24 avril 1991 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, et Helmut Kohl, chancelier de la République fédérale d'Allemagne, notamment sur l'union politique, l'union économique et monétaire européennes, et le rôle des Etats-Unis pour la paix entre Israel et les pays arabes, Paris le 24 avril 1991.

Mesdames et messieurs,
- J'ai donc reçu ce soir le Chancelier Kohl. C'était un rendez-vous pris depuis déjà plusieurs semaines, qui n'était donc pas lié aux circonstances immédiates, mais qui s'inscrivait surtout dans le cadre de nos délibérations régulières dans la préparation des conférences européennes, le renforcement de la Communauté, la suite à donner aux Conférences intergouvernementales. D'autre part, à propos des événements qui se déroulent sur la surface du globe, il s'agissait de retenir ceux d'entre eux qui nous paraissent exiger une concertation entre l'Allemagne et la France, en l'occurrence aussi bien le problème des Kurdes en Irak, que les problèmes liés à la situation du Moyen-Orient et plus encore autour du conflit israélo-palestinien. Nous avons parlé de bien d'autres choses, mais enfin, je vous laisse, mesdames et messieurs, le soin de vous intéresser aux questions de votre choix.
- En ce qui concerne la Communauté, nous avons essentiellement parlé du calendrier parce que nous souhaitons, sans accélérer outre mesure, suivre le rythme qui a été décidé et qui devrait nous conduire à ce que le Conseil européen du mois de juin arrête l'essentiel des travaux engagés par les deux conférences intergouvernementales. Alors, dans la seconde moitié de l'année, les questions encore ouvertes pourront être réglées et nous tiendrons le calendrier que nous avions mis au point.
- Pour l'union politique, nous souhaitons que dans le traité, soit inscrit le principe de la mise en oeuvre d'une poilitique étrangère de sécurité et de défense commune. Donc, il faudra définir la relation entre l'UEO et l'Union politique, sans affaiblir les liens avec l'OTAN. Nous estimons de la même façon que l'union économique et monétaire va constituer un élément tout à fait essentiel de l'union européenne. Le calendrier indique que la deuxième phase doit débuter en janvier 1994, comme cela avait été décidé au Conseil de Rome I en octobre 1990. Quant à la nouvelle institution monétaire, elle sera créée dans le délai prévu.
- Je vais laisser au Chancelier le soin de dire maintenant quelques mots au cours de cette rencontre qui sera brève et qui permet simplement de vous tenir informés de notre conversation de ce soir.\
LE CHANCELIER KOHL.- Merci beaucoup, monsieur le Président de la République. Cet entretien d'aujourd'hui s'inscrit dans un grand nombre d'autres entretiens que nous avons eus au cours des contacts amicaux et très intenses, au cours des dernières années. Et je considère qu'il est absolument important de constater que le Président de la République française et le Chancelier allemand se rencontrent en dehors des consultations régulières pour discuter et pour coordonner la politique dans un esprit de relations étroites et dans un esprit d'amitié. Le Président de la République l'a déjà dit : notre préoccupation est commune en ce qui concerne l'évolution au Proche-Orient. Nous en avons parlé, notre préoccupation commune porte surtout sur le sort des Kurdes, et le grand nombre des problèmes affreux auxquels ils sont confrontés, nous avons devant les yeux des images, des personnes âgées, des enfants qui souffrent. Nous sommes en étroite collaboration et vous savez que la République fédérale d'Allemagne a, dans une certaine mesure, pris une certaine responsabilité en matière de la coordination de l'aide à donner aux réfugiés d'Irak en Iran. Nous savons tous naturellement qu'il s'agit de solutions de transition seulement et que notre intérêt humain, commun à tous devrait être que les gens puissent retourner dans leur terre natale pour ne pas devoir les héberger dans des camps et d'y connaître le sort que connaissent les Palestiniens depuis de longues années. Nous avons parlé du conflit au Proche-Orient, des solutions à envisager et je répète encore une fois que mon souhait est que le Président Bush ait du succès dans sa tentative et qu'après une guerre où il a connu une victoire il puisse trouver une paix durable. Et ceci ne peut se faire qu'à condition que les problèmes dans la région soient résolus, notamment le problème des Palestiniens et du Liban. Et, naturellement à condition que la sécurité d'Israël soit garantie. Vous savez que pendant neuf années de coopération très étroite entre le Président de la République et moi-même, nous avons apporté une contribution importante à l'évolution européenne. En 1982 et 1983 on parlait beaucoup de l'euro-sclérose et on peut constater qu'aujourd'hui dans moins de 22 mois, le 31 décembre 1982, nous connaîtrons l'ouverture du grand marché unique pour 340 millions d'Européens. A Rome, nous avons donné des incitations importantes aux chefs d'Etat et de gouvernement, nous avons lancé les deux conférences intergouvernementales