communes. D'autre part, la France a signé l'accord de Schengen. Il est normal d'en tirer les conclusions légitimes. De toute manière, il reste une frontière. Cette frontière, c'est la frontière des pays signataires et il faut bien organiser un moyen collectif de faire respecter les règles de police et de sécurité qu'entraîne notre décision. Donc oui, nous trouvons tout à fait normal de nous engager dans cette direction.\
QUESTION.- C'est la première fois que dans un communiqué d'un Sommet du Marché commun, on mentionne une date limite pour la négociations avec l'AELE. Qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce que c'est un changement d'attitude ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que cela signifie un changement d'attitude. Cela n'a pas été retenu dans le débat, donc je ne vais pas vous parler de ce que je ne connais pas. Mais il a semblé que les membres de la Communauté expriment très fermement le souhait de la réussite de ces négociations. Il ne faut pas non plus qu'elles soient éternelles. Donc il est bon de fixer des délais.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le débat que vous avez eu sur la situation en Union soviétique permet-il aux Douze de dégager une sorte de position commune avant le Sommet des pays industrialisés ?
- LE PRESIDENT.- Oui, les positions communes vous seront communiquées. Il y a un programme d'aide alimentaire, d'assistance technique. Tout cela est en cours, afin d'aider l'Union soviétique dans son processus de réforme. La Communauté souhaite que l'Union soviétique prenne sa place dans les institutions financières multilatérales. D'autre part, elle continue de vouloir accélérer ses aides qui, souvent entre le moment où elles sont décidées et le moment où elles sont exécutées, prennent un temps excessif. Une discussion a eu lieu hier soir dans la réunion informelle avec les chefs d'Etat et de gouvernement, les uns insistant sur la fragilité de le perestroïka telle que la conçoit M. Gorbatchev, les autres insistant sur la nécessité de rechercher tous les moyens de la faire réussir, plutôt que de l'abandonner à son sort. C'est cette dernière thèse qui a prévalu. Vous ne me posez pas de question sur un sujet qui est pourtant nouveau, c'est celui de l'Algérie. J'ai demandé au nom de la France, en accord avec Jacques Delors au nom de la Commission, que le Conseil fût saisi de cette question. Allait-on aider financièrement l'Algérie qui a, vous le savez, de grands besoins de trésorerie. La réponse a été affirmative et d'ailleurs sans difficulté. Cela a été décidé hier soir et confirmé ce matin en séance plénière.
- QUESTION.- De quel ordre de grandeur est cette aide ?
- LE PRESIDENT.- M. Delors a indiqué un chiffre de grandeur. Vous pourrez vous en informer. Mais comme ce chiffre a été renvoyé aux ministres des finances, je ne veux pas le donner à l'avance. Ce que je peux vous dire, c'est que M. Delors ne manquera certainement pas de vous en informer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, considérez-vous que des progrès significatifs aient été faits en ce qui concerne la politique sociale ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que des progrès ont été faits depuis dix ans. En 1981, je suis venu au Conseil européen de Luxembourg. Je venais d'être élu Président de la République et ma première demande a été la reconnaissance d'une dimension sociale. J'ai appelé cela à l'époque et peu importe le vocabulaire, l'espace social européen. Il a été fort mal reçu. Je me souviens que seul le représentant du Danemark, qui à l'époque était M. Jurgursen, m'avait soutenu. Je dirai même qu'une proposition de ce type avait fait scandale et avait valu pas mal de commentaires ironiques dans la presse. Les années ont passé et considérez qu'aujourd'hui, ce n'est pas la première fois, les termes de dimension sociale figurent dans le texte. On a en outre entendu plus de la moitié des délégations en réclamer davantage, dont la France. Cela fait plaisir. On doit donc considérer qu'il y a effectivement progrès. Mais on doit considérer en même temps que ces progrès sont lents.\
QUESTION.- Est-ce que vous avez évoqué pendant ce Conseil européen le problème du siège des institutions européennes et plus particulièrement la querelle qui oppose Strasbourg à Bruxelles ?
