19 décembre 1990 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la crise du Golfe et l'éventualité d'un conflit armé après l'ultimatum adressé à l'Irak, et la détermination de la France à faire appliquer les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, Paris le 19 décembre 1990.
Messieurs, j'ai souhaité vous revoir pour vous entretenir de l'évolution de la situation dans le Golfe. Depuis notre dernière rencontre, beaucoup d'événements se sont produits. A la veille du vote de la Résolution 678, je vous avais annoncé que si cette résolution était adoptée comportant une date limite pour d'éventuelles négociations, la France s'y associerait £ et que, si cette résolution comportait également, avec le délai, la décision d'emploi de tous les moyens, y compris la force, à la disposition des Etats membres, selon leur initiative et leur volonté, la France s'y associerait aussi. Cela ne signifiait pas pour autant que nous, Français, nous ne souhaitions pas et nous ne désirions pas peser autant qu'il nous serait possible, en conformité avec les résolutions des Nations unies, dans le sens de la négociation.
- Lorsque cette résolution a été adoptée, il a été question du parrainage, ce qui est tout à fait rituel. Ce sont des Etats qui doivent parrainer, proposer nommément un texte. Et la France a subordonné sa propre signature à l'acceptation par ses partenaires d'une ouverture après le vote de la résolution : engager une conversation, connaître les intentions adverses, faire connaître les nôtres, bref, explorer de fond en comble une situation qui peut, vous le savez bien, déboucher sur un conflit armé.
- Il est du devoir de tous de n'ignorer aucun des chemins de la paix, s'il en est. M. Roland Dumas a eu à cet égard des conversations avec ses homologues, particulièrement avec M. Baker. Des réunions ont eu lieu le jour même du vote de cette résolution, et c'est alors que les Etats-Unis d'Amérique ont décidé d'envoyer M. Baker à Bagdad tandis qu'ils se déclaraient prêts à accepter l'envoi d'un messager irakien à Washington. Voilà les données que je n'avais pas pu commenter puisqu'elles sont postérieures à notre dernier entretien.\
La réunion des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France, s'est donc tenue, je viens de vous le dire, ce jour-là. Et par la suite, un certain nombre de mesures ont été décidées notamment un renforcement des dispositifs militaires pour le cas où il n'y aurait aucune réponse acceptable émanant de Bagdad. Et puis de leur côté, les Douze européens, en ont eux-mêmes débattu entre eux. Et, comme il était question à cette époque d'une visite du ministre des affaires étrangères irakien aux Etats-Unis d'Amérique, ministre qui avait aussi manifesté le désir de rencontrer des Européens, le ministre des affaires étrangères italien - parce que l'Italie préside actuellement la Communauté - a été désigné pour procéder à cet examen contradictoire de la situation avec M. Tarek Aziz. Encore fallait-il que ce voyage eût lieu. Il ne s'agit pas d'organiser le désordre et l'incohérence entre ceux qui se sont faits les champions du droit dans cette affaire : dès lors qu'il n'y a pas de rencontre pour des raisons qu'on étudiera - si vous le voulez bien - entre le ministre des affaires étrangères irakien et les autorités de Washington, dès lors qu'aucune date n'a pu être fixée entre MM. Baker et le Président Saddam Hussein, il n'y a pas de dialogue. Et, s'il n'y a pas de dialogue, personne n'aura de dialogue pouvant engager l'ensemble de ceux qui ont adopté ou soutenu les résolutions des Nations unies.\
Mais entre-temps, un autre événement est intervenu qui ne manque pas d'importance : la décision a été prises à Bagdad de libérer tous les otages. Si l'on veut bien se souvenir du discours que j'ai prononcé au nom de la France aux Nations unies, au mois de septembre dernier, j'avais posé en condition initiale la libération des otages et indiqué également que cela était indissociable de l'évacuation du Koweit par les forces militaires de l'Irak.
- J'avais indiqué qu'il convenait que le Président irakien en fît l'annonce programmée, précisée, pour que s'enclenche le mécanisme qui pourrait conduire à la paix. Ces éléments-là ont été réalisés pour les otages, bien qu'il reste un certain nombre d'otages, notamment soviétiques. En dehors de quelques propos tenus ici ou là et qui n'ont pas de valeur proprement internationale, rien n'a bougé sur le Koweit. Ce qui m'amène à dire que, le temps passant, il faut d'un côté que les dirigeants de l'Irak et, particulièrement le Président aient une conscience très claire du risque qu'ils encourent, qu'encourent avec eux la paix dans le monde et, bien entendu, l'Irak lui-même et la région où il se trouve, spécialement le monde arabe dont nous sommes les amis.\
Une série de questions se sont posées £ quels sont les objectifs ? S'il y avait conflit, quels sont les buts ou quels seraient les buts de ce conflit ? Que se passerait-il en France, sur le plan institutionnel ? Que devient l'actuelle discussion, engagée depuis le mois d'octobre dernier, qui n'a pas vraiment avancé, sur la résolution demandée par quelques pays tendant à faire voter l'utilité d'une conférence internationale pour traiter des problèmes israélo-palestiniens dans le moment où de graves incidents se sont déroulés à Jérusalem et dans les territoires disputés ? Dans mon discours des Nations unies, j'avais divisé l'action possible d'une façon aussi claire que possible - mais naturellement la réalité est toujours un peu plus confuse - en quatre points, et j'avais préconisé la nécessité de conférences internationales ou d'une conférence internationale - tout dépend de l'accord qui sera donné par les uns et les autres - devant traiter et du problème du Golfe et de ce qui suivra les événements actuels, soit que ce soit la paix ou que ce soit le conflit. De toute manière, il faudra bien examiner de quelle façon sera mis au net un ordre nouveau dans cette région, pour un contrôle des armements, une réduction des armements, pour l'organisation de la région comme nous le faisons en Europe - pas forcément sur le même modèle mais dans le même esprit - enfin, pour en finir avec cette tension permanente qui préside aux destinées du Proche et du Moyen-Orient.
- Voilà toute une série de problèmes que je veux traiter avec vous. J'arrête là mon exposé liminaire, vous laissant le soin de susciter les questions qui ont le plus d'intérêt. En tout cas, vous savez que sur ce dernier débat, sur cette éventuelle résolution constamment ajournée à la demande des Etats-Unis d'Amérique, la France, fidèle à son projet de conférence internationale, a dû s'abstenir et donc agir différemment de plusieurs de ses partenaires du Conseil de sécurité. Voilà les données principales, je suis à votre disposition et j'attends vos questions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit qu'il n'y avait pas de dialogue parce qu'il n'y avait pas de fixation de la date. Devant ce non-dialogue, qu'est-ce qui reste, à vos yeux, comme chance à la paix ?
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant, il est évident qu'il n'y a pas de dialogue. Tout le monde le sait puisque les Etats-Unis d'Amérique et l'Irak n'ont pu parvenir à fixer la date d'une rencontre. Le problème de la paix n'est pas uniquement suspendu à ce type de rencontre. Jusqu'à la date ultime, on doit espérer que se noueront, ici et là, des dialogues. La France, dans la clarté, sans agir en silence, mais en conformité avec les objectifs fixés par les Nations unies et en saisissant bien entendu ses partenaires occidentaux, ne s'interdit pas de prendre des initiatives de ce type, car la France souhaite la paix mais pas à n'importe quel prix. Elle accepte les conséquences qu'exigent l'application et le triomphe du droit, ce droit qui est en train de naître, édicté par les Nations unies, recherche tant souhaitée depuis près d'un siècle. Depuis l'époque de la Société des nations et la période qui précédait, les premiers hommes politiques d'Europe songeaient déjà à une organisation structurelle de la paix. Ce n'est pas au moment où l'on parvient à ce stade de l'organisation internationale tandis qu'on en a fini avec la guerre froide et l'opposition des blocs militaires en Europe, ce n'est pas à ce moment-là qu'il faut abandonner les commandes qui doivent normalement nous conduire à l'établissement de ce droit au service de la paix. Tout doit être fait dans le respect du droit et la France assumera sa tâche, s'il le faut, au service de ce droit international indispensable. D'autant plus que la France est membre permanent du Conseil de Sécurité et, votant ses résolutions, elle doit mettre un point d'honneur à les appliquer elle-même.
- Alors, monsieur Bortoli, non, ce n'est pas fini, nous ne sommes que le 19 décembre, le 15 janvier est la date qui a été fixée après que plusieurs membres du Conseil de sécurité, dont la France, eurent demandé aux Etats-Unis d'Amérique, dans le cadre d'une démarche amicale, de reporter au 15 janvier ce qui devrait être fixer plus tôt afin de laisser plus de champ à la paix. D'ici le 15 janvier, il faut agir, mais il faut agir en cohérence. Il ne faut pas que chacun définisse son petit itinéraire : ces itinéraires finiraient pas s'embrouiller. Et ayant voulu la paix, ne doutant pas des intentions, on aboutirait à laisser au Président irakien assez d'illusions pour qu'il ne comprenne pas à quoi le monde est exposé.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on connait le côté manoeuvrier du Président irakien, si le 14 janvier il évacue partiellement, je dis bien "partiellement" le Koweit, pensez-vous qu'il faudra lui donner un délai supplémentaire pour le faire réfléchir à nouveau ou, si les Américains vous proposaient d'attaquer, comme le veut la dernière résolution de l'ONU comme elle donne le feu vert, serez-vous partisan d'attaquer ?
