15 décembre 1990 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du Conseil européen, notamment sur le renforcement de la Communauté européenne et l'union politique, Rome, le 15 décembre 1990.
Mesdames et messieurs,
- La réunion de Rome vient de se terminer. Comme vous le savez, elle a eu deux moments : d'abord les discussions classiques du Conseil européen, dont nous parlerons tout à l'heure, et l'ouverture des deux conférences intergouvernementales, l'une sur l'union économique et monétaire, l'autre sur l'union politique. L'objet essentiel du Conseil européen, était de préparer le passage aux conférences intergouvernementales. On a donc traité au fond des mêmes sujets. On a défini ce que sera l'ordre du jour de ces conférences. On n'a pas prétendu répondre en lieu et place des conférences. On n'a pas présupposé ni résolu les problèmes qui sont posés mais on a avancé sur les questions à poser et si possible à résoudre.
- Dans les débats qui ont eu lieu sur le texte des conclusions du Conseil européen, je relève essentiellement que, pour l'examen de l'union politique, il y aurait à renforcer ce que l'on appelle la légitimité démocratique, sous un angle d'attaque qui porte surtout sur le rôle et les missions du Parlement européen, sans oublier la méthode qu'il conviendra de définir pour associer les parlements nationaux - c'est une référence d'ailleurs à une idée française de congrès. Certains d'entre nous ont poussé plus loin l'examen de cette légitimité démocratique. Je reprends les termes consacrés, en estimant qu'il conviendrait d'élargir peut-être les compétences, tout au moins de les affirmer, du Conseil européen, ce qui ne veut pas dire que les autres institutions seraient pour autant négligées.
- Deuxième volet de nos discussions : la politique étrangère et de sécurité. Là, le centre unique de prises de décisions c'est le Conseil. On a donc discuté de l'extension progressive de la compétence de l'union en matière de sécurité et du rôle futur de l'union dans les questions touchant à la défense. C'est là que le champ est ouvert sur ce que feront les négociateurs qui se mettent à l'ouvrage dès le début de l'après-midi.
- Il a été également débattu de la citoyenneté européenne, des droits civiques qui seront reconnus aux citoyens, dans leur pays et dans les autres pays de la Communauté, des droits économiques et des droits sociaux, de la protection des citoyens hors des frontières. Il a été d'autre part discuté de nouveaux champs d'action de la Communauté : je noterai simplement au passage : les affaires intérieures, la justice. On a également tenté d'enfoncer le sillon dans des domaines déjà reconnus mais peu abordés, en particulier le domaine de la santé.
- D'autres questions ont été traitées : comment faire progresser l'application des mesures en vue de parvenir au marché intérieur unique, la libre circulation des personnes, la politique des transports, accélération demandée par nous et par d'autres de la dimension sociale, lutte contre la drogue, etc.. J'ajouterai que si les conférences intergouvernementales commencent leur travail cet après-midi, elles continueront de se réunir une fois pas mois au moins.\
Un débat particulier et assez approfondi a eu lieu à propos des relations de la Communauté avec l'Union soviétique. Des décisions ont été prises, une aide d'urgence de 750 millions d'écus, dont 250 sous formes de dons, une assistance technique, notamment dans le domaine de l'énergie, qui paraît prioritaire. Et la Commission a été invitée à travailler sur le projet de grand accord, cela s'appelle comme ça, avec l'Union soviétique.
- Du côté de l'Europe centrale et orientale, il a été décidé une contribution de la Communauté des Etats membres, dans le groupe des vingt-quatre à des actions de soutien financier, le déblocage de la deuxième tranche de prêts à la Hongrie et une perspective de soutien à la Tchécoslovaquie, une aide d'urgence de 100 millions d'écus à la Bulgarie et à la Roumanie désormais mêlées normalement sans distinction particulière au sort des relations entre les pays de l'Europe centrale et orientale et de la Communauté.
- Il a été question de politique méditerranéenne, de l'Amérique latine et à diverses occasions, notamment au cours du dîner d'hier soir entre chefs d'Etat et de gouvernement, on est revenu sur la négociation du GATT. Chacun affirmant la volonté d'aboutir, c'est-à-dire de réussir mais cela ne dépend pas que de la Communauté, cela dépend aussi de ce que feront ses partenaires américains et les pays non engagés. Il faut que les volontés soient égales et les concessions comparables. D'autre part, si l'on veut des concessions équilibrées, l'approche doit être globale. On parle toujours de l'agriculture, il n'y a pas que l'agriculture. Enfin, le mandat n'a pas été changé, le mandat sur lequel la Communauté s'est précédemment prononcée.
- Des textes politiques ont été adoptés sur le Proche-Orient, sur l'Afrique du Sud, sur le conflit du Golfe, j'ai dit sur le Proche-Orient, c'est un peu une tautologie, enfin sur le Liban particulièrement.\
QUESTION.- Sur l'union politique le sentiment est que le mandat, il ne faut peut-être pas prononcer le mot, mais en tout cas le cadrage n'est pas tout à fait clair. D'une façon plus générale, est-ce que la façon dont vous envisagez cette union politique respecte complètement l'équilibre institutionnel de la Communauté entre ces trois instances, Conseil, Commission, Parlement ?
- LE PRESIDENT.- Je suis hors d'état de répondre à cette question sans me lancer dans un cours de droit. Vos questions sont trop entremêlées. Vous avez l'impression qu'il n'y a pas un bon cadre. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Considérons que c'est au mois d'octobre 1990 qu'auront été surmontés les derniers obstacles éventuels à une réunion des deux conférences inter-gouvernementales, que ces deux conférences se réunissent aujourd'hui même, 15 décembre, et que c'est quand même le résultat de plusieurs années de travail dont vous avez suivi les évolutions et les difficultés. C'est déjà un cadrage extrêmement précis puisqu'il s'agissait de s'entendre sur les questions qu'auraient à traiter ces conférences inter-gouvernementales. Quand vous lirez le texte, vous verrez que c'est un travail énorme. Qu'est-ce qui n'a pas été traité ? Vous pourriez dire : "cela n'a pas été tranché". Chaque fois que nous abordions un sujet délicat nous nous rappelions que nous n'étions pas là pour trancher à la place des conférences inter-gouvernementales, elles sont faites pour cela. Elles disposent d'une procédure particulière qui précisément permettra des évolutions du traité de Rome. Quant aux réponses qu'elles apporteront, même si on en connait déjà beaucoup, si on peut les pressentir, on voit bien comment les majorités, même très fortes, se dégagent, même si on ne peut pas les tenir pour acquises, le travail commence. Voilà ce que je peux vous répondre parce que sur la notion de cadrage alors moi je ne sais pas où me mettre par rapport au carré, au rectangle, je ne sais pas du tout, on est dedans, on est dehors tous, précisez je vous en prie...\
QUESTION.- Le texte que nous avons vu donne le droit de décision unique, je crois, au Conseil européen. C'est une décision qui peut en réjouir certains dont le chancelier Kohl et vous-même puisque vous l'avez proposée et qui en attriste d'autres qui disent : "les petits pays vont être un petit peu oubliés, cela n'est pas assez supra-national". Est-ce que vous pouvez nous préciser la philosophie de ce projet ?
