30 mai 1991 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, et Helmut Kohl, chancelier de la République fédérale d'Allemagne, notamment sur les relations franco-allemandes, la position de la France sur le projet de réforme de l'OTAN et sur la participation de Mikhaïl Gorbatchev au sommet des pays industrialisés, Lille le 30 mai 1991.
Mesdames,
- Messieurs,
- Nous venons de terminer les 57èmes consultations franco-allemandes. La participation ministérielle de part et d'autre a été importante : en comptant le Premier ministre, douze ministres français ont pris part aux délibérations. Il a été question, bien entendu, des affaires internationales : Proche et Moyen-Orient, sécurité, désarmement, Alliance atlantique, CSCE, préparation du prochain sommet des Sept à Londres, des problèmes particuliers mais graves de la Yougoslavie. La France et l'Allemagne ont adressé un message à M. Markovic et ont tenu à affirmer leur souhait de voir se régler hors de la violence le problème de l'unité de ce pays. Le Conseil de défense et de sécurité a traité surtout trois sujets : l'état et les perspectives de la coopération franco-allemande, l'organisation de la sécurité de l'Europe et la négociation sur le désarmement. Sur le plan strictement européen, on a donc préparé le prochain conseil, qui aura lieu à Luxembourg. On a constaté que les deux conférences inter-gouvernementales progressent. L'objectif est de conclure avant la fin de l'année. Donc, le Conseil européen de Luxembourg est une étape importante. Le Conseil de Maastricht aux Pays-Bas conclura sur la base des textes préparés par la présidence luxembourgeoise. Les relations franco-allemandes ont été constamment fécondes. Je citerai quelques-unes des décisions prises. Par exemple, une idée a été retenue, elle sera communiquée aux présidents de nos assemblées parlementaires, celle de permettre à des parlementaires de nos deux pays et, le cas échéant, aux ministres de l'un de ces deux pays d'être entendus pas les grandes commissions de l'autre pays.\
D'autre part, après la rencontre franco-allemande de Weimar, le 17 mai dernier, une nouvelle réunion entre ambassadeurs allemands et français, est prévue. En économie, une déclaration conjointe sur les investissements français dans les nouveaux Länder allemands. En matière de défense, la création d'un centre franco-allemand d'instruction des pilotes d'hélicoptère installé en France. Un accord de principe pour la mise en commun de moyens de transport à des fins humanitaires. Sur le plan industriel, je vous cite simplement l'essentiel : une déclaration sur la politique communautaire dans le domaine de l'électronique et de l'informatique. Pour l'environnement, une déclaration sur la coopération dans le domaine de la sûreté nucléaire dans l'est de l'Europe. Pour l'espace, une déclaration commune sur les programmes spatiaux. Pour la technologie, une réflexion sur le partenariat technologique qui commence et qui doit s'élargir. Sur le plan culturel une déclaration sur la coopération culturelle et éducative spécialement sur les nouveaux Länder. Voilà un résumé très bref de cette rencontre.
- Sur les problèmes de l'armement que j'ai évoqués tout à l'heure, j'ai indiqué au Chancelier, qu'après la déclaration de M. George Bush, la France s'était réservée la possibilité de présenter elle-même un plan de désarmement. Ce plan sera publié demain. Il a été communiqué dès ce matin au Chancelier allemand pour qu'il puisse nous faire connaître ses observations. Monsieur le Chancelier, je tiens à vous dire le plaisir que nous avons eu de vous recevoir avec vos ministres. Je vous remercie aussi du bon travail accompli, vous y êtes pour beaucoup. La ville de Lille et la France tout entière se réjouissent de votre présence parmi nous.\
LE PRESIDENT KOHL.- Monsieur le Président de la République, mesdames, messieurs, tout d'abord, j'aimerais utiliser cette occasion pour vous remercier, monsieur le Président, madame le Premier ministre, et j'aimerais également remercier tous vos collaborateurs pour la préparation de la conférence et pour l'accueil affectueux et amical que nous avons reçu ici et j'aimerais également remercier monsieur le maire, monsieur Mauroy, pour l'amitié dont il a fait preuve ici et lui demander de saluer de notre part la population de sa ville.
- L'atmosphère, comme toujours était bonne, comme entre bons amis. Hier soir, il y a eu quelque chose d'un petit peu spécial, comme beaucoup d'autres gens en France, nous nous sommes assis devant la télévision, nous avons un peu souffert, nous avons suivi le jeu et nous avons vu que la balle du football est ronde et que finalement, l'équipe qui était la meilleure a quand même perdu à la fin.