- LE PRESIDENT.- Il faut être clair et simple lorsqu'il s'agit de tels enjeux et grâce à vous, mesdames et messieurs, je m'adresse aussi à l'opinion publique, française et internationale, il faut que chacun sache où va notre pays, où va la société internationale. L'un des objectifs majeurs, je dis bien majeurs qui ont été fixés par le Conseil de sécurité était la libération des otages. Je l'ai dit tout à l'heure le progrès est réel, nous souhaitons qu'il soit complet donc, qu'il soit complet dans les jours qui viennent. Mais aussi, l'évacuation du Koweit par les forces militaires de l'Irak : il n'a pas été dit le quart, le tiers ni les trois-quart du Koweit. Le droit de souveraineté et d'indépendance du Koweit s'applique à chaque mètre carré de ce pays. Tout est toujours discutable mais par les autorités responsables, libres et souveraines des pays en question, pas comme cela. L'évacuation du Koweit par l'Irak reste une condition en dehors de toute finasserie. Ce qui doit être dit, c'est que tels sont les objectifs fixés s'il y avait une guerre on dirait tels sont les buts de guerre : instaurer la souveraineté et l'indépendance du Koweit et non pas conquérir l'Irak, comme le disent certains parmi les dirigeants associés pour l'application des Nations unies, qui le disent publiquement du moins un peu partout, assez pour qu'on l'entende. Pour eux, en réalité, il faut détruire toute puissance militaire de l'Irak, il faut l'empêcher de nuire définitivement, il faudrait mener une guerre préventive dans ce sens. Je ne dis pas que cela ne vaille pas d'être discuté, cela doit être nécessaire discuté, après. Mais ce n'est pas un but de guerre, ce n'est pas un objectif des Nations unies, ce n'est pas non plus l'objectif de la France. Il faut que ce soit clair. Pour nous, c'est l'évacuation du Koweit. Si le Koweit est évacué, si l'annonce en était faite avant le 15 janvier en tout cas, il serait normal que l'Irak obtienne des garanties. Il serait normal qu'il puisse être rassuré, puisqu'il aurait consenti à ce qui lui était demandé et qu'il n'y a pas de guerre. On sent de ce point de vue une sorte de crainte. Chacun a peur de l'autre. La bonne foi exige qu'on parle clairement. La France ne s'associera qu'aux objectifs fixés par les Nations unies, fixés noir sur blanc, clairement. Et pas à des objectifs qui se trouvent dans l'arrière cerveau d'un certain nombre de puissances.
- Donc, il faut absolument que le Koweit soit évacué, que cela soit annoncé avant les dates fatales et que cela soit exécuté sous contrôle. Le contrôle, je ne l'impose à personne, mais on pense naturellement aux Nations unies. On peut penser qu'un mandat serait confié à des pays arabes. Tout cela est souhaitable, mais je ne peux pas tracer le dessin jusque dans son détail.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que finalement avant le 15 janvier, ce ne serait pas votre plan de paix que vous avez défendu et développé devant l'ONU qui pourrait servir de formule de base de compromis au Président Saddam Hussein et au Président Bush et leur permettre en même temps de sauver la face, parce que je crois qu'il est important pour les deux Présidents de sauver la face, face à leurs opinions publiques respectifs, enfin face au monde arabe pour l'un et face à l'Amérique pour l'autre ?
- LE PRESIDENT.- Je ne propose rien à personne, mais vous avez quand même fort bien compris ce que je vous disais, ce qui ne m'étonne pas. Que vous ai-je dit d'autre depuis le début de cet entretien, sinon que l'on peut encore mettre en oeuvre les propositions contenues dans mon discours fait devant les Nations unies qui comportait pratiquement tous les éléments que je viens de rappeler ? Je pense que c'est encore possible. Bien entendu, çà l'est déjà beaucoup moins que cela ne l'était au mois de septembre. Songez à tout ce temps perdu, à l'exacerbation des passions, à l'accumulation des armes et des hommes, c'est-à-dire aux dangers de conflit, même si cela n'était pas désiré. Toutes les conditions sont maintenant créées et mon devoir est de pousser un cri d'alarme en disant que la France est résolue, mais que toute chance de paix s'il en est doit être saisie. Ma proposition en est une, sans doute parmi d'autres, mais alors c'est aux autres de parler.
- QUESTION.- Vous avez bon espoir ?
- LE PRESIDENT.- J'ai dit ce que j'avais à dire là-dessus. Je n'ai pas nourri d'espoir excessif.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un élément nouveau dans la conversation que vous avez avec nous ce soir. C'est ce que vous avez dit dans votre exposé liminaire, qui peut apparaître comme une préparation des Français, à toutes les éventualités, celle de la paix et celle de la guerre. Vous avez dit : il faudrait examiner le cadre institutionnel ce qui devrait être mis en place si.. Alors est-ce que vous pouvez nous donner des précisions là-dessus et est-ce que cela ne veut pas dire que vous croyez un petit peu plus à la guerre au 15 janvier qu'à la paix ?
- LE PRESIDENT.- Mais je crois, monsieur Levai m'être exprimé souvent sur ce sujet, dès le mois d'août, pour faire sentir à quel point les risques de la guerre pesaient plus lourd que les chances de la paix. Ce qui ne doit rien ôter à la résolution des hommes d'Etat, des responsables, de donner à cette paix si fragile tous les éléments qui lui permettront finalement de l'emporter. J'ai dit tous, à condition de rester fidèle aux engagements souscrits au nom des Nations unies. Donc, cela ne veut pas dire autre chose que cela. A mesure que le temps s'écoute naturellement il faut que les opinions prennent conscience - si cela n'était pas le cas - une conscience aigüe de la réalité. Ce n'est pas du pessimisme, ce n'est pas dans ma nature, je veux simplement avoir une vue réaliste des choses dans le cadre de mes responsabilités.
- Alors pour le reste, sur le plan institutionnel, cela veut dire tout simplement que, bien entendu, comme l'a exposé M. le Premier ministre, le Parlement sera saisi. Dans quelles conditions ? A quel moment ? Au moment des grandes décisions bien entendu. En tout cas, il sera informé surtout si ces décisions sont heureusement placées dans le cadre des chances de la paix, mais il sera informé dans le cas contraire aussi, le problème n'étant pas celui d'une déclaration de guerre. La France ne déclare la guerre à personne mais il s'agit de savoir si les représentants du peuple entendent, comme le fait le gouvernement, que la France applique les résolutions des Nations unies, donc exécute le mandat dont elle est chargée, comme tous ceux qui ont voté la résolution. Venons au problème : dans la réalité après le 15 janvier, doit-on ou ne doit-on pas exécuter les résolutions conformes au droit international ? Assurément, moi-même et le gouvernement, nous dirons : oui on doit les exécuter. Et nous espérons que la majorité des parlementaires et du peuple comprendront et approuveront notre décision.
- La France est présente, elle doit rester présente. La France n'est pas un petit pays. Elle a son mot à dire, on sollicite ce mot bien souvent. De tous les pays de la région, de tous les pays arabes et au-delà, la France est sollicitée. S'il devait y avoir un conflit, la France doit être présente avant comme au lendemain de ce conflit. C'est ce que je fais au nom de notre pays, comme je l'ai fait d'autres fois devant vous.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le secrétaire d'Etat James Baker vient de déclarer officiellement qu'il n'est plus hostile à une éventuelle rencontre entre les pays d'Europe et l'Irak. Or, il me semble que cette déclaration va à l'encontre de ce qui a été déclaré hier par les pays des Douze, qui refusent de recevoir le ministre des affaires étrangères irakien s'il ne se rend pas d'abord aux Etats-Unis. Il me semble qu'il y a une certaine contradiction entre les deux positions. Quelle sera la position de la France dans ce cas-là ?
- LE PRESIDENT.- La France est solidaire de ses associés de la Communauté européenne. Elle a voté avec eux des textes tout à fait importants. Elle est solidaire aussi de ses alliés, de ses amis, notamment américains. S'il ne peut pas y avoir de rencontre entre les représentants de l'Irak et les représentants du principal pays engagé avec des forces considérables, et qui prend les plus grands risques, comment pourrait-il y avoir sur le même thème, d'autres conversations sans que cela implique une dissociation, une dispersion des efforts ? C'est ce qu'a voulu signifier la Communauté en publiant ce texte et en renonçant par là-même à cette rencontre. Cela n'interdit en rien, à la date où je m'exprime et jusqu'au 15 janvier, toute tentative coordonnée - non pas comme ça, chacun par devers soi -, cela n'interdit pas d'espérer et de vouloir trouver d'autres moyens. Il ne faut pas se dissimuler que ces chances sont fragiles, très fragiles. Si on n'a pas pu s'entendre sur un rendez-vous pour parler d'une possible baisse de tension, par quelques propos raisonnables, entre Irakiens et Américains, alors c'est que les intentions irakiennes sont vraiment si intransigeantes qu'elles risquent de créer l'irréparable.