- LE PRESIDENT.- C'est très supra-national. La réunion de douze chefs de délégation, qui tous sont des élus de leur peuple, issus de leur suffrage universel qui les a désignés, c'est difficile de faire mieux, il n'y a pas d'autre méthode dans une démocratie.
- Donc ils ont des capacités de s'adresser à leur peuple, d'être approuvés ou désavoués par ce peuple sur les décisions majeures qui nous attendent. Telle est en tout cas ma pensée, celle de quelques autres, et j'insiste sur ce point, en politique, en matière de sécurité particulièrement, le centre unique vous ai-je dit, de décision, c'est le Conseil. Pour les éventuels ou futurs transferts de souveraineté. On ne peut pas agir autrement. Donc je ne voudrais pas que s'amorce une sorte de rivalité entre la Commission et le Conseil. La Commission rend d'immenses services. Elle est d'une très forte compétence. Mais il n'empêche que lorsqu'il s'agira de s'adresser aux hommes et aux femmes de l'Europe, pour leur demander les choix terminaux qui les feront entrer dans une nouvelle époque de leur propre histoire, ce sont les représentants de ces pays qui pourront s'engager, des représentants directs. Voilà ma réponse, mais là je réponds en mon nom, c'est un sujet qui est soumis à examen. Mais je serais très étonné que la France modifie sa position sur ce point.\
QUESTION.- Avec cette union politique, monsieur le Président, cette union politique au moins telle qu'elle commence à se dessiner, est-ce que la Communauté vous paraît mieux préparée ou mieux armée pour accueillir dans quelques années, après 93, certains pays dont on sait déjà qu'ils vont être candidats, que ce soit des pays anciens satellites ou des pays de l'AELE.
- LE PRESIDENT.- On ne peut pas dire que la Communauté, de toute éternité, devait s'arrêter à douze. C'est une vue purement pratique des choses qui fait que nous sommes douze aujourd'hui : l'état de l'Europe antérieure, le choix de chaque pays, les Douze sont là parce qu'ils l'ont bien voulu. Il y en a d'abord eu six, ensuite d'autres ont demandé à s'adjoindre et maintenant nous sommes douze. Donc il arrivera un jour où nous serons plus nombreux mais il faut faire très attention au rythme de la démarche car ceux d'entre vous qui ont suivi les débats européens depuis l'origine savent qu'il y avait une discussion de fond au point de départ, communauté européenne, règles contraignantes et strictes, traité de Rome d'une part et d'autre part, zone indéterminée de libre-échange, zone universelle du libre-échange. La tendance vers la zone universelle de libre-échange avait tendance à bousculer un peu les étapes, non pas dans le sens du renforcement de la Communauté, mais dans un sens de sa dilution dans un plus vaste ensemble, donc l'adhésion, toute adhésion nouvelle était bonne à prendre. Il faut préserver la Communauté qui n'est pas n'importe quoi, qui obéit à certaines règles, qui dépend de certains principes qui n'ont pas changé et en même temps, il faut être accueillant à d'autres pays. C'est une question d'allure, de rythme. Beaucoup de problèmes sont encore en instance au sein des Douze, on voit bien qu'il est difficile de mêler à cette discussion des pays qui n'y sont pas préparés, dont l'économie est très en retard, qui n'ont pas cette culture-là. Pourtant il faudra bien qu'ils viennent, en tout cas ceux qui le voudront, mais quand on le pourra.
- Il y a la demande de l'Autriche, celle de la Turquie, celle de Malte. La Suède vient de prendre au sein de son parlement certaines dispositions et vous savez l'aspiration de plusieurs pays de l'ancienne Europe, dite de l'Est à nous rejoindre. Alors comme on ne pourra pas répondre d'un coup à tout le monde, il faudra bien trouver un système qui donne à l'Europe un contenu. C'est une des raisons pour laquelle j'ai lancé l'idée, il y a un an, d'une confédération pour qu'il y ait aussi entre tous les pays de l'Europe, un lien structurel moins contraignant, moins contraignant mais réel, avec des structures permanentes. D'autres réponses peuvent être apportées à cette question.
- Donc, après 93, on peut en effet s'attendre à quelques adhésions, je ne sais pas dans quel ordre, et je ne pense pas que d'ici la fin du siècle ce soit très rapide et que les adhésions soient très nombreuses. La Communauté ne peut pas se perdre en elle-même. Mais elle doit en même temps être ouverte à l'Europe puisqu'elle s'appelle comme cela, Communauté européenne.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle est la position de l'Europe vis-à-vis de la querelle de sourds entre l'Amérique et l'Irak ?
- LE PRESIDENT.- La position de l'Europe est développée dans un texte très clair. Tous les participants du Conseil européen de Rome estiment qu'il faut que soient appliquées les résolutions du Conseil de sécurité. C'est la condition de base.
- Bien entendu ne parlons pas pour l'instant des otages, c'est une question non pas indépendante mais différente. Nous demandons l'évacuation du Koweit par les forces militaires de l'Irak. Les Douze sont tous favorables à la défense du droit , au développement du rôle du Conseil de sécurité et donc demandent à l'Irak à son Président d'en tenir compte.