- Les 57èmes consultations franco-allemandes ont montré encore une fois le caractère particulier de nos relations et je voudrais souligner ici que l'année 1991 est une année décisive pour l'Europe. Les deux conférences inter-gouvernementales pour l'union économique et monétaire et pour l'union politique vont maintenant être menées à terme et nous devrions ainsi arriver à l'unification de l'Europe. Il sera important que des Français et des Allemands, des Allemands et des Français travaillent ensemble pour arriver à une bonne conclusion.\
Nous avons utilisé cette occasion, ici à Lille, pour préparer le prochain sommet européen, du moins pour parler de la préparation de ce sommet qui doit avoir lieu dans quatre semaines au Luxembourg. Le Président de la République a déjà dit que c'était une étape intermédiaire importante pour arriver l'année prochaine à Maastricht où nous accomplirons ce que nous souhaitons. Nous avons parlé du sommet des pays industrialisés qui est une date importante, où il faudra discuter et décider de beaucoup de choses qui sont importantes au niveau économique dans le monde en ce moment. Et le Président de la République, pour ce qui est de la Yougoslavie, a également souligné que nous avons parlé de la situation dans l'Europe centrale et dans l'Europe orientale. Nous avons également parlé des discussions que j'ai eues avec le Président Bush et nous avons également parlé de la situation dans la partie orientale de l'Allemagne. Nous savons tous que, pour l'instant, nous faisons de gros efforts pour que ces nouveaux Länder de la République fédérale d'Allemagne puissent bien se développer. Mais à côté de tous les problèmes qui existent, j'aimerais également souligner les côtés positifs de l'unification allemande pour tous. La conjoncture économique dans toute l'Europe est ainsi relancée. Les exportations de la France vers l'Allemagne dans ces deux premiers mois de cette année ont augmenté de 25 %, et en 1991 cette perspective positive du point de vue de l'économie et particulièrement du point de vue des exportations, ne cessera de se renforcer.
- Je voudrais également vous remercier, monsieur le Président, et également les membres de votre gouvernement pour l'engagement culturel dont la France a fait preuve dans ces nouveaux Länder surtout à cause des nouveaux instituts culturels à Dresde et Leipzig et bientôt il y en aura un également à Erfurt et c'est une très bonne chose que d'autre part des jeunes français, des jeunes allemands puissent se rencontrer par l'intermédiaire de l'OFAJ. Nous venons justement d'en saluer quelques-uns à l'occasion de la 150 millième rencontre et cela montre la durée et la permanence des relations franco-allemandes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, nous avons noté que le plan français de désarmement sera publié demain. Est-ce que vous pourriez cependant déjà nous donner quelques indications sur son esprit, ses grandes lignes ? Est-ce qu'il s'agit d'un plan concernant certaines armes plutôt que d'autres, certaines régions plutôt que d'autres, où est-ce qu'il s'agira d'un plan global ?
- LE PRESIDENT.- Je vous répondrai sur un seul point, vous comprendrez pourquoi je n'irai pas plus loin, ce sera un plan global. Quant à son contenu, j'en ai réservé une première lecture au Chancelier allemand, je le communiquerai également aux autres membres du Conseil de sécurité, avant de rendre public demain le contenu complet de ce texte.
- QUESTION.- Monsieur le Président, une question subsidiaire. Que pensez-vous du plan du Président Bush concernant le désarmement au Proche-Orient. Est-ce que vous pourriez entrer dans les détails ?
- LE PRESIDENT.- Je m'exprimerai justement à ce moment-là, parce que ce sera tout à fait complet. Il y a différentes thèses, qui ne sont pas fondamentalement différentes d'ailleurs sur beaucoup de points. Elles sont plutôt complémentaires, et quelquefois, elles ont besoin d'être harmonisées.\
QUESTION.- Sous quelles modalités souhaitez-vous voir M. Gorbatchev participer au sommet de Londres du G7 et quelle aide économique peut-il espérer de la part des pays occidentaux ?
- LE PRESIDENT.- Premièrement, je souhaite la présence de M. Gorbatchev à Londres. Ce sentiment, je peux le dire, est partagé par l'Allemagne. Deuxièmement, M. Gorbatchev ne peut être là qu'à titre de consultation sur des sujets qui nous sont communs à lui et à nous. S'il doit y avoir des étapes ultérieures, c'est-à-dire une participation de plein droit, cette affaire sera examinée en son temps. Commençons au moins par une conversation, une discussion, une rencontre dont l'importance politique et psychologique ne sera pas négligeable. Enfin, quel sera le montant de l'aide, si aide il y a, ce que je souhaite, cela dépendra des conversations qui auront lieu entre les partenaires du Sommet et je ne peux rien préjuger.
- LE CHANCELIER KOHL.- D'abord, sur la participation de M. Gorbatchev au sommet de Londres, je ne peux que soutenir ce que vient de dire M. le Président. Cela correspond tout à fait à mon opinion. Je le dis au nom du gouvernement fédéral et pour moi-même, tout ce que nous avons vu se faire ces dernières années, je considère que c'est très important et qu'il faut que l'Ouest soit uni dans le désir de soutenir la politique de la Pérestroïka, de l'ouverture, de plus de démocratie, de plus de droit humain. Troisièmement, il faut également dire que, ce que nous pouvons faire c'est de les aider à s'aider eux-mêmes.
- Les décisions de base doivent être prises en Union soviétique, par l'Union soviétique. La question de la structure étatique de l'Union soviétique, les relations entre la fédération et les républiques, les principes de base de l'économie, ce sont des choses qui doivent être décidées là-bas. Si tout va dans la bonne direction, eh bien, nous devons discuter entre nous pour savoir ce que nous pouvons faire pour aider, comme l'a dit le Président. Mais, je le répète, nous devons les aider à s'aider eux-mêmes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quel rôle pourrait et devrait jouer la France, vis-à-vis des nouveaux Länder de l'Allemagne et, d'autre part, comment, monsieur le Chancelier, voyez-vous l'engagement de la France dans le cadre global de la coopération culturelle franco-allemande ?