- Bien entendu, fixer un rendez-vous le 12 janvier quand l'ultimatum est fixé au 15, c'est prendre le risque d'échouer, il vaut mieux prendre ses précautions auparavant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous disiez tout à l'heure qu'on sollicite un peu partout l'avis de la France et surtout dans le monde arabe. Vous allez recevoir vraisemblablement dans quelques jours le Président algérien qui va entamer une nouvelle tournée dans la région. Est-ce que vous pensez que les Arabes entre eux ont encore des chances de faire quelque chose et est-ce que la France peut, avec certains de ces Arabes, faire quelque chose ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur, j'attendrai de connaître les propositions qui me seront faites par le chef d'Etat algérien qui m'a demandé, en effet, un rendez-vous d'urgence et que j'ai accepté, avec plaisir, de recevoir samedi prochain.
- Beaucoup de pays arabes ou d'organisations arabes se sont fait connaître en demandant à la France d'exercer son influence et son indéniable prestige dans cette région pour, non pas se séparer de ses amis, mais pour tenter d'assouplir le dialogue - enfin, le dialogue n'existe pas -, d'assouplir plutôt les conditions posées à ce dialogue. Ces démarches ne se comptent plus mais je crois que la meilleure réponse a été esquissée par votre confrère tout à l'heure. Notre réponse a été dite dès le mois de septembre aux Nations unies. Cette proposition française a été interprétée comme permettant plus que d'autre l'ouverture d'un dialogue et cela reste sans doute vrai. Mais cela suppose l'application initiale des résolutions des Nations unies.\
QUESTION.- Monsieur le Président, après la logique de guerre, on parle maintenant de logique de récession et d'aggravation du chômage. Existe-t-il un moyen de l'enrayer, existe-t-il une politique de rechange qui permettrait à la France d'y échapper ou bien n'avez-vous à nous promettre pour 1991 que des sacrifices ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas très bien compris votre question, est-ce que c'est une question qui s'applique à la politique dans le Golfe, ou est-ce qu'il s'agit d'une question de politique intérieure ?
- QUESTION.- Je pense qu'il s'agit d'une des conséquences de la crise du Golfe.
- LE PRESIDENT.- Nous assumons toutes les conséquences de la crise du Golfe. Les dispositions qu'il convient de prendre en Arabie saoudite freinent notre possibilité ou retardent la marche vers le redressement remarquablement amorcé, redressement qui porte déjà ses fruits. Mais le problème est de savoir si la France est un pays capable d'assumer ses responsabilités et si les Français sont capables d'assumer leur rôle historique. Moi, je le crois, et en leur nom, je prendrai mes responsabilités.\
QUESTION.- Monsieur le Président, si vous m'y autorisez, je vous poserai deux questions. La première à propos de l'Irak, le coeur du problème c'est bien sûr le refus de Saddam Hussein de se retirer et sa détermination face à la communauté internationale est assez étonnante. Est-ce qu'en l'état actuel des choses vous avez aujourd'hui le moindre début d'élément qui pourrait permettre de penser qu'il redeviendrait plus raisonnable disons d'ici le 15 janvier ? Et avec votre permission toujours comment interpréter l'absence à cette réunion de M. Chevènement, le ministre de la défense ?
- LE PRESIDENT.- Vraiment c'est vouloir à tout prix chercher des querelles là où il n'y en a pas. M. Chevènement avait pris des obligations pour visiter des armements militaires. Il est venu ce matin à la réunion du conseil restreint sur les affaires dont nous parlons. Il m'a demandé si je l'autorisais à maintenir son programme dans le cadre de sa fonction. Je lui ai dit : "bien entendu". Je n'ai pas besoin ici que tout le gouvernement, la moitié, le quart et même le dixième viennent m'assister. A la limite, je n'ai besoin de personne, chaque fois que je rencontre la presse. D'autres ministres sont venus, c'est parce qu'ils savent bien que leur présence m'est utile, qu'elle m'est agréable, que c'est important pour moi que de sentir de quelle façon les membres du gouvernement sont engagés, attelés à la même tâche mais cela ne comporte aucune obligation protocolaire. Il n'y a pas de rite dans ce domaine, c'est moi qui m'adresse à vous. Quand ce sont des ministres qui s'adressent à vous ils ne font pas appel à moi. Je ne viens pas. Il n'y a pas d'obligations de salon, je n'envoie pas de note comminatoire en disant : "vous, vous serez là". Il n'y a pas de tour de service. M. Renon, secrétaire d'Etat est venu - de toute manière il aurait pu venir - avec un mandat spécial de son ministre pour être là. Si j'avais besoin de lui je pourrais en user. Voilà je crois que vous nous faites un peu dévier monsieur Faucon - ce n'est pas votre habitude -. Pour répondre à votre question initiale, je pense que, d'ici le 15 janvier, beaucoup de choses sont encore possibles. Simplement, ce possible-là, il faut le servir, il faut l'aider. C'est comme un enfant qui vient difficilement, et il arrive un moment où il faut contribuer à ce que l'on pourrait croire naturel. La paix cette fois-ci ne résultera que d'un effort constant, vigoureux, attentif mais aussi d'une grande fermeté dans les principes et d'une grande cohésion dans l'action. A partir de là £ d'ici le 15 janvier, je ne m'interdis pas d'espérer telle ou telle intervention nouvelle, telle ou telle déclaration inattendue, tel ou tel événement qu'il conviendra de saisir, mais ce n'est pas seulement sur ce schéma là qu'il convient de préparer les esprits et de préparer les choses, ce serait imprudent.\
QUESTION.- Monsieur le Président, peut-on envisager une visite de Roland Dumas à Bagdad avant le 15 janvier et sous quelle condition et comptez-vous vous-même retourner dans le Golfe ?
- LE PRESIDENT.- La visite de M. Dumas n'est pas programmée. Lors du vote de la résolution 678, une conversation avait eu lieu. Il était entendu qu'une démarche serait entreprise et, après entente entre les cinq ministres des affaires étrangères, il a été décidé que les Etats-Unis assumeraient le gros de la tâche dans cette affaire, et que les Etats-Unis prendraient la première initiative. A partir de là, on ne va pas se compliquer la vie et entretenir des dialogues qui risqueraient de devenir concurrents. Donc, il faut vraiment que l'on soit au terme de la tentative entreprise. Ce n'est pas encore tout à fait le cas. De ce fait, la Communauté européenne a préféré s'abstenir et la France attendra de voir, le jour venu, si elle doit prendre une initiative, en accord avec ses alliés.\
QUESTION.- Vous avez souligné la nécessaire présence sur le terrain de la France avant et éventuellement après le conflit. Dans ces conditions est-ce que vous envisagez de renforcer davantage le dispositif militaire français sur le terrain d'ici au 15 janvier ?
- LE PRESIDENT.- Sous toutes réserves, cela me paraît suffisant. La France est présente. Elle n'a pas besoin de l'être davantage, elle a marqué sa solidarité et sa volonté d'être en conformité avec les textes qu'elle adopte mais nous avons beaucoup d'autres obligations dans le monde et dans cette région en regardant plus vers l'ouest, c'est-à-dire vers le Proche-Orient plus que vers le Moyen-Orient où nous avons d'autres priorités. Et nous aimerions bien que nos alliés observent à l'égard des problèmes qui se situent plus près de la Méditerranée une présence plus active à nos côtés non pas pour faire la guerre mais pour faciliter la réconciliation de ceux qui s'entrebattent et la remise en marche du Liban. Nous souhaitons vivement contribuer à l'assainissement de la situation dans le conflit israélo-palestinien et c'est pourquoi aussi nous insistons sur la tenue d'une conférence internationale dont nous ne fixons pas la date pour la semaine prochaine. Nous ne disons pas qu'elle devra être close à Pâques mais pas quand même à la Trinité. Nous pensons qu'elle serait l'instrument indispensable d'un rapprochement des thèses en présence.\
QUESTION.- En cas de conflit dans le Golfe, monsieur le Président, à combien de temps estimez-vous la guerre ? Vous savez que le Président des Etats-Unis prévoit une guerre-éclair, la plupart des chefs militaires disent que la guerre va durer longtemps. Le Commandant en chef des armées américaines en Arabie saoudite prévoit une guerre de six mois. Alors vous, monsieur le Président, à combien estimez-vous le temps s'il y a un déclenchement du conflit ?
- LE PRESIDENT.- Je vais vous répondre, j'ai entendu beaucoup d'experts, les uns m'ont dit six heures, d'autres m'ont dit vingt-quatre, d'autres m'ont dit quinze jours, d'autres m'ont dit deux mois, j'entends maintenant six mois, ma conclusion c'est que tout cela est dérisoire !\
QUESTION.- Puisqu'il y a danger accru de la guerre, il y a aussi un risque accru de terrorisme. Quel est monsieur le Président, à la veille de Noël, votre message destiné à tout ceux qui veulent se solidariser avec Saddam Hussein et commettre des actes terroristes sur le sol français et quels sont surtout vos moyens pour faire respecter votre message ?