- LE PRESIDENT.- Non. M. Andreotti avait bien voulu accepter une sorte de mission de conciliation qui débordait du cadre de sa présidence italienne du Conseil européen. Je crois qu'il a rendu son tablier. Donc, on en reste là. Les données sont simples. Vous les connaissez puisque vous représentez un grand journal alsacien.
- D'un côté, il y a des pays qui tiennent à ce que Strasbourg reste le siège du Parlement européen. Je ne dis pas la "capitale" de l'Europe, car il n'y a pas de capitale, il y a des capitales, des sièges de grandes institutions. De l'autre, il y a ceux, vous le savez également, qui souhaitent réunir toutes ces institutions à Bruxelles. La France continue d'estimer que ce serait un déni de justice que de retirer à la ville de Strasbourg le siège qu'elle détient, qu'il y a pas de raison véritable de le faire. Et, de ce fait, elle oppose un refus à la désignation des autres sièges, ce qu'elle regrette profondément, car les institutions nouvelles sont nécessaires et certains pays attendent l'installation de ces sièges chez eux. Mais comment pourrait-on choisir des sièges et les attribuer à tel ou tel pays ? La France n'est candidate à aucun autre pour justement faciliter sa position sur Strasbourg. Des formules d'arrangement sont toujours recherchées par quelques-uns. Pour les Français, leur position est simple : Strasbourg doit continuer à jouer son rôle et nous sommes très conciliants sur tout le reste.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le Président de la Commission a, je crois, évoqué la situation particulière de trois secteurs industriels en Europe : l'automobile, l'électronique et le textile. Est-ce que cela veut dire que la Communauté s'oriente vers une attitude commune face aux agressions commerciales japonaises et quelle est votre position sur cette question ?
- LE PRESIDENT.- Ma position est connue d'avance, je trouve excellent que la Communauté ait une politique industrielle, pourquoi n'en aurait-elle pas alors qu'elle entend avoir des politiques sur tous les plans ? Elle en a déjà une. Vous savez fort bien que, pour l'automobile, les travaux de la Commission ont été multiples, et que des relations ont été établies avec plusieurs pays extérieurs à la Communauté et particulièrement le Japon. L'électronique, cela va de soi aussi, le textile, pourquoi pas ? Je suis de ceux qui pensent qu'il faut que la Communauté s'empare solidairement de ce problème et que les pays qui la composent se donnent à eux-mêmes une sorte de préférence pour rechercher les accords industriels possibles. Cela ne peut pas être une préférence exclusive mais au moins ce serait une indication. J'ai le sentiment que les esprits évoluent dans ce sens.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez manifesté quelque impatience devant le caractère byzantin de certaines discussions. Est-ce que, dans l'action, vous êtes satisfait de la façon dont travaillent les Douze, c'est-à-dire à chaud ?
- LE PRESIDENT.- Quelle impatience ? Je suis resté à mon siège tranquillement de 9 heures le matin à 4 heures moins 20, si vous permettez que je vous fasse une confidence, il m'est arrivé de m'absenter deux fois cinq minutes. Alors, j'ai des réserves de patience infinie...
- QUESTION.- Mais tandis que pendant les travaux, parfois on tourne en rond, est-ce que vous avez l'impression que, à chaud, comme cela a été le cas pour la Yougoslavie, les Douze travaillent plus efficacement ?
- LE PRESIDENT.- Ils travaillent comme ils travaillent depuis les dix à onze ans que je les fréquente, c'est-à-dire que les discussions sont toujours très longues. Dans les tours de table, douze délégations font connaître leur point de vue. Ces points de vue ne sont jamais identiques au point de départ. C'est donc long, compliqué, mais j'ai toujours observé que cela finissait par s'arranger. Les décisions ont toujours été obtenues, pas toujours à l'unanimité, vous le savez bien, y compris la décision majeure de création du marché unique. Je me souviens de quelle manière on en a débattu, encore une fois d'ailleurs à Luxembourg, après Milan. Donc, je pense que les progrès sont toujours là, c'est ce qui me laisse optimiste pour la fin de cette année. Le terme d'optimisme ne doit pas servir à faire un titre. Je crois que cela doit marcher, mais comme j'ai connaissance des oppositions qui se sont déjà clairement exprimées, je préfère réserver mon opinion quand je vous en parlerai à Maastricht.\