- LE PRESIDENT.- En fait, le progrès est réel. La France est le premier des pays présents, qui investissent dans les Länder orientaux de l'Allemagne. Sur plusieurs plans, économique et culturel, on a précisément noté ce matin que la France avait répondu à l'attente allemande et que le champ était ouvert pour accroître cette présence. La France a bien l'intention de profiter de cette invitation. Voilà un point essentiel. Il y a des résistances naturelles, concurrentielles, mais vraiment c'est bien parti. Très bien parti. Pendant plusieurs années, ces Länder devront connaître dans le cadre de l'Allemagne un effort très important, humainement, économiquement. Sur tous les plans, la France entend y participer.\
LE CHANCELIER KOHL.- D'abord, je crois qu'il est important et cela me fait plaisir de le dire ici à Lille, devant un auditoire français, il est important que nous sachions tous ce que cela veut dire que mes compatriotes de l'ancienne RDA, soient maintenant rentrés dans la nouvelle Europe, dans l'Europe libre et je dis l'Europe libre, parce que, si aujourd'hui vous vous promeniez à Paris, vous verriez alors tous, des dizaines d'Allemands de l'Est qui, pour la première fois de leur vie, ont la possibilité, en tant que citoyens libres d'un pays libre, de visiter Paris. Et vous pourriez voir comment ils sont ravis d'être là. Pour la première fois, ils ont la possibilité de venir à Paris et en France. C'est souvent le voeu de leur vie et en tous les cas, c'est le voeu des jeunes.
- La RDA est rentrée en Europe, dans une Europe libre, c'est la première chose. Deuxièmement, nous sommes extrêmement intéressés, parce que ça concerne l'amitié franco-allemande d'aujourd'hui et de demain, à ce que la France investisse. C'est pour nous important, parce que c'est une aide pour l'emploi. Mais comprenez-moi bien, il est plus important pour l'avenir, pour l'intégration franco-allemande et européenne, que de nombreuses entreprises françaises viennent chez nous, parce que cela renforce les relations entre nos pays, entre nos peuples. Ensuite, ce qui est encore plus important, c'est l'aspect culturel. Il est particulièrement important que, dans les écoles des nouveaux Länder, dans les universités des nouveaux Länder, l'on puisse se nourrir de l'inspiration que la France a toujours donnée, que ce soit pour le théâtre, la littérature, la peinture. Tout cela doit être présent ches nous. Il faut que les jeunes Allemands qui apprennent le français puissent venir ici en France aussi, bien entendu.
- Bien entendu, la possibilité pour de jeunes ingénieurs allemands de venir en France, doit valoir également pour les jeunes ingénieurs qui viennent des nouveaux Länder. D'autre part, si vous êtes à Dresde, vous n'êtes pas seulement au milieu de la Saxe, au milieu de l'Allemagne, vous êtes également au milieu de l'Europe. Et donc c'est vraiment quelque chose de très important qui montre bien de manière précise tous les intérêts historiques, culturels et économiques des relations entre nos deux pays.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, est-ce que vous avez parlé également de la force de réaction rapide dans le cadre de l'OTAN et est-ce que vous avez parlé également des initiatives dans le cadre de l'UEO ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Le sujet de la sécurité, nous en avons parlé, nous avons également dit que, pour l'union politique de l'Europe, il fallait également avoir une conception qui vaille pour la défense et le Président François Mitterrand et moi-même, en dehors de notre délégation, avons eu des discussions intensives et nous avons l'intention avant novembre de continuer de travailler ce sujet, c'est-à-dire avant la réunion de l'OTAN.\
QUESTION.- Pour prolonger la question précédente, monsieur le Président, qu'est-ce que vous pensez de la création de la force de réaction rapide annoncée par l'Alliance atlantique, est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'elle risque de rendre plus difficile la définition à Douze d'une politique de sécurité commune ?
- LE PRESIDENT.- Peut-être. C'est à examiner. Cela est une décision qui a été prise par les organes militaires intégrés de l'OTAN, mais nous n'en sommes pas, nous sommes du côté français tout à fait libres de notre attitude, nous n'entendons pas nous intégrer à une force de ce type, indépendamment du débat de fond. Ce sont des réserves à émettre sur le plan politique et de la stratégie politique, mais je n'ai pas à me mêler d'une discussion qui n'engage que ceux qui y prennent part. Donc, je ferai connaître des observations en toutes circonstances, et cela ne tardera pas.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, est-ce que le but de la politique allemande c'est de travailler avec la France également dans le cadre de l'UEO et d'y créer là aussi une force de réaction rapide ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Je réponds à votre question et je reviens à la question que posait votre collègue tout à l'heure. Je viens de parler de l'union politique et une union politique en Europe, pour moi, ce n'est pas envisageable sans un aspect politique de sécurité. Nous devons maintenant, vu les évolutions positives et très rapides qui ont eu lieu en Europe ces derniers temps, réfléchir pour voir comment le temps va évoluer et comment nous devons nous situer en Europe. Je parle de l'Europe des douze, pour l'instant, qui bien entendu devra évoluer également dans l'avenir. Il faut voir plus loin qu'aujourd'hui, il faut voir comment dans ce cadre nous pouvons résoudre nos problèmes de sécurité. Il faut voir quel sera le rôle de l'UEO. Je pense que justement la France et l'Allemagne peuvent avoir un rôle particulier, car nous avons toujours considéré que nous avions une responsabilité particulière pour pousser en avant l'union politique en Europe.