- A partir du moment ou s'engagent les jeux diplomatiques sur : faut-il se voir ? Quand se voit-on ? Si l'on n'y parvient pas, cela veut dire que l'on ne voulait pas se voir, il valait mieux le dire au point de départ. Il y a là une indication assez importante, intéressante sur les volontés profondes des uns et des autres mais si vous voulez bien que j'exprime une opinion personnelle, je trouve très dommageable pour la paix la position prise par l'Irak de reporter à une date extrême le 12 janvier, le 12 janvier pour le 15, un échange de vues qui pourrait être profitable. Je crois que l'on a intérêt à parler mais on ne peut pas parler pour renoncer, les choses sont claires. Que va-t-on faire si rien ne bouge ? On arrivera au 15 janvier et je n'arrive pas à croire que l'Irak n'envisage pas avec sérieux le sort dans lequel il se jette, en compromettant bien entendu aussi la région du monde dans laquelle il se trouve, et par ébranlements successifs, une grande partie de la planète.
- Mais voilà, la paix suppose le respect du droit. Je le répète ici comme je l'ai déjà souvent dit. On ne peut pas transiger là-dessus, aussi fort que soit le désir de préserver la paix. C'est d'ailleurs en étant ferme sur ces points-là que l'on préserve la paix si la chance existe encore, il faut l'espérer.\
QUESTION.- Monsieur le Président qu'est-ce qui pourrait faire capoter la marche vers l'union politique ? Quels sont les risques de résurgences des réticences internes aux nations ?
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas qu'elle puisse capoter. Bien entendu votre question exige une analyse très précise. Si l'on demande le moins - champ d'action le plus réduit pour cette union politique - elle ne capotera sûrement pas. Le point où nous sommes arrivés, est déjà très prometteur, parce que cela signifiera de toute façon un changement de nature de la Communauté, cela est acquis. Si on veut étendre le champ sur lequel jouera pleinement cette union politique, là je n'en sais rien. Il y a les plus et il y a les moins. Est-ce que des points, non pas de procédure mais d'équilibre des institutions, peuvent intervenir au point de compromettre l'accord ? Il me semble que le bon sens prévaudra. Il y aura des discussions sérieuses sur le rôle respectif des institutions différentes : Conseil, Commission, Parlement etc.. Voilà, on a donc le droit d'être optimiste au point où l'on en est quand on considère à quel point les choses se sont accélérées.\
QUESTION.- Monsieur le Président, si les Américains et les Irakiens ne parvenaient pas à se voir est-ce que les Européens peuvent aller voir les Irakiens pour leur faire comprendre que vous les Européens vous êtes sérieux ?
- LE PRESIDENT.- Le problème est le même, cela ne veut pas dire que les Européens doivent faire ce que font les américains, ou ne pas faire ce qu'ils ne font pas, mais l'objectif est le même. A partir de là, il vaut mieux éviter les disparités ou les contradictions dans la démarche. C'est un souci normal d'efficacité que d'offrir un front uni à qui pourrait encore avoir dans l'esprit une possibilité d'en sortir autrement. Bien entendu, aucun contact n'est interdit et il est admis que la Communauté et tous les pays mêlés à cette affaire ont bien le droit de prendre des initiatives. En pratique, il faut prendre garde à éviter la dispersion.\
QUESTION.- Vous avez rencontré pour la première fois M. John Major en tant que Premier ministre britannique, est-ce qu'il vous a laissé entendre des modifications de fond sur la position britannique à l'égard de la construction de l'Europe malgré les positions qu'il a exprimées publiquement au cours du Conseil ?
- LE PRESIDENT.- Je ne préjuge pas ce genre de chose, il a dit lui-même "changement de personne, pas de changement de politique". L'expérience m'a appris que quand les personnes changeaient la politique changeait parfois, mais pas toujours, alors cela reste une inconnue.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je vois dans le projet de conclusions, un point qui concerne l'extension et le renforcement de l'action de la Communauté et qui signale qu'il y a lieu d'examiner comment les activités actuellement poursuivies dans un cadre inter-gouvernemental pourraient être transférées dans le champ d'application du traité sur l'union, en particulier certains domaines clés tels que les affaires intérieures, la justice et plus particulièrement l'immigration. Est-ce que cela signifie que le groupe de Trévi, par exemple, ou tout ce qui à l'heure actuelle manque de contrôle démocratique (le parlement européen s'en est plaint assez souvent) serait intégré dans le futur traité de l'union ? Deuxièmement, êtes-vous satisfait du texte sur le Liban ?
- LE PRESIDENT.- Oui, sur le Liban il me convient. Oui, puisqu'il réaffirme le principe sur lequel nous nous battons depuis le premier jour, de la souveraineté, de l'indépendance, et de l'intégrité. Oui, il me convient tout à fait.
- Le groupe de Trévi a été l'un des lieux - ce n'est pas le seul d'ailleurs - où l'on discute de sécurité, il faudra bien que tout cela se réunisse dans un seul ensemble.
- Il y a aussi les négociations dites de Schengen, tout cela pose d'énormes problèmes. Jusqu'ici on s'était habitué à penser à l'immigration venue de l'Afrique du Nord, de l'Afrique noire, ou bien de l'immédiate proximité inter-européenne, yougoslave, turque. Aujourd'hui il y a une forte pression des demandes d'immigration venant des pays de l'Est et du centre de l'Europe. A la fois il est nécessaire d'être accueillant et en même temps, cela doit rester supportable pour les économies de chacun de nos pays. C'est à l'étude, mais c'est indiscutablement un des problèmes du moment. Dans le champ des compétences nouvelles, il faut prévoir d'inscrire ce problème.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous avez évoqué avec le Chancelier Kohl, la politique monétaire qui est conduite actuellement par l'Allemagne et qui est jugée pénalisante pour les autres partenaires compte tenu des taux d'intérêt qui sont pratiqués.
- LE PRESIDENT.- Non, nous avons évoqué très rapidement ce matin, les sujets propres aux débats actuels de Rome sur le Conseil européen et sur les conférences intergouvernementales. Nous avons juste fait allusion à des problèmes qui certes sont communautaires, mais plus particulièrement franco-allemands. Nous avons d'ailleurs pris rendez-vous pour bientôt.\
QUESTION.- Monsieur le Président, n'êtes-vous pas un peu déçu par le fait que les Italiens n'aient pas rempli le mandat qu'on leur avait donné à Dublin, je fait allusion à la question des sièges ?