pour l'union économique et monétaire et pour l'union politique, et nous sommes d'accord également aujourd'hui, sans vouloir exercer une quelconque tutelle sur qui que ce soit, pour dire que dans les mois à venir nous voulons apporter une contribution française et allemande pour que, à la fin de l'année, on connaisse un succès. Le Président de la République a dit à juste titre que nous essaierons, lors du Sommet à la fin de la Présidence luxembourgeoise en juin, de déblayer les problèmes considérés comme réglés et qu'à ce moment-là on aura pas mal de travail à faire encore avant qu'à la mi-décembre, à Maastricht sous la présidence des Pays-Bas, on puisse conclure. Je crois que l'évolution en Europe et non seulement dans les pays de l'Europe de l'Est, évolution que nous voyons se produire partout en Europe, nous encourage, constitue un encouragement pour nous de poursuivre sur cette voie, et au fond je retourne chez moi ce soir en étant très sûr que cette continuité excellente de l'amitié et de la coopération franco-allemande et ceci au profit des progrès à réaliser en Europe continuera à faire ses preuves à l'avenir également.\
QUESTION.- Je voulais vous poser une question à tous les deux concernant justement le calendrier de l'union économique et monétaire. Il semble que vous disiez qu'il y avait un accord, mais il semble qu'il y ait une interprétation différente du communiqué européen de Rome entre l'Allemagne et la France sur la création, sur la date de la création de la Banque centrale européenne, est-ce que vous pouvez nous éclairer là-dessus ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Je suis tout à fait sûr que, comme toujours dans toutes ces années, nous arriverons à trouver une ligne commune et à prendre une décision commune. Bien entendu, il faudra toute une série de discussions, mais nous y arriverons.
- LE PRESIDENT.- Nous avons fixé un calendrier à l'intérieur duquel nous entendons aboutir, notamment pour la création d'une institution monétaire commune.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, il y a une question qui est à la fois dans l'actualité et hors actualité. On célèbre beaucoup, dans la presse française, le dixième anniversaire de M. le Président de la République, François Mitterrand, que vous avez à côté de vous. Je voulais savoir simplement si, dans les relations franco-allemandes, est-ce que ces dix années, finalement, ont été dans votre esprit plus positives que toutes les autres ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Ma réponse est très claire. Pour les relations franco-allemandes, c'étaient des années bonnes et heureuses et ceci de manière extraordinaire. Lorsque je dis cela, ce n'est pas une manière de parler péjorativement de ceux qui ont travaillé avant nous. Si je me souviens bien, François, dans le gouvernement français vous avez commencé à travailler avec Robert Schuman, et c'était une époque où les pères de l'Europe après la guerre ont vraiment mis sur pied une vision de l'Europe. Très franchement, je m'estime heureux que, tout au cours de ces années, c'est la neuvième année maintenant que je suis Chancelier de la République fédérale d'Allemagne, je m'estime très heureux donc d'avoir pu travailler avec François Mitterrand ensemble sur ce chemin. Dieu merci, cela n'a pas simplement été une aventure où nous avons fait avancer les problèmes de la politique, mais en plus l'amitié et la sympathie ont crû sur notre chemin, ce qui n'est pas forcément évident dans le monde où nous vivons. Et si vous voulez, voilà mon hommage pour le dixième anniversaire pour la Présidence de M. Mitterrand.\
LE PRESIDENT.- Le Chancelier vient d'évoquer la collaboration avec Robert Schuman. J'ai en effet été secrétaire d'Etat auprès de Robert Schuman lorsqu'il était Président du Conseil, peu après la deuxième guerre mondiale. Et j'ai assisté de très près à la naissance des premières institutions européennes pour le temps à passer, beaucoup de temps à passer. Mais lorsque je me suis trouvé élu à la Présidence de la République française, peu de temps après, je me suis trouvé avec un Chancelier allemand, qui lui-même, se considérait comme un disciple fidèle du Chancelier Adenauer.
- Nous représentions donc deux traditions qui se rejoignaient. On peut représenter, chacun dans son pays, des idées différentes, et même avoir des idées différentes sur le type de société, c'est le cas. Mais nous avons eu en commun les objectifs majeurs de notre époque, la constitution de l'Europe communautaire, le marché unique. Nous avons contribué à la décision de réunir les deux conférences intergouvernementales.
- Sans vouloir revendiquer pour l'Allemagne et la France un rôle particulier au sein de la Communauté, il est vrai que l'entente et l'amitié entre nos deux pays et entre les deux dirigeants qui avaient eu à mener la politique, ont été un atout considérable pour l'accélération de la construction européenne. On pourra dire, je le pense, que cela a été une période heureuse comme l'a dit le Chancelier Kohl.