- LE PRESIDENT.- J'aurai l'occasion d'adresser d'autres messages et pas simplement à votre demande même s'il est exprimé très aimablement. Donc, ce que je dirai aux Français le 31 décembre et dans les jours qui suivront n'a pas à être programmé par un journaliste aussi sympathique qu'il soit. Je ne répondrai pas de la même façon sur la question du terrorisme. C'est une question sérieuse et qui fait partie des éléments de guerre. On nous a déjà livré des guerres par le terrorisme. Nous sommes arrivés, finalement à le juguler, à travers les années. Cela a coûté beaucoup d'efforts, des pertes aussi et les ministres qui sont parvenus à juguler le terrorisme ont de grands mérites. Moi, je ne fais pas de distinction entre les gouvernements successifs qui s'y sont appliqué, même si je fais des différences entre les méthodes.
- Donc, nous sommes très vigilants sur ce terrain-là comme nous le sommes sur les autres et nous n'avons pas l'intention de laisser le terrorisme se développer, tout en connaissant la difficulté de notre tâche. Est-ce qu'il se développera ? En tous cas nos services se tiennent prêts.\
QUESTION.- Jusqu'à quel point cette conférence internationale peut-elle être précisée d'ici le 15 janvier, en termes d'ordre du jour, de participants, peut-être même de lieu. Est-ce que cela peut être précisé ?
- LE PRESIDENT.- Elle pourrait être précisée dès maintenant si les Etats-Unis d'Amérique cessent de demander l'ajournement du texte qui comporte cette référence à une conférence internationale sur le conflit israélo-arabe. Pour cette partie de cette région troublée, ce serait fait. A combien de report en sommes-nous, quatre ? Donc on est proche du cinquième. Ce n'est pas raisonnable, mais quand on parle de conférence internationale, il faut savoir que nous visons trois objectifs.
- Le Premier, c'est tout de même celui qui vise la stabilité dans les régions du Golfe, c'est-à-dire à l'Est de cette région, en plein Moyen-Orient, Koweït, Irak, Arabie saoudite, etc... et les Emirats.
- Ensuite, autre objectif, mais qui ne se situe pas forcément sur le même plan ni dans le même temps, celui de la conférence internationale pour se saisir des problèmes israélo-arabes et en finir avec cette guerre quotidienne qui se livre là-bas.
- Troisièmement, il faudra bien qu'une conférence internationale se saisisse de toutes les questions touchant à l'équilibre durable dans cette région du monde : réduire les armements, créer un système de sécurité, de garantie, d'entente avec les Nations unies et procéder, comme nous avons eu le courage de le faire, après des guerres que vous savez en Europe.
- Voilà le contenu de conférences internationales que l'on peut mettre au pluriel ou au singulier. Le singulier comporterait sans doute des cases différentes mais rejoindrait le pluriel. Voilà ce que souhaite la France.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ne croyez-vous pas qu'il est urgent que les membres du Conseil de sécurité prennent leurs responsabilités dans la protection de la population civile des territoires arabes occupés ?
- LE PRESIDENT.- Prendre leur responsabilité, il faudrait comprendre ce langage. Cette sécurité elle est très menacée, elle l'a été par l'invasion. Beaucoup ont déjà perdu le droit à la sécurité, ont perdu la vie, beaucoup ont été transportés en Irak, beaucoup on dû s'exiler en Arabie saoudite ou ailleurs. Le seul moyen de rétablir le droit de ces populations c'est de les rétablir, elles, dans leur patrie. C'est l'objet même de la résolution des Nations unies et de tout ce dont nous parlons depuis maintenant trois-quarts d'heure.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle est la réaction de la France aux derniers événements du Maroc qui ont été quand même réprimés.
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas l'objet de notre conversation de ce soir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pardonnez la naïveté de ma question. Elle fait partie d'une série de questions que l'homme de la rue se pose. Avec un peu de recul, avez-vous des reproches à adresser aux services secrets occidentaux, entre autres à la DGSE, ou aviez-vous eu des informations sur l'imminence de l'invasion du Koweït par l'Irak et avez-vous des réformes à proposer pour les services secrets français ?
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie de votre sollicitude pour les services secrets français. Etant donné votre nationalité que vous avez annoncée - au demeurant, nationalité qui nous est sympathique à nous Français - croyez-moi, il serait très utile que vous veilliez à vos propres affaires. Pour le reste, nous traiterons de ce sujet un peu plus tard.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je crois que tout en condamnant l'invasion du Koweit par l'Irak, comment peut-on justifier le déploiement américain par le droit alors qu'il y a beaucoup d'indications qui permettent de dire que les Etats-Unis ont encouragé l'intervention de Saddam Hussein au Koweit. Est-ce qu'il ne s'agit pas, notamment, de pouvoir étendre la zone d'influence de l'OTAN en dehors de ses zones normales. Je voudrais votre commentaire.
- LE PRESIDENT.- Vous savez, je me méfie beaucoup de l'histoire-feuilleton. J'aime beaucoup l'Histoire, je lis beaucoup de livres à son sujet. J'aperçois très souvent qu'après coup les événements considérés comme les plus clairs deviennent terriblement confus. Il y a toujours une explication qu'on n'attendait pas. Vous savez, la malignité des hommes ne connaît pas de limites. Cela dit, si j'ai bien compris ce que vous m'avez dit, il semblerait que M. Saddam Hussein serait allé au Koweit malgré lui. Dans ce cas, il lui serait très aisé de se retirer grâce à lui, mais aussi grâce à la résolution des Nations unies.\
QUESTION.- Hier, monsieur le Président, à l'Assemblée de l'OTAN, il y a eu une discussion pour l'extension de l'action de l'OTAN sur le Golfe à cause de la présence de la Turquie parmi les membres et la France a estimé qu'elle avait quelques réserves à opposer, en tout cas des discussions. Quelle est votre position sur ce terrain ?
- LE PRESIDENT.- Il faut replacer les choses dans leur cadre. L'OTAN, c'est l'aspect militaire de l'Alliance atlantique. L'Alliance atlantique est là, elle vise une certaine aire, une certaine zone géographique. Ce qui se passe en dehors de cette zone géographique n'est pas du ressort de l'OTAN. L'OTAN n'est pas chargée de se mêler de tout dans le monde, mais dans un certain nombre d'endroits, notamment, l'Europe, bien entendu, et aussi quelques régions adjacentes. Ce qui ne relève pas de l'OTAN n'a pas être traité par elle.
- QUESTION.- Pourquoi l'OTAN a...
- LE PRESIDENT.- Il faudrait qu'on signe un nouveau traité alors. Et là, la France est prête à en discuter. Mais elle réserve naturellement son jugement final.\
QUESTION.- Sur la conférence internationale, monsieur le Président, si je puis me permettre, l'ensemble des positions des membres de l'ONU, à part les Etats-Unis, c'est d'essayer d'aller vers cette conférence internationale. Or les Etats-Unis hésitent énormément et il y a un pays qui n'est pas du tout d'accord, c'est Israël. Est-ce qu'il n'y a pas une modalité intermédiaire entre l'état actuel et la conférence internationale pour essayer notamment d'associer un pays du champ de l'environnement d'Israël, ce qui est nouveau depuis quelques mois, la Syrie, pour qu'Israël ait un autre interlocuteur dans la région ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien, si c'était possible, ce serait très bien. Est-ce qu'il existe une autre façon d'aborder ce problème ? J'écouterai vos conseils avec le plus vif intérêt. On y travaille nous aussi, mais aucun avis n'est négligeable.
- Mesdames et messieurs, vous avez bien voulu venir ce soir. Il s'agit d'une matière politique très importante, vous le savez bien. La portée internationale de l'éventuel conflit aura pour chacun des pays qui y seront mêlés et d'autres encore, des conséquences multiples. J'en appelle à des idées simples et à une résolution forte, à une résolution pour la paix. C'est ce que j'ai dit ce soir, en évoquant le schéma et les objectifs et seulement les objectifs définis par les Nations unies et sur lesquels la France s'est engagée. Mais aussi à une grande résolution, si, par malheur, l'Irak, confondant son juste intérêt et le faux prestige, devait refuser toute démarche utile. A partir de là, la France, fidèle exécutante des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et soldat du droit, accomplira, dans les limites que j'ai fixées, le devoir qui est le sien. Et d'abord un premier devoir national d'un intérêt majeur : sa présence est un des éléments de sa permanence dans le monde. Elle dispose d'un statut éminent, la France, elle est l'un des cinq pays qui propose et l'un des quinze qui décide, elle est présente, quel que soit le sujet, quel que soit le moment. Donc il faut que la France soit également présente dans toutes les grandes décisions qui engagent l'avenir du monde. Je ne veux pas qu'on se mêle de tout, bien entendu, il est bien des conflits sur terre dont nous nous tenons écartés, mais lorsqu'il s'agit de problèmes centraux, qui commandent tous la suite des choses dans l'ordre des nations, alors la France doit tenir son rang. Vous avez compris que je ne négligerai rien au nom de la France. Le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères non plus. Ils ont une responsabilité directe dans tout cela, pour rechercher et pour trouver les moyens du dialogue utile, mais si c'était peine perdue, la France ne négligerait rien pour assumer son devoir historique.\
- Lorsque cette résolution a été adoptée, il a été question du parrainage, ce qui est tout à fait rituel. Ce sont des Etats qui doivent parrainer, proposer nommément un texte. Et la France a subordonné sa propre signature à l'acceptation par ses partenaires d'une ouverture après le vote de la résolution : engager une conversation, connaître les intentions adverses, faire connaître les nôtres, bref, explorer de fond en comble une situation qui peut, vous le savez bien, déboucher sur un conflit armé.