- LE PRESIDENT.- Ce silence prudent montre bien qu'il y a irréductibilité pour l'instant entre les partenaires. Nous ne voulons pas monter sur nos grands chevaux. Cela nous donne tout simplement le désagrément de répondre : "bien, si vous estimez qu'il faut attendre plusieurs années pour fixer tous les sièges, prenez ce risque", on ne peut pas se contenter de fixer un siège là et de ne pas parler du reste. Si bien que tout est suspendu.
- Deuxièmement, si on met en question Strasbourg, pourquoi ne pas mettre en question Bruxelles ? Je veux dire par là : ou bien on met tout en question, ce qui n'est pas absurde, pourquoi est-ce qu'on ne déterminerait pas une capitale, une capitale implantée quelque part, en cherchant d'autres lieux historiques et comme cela s'est fait dans beaucoup de pays modernes, pourquoi pas, on peut tout imaginer ! Ce qui est sûr c'est que la France défendra la position de Strasbourg. Nous ne prétendons pas qu'il s'agisse de la capitale de l'Europe, cette erreur est commise par beaucoup de ceux qui discutent de ces choses. Il s'agit de sièges appartenant ou relevant d'une Europe pluraliste, et avec un polycentrisme, selon la nature des institutions. C'est déjà le cas entre plusieurs de nos pays, ce sera le cas plus encore avec la multiplication des compétences. Alors ou bien on décide cela, ce n'est pas un éclatement car l'Europe est encore assez petite géographiquement, ou bien on décide qu'il n'y aura plus d'éclatement, plus de polycentrisme, à ce moment-là on décide un centre unique. Ce ne sera peut-être pas Strasbourg mais ce ne sera sûrement pas Bruxelles. Il vaudrait mieux en finir avec cela, la position de la France est inchangée.\
QUESTION.- Il y a au sein de la famille socialiste en France un certain nombre de gens qui trouvent que l'union politique, l'union économique et monétaire sont des projets qui vont trop loin et qui les chagrinent. J'aimerais savoir, monsieur le Président, ce qu'au moment où ces deux conférences inter-gouvernementales commencent vous avez envie de leur dire pour les convaincre ?
- LE PRESIDENT.- C'est cela la démocratie ! J'ai toujours entendu dire cela. C'était le cas en 1957 au moment du traité de Rome. Vous ne pouvez pas vous souvenir, vous, mais je me souviens bien, moi, des débats tragiques sur la Communauté européenne de défense. Cela a toujours été comme cela et toutes les familles politiques ont été divisées sur ces sujets. C'est encore la démocratie intérieure aux formations politiques qui s'applique. Il y a toujours une majorité et une minorité.
- Puisque vous parlez des affaires intérieures, je ferai une simple remarque : pendant tout le temps où j'étais responsable puisque vous me parlez des socialistes, du Parti socialiste, j'ai toujours eu des oppositions. On a l'air de les découvrir. On a l'air de découvrir qu'il y aurait des Socialistes qui ne penseraient pas comme moi, ce qui serait nouveau mais rassurez-vous c'est très ancien, c'est presque originel, c'est inhérent à la nature non pas seulement des Socialistes d'ailleurs mais de la démocratie. J'ai toujours eu des petites majorités. Il m'est arrivé même d'être à la tête d'une minorité simplement c'était la plus forte des minorités ! Si vous pouvez me signaler un secteur de la vie politique française où l'on en serait épargné, dites-le-moi et le seul conseil que je donnerais aux Socialistes, c'est de leur dire de regarder de ce côté.
- En démocratie, la loi de la majorité s'impose. Cette loi de la majorité depuis l'origine de la construction européenne s'est toujours exercée dans le sens d'une construction de plus en plus cohérente et d'une compétence de plus en plus étendue. On va continuer comme cela et on y arrivera.\
QUESTION.- Dans une interview, M. De Michelis dans "Le Monde" parlait de la nouvelle architecture de l'Europe. Il disait notamment que les trois piliers que nous édifions et dont nous allons renforcer l'architecture ce sont l'Alliance atlantique, le Conseil de l'Europe et la Communauté. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette façon de voir les choses et quel rôle l'UEO selon vous, devrait avoir dans cette nouvelle architecture ?
- LE PRESIDENT.- Comment voulez-vous que je ne sois pas d'accord sur une énumération ? L'UEO, il faut lui faire faire des progrès. L'un des débats importants de cette conférence intergouvernementale ce sera de déterminer la relation entre l'UEO et l'union politique. Il y a deux tendances : une qui tend à dire qu'il faudrait que les liens entre l'OTAN et l'UEO soient tels qu'il ne puisse pas y avoir dispersion des efforts ou contradiction. Ceux-là auraient tendance à nier l'existence d'une sécurité européenne ce qui ne veut pas dire exclusive mais européenne. Il y a ceux qui pensent qu'il faut une défense européenne en étroit accord assurément avec l'OTAN. C'est un débat qui est ouvert. La France a une position favorable au développement d'une défense européenne en tant que telle, en liaison, bien entendu, avec l'Alliance atlantique.\
QUESTION.- Sur le GATT, monsieur le Président, est-ce qu'il y avait d'autres pays favorables à ce que la France change sa ligne et à un nouveau mandat ?
- LE PRESIDENT.- Pour que la France change sa ligne.. Il y a des pays qui ont une approche différente, oui. Mais finalement la Communauté a été solidaire dans le dernier débat et pourquoi voulez-vous que ce soit la France qui change sa ligne ? Rassurez-vous, si je puis dire, je n'en ai pas l'intention.
- QUESTION.- Monsieur le Président, il semble qu'il y ait eu un débat sur la répartition des aides à l'Union soviétique entre ceux qui souhaitaient plutôt des dons et ceux qui souhaitaient plutôt des prêts. Quelle est votre position ? Etes-vous satisfait du texte adopté ?