- Je suis contre une philosophie qui serait la philosophie du tout ou rien. Ce n'est pas tout ou rien, c'est plutôt non seulement mais aussi, c'est le genre de réflexion qui montre que nos amis américains ont également leur place là. Je dirai en quelques mots ce que je pense. En Europe, il y a deux pays qui ont la force nucléaire, la France et la Grande Bretagne. L'Allemagne ne l'a pas, et ne veut pas la posséder. Donc il faut parler de tout cela. Mais, vous savez, en fait, je suis heureux que nous ayons ce problème, il y a quelques années on aurait dit que celui qui parle de ce problème était complètement utopiste. On n'aurait pas parlé de ce genre de sujet à des sommets franco-allemands. Souvenez-vous, à l'époque, c'était le problème de Margaret Thatcher qui parlait des fusées à courte portée, c'était cela le problème. Eh bien ! les choses ont bien changé depuis.
- LE PRESIDENT.- L'OTAN, c'est l'organisation militaire de l'Alliance atlantique, bien entendu nous en sommes, mais, je le répète, nous n'appartenons pas au commandement intégré pour des raisons qui ont été cent fois expliquées et qui sont claires. Donc, l'OTAN, sous sa forme militaire, n'est pas toute l'Alliance et ce n'est pas à son niveau que peuvent se régler toutes ces questions.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, en République fédérale, on discute maintenant d'une éventuelle modification de la constitution qui permettrait l'utilisation de la Bundeswehr hors de la zone OTAN. Est-ce qu'il ne faut pas craindre qu'une telle modification de la constitution soit plus restrictive que ce qui existe pour l'instant, et que, par conséquent, la capacité de manoeuvre de la République fédérale vers une défense européenne, une structure de défense européenne en soit ainsi gênée ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Non, je n'ai pas de crainte de ce genre. Le but du gouvernement et de la coalition du gouvernement est tout à fait clair. Je ne veux pas faire de pronostics sur les développements de la discussion intérieure, ce n'est pas le lieu. Mais, il y a, bien entendu, discussion de politique intérieure très intensive chez nous, à laquelle je m'attends avec un certain plaisir. Il est bon dans la politique que, de temps en temps, l'on puisse échanger de manière critique quelques idées. Sur le fond, la position est très claire : l'Allemagne ne peut être membre des Nations unies et en avoir les droits et non les devoirs. Un pays de la taille de l'Allemagne réunifiée a des engagements internationaux à respecter et ce serait une trahison par rapport à la mission de l'Allemagne dans un monde démocratique, si nous descendions au dessous du niveau auquel nous devrions nous mettre, et je crois que malgré tous les problèmes de politique intérieure en ce moment, il faut être optimiste pour ce qui est de l'aboutissement de ce débat. D'autre part, il n'y aura pas d'union politique en Europe si les Allemands n'y prennent pas leur place également lorsqu'il s'agit de prendre leurs responsabilités en matière de défense.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, monsieur le Président, avez-vous parlé d'une politique industrielle européenne ? Comment sauver l'industrie électronique de la concurrence étrangère, particulièrement japonaise ?
- LE CHANCELIER KOHL.- De mon point de vue, je peux vous dire juste quelques phrases, nous voulons continuer ces échanges. Notre voeu commun est que, dans un vaste secteur particulier, nous ayons encore plus de coopération entre les entreprises françaises et allemandes. L'exemple des nouveaux investissements dans les nouveaux Länder de l'ancienne RDA va exactement dans ce sens.
- LE PRESIDENT.- La logique de la France c'est de répondre "L'Europe d'abord" et si cela se révélait impossible dans tel ou tel secteur de l'industrie - ce qui serait bien dommage parce que l'Europe, aussi, doit être industrielle - alors, nous choisirions l'ordre d'urgence quant à nos partenaires. Mais, j'ai tout à l'heure dit que au cours de cette réunion franco-allemande, une déclaration sur la politique communautaire dans le domaine de l'électronique et de l'informatique avait été élaborée.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, êtes-vous toujours réticent envers la confédération européenne ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Nous n'avons pas parlé de ce sujet, mais François Mitterrand et moi-même avons souvent parlé de cela et nous sommes d'accord pour considérer que tout ce qui peut contribuer à l'unification européenne et, je pense surtout à l'édification de l'Europe, en général, que tout ce qui peut être fait doit être fait.
- LE PRESIDENT.- Si la Communauté européenne peut répondre à toutes ces questions dans son extension géographique, dans ses compétences, et recouvrir toute l'Europe, ce serait parfait. On voit combien ce sera difficile, en raison des disparités des systèmes, de l'état de prospérité ou de pauvreté des différents pays de l'Europe, des usages, des traditions etc.. On ne peut donc pas simplement renvoyer cela aux calendes grecques. Voilà pourquoi j'ai parlé de confédération. Il y a déjà des sujets qui sont parfaitement traités, celui des droits de l'homme dans le cadre du Conseil de l'Europe, celui de la défense et de la sécurité dans le cadre de la CSCE. Soyons pragmatiques, simplement n'oublions personne.