- Il est du devoir de tous de n'ignorer aucun des chemins de la paix, s'il en est. M. Roland Dumas a eu à cet égard des conversations avec ses homologues, particulièrement avec M. Baker. Des réunions ont eu lieu le jour même du vote de cette résolution, et c'est alors que les Etats-Unis d'Amérique ont décidé d'envoyer M. Baker à Bagdad tandis qu'ils se déclaraient prêts à accepter l'envoi d'un messager irakien à Washington. Voilà les données que je n'avais pas pu commenter puisqu'elles sont postérieures à notre dernier entretien.\
La réunion des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France, s'est donc tenue, je viens de vous le dire, ce jour-là. Et par la suite, un certain nombre de mesures ont été décidées notamment un renforcement des dispositifs militaires pour le cas où il n'y aurait aucune réponse acceptable émanant de Bagdad. Et puis de leur côté, les Douze européens, en ont eux-mêmes débattu entre eux. Et, comme il était question à cette époque d'une visite du ministre des affaires étrangères irakien aux Etats-Unis d'Amérique, ministre qui avait aussi manifesté le désir de rencontrer des Européens, le ministre des affaires étrangères italien - parce que l'Italie préside actuellement la Communauté - a été désigné pour procéder à cet examen contradictoire de la situation avec M. Tarek Aziz. Encore fallait-il que ce voyage eût lieu. Il ne s'agit pas d'organiser le désordre et l'incohérence entre ceux qui se sont faits les champions du droit dans cette affaire : dès lors qu'il n'y a pas de rencontre pour des raisons qu'on étudiera - si vous le voulez bien - entre le ministre des affaires étrangères irakien et les autorités de Washington, dès lors qu'aucune date n'a pu être fixée entre MM. Baker et le Président Saddam Hussein, il n'y a pas de dialogue. Et, s'il n'y a pas de dialogue, personne n'aura de dialogue pouvant engager l'ensemble de ceux qui ont adopté ou soutenu les résolutions des Nations unies.\
Mais entre-temps, un autre événement est intervenu qui ne manque pas d'importance : la décision a été prises à Bagdad de libérer tous les otages. Si l'on veut bien se souvenir du discours que j'ai prononcé au nom de la France aux Nations unies, au mois de septembre dernier, j'avais posé en condition initiale la libération des otages et indiqué également que cela était indissociable de l'évacuation du Koweit par les forces militaires de l'Irak.
- J'avais indiqué qu'il convenait que le Président irakien en fît l'annonce programmée, précisée, pour que s'enclenche le mécanisme qui pourrait conduire à la paix. Ces éléments-là ont été réalisés pour les otages, bien qu'il reste un certain nombre d'otages, notamment soviétiques. En dehors de quelques propos tenus ici ou là et qui n'ont pas de valeur proprement internationale, rien n'a bougé sur le Koweit. Ce qui m'amène à dire que, le temps passant, il faut d'un côté que les dirigeants de l'Irak et, particulièrement le Président aient une conscience très claire du risque qu'ils encourent, qu'encourent avec eux la paix dans le monde et, bien entendu, l'Irak lui-même et la région où il se trouve, spécialement le monde arabe dont nous sommes les amis.\
Une série de questions se sont posées £ quels sont les objectifs ? S'il y avait conflit, quels sont les buts ou quels seraient les buts de ce conflit ? Que se passerait-il en France, sur le plan institutionnel ? Que devient l'actuelle discussion, engagée depuis le mois d'octobre dernier, qui n'a pas vraiment avancé, sur la résolution demandée par quelques pays tendant à faire voter l'utilité d'une conférence internationale pour traiter des problèmes israélo-palestiniens dans le moment où de graves incidents se sont déroulés à Jérusalem et dans les territoires disputés ? Dans mon discours des Nations unies, j'avais divisé l'action possible d'une façon aussi claire que possible - mais naturellement la réalité est toujours un peu plus confuse - en quatre points, et j'avais préconisé la nécessité de conférences internationales ou d'une conférence internationale - tout dépend de l'accord qui sera donné par les uns et les autres - devant traiter et du problème du Golfe et de ce qui suivra les événements actuels, soit que ce soit la paix ou que ce soit le conflit. De toute manière, il faudra bien examiner de quelle façon sera mis au net un ordre nouveau dans cette région, pour un contrôle des armements, une réduction des armements, pour l'organisation de la région comme nous le faisons en Europe - pas forcément sur le même modèle mais dans le même esprit - enfin, pour en finir avec cette tension permanente qui préside aux destinées du Proche et du Moyen-Orient.
- Voilà toute une série de problèmes que je veux traiter avec vous. J'arrête là mon exposé liminaire, vous laissant le soin de susciter les questions qui ont le plus d'intérêt. En tout cas, vous savez que sur ce dernier débat, sur cette éventuelle résolution constamment ajournée à la demande des Etats-Unis d'Amérique, la France, fidèle à son projet de conférence internationale, a dû s'abstenir et donc agir différemment de plusieurs de ses partenaires du Conseil de sécurité. Voilà les données principales, je suis à votre disposition et j'attends vos questions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit qu'il n'y avait pas de dialogue parce qu'il n'y avait pas de fixation de la date. Devant ce non-dialogue, qu'est-ce qui reste, à vos yeux, comme chance à la paix ?
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant, il est évident qu'il n'y a pas de dialogue. Tout le monde le sait puisque les Etats-Unis d'Amérique et l'Irak n'ont pu parvenir à fixer la date d'une rencontre. Le problème de la paix n'est pas uniquement suspendu à ce type de rencontre. Jusqu'à la date ultime, on doit espérer que se noueront, ici et là, des dialogues. La France, dans la clarté, sans agir en silence, mais en conformité avec les objectifs fixés par les Nations unies et en saisissant bien entendu ses partenaires occidentaux, ne s'interdit pas de prendre des initiatives de ce type, car la France souhaite la paix mais pas à n'importe quel prix. Elle accepte les conséquences qu'exigent l'application et le triomphe du droit, ce droit qui est en train de naître, édicté par les Nations unies, recherche tant souhaitée depuis près d'un siècle. Depuis l'époque de la Société des nations et la période qui précédait, les premiers hommes politiques d'Europe songeaient déjà à une organisation structurelle de la paix. Ce n'est pas au moment où l'on parvient à ce stade de l'organisation internationale tandis qu'on en a fini avec la guerre froide et l'opposition des blocs militaires en Europe, ce n'est pas à ce moment-là qu'il faut abandonner les commandes qui doivent normalement nous conduire à l'établissement de ce droit au service de la paix. Tout doit être fait dans le respect du droit et la France assumera sa tâche, s'il le faut, au service de ce droit international indispensable. D'autant plus que la France est membre permanent du Conseil de Sécurité et, votant ses résolutions, elle doit mettre un point d'honneur à les appliquer elle-même.
- Alors, monsieur Bortoli, non, ce n'est pas fini, nous ne sommes que le 19 décembre, le 15 janvier est la date qui a été fixée après que plusieurs membres du Conseil de sécurité, dont la France, eurent demandé aux Etats-Unis d'Amérique, dans le cadre d'une démarche amicale, de reporter au 15 janvier ce qui devrait être fixer plus tôt afin de laisser plus de champ à la paix. D'ici le 15 janvier, il faut agir, mais il faut agir en cohérence. Il ne faut pas que chacun définisse son petit itinéraire : ces itinéraires finiraient pas s'embrouiller. Et ayant voulu la paix, ne doutant pas des intentions, on aboutirait à laisser au Président irakien assez d'illusions pour qu'il ne comprenne pas à quoi le monde est exposé.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on connait le côté manoeuvrier du Président irakien, si le 14 janvier il évacue partiellement, je dis bien "partiellement" le Koweit, pensez-vous qu'il faudra lui donner un délai supplémentaire pour le faire réfléchir à nouveau ou, si les Américains vous proposaient d'attaquer, comme le veut la dernière résolution de l'ONU comme elle donne le feu vert, serez-vous partisan d'attaquer ?