- LE PRESIDENT.- Je suis satisfait du texte, de son contenu et je préfère les dons. C'est plus net. Les crédits, vous savez.. Mais enfin la sagesse, c'est de mélanger. D'ailleurs, il y a une part de crédits et il y a une part de dons dans la décision finale.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez annoncé qu'à la suite de l'octroi de l'aide à l'Union soviétique, la Communauté va aussi adopter un projet de traité à long terme, est-ce que vous pouvez en parler un tout petit peu ?
- LE PRESIDENT.- C'est un projet sur lequel la France insiste beaucoup. Elle n'est pas la seule. Pour l'instant, je ne peux rien vous dire de plus que, avant la fin 91, une décision devra être prise.
- QUESTION.- Monsieur le Président, il ne s'agit pas de l'Europe, mais c'est à nos portes et cela nous concerne directement, nous en tant que Français, ce sont les émeutes qui ont lieu hier au Maroc, est-ce que vous pourriez nous dire votre sentiment ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas à l'ordre du jour, et cela relève de la politique intérieure du Maroc.
- QUESTION.- Cette aide à l'Union soviétique, ne s'agit-il pas avant tout d'une aide politique et d'un signal politique à M. Gorbatchev ?
- LE PRESIDENT.- Vous ne vous trompez pas.\
- La réunion de Rome vient de se terminer. Comme vous le savez, elle a eu deux moments : d'abord les discussions classiques du Conseil européen, dont nous parlerons tout à l'heure, et l'ouverture des deux conférences intergouvernementales, l'une sur l'union économique et monétaire, l'autre sur l'union politique. L'objet essentiel du Conseil européen, était de préparer le passage aux conférences intergouvernementales. On a donc traité au fond des mêmes sujets. On a défini ce que sera l'ordre du jour de ces conférences. On n'a pas prétendu répondre en lieu et place des conférences. On n'a pas présupposé ni résolu les problèmes qui sont posés mais on a avancé sur les questions à poser et si possible à résoudre.
- Dans les débats qui ont eu lieu sur le texte des conclusions du Conseil européen, je relève essentiellement que, pour l'examen de l'union politique, il y aurait à renforcer ce que l'on appelle la légitimité démocratique, sous un angle d'attaque qui porte surtout sur le rôle et les missions du Parlement européen, sans oublier la méthode qu'il conviendra de définir pour associer les parlements nationaux - c'est une référence d'ailleurs à une idée française de congrès. Certains d'entre nous ont poussé plus loin l'examen de cette légitimité démocratique. Je reprends les termes consacrés, en estimant qu'il conviendrait d'élargir peut-être les compétences, tout au moins de les affirmer, du Conseil européen, ce qui ne veut pas dire que les autres institutions seraient pour autant négligées.
- Deuxième volet de nos discussions : la politique étrangère et de sécurité. Là, le centre unique de prises de décisions c'est le Conseil. On a donc discuté de l'extension progressive de la compétence de l'union en matière de sécurité et du rôle futur de l'union dans les questions touchant à la défense. C'est là que le champ est ouvert sur ce que feront les négociateurs qui se mettent à l'ouvrage dès le début de l'après-midi.
- Il a été également débattu de la citoyenneté européenne, des droits civiques qui seront reconnus aux citoyens, dans leur pays et dans les autres pays de la Communauté, des droits économiques et des droits sociaux, de la protection des citoyens hors des frontières. Il a été d'autre part discuté de nouveaux champs d'action de la Communauté : je noterai simplement au passage : les affaires intérieures, la justice. On a également tenté d'enfoncer le sillon dans des domaines déjà reconnus mais peu abordés, en particulier le domaine de la santé.
- D'autres questions ont été traitées : comment faire progresser l'application des mesures en vue de parvenir au marché intérieur unique, la libre circulation des personnes, la politique des transports, accélération demandée par nous et par d'autres de la dimension sociale, lutte contre la drogue, etc.. J'ajouterai que si les conférences intergouvernementales commencent leur travail cet après-midi, elles continueront de se réunir une fois pas mois au moins.\
Un débat particulier et assez approfondi a eu lieu à propos des relations de la Communauté avec l'Union soviétique. Des décisions ont été prises, une aide d'urgence de 750 millions d'écus, dont 250 sous formes de dons, une assistance technique, notamment dans le domaine de l'énergie, qui paraît prioritaire. Et la Commission a été invitée à travailler sur le projet de grand accord, cela s'appelle comme ça, avec l'Union soviétique.
- Du côté de l'Europe centrale et orientale, il a été décidé une contribution de la Communauté des Etats membres, dans le groupe des vingt-quatre à des actions de soutien financier, le déblocage de la deuxième tranche de prêts à la Hongrie et une perspective de soutien à la Tchécoslovaquie, une aide d'urgence de 100 millions d'écus à la Bulgarie et à la Roumanie désormais mêlées normalement sans distinction particulière au sort des relations entre les pays de l'Europe centrale et orientale et de la Communauté.
- Il a été question de politique méditerranéenne, de l'Amérique latine et à diverses occasions, notamment au cours du dîner d'hier soir entre chefs d'Etat et de gouvernement, on est revenu sur la négociation du GATT. Chacun affirmant la volonté d'aboutir, c'est-à-dire de réussir mais cela ne dépend pas que de la Communauté, cela dépend aussi de ce que feront ses partenaires américains et les pays non engagés. Il faut que les volontés soient égales et les concessions comparables. D'autre part, si l'on veut des concessions équilibrées, l'approche doit être globale. On parle toujours de l'agriculture, il n'y a pas que l'agriculture. Enfin, le mandat n'a pas été changé, le mandat sur lequel la Communauté s'est précédemment prononcée.
- Des textes politiques ont été adoptés sur le Proche-Orient, sur l'Afrique du Sud, sur le conflit du Golfe, j'ai dit sur le Proche-Orient, c'est un peu une tautologie, enfin sur le Liban particulièrement.\
QUESTION.- Sur l'union politique le sentiment est que le mandat, il ne faut peut-être pas prononcer le mot, mais en tout cas le cadrage n'est pas tout à fait clair. D'une façon plus générale, est-ce que la façon dont vous envisagez cette union politique respecte complètement l'équilibre institutionnel de la Communauté entre ces trois instances, Conseil, Commission, Parlement ?