- Et n'oublions surtout pas que l'Europe est un continent qui existe politiquement depuis longtemps dont tous les partenaires sont connus depuis des siècles, même s'ils ont connu des évolutions diverses, dans leurs relations, dans leurs formules étatiques. Mais n'oublions personne. C'est mon souhait, mais on en parlera à Prague bientôt.\
- Messieurs,
- Nous venons de terminer les 57èmes consultations franco-allemandes. La participation ministérielle de part et d'autre a été importante : en comptant le Premier ministre, douze ministres français ont pris part aux délibérations. Il a été question, bien entendu, des affaires internationales : Proche et Moyen-Orient, sécurité, désarmement, Alliance atlantique, CSCE, préparation du prochain sommet des Sept à Londres, des problèmes particuliers mais graves de la Yougoslavie. La France et l'Allemagne ont adressé un message à M. Markovic et ont tenu à affirmer leur souhait de voir se régler hors de la violence le problème de l'unité de ce pays. Le Conseil de défense et de sécurité a traité surtout trois sujets : l'état et les perspectives de la coopération franco-allemande, l'organisation de la sécurité de l'Europe et la négociation sur le désarmement. Sur le plan strictement européen, on a donc préparé le prochain conseil, qui aura lieu à Luxembourg. On a constaté que les deux conférences inter-gouvernementales progressent. L'objectif est de conclure avant la fin de l'année. Donc, le Conseil européen de Luxembourg est une étape importante. Le Conseil de Maastricht aux Pays-Bas conclura sur la base des textes préparés par la présidence luxembourgeoise. Les relations franco-allemandes ont été constamment fécondes. Je citerai quelques-unes des décisions prises. Par exemple, une idée a été retenue, elle sera communiquée aux présidents de nos assemblées parlementaires, celle de permettre à des parlementaires de nos deux pays et, le cas échéant, aux ministres de l'un de ces deux pays d'être entendus pas les grandes commissions de l'autre pays.\
D'autre part, après la rencontre franco-allemande de Weimar, le 17 mai dernier, une nouvelle réunion entre ambassadeurs allemands et français, est prévue. En économie, une déclaration conjointe sur les investissements français dans les nouveaux Länder allemands. En matière de défense, la création d'un centre franco-allemand d'instruction des pilotes d'hélicoptère installé en France. Un accord de principe pour la mise en commun de moyens de transport à des fins humanitaires. Sur le plan industriel, je vous cite simplement l'essentiel : une déclaration sur la politique communautaire dans le domaine de l'électronique et de l'informatique. Pour l'environnement, une déclaration sur la coopération dans le domaine de la sûreté nucléaire dans l'est de l'Europe. Pour l'espace, une déclaration commune sur les programmes spatiaux. Pour la technologie, une réflexion sur le partenariat technologique qui commence et qui doit s'élargir. Sur le plan culturel une déclaration sur la coopération culturelle et éducative spécialement sur les nouveaux Länder. Voilà un résumé très bref de cette rencontre.
- Sur les problèmes de l'armement que j'ai évoqués tout à l'heure, j'ai indiqué au Chancelier, qu'après la déclaration de M. George Bush, la France s'était réservée la possibilité de présenter elle-même un plan de désarmement. Ce plan sera publié demain. Il a été communiqué dès ce matin au Chancelier allemand pour qu'il puisse nous faire connaître ses observations. Monsieur le Chancelier, je tiens à vous dire le plaisir que nous avons eu de vous recevoir avec vos ministres. Je vous remercie aussi du bon travail accompli, vous y êtes pour beaucoup. La ville de Lille et la France tout entière se réjouissent de votre présence parmi nous.\
LE PRESIDENT KOHL.- Monsieur le Président de la République, mesdames, messieurs, tout d'abord, j'aimerais utiliser cette occasion pour vous remercier, monsieur le Président, madame le Premier ministre, et j'aimerais également remercier tous vos collaborateurs pour la préparation de la conférence et pour l'accueil affectueux et amical que nous avons reçu ici et j'aimerais également remercier monsieur le maire, monsieur Mauroy, pour l'amitié dont il a fait preuve ici et lui demander de saluer de notre part la population de sa ville.
- L'atmosphère, comme toujours était bonne, comme entre bons amis. Hier soir, il y a eu quelque chose d'un petit peu spécial, comme beaucoup d'autres gens en France, nous nous sommes assis devant la télévision, nous avons un peu souffert, nous avons suivi le jeu et nous avons vu que la balle du football est ronde et que finalement, l'équipe qui était la meilleure a quand même perdu à la fin.