- LE PRESIDENT.- Il faut être clair et simple lorsqu'il s'agit de tels enjeux et grâce à vous, mesdames et messieurs, je m'adresse aussi à l'opinion publique, française et internationale, il faut que chacun sache où va notre pays, où va la société internationale. L'un des objectifs majeurs, je dis bien majeurs qui ont été fixés par le Conseil de sécurité était la libération des otages. Je l'ai dit tout à l'heure le progrès est réel, nous souhaitons qu'il soit complet donc, qu'il soit complet dans les jours qui viennent. Mais aussi, l'évacuation du Koweit par les forces militaires de l'Irak : il n'a pas été dit le quart, le tiers ni les trois-quart du Koweit. Le droit de souveraineté et d'indépendance du Koweit s'applique à chaque mètre carré de ce pays. Tout est toujours discutable mais par les autorités responsables, libres et souveraines des pays en question, pas comme cela. L'évacuation du Koweit par l'Irak reste une condition en dehors de toute finasserie. Ce qui doit être dit, c'est que tels sont les objectifs fixés s'il y avait une guerre on dirait tels sont les buts de guerre : instaurer la souveraineté et l'indépendance du Koweit et non pas conquérir l'Irak, comme le disent certains parmi les dirigeants associés pour l'application des Nations unies, qui le disent publiquement du moins un peu partout, assez pour qu'on l'entende. Pour eux, en réalité, il faut détruire toute puissance militaire de l'Irak, il faut l'empêcher de nuire définitivement, il faudrait mener une guerre préventive dans ce sens. Je ne dis pas que cela ne vaille pas d'être discuté, cela doit être nécessaire discuté, après. Mais ce n'est pas un but de guerre, ce n'est pas un objectif des Nations unies, ce n'est pas non plus l'objectif de la France. Il faut que ce soit clair. Pour nous, c'est l'évacuation du Koweit. Si le Koweit est évacué, si l'annonce en était faite avant le 15 janvier en tout cas, il serait normal que l'Irak obtienne des garanties. Il serait normal qu'il puisse être rassuré, puisqu'il aurait consenti à ce qui lui était demandé et qu'il n'y a pas de guerre. On sent de ce point de vue une sorte de crainte. Chacun a peur de l'autre. La bonne foi exige qu'on parle clairement. La France ne s'associera qu'aux objectifs fixés par les Nations unies, fixés noir sur blanc, clairement. Et pas à des objectifs qui se trouvent dans l'arrière cerveau d'un certain nombre de puissances.
- Donc, il faut absolument que le Koweit soit évacué, que cela soit annoncé avant les dates fatales et que cela soit exécuté sous contrôle. Le contrôle, je ne l'impose à personne, mais on pense naturellement aux Nations unies. On peut penser qu'un mandat serait confié à des pays arabes. Tout cela est souhaitable, mais je ne peux pas tracer le dessin jusque dans son détail.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que finalement avant le 15 janvier, ce ne serait pas votre plan de paix que vous avez défendu et développé devant l'ONU qui pourrait servir de formule de base de compromis au Président Saddam Hussein et au Président Bush et leur permettre en même temps de sauver la face, parce que je crois qu'il est important pour les deux Présidents de sauver la face, face à leurs opinions publiques respectifs, enfin face au monde arabe pour l'un et face à l'Amérique pour l'autre ?
- LE PRESIDENT.- Je ne propose rien à personne, mais vous avez quand même fort bien compris ce que je vous disais, ce qui ne m'étonne pas. Que vous ai-je dit d'autre depuis le début de cet entretien, sinon que l'on peut encore mettre en oeuvre les propositions contenues dans mon discours fait devant les Nations unies qui comportait pratiquement tous les éléments que je viens de rappeler ? Je pense que c'est encore possible. Bien entendu, çà l'est déjà beaucoup moins que cela ne l'était au mois de septembre. Songez à tout ce temps perdu, à l'exacerbation des passions, à l'accumulation des armes et des hommes, c'est-à-dire aux dangers de conflit, même si cela n'était pas désiré. Toutes les conditions sont maintenant créées et mon devoir est de pousser un cri d'alarme en disant que la France est résolue, mais que toute chance de paix s'il en est doit être saisie. Ma proposition en est une, sans doute parmi d'autres, mais alors c'est aux autres de parler.
- QUESTION.- Vous avez bon espoir ?
- LE PRESIDENT.- J'ai dit ce que j'avais à dire là-dessus. Je n'ai pas nourri d'espoir excessif.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un élément nouveau dans la conversation que vous avez avec nous ce soir. C'est ce que vous avez dit dans votre exposé liminaire, qui peut apparaître comme une préparation des Français, à toutes les éventualités, celle de la paix et celle de la guerre. Vous avez dit : il faudrait examiner le cadre institutionnel ce qui devrait être mis en place si.. Alors est-ce que vous pouvez nous donner des précisions là-dessus et est-ce que cela ne veut pas dire que vous croyez un petit peu plus à la guerre au 15 janvier qu'à la paix ?
- LE PRESIDENT.- Mais je crois, monsieur Levai m'être exprimé souvent sur ce sujet, dès le mois d'août, pour faire sentir à quel point les risques de la guerre pesaient plus lourd que les chances de la paix. Ce qui ne doit rien ôter à la résolution des hommes d'Etat, des responsables, de donner à cette paix si fragile tous les éléments qui lui permettront finalement de l'emporter. J'ai dit tous, à condition de rester fidèle aux engagements souscrits au nom des Nations unies. Donc, cela ne veut pas dire autre chose que cela. A mesure que le temps s'écoute naturellement il faut que les opinions prennent conscience - si cela n'était pas le cas - une conscience aigüe de la réalité. Ce n'est pas du pessimisme, ce n'est pas dans ma nature, je veux simplement avoir une vue réaliste des choses dans le cadre de mes responsabilités.
- Alors pour le reste, sur le plan institutionnel, cela veut dire tout simplement que, bien entendu, comme l'a exposé M. le Premier ministre, le Parlement sera saisi. Dans quelles conditions ? A quel moment ? Au moment des grandes décisions bien entendu. En tout cas, il sera informé surtout si ces décisions sont heureusement placées dans le cadre des chances de la paix, mais il sera informé dans le cas contraire aussi, le problème n'étant pas celui d'une déclaration de guerre. La France ne déclare la guerre à personne mais il s'agit de savoir si les représentants du peuple entendent, comme le fait le gouvernement, que la France applique les résolutions des Nations unies, donc exécute le mandat dont elle est chargée, comme tous ceux qui ont voté la résolution. Venons au problème : dans la réalité après le 15 janvier, doit-on ou ne doit-on pas exécuter les résolutions conformes au droit international ? Assurément, moi-même et le gouvernement, nous dirons : oui on doit les exécuter. Et nous espérons que la majorité des parlementaires et du peuple comprendront et approuveront notre décision.
- La France est présente, elle doit rester présente. La France n'est pas un petit pays. Elle a son mot à dire, on sollicite ce mot bien souvent. De tous les pays de la région, de tous les pays arabes et au-delà, la France est sollicitée. S'il devait y avoir un conflit, la France doit être présente avant comme au lendemain de ce conflit. C'est ce que je fais au nom de notre pays, comme je l'ai fait d'autres fois devant vous.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le secrétaire d'Etat James Baker vient de déclarer officiellement qu'il n'est plus hostile à une éventuelle rencontre entre les pays d'Europe et l'Irak. Or, il me semble que cette déclaration va à l'encontre de ce qui a été déclaré hier par les pays des Douze, qui refusent de recevoir le ministre des affaires étrangères irakien s'il ne se rend pas d'abord aux Etats-Unis. Il me semble qu'il y a une certaine contradiction entre les deux positions. Quelle sera la position de la France dans ce cas-là ?
- LE PRESIDENT.- La France est solidaire de ses associés de la Communauté européenne. Elle a voté avec eux des textes tout à fait importants. Elle est solidaire aussi de ses alliés, de ses amis, notamment américains. S'il ne peut pas y avoir de rencontre entre les représentants de l'Irak et les représentants du principal pays engagé avec des forces considérables, et qui prend les plus grands risques, comment pourrait-il y avoir sur le même thème, d'autres conversations sans que cela implique une dissociation, une dispersion des efforts ? C'est ce qu'a voulu signifier la Communauté en publiant ce texte et en renonçant par là-même à cette rencontre. Cela n'interdit en rien, à la date où je m'exprime et jusqu'au 15 janvier, toute tentative coordonnée - non pas comme ça, chacun par devers soi -, cela n'interdit pas d'espérer et de vouloir trouver d'autres moyens. Il ne faut pas se dissimuler que ces chances sont fragiles, très fragiles. Si on n'a pas pu s'entendre sur un rendez-vous pour parler d'une possible baisse de tension, par quelques propos raisonnables, entre Irakiens et Américains, alors c'est que les intentions irakiennes sont vraiment si intransigeantes qu'elles risquent de créer l'irréparable.