- LE PRESIDENT.- Je suis hors d'état de répondre à cette question sans me lancer dans un cours de droit. Vos questions sont trop entremêlées. Vous avez l'impression qu'il n'y a pas un bon cadre. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Considérons que c'est au mois d'octobre 1990 qu'auront été surmontés les derniers obstacles éventuels à une réunion des deux conférences inter-gouvernementales, que ces deux conférences se réunissent aujourd'hui même, 15 décembre, et que c'est quand même le résultat de plusieurs années de travail dont vous avez suivi les évolutions et les difficultés. C'est déjà un cadrage extrêmement précis puisqu'il s'agissait de s'entendre sur les questions qu'auraient à traiter ces conférences inter-gouvernementales. Quand vous lirez le texte, vous verrez que c'est un travail énorme. Qu'est-ce qui n'a pas été traité ? Vous pourriez dire : "cela n'a pas été tranché". Chaque fois que nous abordions un sujet délicat nous nous rappelions que nous n'étions pas là pour trancher à la place des conférences inter-gouvernementales, elles sont faites pour cela. Elles disposent d'une procédure particulière qui précisément permettra des évolutions du traité de Rome. Quant aux réponses qu'elles apporteront, même si on en connait déjà beaucoup, si on peut les pressentir, on voit bien comment les majorités, même très fortes, se dégagent, même si on ne peut pas les tenir pour acquises, le travail commence. Voilà ce que je peux vous répondre parce que sur la notion de cadrage alors moi je ne sais pas où me mettre par rapport au carré, au rectangle, je ne sais pas du tout, on est dedans, on est dehors tous, précisez je vous en prie...\
QUESTION.- Le texte que nous avons vu donne le droit de décision unique, je crois, au Conseil européen. C'est une décision qui peut en réjouir certains dont le chancelier Kohl et vous-même puisque vous l'avez proposée et qui en attriste d'autres qui disent : "les petits pays vont être un petit peu oubliés, cela n'est pas assez supra-national". Est-ce que vous pouvez nous préciser la philosophie de ce projet ?
- LE PRESIDENT.- C'est très supra-national. La réunion de douze chefs de délégation, qui tous sont des élus de leur peuple, issus de leur suffrage universel qui les a désignés, c'est difficile de faire mieux, il n'y a pas d'autre méthode dans une démocratie.
- Donc ils ont des capacités de s'adresser à leur peuple, d'être approuvés ou désavoués par ce peuple sur les décisions majeures qui nous attendent. Telle est en tout cas ma pensée, celle de quelques autres, et j'insiste sur ce point, en politique, en matière de sécurité particulièrement, le centre unique vous ai-je dit, de décision, c'est le Conseil. Pour les éventuels ou futurs transferts de souveraineté. On ne peut pas agir autrement. Donc je ne voudrais pas que s'amorce une sorte de rivalité entre la Commission et le Conseil. La Commission rend d'immenses services. Elle est d'une très forte compétence. Mais il n'empêche que lorsqu'il s'agira de s'adresser aux hommes et aux femmes de l'Europe, pour leur demander les choix terminaux qui les feront entrer dans une nouvelle époque de leur propre histoire, ce sont les représentants de ces pays qui pourront s'engager, des représentants directs. Voilà ma réponse, mais là je réponds en mon nom, c'est un sujet qui est soumis à examen. Mais je serais très étonné que la France modifie sa position sur ce point.\
QUESTION.- Avec cette union politique, monsieur le Président, cette union politique au moins telle qu'elle commence à se dessiner, est-ce que la Communauté vous paraît mieux préparée ou mieux armée pour accueillir dans quelques années, après 93, certains pays dont on sait déjà qu'ils vont être candidats, que ce soit des pays anciens satellites ou des pays de l'AELE.
- LE PRESIDENT.- On ne peut pas dire que la Communauté, de toute éternité, devait s'arrêter à douze. C'est une vue purement pratique des choses qui fait que nous sommes douze aujourd'hui : l'état de l'Europe antérieure, le choix de chaque pays, les Douze sont là parce qu'ils l'ont bien voulu. Il y en a d'abord eu six, ensuite d'autres ont demandé à s'adjoindre et maintenant nous sommes douze. Donc il arrivera un jour où nous serons plus nombreux mais il faut faire très attention au rythme de la démarche car ceux d'entre vous qui ont suivi les débats européens depuis l'origine savent qu'il y avait une discussion de fond au point de départ, communauté européenne, règles contraignantes et strictes, traité de Rome d'une part et d'autre part, zone indéterminée de libre-échange, zone universelle du libre-échange. La tendance vers la zone universelle de libre-échange avait tendance à bousculer un peu les étapes, non pas dans le sens du renforcement de la Communauté, mais dans un sens de sa dilution dans un plus vaste ensemble, donc l'adhésion, toute adhésion nouvelle était bonne à prendre. Il faut préserver la Communauté qui n'est pas n'importe quoi, qui obéit à certaines règles, qui dépend de certains principes qui n'ont pas changé et en même temps, il faut être accueillant à d'autres pays. C'est une question d'allure, de rythme. Beaucoup de problèmes sont encore en instance au sein des Douze, on voit bien qu'il est difficile de mêler à cette discussion des pays qui n'y sont pas préparés, dont l'économie est très en retard, qui n'ont pas cette culture-là. Pourtant il faudra bien qu'ils viennent, en tout cas ceux qui le voudront, mais quand on le pourra.
- Il y a la demande de l'Autriche, celle de la Turquie, celle de Malte. La Suède vient de prendre au sein de son parlement certaines dispositions et vous savez l'aspiration de plusieurs pays de l'ancienne Europe, dite de l'Est à nous rejoindre. Alors comme on ne pourra pas répondre d'un coup à tout le monde, il faudra bien trouver un système qui donne à l'Europe un contenu. C'est une des raisons pour laquelle j'ai lancé l'idée, il y a un an, d'une confédération pour qu'il y ait aussi entre tous les pays de l'Europe, un lien structurel moins contraignant, moins contraignant mais réel, avec des structures permanentes. D'autres réponses peuvent être apportées à cette question.
- Donc, après 93, on peut en effet s'attendre à quelques adhésions, je ne sais pas dans quel ordre, et je ne pense pas que d'ici la fin du siècle ce soit très rapide et que les adhésions soient très nombreuses. La Communauté ne peut pas se perdre en elle-même. Mais elle doit en même temps être ouverte à l'Europe puisqu'elle s'appelle comme cela, Communauté européenne.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle est la position de l'Europe vis-à-vis de la querelle de sourds entre l'Amérique et l'Irak ?