- Les 57èmes consultations franco-allemandes ont montré encore une fois le caractère particulier de nos relations et je voudrais souligner ici que l'année 1991 est une année décisive pour l'Europe. Les deux conférences inter-gouvernementales pour l'union économique et monétaire et pour l'union politique vont maintenant être menées à terme et nous devrions ainsi arriver à l'unification de l'Europe. Il sera important que des Français et des Allemands, des Allemands et des Français travaillent ensemble pour arriver à une bonne conclusion.\
Nous avons utilisé cette occasion, ici à Lille, pour préparer le prochain sommet européen, du moins pour parler de la préparation de ce sommet qui doit avoir lieu dans quatre semaines au Luxembourg. Le Président de la République a déjà dit que c'était une étape intermédiaire importante pour arriver l'année prochaine à Maastricht où nous accomplirons ce que nous souhaitons. Nous avons parlé du sommet des pays industrialisés qui est une date importante, où il faudra discuter et décider de beaucoup de choses qui sont importantes au niveau économique dans le monde en ce moment. Et le Président de la République, pour ce qui est de la Yougoslavie, a également souligné que nous avons parlé de la situation dans l'Europe centrale et dans l'Europe orientale. Nous avons également parlé des discussions que j'ai eues avec le Président Bush et nous avons également parlé de la situation dans la partie orientale de l'Allemagne. Nous savons tous que, pour l'instant, nous faisons de gros efforts pour que ces nouveaux Länder de la République fédérale d'Allemagne puissent bien se développer. Mais à côté de tous les problèmes qui existent, j'aimerais également souligner les côtés positifs de l'unification allemande pour tous. La conjoncture économique dans toute l'Europe est ainsi relancée. Les exportations de la France vers l'Allemagne dans ces deux premiers mois de cette année ont augmenté de 25 %, et en 1991 cette perspective positive du point de vue de l'économie et particulièrement du point de vue des exportations, ne cessera de se renforcer.
- Je voudrais également vous remercier, monsieur le Président, et également les membres de votre gouvernement pour l'engagement culturel dont la France a fait preuve dans ces nouveaux Länder surtout à cause des nouveaux instituts culturels à Dresde et Leipzig et bientôt il y en aura un également à Erfurt et c'est une très bonne chose que d'autre part des jeunes français, des jeunes allemands puissent se rencontrer par l'intermédiaire de l'OFAJ. Nous venons justement d'en saluer quelques-uns à l'occasion de la 150 millième rencontre et cela montre la durée et la permanence des relations franco-allemandes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, nous avons noté que le plan français de désarmement sera publié demain. Est-ce que vous pourriez cependant déjà nous donner quelques indications sur son esprit, ses grandes lignes ? Est-ce qu'il s'agit d'un plan concernant certaines armes plutôt que d'autres, certaines régions plutôt que d'autres, où est-ce qu'il s'agira d'un plan global ?
- LE PRESIDENT.- Je vous répondrai sur un seul point, vous comprendrez pourquoi je n'irai pas plus loin, ce sera un plan global. Quant à son contenu, j'en ai réservé une première lecture au Chancelier allemand, je le communiquerai également aux autres membres du Conseil de sécurité, avant de rendre public demain le contenu complet de ce texte.
- QUESTION.- Monsieur le Président, une question subsidiaire. Que pensez-vous du plan du Président Bush concernant le désarmement au Proche-Orient. Est-ce que vous pourriez entrer dans les détails ?
- LE PRESIDENT.- Je m'exprimerai justement à ce moment-là, parce que ce sera tout à fait complet. Il y a différentes thèses, qui ne sont pas fondamentalement différentes d'ailleurs sur beaucoup de points. Elles sont plutôt complémentaires, et quelquefois, elles ont besoin d'être harmonisées.\
QUESTION.- Sous quelles modalités souhaitez-vous voir M. Gorbatchev participer au sommet de Londres du G7 et quelle aide économique peut-il espérer de la part des pays occidentaux ?
- LE PRESIDENT.- Premièrement, je souhaite la présence de M. Gorbatchev à Londres. Ce sentiment, je peux le dire, est partagé par l'Allemagne. Deuxièmement, M. Gorbatchev ne peut être là qu'à titre de consultation sur des sujets qui nous sont communs à lui et à nous. S'il doit y avoir des étapes ultérieures, c'est-à-dire une participation de plein droit, cette affaire sera examinée en son temps. Commençons au moins par une conversation, une discussion, une rencontre dont l'importance politique et psychologique ne sera pas négligeable. Enfin, quel sera le montant de l'aide, si aide il y a, ce que je souhaite, cela dépendra des conversations qui auront lieu entre les partenaires du Sommet et je ne peux rien préjuger.
- LE CHANCELIER KOHL.- D'abord, sur la participation de M. Gorbatchev au sommet de Londres, je ne peux que soutenir ce que vient de dire M. le Président. Cela correspond tout à fait à mon opinion. Je le dis au nom du gouvernement fédéral et pour moi-même, tout ce que nous avons vu se faire ces dernières années, je considère que c'est très important et qu'il faut que l'Ouest soit uni dans le désir de soutenir la politique de la Pérestroïka, de l'ouverture, de plus de démocratie, de plus de droit humain. Troisièmement, il faut également dire que, ce que nous pouvons faire c'est de les aider à s'aider eux-mêmes.
- Les décisions de base doivent être prises en Union soviétique, par l'Union soviétique. La question de la structure étatique de l'Union soviétique, les relations entre la fédération et les républiques, les principes de base de l'économie, ce sont des choses qui doivent être décidées là-bas. Si tout va dans la bonne direction, eh bien, nous devons discuter entre nous pour savoir ce que nous pouvons faire pour aider, comme l'a dit le Président. Mais, je le répète, nous devons les aider à s'aider eux-mêmes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quel rôle pourrait et devrait jouer la France, vis-à-vis des nouveaux Länder de l'Allemagne et, d'autre part, comment, monsieur le Chancelier, voyez-vous l'engagement de la France dans le cadre global de la coopération culturelle franco-allemande ?