- Bien entendu, fixer un rendez-vous le 12 janvier quand l'ultimatum est fixé au 15, c'est prendre le risque d'échouer, il vaut mieux prendre ses précautions auparavant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous disiez tout à l'heure qu'on sollicite un peu partout l'avis de la France et surtout dans le monde arabe. Vous allez recevoir vraisemblablement dans quelques jours le Président algérien qui va entamer une nouvelle tournée dans la région. Est-ce que vous pensez que les Arabes entre eux ont encore des chances de faire quelque chose et est-ce que la France peut, avec certains de ces Arabes, faire quelque chose ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur, j'attendrai de connaître les propositions qui me seront faites par le chef d'Etat algérien qui m'a demandé, en effet, un rendez-vous d'urgence et que j'ai accepté, avec plaisir, de recevoir samedi prochain.
- Beaucoup de pays arabes ou d'organisations arabes se sont fait connaître en demandant à la France d'exercer son influence et son indéniable prestige dans cette région pour, non pas se séparer de ses amis, mais pour tenter d'assouplir le dialogue - enfin, le dialogue n'existe pas -, d'assouplir plutôt les conditions posées à ce dialogue. Ces démarches ne se comptent plus mais je crois que la meilleure réponse a été esquissée par votre confrère tout à l'heure. Notre réponse a été dite dès le mois de septembre aux Nations unies. Cette proposition française a été interprétée comme permettant plus que d'autre l'ouverture d'un dialogue et cela reste sans doute vrai. Mais cela suppose l'application initiale des résolutions des Nations unies.\
QUESTION.- Monsieur le Président, après la logique de guerre, on parle maintenant de logique de récession et d'aggravation du chômage. Existe-t-il un moyen de l'enrayer, existe-t-il une politique de rechange qui permettrait à la France d'y échapper ou bien n'avez-vous à nous promettre pour 1991 que des sacrifices ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas très bien compris votre question, est-ce que c'est une question qui s'applique à la politique dans le Golfe, ou est-ce qu'il s'agit d'une question de politique intérieure ?
- QUESTION.- Je pense qu'il s'agit d'une des conséquences de la crise du Golfe.
- LE PRESIDENT.- Nous assumons toutes les conséquences de la crise du Golfe. Les dispositions qu'il convient de prendre en Arabie saoudite freinent notre possibilité ou retardent la marche vers le redressement remarquablement amorcé, redressement qui porte déjà ses fruits. Mais le problème est de savoir si la France est un pays capable d'assumer ses responsabilités et si les Français sont capables d'assumer leur rôle historique. Moi, je le crois, et en leur nom, je prendrai mes responsabilités.\
QUESTION.- Monsieur le Président, si vous m'y autorisez, je vous poserai deux questions. La première à propos de l'Irak, le coeur du problème c'est bien sûr le refus de Saddam Hussein de se retirer et sa détermination face à la communauté internationale est assez étonnante. Est-ce qu'en l'état actuel des choses vous avez aujourd'hui le moindre début d'élément qui pourrait permettre de penser qu'il redeviendrait plus raisonnable disons d'ici le 15 janvier ? Et avec votre permission toujours comment interpréter l'absence à cette réunion de M. Chevènement, le ministre de la défense ?
- LE PRESIDENT.- Vraiment c'est vouloir à tout prix chercher des querelles là où il n'y en a pas. M. Chevènement avait pris des obligations pour visiter des armements militaires. Il est venu ce matin à la réunion du conseil restreint sur les affaires dont nous parlons. Il m'a demandé si je l'autorisais à maintenir son programme dans le cadre de sa fonction. Je lui ai dit : "bien entendu". Je n'ai pas besoin ici que tout le gouvernement, la moitié, le quart et même le dixième viennent m'assister. A la limite, je n'ai besoin de personne, chaque fois que je rencontre la presse. D'autres ministres sont venus, c'est parce qu'ils savent bien que leur présence m'est utile, qu'elle m'est agréable, que c'est important pour moi que de sentir de quelle façon les membres du gouvernement sont engagés, attelés à la même tâche mais cela ne comporte aucune obligation protocolaire. Il n'y a pas de rite dans ce domaine, c'est moi qui m'adresse à vous. Quand ce sont des ministres qui s'adressent à vous ils ne font pas appel à moi. Je ne viens pas. Il n'y a pas d'obligations de salon, je n'envoie pas de note comminatoire en disant : "vous, vous serez là". Il n'y a pas de tour de service. M. Renon, secrétaire d'Etat est venu - de toute manière il aurait pu venir - avec un mandat spécial de son ministre pour être là. Si j'avais besoin de lui je pourrais en user. Voilà je crois que vous nous faites un peu dévier monsieur Faucon - ce n'est pas votre habitude -. Pour répondre à votre question initiale, je pense que, d'ici le 15 janvier, beaucoup de choses sont encore possibles. Simplement, ce possible-là, il faut le servir, il faut l'aider. C'est comme un enfant qui vient difficilement, et il arrive un moment où il faut contribuer à ce que l'on pourrait croire naturel. La paix cette fois-ci ne résultera que d'un effort constant, vigoureux, attentif mais aussi d'une grande fermeté dans les principes et d'une grande cohésion dans l'action. A partir de là £ d'ici le 15 janvier, je ne m'interdis pas d'espérer telle ou telle intervention nouvelle, telle ou telle déclaration inattendue, tel ou tel événement qu'il conviendra de saisir, mais ce n'est pas seulement sur ce schéma là qu'il convient de préparer les esprits et de préparer les choses, ce serait imprudent.\
QUESTION.- Monsieur le Président, peut-on envisager une visite de Roland Dumas à Bagdad avant le 15 janvier et sous quelle condition et comptez-vous vous-même retourner dans le Golfe ?
- LE PRESIDENT.- La visite de M. Dumas n'est pas programmée. Lors du vote de la résolution 678, une conversation avait eu lieu. Il était entendu qu'une démarche serait entreprise et, après entente entre les cinq ministres des affaires étrangères, il a été décidé que les Etats-Unis assumeraient le gros de la tâche dans cette affaire, et que les Etats-Unis prendraient la première initiative. A partir de là, on ne va pas se compliquer la vie et entretenir des dialogues qui risqueraient de devenir concurrents. Donc, il faut vraiment que l'on soit au terme de la tentative entreprise. Ce n'est pas encore tout à fait le cas. De ce fait, la Communauté européenne a préféré s'abstenir et la France attendra de voir, le jour venu, si elle doit prendre une initiative, en accord avec ses alliés.\
QUESTION.- Vous avez souligné la nécessaire présence sur le terrain de la France avant et éventuellement après le conflit. Dans ces conditions est-ce que vous envisagez de renforcer davantage le dispositif militaire français sur le terrain d'ici au 15 janvier ?
- LE PRESIDENT.- Sous toutes réserves, cela me paraît suffisant. La France est présente. Elle n'a pas besoin de l'être davantage, elle a marqué sa solidarité et sa volonté d'être en conformité avec les textes qu'elle adopte mais nous avons beaucoup d'autres obligations dans le monde et dans cette région en regardant plus vers l'ouest, c'est-à-dire vers le Proche-Orient plus que vers le Moyen-Orient où nous avons d'autres priorités. Et nous aimerions bien que nos alliés observent à l'égard des problèmes qui se situent plus près de la Méditerranée une présence plus active à nos côtés non pas pour faire la guerre mais pour faciliter la réconciliation de ceux qui s'entrebattent et la remise en marche du Liban. Nous souhaitons vivement contribuer à l'assainissement de la situation dans le conflit israélo-palestinien et c'est pourquoi aussi nous insistons sur la tenue d'une conférence internationale dont nous ne fixons pas la date pour la semaine prochaine. Nous ne disons pas qu'elle devra être close à Pâques mais pas quand même à la Trinité. Nous pensons qu'elle serait l'instrument indispensable d'un rapprochement des thèses en présence.\
QUESTION.- En cas de conflit dans le Golfe, monsieur le Président, à combien de temps estimez-vous la guerre ? Vous savez que le Président des Etats-Unis prévoit une guerre-éclair, la plupart des chefs militaires disent que la guerre va durer longtemps. Le Commandant en chef des armées américaines en Arabie saoudite prévoit une guerre de six mois. Alors vous, monsieur le Président, à combien estimez-vous le temps s'il y a un déclenchement du conflit ?
- LE PRESIDENT.- Je vais vous répondre, j'ai entendu beaucoup d'experts, les uns m'ont dit six heures, d'autres m'ont dit vingt-quatre, d'autres m'ont dit quinze jours, d'autres m'ont dit deux mois, j'entends maintenant six mois, ma conclusion c'est que tout cela est dérisoire !\
QUESTION.- Puisqu'il y a danger accru de la guerre, il y a aussi un risque accru de terrorisme. Quel est monsieur le Président, à la veille de Noël, votre message destiné à tout ceux qui veulent se solidariser avec Saddam Hussein et commettre des actes terroristes sur le sol français et quels sont surtout vos moyens pour faire respecter votre message ?