- LE PRESIDENT.- La position de l'Europe est développée dans un texte très clair. Tous les participants du Conseil européen de Rome estiment qu'il faut que soient appliquées les résolutions du Conseil de sécurité. C'est la condition de base.
- Bien entendu ne parlons pas pour l'instant des otages, c'est une question non pas indépendante mais différente. Nous demandons l'évacuation du Koweit par les forces militaires de l'Irak. Les Douze sont tous favorables à la défense du droit , au développement du rôle du Conseil de sécurité et donc demandent à l'Irak à son Président d'en tenir compte.
- A partir du moment ou s'engagent les jeux diplomatiques sur : faut-il se voir ? Quand se voit-on ? Si l'on n'y parvient pas, cela veut dire que l'on ne voulait pas se voir, il valait mieux le dire au point de départ. Il y a là une indication assez importante, intéressante sur les volontés profondes des uns et des autres mais si vous voulez bien que j'exprime une opinion personnelle, je trouve très dommageable pour la paix la position prise par l'Irak de reporter à une date extrême le 12 janvier, le 12 janvier pour le 15, un échange de vues qui pourrait être profitable. Je crois que l'on a intérêt à parler mais on ne peut pas parler pour renoncer, les choses sont claires. Que va-t-on faire si rien ne bouge ? On arrivera au 15 janvier et je n'arrive pas à croire que l'Irak n'envisage pas avec sérieux le sort dans lequel il se jette, en compromettant bien entendu aussi la région du monde dans laquelle il se trouve, et par ébranlements successifs, une grande partie de la planète.
- Mais voilà, la paix suppose le respect du droit. Je le répète ici comme je l'ai déjà souvent dit. On ne peut pas transiger là-dessus, aussi fort que soit le désir de préserver la paix. C'est d'ailleurs en étant ferme sur ces points-là que l'on préserve la paix si la chance existe encore, il faut l'espérer.\
QUESTION.- Monsieur le Président qu'est-ce qui pourrait faire capoter la marche vers l'union politique ? Quels sont les risques de résurgences des réticences internes aux nations ?
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas qu'elle puisse capoter. Bien entendu votre question exige une analyse très précise. Si l'on demande le moins - champ d'action le plus réduit pour cette union politique - elle ne capotera sûrement pas. Le point où nous sommes arrivés, est déjà très prometteur, parce que cela signifiera de toute façon un changement de nature de la Communauté, cela est acquis. Si on veut étendre le champ sur lequel jouera pleinement cette union politique, là je n'en sais rien. Il y a les plus et il y a les moins. Est-ce que des points, non pas de procédure mais d'équilibre des institutions, peuvent intervenir au point de compromettre l'accord ? Il me semble que le bon sens prévaudra. Il y aura des discussions sérieuses sur le rôle respectif des institutions différentes : Conseil, Commission, Parlement etc.. Voilà, on a donc le droit d'être optimiste au point où l'on en est quand on considère à quel point les choses se sont accélérées.\
QUESTION.- Monsieur le Président, si les Américains et les Irakiens ne parvenaient pas à se voir est-ce que les Européens peuvent aller voir les Irakiens pour leur faire comprendre que vous les Européens vous êtes sérieux ?
- LE PRESIDENT.- Le problème est le même, cela ne veut pas dire que les Européens doivent faire ce que font les américains, ou ne pas faire ce qu'ils ne font pas, mais l'objectif est le même. A partir de là, il vaut mieux éviter les disparités ou les contradictions dans la démarche. C'est un souci normal d'efficacité que d'offrir un front uni à qui pourrait encore avoir dans l'esprit une possibilité d'en sortir autrement. Bien entendu, aucun contact n'est interdit et il est admis que la Communauté et tous les pays mêlés à cette affaire ont bien le droit de prendre des initiatives. En pratique, il faut prendre garde à éviter la dispersion.\
QUESTION.- Vous avez rencontré pour la première fois M. John Major en tant que Premier ministre britannique, est-ce qu'il vous a laissé entendre des modifications de fond sur la position britannique à l'égard de la construction de l'Europe malgré les positions qu'il a exprimées publiquement au cours du Conseil ?
- LE PRESIDENT.- Je ne préjuge pas ce genre de chose, il a dit lui-même "changement de personne, pas de changement de politique". L'expérience m'a appris que quand les personnes changeaient la politique changeait parfois, mais pas toujours, alors cela reste une inconnue.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je vois dans le projet de conclusions, un point qui concerne l'extension et le renforcement de l'action de la Communauté et qui signale qu'il y a lieu d'examiner comment les activités actuellement poursuivies dans un cadre inter-gouvernemental pourraient être transférées dans le champ d'application du traité sur l'union, en particulier certains domaines clés tels que les affaires intérieures, la justice et plus particulièrement l'immigration. Est-ce que cela signifie que le groupe de Trévi, par exemple, ou tout ce qui à l'heure actuelle manque de contrôle démocratique (le parlement européen s'en est plaint assez souvent) serait intégré dans le futur traité de l'union ? Deuxièmement, êtes-vous satisfait du texte sur le Liban ?
- LE PRESIDENT.- Oui, sur le Liban il me convient. Oui, puisqu'il réaffirme le principe sur lequel nous nous battons depuis le premier jour, de la souveraineté, de l'indépendance, et de l'intégrité. Oui, il me convient tout à fait.
- Le groupe de Trévi a été l'un des lieux - ce n'est pas le seul d'ailleurs - où l'on discute de sécurité, il faudra bien que tout cela se réunisse dans un seul ensemble.
- Il y a aussi les négociations dites de Schengen, tout cela pose d'énormes problèmes. Jusqu'ici on s'était habitué à penser à l'immigration venue de l'Afrique du Nord, de l'Afrique noire, ou bien de l'immédiate proximité inter-européenne, yougoslave, turque. Aujourd'hui il y a une forte pression des demandes d'immigration venant des pays de l'Est et du centre de l'Europe. A la fois il est nécessaire d'être accueillant et en même temps, cela doit rester supportable pour les économies de chacun de nos pays. C'est à l'étude, mais c'est indiscutablement un des problèmes du moment. Dans le champ des compétences nouvelles, il faut prévoir d'inscrire ce problème.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous avez évoqué avec le Chancelier Kohl, la politique monétaire qui est conduite actuellement par l'Allemagne et qui est jugée pénalisante pour les autres partenaires compte tenu des taux d'intérêt qui sont pratiqués.