- LE PRESIDENT.- En fait, le progrès est réel. La France est le premier des pays présents, qui investissent dans les Länder orientaux de l'Allemagne. Sur plusieurs plans, économique et culturel, on a précisément noté ce matin que la France avait répondu à l'attente allemande et que le champ était ouvert pour accroître cette présence. La France a bien l'intention de profiter de cette invitation. Voilà un point essentiel. Il y a des résistances naturelles, concurrentielles, mais vraiment c'est bien parti. Très bien parti. Pendant plusieurs années, ces Länder devront connaître dans le cadre de l'Allemagne un effort très important, humainement, économiquement. Sur tous les plans, la France entend y participer.\
LE CHANCELIER KOHL.- D'abord, je crois qu'il est important et cela me fait plaisir de le dire ici à Lille, devant un auditoire français, il est important que nous sachions tous ce que cela veut dire que mes compatriotes de l'ancienne RDA, soient maintenant rentrés dans la nouvelle Europe, dans l'Europe libre et je dis l'Europe libre, parce que, si aujourd'hui vous vous promeniez à Paris, vous verriez alors tous, des dizaines d'Allemands de l'Est qui, pour la première fois de leur vie, ont la possibilité, en tant que citoyens libres d'un pays libre, de visiter Paris. Et vous pourriez voir comment ils sont ravis d'être là. Pour la première fois, ils ont la possibilité de venir à Paris et en France. C'est souvent le voeu de leur vie et en tous les cas, c'est le voeu des jeunes.
- La RDA est rentrée en Europe, dans une Europe libre, c'est la première chose. Deuxièmement, nous sommes extrêmement intéressés, parce que ça concerne l'amitié franco-allemande d'aujourd'hui et de demain, à ce que la France investisse. C'est pour nous important, parce que c'est une aide pour l'emploi. Mais comprenez-moi bien, il est plus important pour l'avenir, pour l'intégration franco-allemande et européenne, que de nombreuses entreprises françaises viennent chez nous, parce que cela renforce les relations entre nos pays, entre nos peuples. Ensuite, ce qui est encore plus important, c'est l'aspect culturel. Il est particulièrement important que, dans les écoles des nouveaux Länder, dans les universités des nouveaux Länder, l'on puisse se nourrir de l'inspiration que la France a toujours donnée, que ce soit pour le théâtre, la littérature, la peinture. Tout cela doit être présent ches nous. Il faut que les jeunes Allemands qui apprennent le français puissent venir ici en France aussi, bien entendu.
- Bien entendu, la possibilité pour de jeunes ingénieurs allemands de venir en France, doit valoir également pour les jeunes ingénieurs qui viennent des nouveaux Länder. D'autre part, si vous êtes à Dresde, vous n'êtes pas seulement au milieu de la Saxe, au milieu de l'Allemagne, vous êtes également au milieu de l'Europe. Et donc c'est vraiment quelque chose de très important qui montre bien de manière précise tous les intérêts historiques, culturels et économiques des relations entre nos deux pays.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, est-ce que vous avez parlé également de la force de réaction rapide dans le cadre de l'OTAN et est-ce que vous avez parlé également des initiatives dans le cadre de l'UEO ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Le sujet de la sécurité, nous en avons parlé, nous avons également dit que, pour l'union politique de l'Europe, il fallait également avoir une conception qui vaille pour la défense et le Président François Mitterrand et moi-même, en dehors de notre délégation, avons eu des discussions intensives et nous avons l'intention avant novembre de continuer de travailler ce sujet, c'est-à-dire avant la réunion de l'OTAN.\
QUESTION.- Pour prolonger la question précédente, monsieur le Président, qu'est-ce que vous pensez de la création de la force de réaction rapide annoncée par l'Alliance atlantique, est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'elle risque de rendre plus difficile la définition à Douze d'une politique de sécurité commune ?
- LE PRESIDENT.- Peut-être. C'est à examiner. Cela est une décision qui a été prise par les organes militaires intégrés de l'OTAN, mais nous n'en sommes pas, nous sommes du côté français tout à fait libres de notre attitude, nous n'entendons pas nous intégrer à une force de ce type, indépendamment du débat de fond. Ce sont des réserves à émettre sur le plan politique et de la stratégie politique, mais je n'ai pas à me mêler d'une discussion qui n'engage que ceux qui y prennent part. Donc, je ferai connaître des observations en toutes circonstances, et cela ne tardera pas.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, est-ce que le but de la politique allemande c'est de travailler avec la France également dans le cadre de l'UEO et d'y créer là aussi une force de réaction rapide ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Je réponds à votre question et je reviens à la question que posait votre collègue tout à l'heure. Je viens de parler de l'union politique et une union politique en Europe, pour moi, ce n'est pas envisageable sans un aspect politique de sécurité. Nous devons maintenant, vu les évolutions positives et très rapides qui ont eu lieu en Europe ces derniers temps, réfléchir pour voir comment le temps va évoluer et comment nous devons nous situer en Europe. Je parle de l'Europe des douze, pour l'instant, qui bien entendu devra évoluer également dans l'avenir. Il faut voir plus loin qu'aujourd'hui, il faut voir comment dans ce cadre nous pouvons résoudre nos problèmes de sécurité. Il faut voir quel sera le rôle de l'UEO. Je pense que justement la France et l'Allemagne peuvent avoir un rôle particulier, car nous avons toujours considéré que nous avions une responsabilité particulière pour pousser en avant l'union politique en Europe.