- LE PRESIDENT.- J'aurai l'occasion d'adresser d'autres messages et pas simplement à votre demande même s'il est exprimé très aimablement. Donc, ce que je dirai aux Français le 31 décembre et dans les jours qui suivront n'a pas à être programmé par un journaliste aussi sympathique qu'il soit. Je ne répondrai pas de la même façon sur la question du terrorisme. C'est une question sérieuse et qui fait partie des éléments de guerre. On nous a déjà livré des guerres par le terrorisme. Nous sommes arrivés, finalement à le juguler, à travers les années. Cela a coûté beaucoup d'efforts, des pertes aussi et les ministres qui sont parvenus à juguler le terrorisme ont de grands mérites. Moi, je ne fais pas de distinction entre les gouvernements successifs qui s'y sont appliqué, même si je fais des différences entre les méthodes.
- Donc, nous sommes très vigilants sur ce terrain-là comme nous le sommes sur les autres et nous n'avons pas l'intention de laisser le terrorisme se développer, tout en connaissant la difficulté de notre tâche. Est-ce qu'il se développera ? En tous cas nos services se tiennent prêts.\
QUESTION.- Jusqu'à quel point cette conférence internationale peut-elle être précisée d'ici le 15 janvier, en termes d'ordre du jour, de participants, peut-être même de lieu. Est-ce que cela peut être précisé ?
- LE PRESIDENT.- Elle pourrait être précisée dès maintenant si les Etats-Unis d'Amérique cessent de demander l'ajournement du texte qui comporte cette référence à une conférence internationale sur le conflit israélo-arabe. Pour cette partie de cette région troublée, ce serait fait. A combien de report en sommes-nous, quatre ? Donc on est proche du cinquième. Ce n'est pas raisonnable, mais quand on parle de conférence internationale, il faut savoir que nous visons trois objectifs.
- Le Premier, c'est tout de même celui qui vise la stabilité dans les régions du Golfe, c'est-à-dire à l'Est de cette région, en plein Moyen-Orient, Koweït, Irak, Arabie saoudite, etc... et les Emirats.
- Ensuite, autre objectif, mais qui ne se situe pas forcément sur le même plan ni dans le même temps, celui de la conférence internationale pour se saisir des problèmes israélo-arabes et en finir avec cette guerre quotidienne qui se livre là-bas.
- Troisièmement, il faudra bien qu'une conférence internationale se saisisse de toutes les questions touchant à l'équilibre durable dans cette région du monde : réduire les armements, créer un système de sécurité, de garantie, d'entente avec les Nations unies et procéder, comme nous avons eu le courage de le faire, après des guerres que vous savez en Europe.
- Voilà le contenu de conférences internationales que l'on peut mettre au pluriel ou au singulier. Le singulier comporterait sans doute des cases différentes mais rejoindrait le pluriel. Voilà ce que souhaite la France.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ne croyez-vous pas qu'il est urgent que les membres du Conseil de sécurité prennent leurs responsabilités dans la protection de la population civile des territoires arabes occupés ?
- LE PRESIDENT.- Prendre leur responsabilité, il faudrait comprendre ce langage. Cette sécurité elle est très menacée, elle l'a été par l'invasion. Beaucoup ont déjà perdu le droit à la sécurité, ont perdu la vie, beaucoup ont été transportés en Irak, beaucoup on dû s'exiler en Arabie saoudite ou ailleurs. Le seul moyen de rétablir le droit de ces populations c'est de les rétablir, elles, dans leur patrie. C'est l'objet même de la résolution des Nations unies et de tout ce dont nous parlons depuis maintenant trois-quarts d'heure.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle est la réaction de la France aux derniers événements du Maroc qui ont été quand même réprimés.
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas l'objet de notre conversation de ce soir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pardonnez la naïveté de ma question. Elle fait partie d'une série de questions que l'homme de la rue se pose. Avec un peu de recul, avez-vous des reproches à adresser aux services secrets occidentaux, entre autres à la DGSE, ou aviez-vous eu des informations sur l'imminence de l'invasion du Koweït par l'Irak et avez-vous des réformes à proposer pour les services secrets français ?
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie de votre sollicitude pour les services secrets français. Etant donné votre nationalité que vous avez annoncée - au demeurant, nationalité qui nous est sympathique à nous Français - croyez-moi, il serait très utile que vous veilliez à vos propres affaires. Pour le reste, nous traiterons de ce sujet un peu plus tard.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je crois que tout en condamnant l'invasion du Koweit par l'Irak, comment peut-on justifier le déploiement américain par le droit alors qu'il y a beaucoup d'indications qui permettent de dire que les Etats-Unis ont encouragé l'intervention de Saddam Hussein au Koweit. Est-ce qu'il ne s'agit pas, notamment, de pouvoir étendre la zone d'influence de l'OTAN en dehors de ses zones normales. Je voudrais votre commentaire.
- LE PRESIDENT.- Vous savez, je me méfie beaucoup de l'histoire-feuilleton. J'aime beaucoup l'Histoire, je lis beaucoup de livres à son sujet. J'aperçois très souvent qu'après coup les événements considérés comme les plus clairs deviennent terriblement confus. Il y a toujours une explication qu'on n'attendait pas. Vous savez, la malignité des hommes ne connaît pas de limites. Cela dit, si j'ai bien compris ce que vous m'avez dit, il semblerait que M. Saddam Hussein serait allé au Koweit malgré lui. Dans ce cas, il lui serait très aisé de se retirer grâce à lui, mais aussi grâce à la résolution des Nations unies.\
QUESTION.- Hier, monsieur le Président, à l'Assemblée de l'OTAN, il y a eu une discussion pour l'extension de l'action de l'OTAN sur le Golfe à cause de la présence de la Turquie parmi les membres et la France a estimé qu'elle avait quelques réserves à opposer, en tout cas des discussions. Quelle est votre position sur ce terrain ?
- LE PRESIDENT.- Il faut replacer les choses dans leur cadre. L'OTAN, c'est l'aspect militaire de l'Alliance atlantique. L'Alliance atlantique est là, elle vise une certaine aire, une certaine zone géographique. Ce qui se passe en dehors de cette zone géographique n'est pas du ressort de l'OTAN. L'OTAN n'est pas chargée de se mêler de tout dans le monde, mais dans un certain nombre d'endroits, notamment, l'Europe, bien entendu, et aussi quelques régions adjacentes. Ce qui ne relève pas de l'OTAN n'a pas être traité par elle.
- QUESTION.- Pourquoi l'OTAN a...
- LE PRESIDENT.- Il faudrait qu'on signe un nouveau traité alors. Et là, la France est prête à en discuter. Mais elle réserve naturellement son jugement final.\
QUESTION.- Sur la conférence internationale, monsieur le Président, si je puis me permettre, l'ensemble des positions des membres de l'ONU, à part les Etats-Unis, c'est d'essayer d'aller vers cette conférence internationale. Or les Etats-Unis hésitent énormément et il y a un pays qui n'est pas du tout d'accord, c'est Israël. Est-ce qu'il n'y a pas une modalité intermédiaire entre l'état actuel et la conférence internationale pour essayer notamment d'associer un pays du champ de l'environnement d'Israël, ce qui est nouveau depuis quelques mois, la Syrie, pour qu'Israël ait un autre interlocuteur dans la région ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien, si c'était possible, ce serait très bien. Est-ce qu'il existe une autre façon d'aborder ce problème ? J'écouterai vos conseils avec le plus vif intérêt. On y travaille nous aussi, mais aucun avis n'est négligeable.
- Mesdames et messieurs, vous avez bien voulu venir ce soir. Il s'agit d'une matière politique très importante, vous le savez bien. La portée internationale de l'éventuel conflit aura pour chacun des pays qui y seront mêlés et d'autres encore, des conséquences multiples. J'en appelle à des idées simples et à une résolution forte, à une résolution pour la paix. C'est ce que j'ai dit ce soir, en évoquant le schéma et les objectifs et seulement les objectifs définis par les Nations unies et sur lesquels la France s'est engagée. Mais aussi à une grande résolution, si, par malheur, l'Irak, confondant son juste intérêt et le faux prestige, devait refuser toute démarche utile. A partir de là, la France, fidèle exécutante des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et soldat du droit, accomplira, dans les limites que j'ai fixées, le devoir qui est le sien. Et d'abord un premier devoir national d'un intérêt majeur : sa présence est un des éléments de sa permanence dans le monde. Elle dispose d'un statut éminent, la France, elle est l'un des cinq pays qui propose et l'un des quinze qui décide, elle est présente, quel que soit le sujet, quel que soit le moment. Donc il faut que la France soit également présente dans toutes les grandes décisions qui engagent l'avenir du monde. Je ne veux pas qu'on se mêle de tout, bien entendu, il est bien des conflits sur terre dont nous nous tenons écartés, mais lorsqu'il s'agit de problèmes centraux, qui commandent tous la suite des choses dans l'ordre des nations, alors la France doit tenir son rang. Vous avez compris que je ne négligerai rien au nom de la France. Le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères non plus. Ils ont une responsabilité directe dans tout cela, pour rechercher et pour trouver les moyens du dialogue utile, mais si c'était peine perdue, la France ne négligerait rien pour assumer son devoir historique.\