- Je n'ai pas d'anniversaire à souhaiter particulièrement et je ne me souhaite pas le mien, vous le savez. Je ne sais pas pourquoi on s'est emparé de ce chiffre rond. Chaque année en ajoute une autre. Ce n'est pas un problème pour moi, même si je suis très flatté et heureux de ce qui vient d'être dit par le Chancelier Kohl. Je ne m'attendais pas à ce que vous me fournissiez un prétexte pour ajouter aux compliments mêlés de critiques qu'on peut lire ces temps-ci.\
QUESTION.- J'aurais aimé savoir comment vous avez commenté les efforts diplomatiques de M. Baker au Proche-Orient et quelle est la position allemande sur la forme que devrait prendre le règlement ou la conférence sur le Proche-Orient ?
- LE CHANCELIER KOHL.- J'ai déjà dit au début que je regretterais énormément qu'après l'issue heureuse de cette guerre, les chances de la paix et d'une paix réelle ne soient pas véritablement utilisées. Une paix réelle, une vraie paix, cela veut dire que l'on ne met pas de côté les questions du Liban, une paix réelle cela veut dire que le peuple d'Israël sache qu'il peut vivre dans des frontières sûres, c'est une condition absolument importante pour la paix dans cette région. Mais une paix réelle, cela veut aussi dire que l'on trouve une solution pour les Palestiniens et je soutiens tous les efforts y compris ceux de Jim Baker et de George Bush pour avancer... si l'on gagne la guerre, mais que l'on risque de perdre la paix, eh bien ce serait très triste et c'est pourquoi, il faut parler, surtout avant tout avec le gouvernement israélien.
- Est-ce que ce à quoi pensent les Israéliens suffit comme préalable pour la paix, j'en douterai peut-être, mais enfin il faut réfléchir, il faut parler et nous en tant qu'Allemands nous sommes prêts à faire notre possible. Israël a besoin du soutien de l'Europe, vous savez que dans les trois à quatre années à venir, un million de citoyens juifs de l'Union soviétique vont émigrer vers Israël. Quand vous voyez quelle est la population israélienne aujourd'hui, vous voyez également la taille du problème que cela pose au point de vue économique et social.
- LE PRESIDENT.- M. Baker travaille beaucoup et bien. Je suis sûr qu'il est désireux de réaliser ce à quoi il pense : une paix durable entre Israël et ses voisins arabes au bénéfice de la reconnaissance de l'entité palestinienne. Mais les données de ce problème sont multiples et il nous arrive à nous, Français, d'y ajouter notre façon de voir, de façon que toutes les parties prenantes de ce difficile débat trouvent vraiment les garanties dont elles ont besoin, d'une part pour leur sécurité et d'autre part pour leur identité. Les démarches de la France n'ont pas d'autres sens et ne doivent pas être considérées comme contraire de celle de M. Baker.
- Si nous pouvons faciliter sa tâche, nous le ferons à condition naturellement que soient reconnus, dès le point de départ, les principes qui ont été adoptés par les Nations unies. Il ne faut pas oublier qu'au moment de la création d'Israël, les Nations unies ont voté un texte qui reconnaissait aussi les droits des Palestiniens. On ne pourra pas s'écarter de cette ligne sans être assuré de l'échec, et l'échec sera dommageable à l'ensemble du monde et en particulier à ceux qui ont voulu donner au droit international une pleine signification lors de leur engagement dans la guerre du Golfe.\
QUESTION.- Ma question s'adresse au Chancelier Kohl. Je voudrais savoir quelle leçon vous tirez de l'échec que vous venez d'avoir dans votre fief de Rhénanie-Palatinat ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Vous savez, voilà maintenant dix-huit ans que je suis chef de mon parti et depuis neuf ans chancelier. Eh bien ! j'ai eu de grands succès et de grands échecs électoraux, cela fait partie de notre vie comme le temps, comme la météorologie : il y a les bonnes et les mauvaises journées. L'échec du Palatinat-Rhénanie bien entendu me fait de la peine parce que c'est le Land dont je viens, c'est une défaite amère, je le reconnais. Cette défaite a de nombreuses raisons £ j'en tire simplement une conséquence, c'est qu'il faut travailler davantage. Nous sommes dans une époque de transition : il faut maintenant que les nouveaux Bundesländer créent de nouvelles structures, après quarante ans de régime communiste, il faut à présent travailler pour pouvoir à nouveau avoir des structures capitalistes. Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai dit l'année dernière au moment de l'unification allemande - et je le répète ici volontiers à Paris - vous verrez dans trois, quatre, cinq ans, ces Länder seront des Länder florissants et je ne peux qu'inviter les investisseurs français à y aller, ce sera un investissement rentable.
- Et puis les prochaines élections législatives sont en 94, pour l'instant nous avons 60 % au Parlement, il faut bien accepter les échecs mais la vie continue, je dirai que la caravane passe...\