- Je suis contre une philosophie qui serait la philosophie du tout ou rien. Ce n'est pas tout ou rien, c'est plutôt non seulement mais aussi, c'est le genre de réflexion qui montre que nos amis américains ont également leur place là. Je dirai en quelques mots ce que je pense. En Europe, il y a deux pays qui ont la force nucléaire, la France et la Grande Bretagne. L'Allemagne ne l'a pas, et ne veut pas la posséder. Donc il faut parler de tout cela. Mais, vous savez, en fait, je suis heureux que nous ayons ce problème, il y a quelques années on aurait dit que celui qui parle de ce problème était complètement utopiste. On n'aurait pas parlé de ce genre de sujet à des sommets franco-allemands. Souvenez-vous, à l'époque, c'était le problème de Margaret Thatcher qui parlait des fusées à courte portée, c'était cela le problème. Eh bien ! les choses ont bien changé depuis.
- LE PRESIDENT.- L'OTAN, c'est l'organisation militaire de l'Alliance atlantique, bien entendu nous en sommes, mais, je le répète, nous n'appartenons pas au commandement intégré pour des raisons qui ont été cent fois expliquées et qui sont claires. Donc, l'OTAN, sous sa forme militaire, n'est pas toute l'Alliance et ce n'est pas à son niveau que peuvent se régler toutes ces questions.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, en République fédérale, on discute maintenant d'une éventuelle modification de la constitution qui permettrait l'utilisation de la Bundeswehr hors de la zone OTAN. Est-ce qu'il ne faut pas craindre qu'une telle modification de la constitution soit plus restrictive que ce qui existe pour l'instant, et que, par conséquent, la capacité de manoeuvre de la République fédérale vers une défense européenne, une structure de défense européenne en soit ainsi gênée ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Non, je n'ai pas de crainte de ce genre. Le but du gouvernement et de la coalition du gouvernement est tout à fait clair. Je ne veux pas faire de pronostics sur les développements de la discussion intérieure, ce n'est pas le lieu. Mais, il y a, bien entendu, discussion de politique intérieure très intensive chez nous, à laquelle je m'attends avec un certain plaisir. Il est bon dans la politique que, de temps en temps, l'on puisse échanger de manière critique quelques idées. Sur le fond, la position est très claire : l'Allemagne ne peut être membre des Nations unies et en avoir les droits et non les devoirs. Un pays de la taille de l'Allemagne réunifiée a des engagements internationaux à respecter et ce serait une trahison par rapport à la mission de l'Allemagne dans un monde démocratique, si nous descendions au dessous du niveau auquel nous devrions nous mettre, et je crois que malgré tous les problèmes de politique intérieure en ce moment, il faut être optimiste pour ce qui est de l'aboutissement de ce débat. D'autre part, il n'y aura pas d'union politique en Europe si les Allemands n'y prennent pas leur place également lorsqu'il s'agit de prendre leurs responsabilités en matière de défense.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, monsieur le Président, avez-vous parlé d'une politique industrielle européenne ? Comment sauver l'industrie électronique de la concurrence étrangère, particulièrement japonaise ?
- LE CHANCELIER KOHL.- De mon point de vue, je peux vous dire juste quelques phrases, nous voulons continuer ces échanges. Notre voeu commun est que, dans un vaste secteur particulier, nous ayons encore plus de coopération entre les entreprises françaises et allemandes. L'exemple des nouveaux investissements dans les nouveaux Länder de l'ancienne RDA va exactement dans ce sens.
- LE PRESIDENT.- La logique de la France c'est de répondre "L'Europe d'abord" et si cela se révélait impossible dans tel ou tel secteur de l'industrie - ce qui serait bien dommage parce que l'Europe, aussi, doit être industrielle - alors, nous choisirions l'ordre d'urgence quant à nos partenaires. Mais, j'ai tout à l'heure dit que au cours de cette réunion franco-allemande, une déclaration sur la politique communautaire dans le domaine de l'électronique et de l'informatique avait été élaborée.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, êtes-vous toujours réticent envers la confédération européenne ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Nous n'avons pas parlé de ce sujet, mais François Mitterrand et moi-même avons souvent parlé de cela et nous sommes d'accord pour considérer que tout ce qui peut contribuer à l'unification européenne et, je pense surtout à l'édification de l'Europe, en général, que tout ce qui peut être fait doit être fait.
- LE PRESIDENT.- Si la Communauté européenne peut répondre à toutes ces questions dans son extension géographique, dans ses compétences, et recouvrir toute l'Europe, ce serait parfait. On voit combien ce sera difficile, en raison des disparités des systèmes, de l'état de prospérité ou de pauvreté des différents pays de l'Europe, des usages, des traditions etc.. On ne peut donc pas simplement renvoyer cela aux calendes grecques. Voilà pourquoi j'ai parlé de confédération. Il y a déjà des sujets qui sont parfaitement traités, celui des droits de l'homme dans le cadre du Conseil de l'Europe, celui de la défense et de la sécurité dans le cadre de la CSCE. Soyons pragmatiques, simplement n'oublions personne.
- Et n'oublions surtout pas que l'Europe est un continent qui existe politiquement depuis longtemps dont tous les partenaires sont connus depuis des siècles, même s'ils ont connu des évolutions diverses, dans leurs relations, dans leurs formules étatiques. Mais n'oublions personne. C'est mon souhait, mais on en parlera à Prague bientôt.\