- LE PRESIDENT.- Non, nous avons évoqué très rapidement ce matin, les sujets propres aux débats actuels de Rome sur le Conseil européen et sur les conférences intergouvernementales. Nous avons juste fait allusion à des problèmes qui certes sont communautaires, mais plus particulièrement franco-allemands. Nous avons d'ailleurs pris rendez-vous pour bientôt.\
QUESTION.- Monsieur le Président, n'êtes-vous pas un peu déçu par le fait que les Italiens n'aient pas rempli le mandat qu'on leur avait donné à Dublin, je fait allusion à la question des sièges ?
- LE PRESIDENT.- Ce silence prudent montre bien qu'il y a irréductibilité pour l'instant entre les partenaires. Nous ne voulons pas monter sur nos grands chevaux. Cela nous donne tout simplement le désagrément de répondre : "bien, si vous estimez qu'il faut attendre plusieurs années pour fixer tous les sièges, prenez ce risque", on ne peut pas se contenter de fixer un siège là et de ne pas parler du reste. Si bien que tout est suspendu.
- Deuxièmement, si on met en question Strasbourg, pourquoi ne pas mettre en question Bruxelles ? Je veux dire par là : ou bien on met tout en question, ce qui n'est pas absurde, pourquoi est-ce qu'on ne déterminerait pas une capitale, une capitale implantée quelque part, en cherchant d'autres lieux historiques et comme cela s'est fait dans beaucoup de pays modernes, pourquoi pas, on peut tout imaginer ! Ce qui est sûr c'est que la France défendra la position de Strasbourg. Nous ne prétendons pas qu'il s'agisse de la capitale de l'Europe, cette erreur est commise par beaucoup de ceux qui discutent de ces choses. Il s'agit de sièges appartenant ou relevant d'une Europe pluraliste, et avec un polycentrisme, selon la nature des institutions. C'est déjà le cas entre plusieurs de nos pays, ce sera le cas plus encore avec la multiplication des compétences. Alors ou bien on décide cela, ce n'est pas un éclatement car l'Europe est encore assez petite géographiquement, ou bien on décide qu'il n'y aura plus d'éclatement, plus de polycentrisme, à ce moment-là on décide un centre unique. Ce ne sera peut-être pas Strasbourg mais ce ne sera sûrement pas Bruxelles. Il vaudrait mieux en finir avec cela, la position de la France est inchangée.\
QUESTION.- Il y a au sein de la famille socialiste en France un certain nombre de gens qui trouvent que l'union politique, l'union économique et monétaire sont des projets qui vont trop loin et qui les chagrinent. J'aimerais savoir, monsieur le Président, ce qu'au moment où ces deux conférences inter-gouvernementales commencent vous avez envie de leur dire pour les convaincre ?
- LE PRESIDENT.- C'est cela la démocratie ! J'ai toujours entendu dire cela. C'était le cas en 1957 au moment du traité de Rome. Vous ne pouvez pas vous souvenir, vous, mais je me souviens bien, moi, des débats tragiques sur la Communauté européenne de défense. Cela a toujours été comme cela et toutes les familles politiques ont été divisées sur ces sujets. C'est encore la démocratie intérieure aux formations politiques qui s'applique. Il y a toujours une majorité et une minorité.
- Puisque vous parlez des affaires intérieures, je ferai une simple remarque : pendant tout le temps où j'étais responsable puisque vous me parlez des socialistes, du Parti socialiste, j'ai toujours eu des oppositions. On a l'air de les découvrir. On a l'air de découvrir qu'il y aurait des Socialistes qui ne penseraient pas comme moi, ce qui serait nouveau mais rassurez-vous c'est très ancien, c'est presque originel, c'est inhérent à la nature non pas seulement des Socialistes d'ailleurs mais de la démocratie. J'ai toujours eu des petites majorités. Il m'est arrivé même d'être à la tête d'une minorité simplement c'était la plus forte des minorités ! Si vous pouvez me signaler un secteur de la vie politique française où l'on en serait épargné, dites-le-moi et le seul conseil que je donnerais aux Socialistes, c'est de leur dire de regarder de ce côté.
- En démocratie, la loi de la majorité s'impose. Cette loi de la majorité depuis l'origine de la construction européenne s'est toujours exercée dans le sens d'une construction de plus en plus cohérente et d'une compétence de plus en plus étendue. On va continuer comme cela et on y arrivera.\
QUESTION.- Dans une interview, M. De Michelis dans "Le Monde" parlait de la nouvelle architecture de l'Europe. Il disait notamment que les trois piliers que nous édifions et dont nous allons renforcer l'architecture ce sont l'Alliance atlantique, le Conseil de l'Europe et la Communauté. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette façon de voir les choses et quel rôle l'UEO selon vous, devrait avoir dans cette nouvelle architecture ?
- LE PRESIDENT.- Comment voulez-vous que je ne sois pas d'accord sur une énumération ? L'UEO, il faut lui faire faire des progrès. L'un des débats importants de cette conférence intergouvernementale ce sera de déterminer la relation entre l'UEO et l'union politique. Il y a deux tendances : une qui tend à dire qu'il faudrait que les liens entre l'OTAN et l'UEO soient tels qu'il ne puisse pas y avoir dispersion des efforts ou contradiction. Ceux-là auraient tendance à nier l'existence d'une sécurité européenne ce qui ne veut pas dire exclusive mais européenne. Il y a ceux qui pensent qu'il faut une défense européenne en étroit accord assurément avec l'OTAN. C'est un débat qui est ouvert. La France a une position favorable au développement d'une défense européenne en tant que telle, en liaison, bien entendu, avec l'Alliance atlantique.\
QUESTION.- Sur le GATT, monsieur le Président, est-ce qu'il y avait d'autres pays favorables à ce que la France change sa ligne et à un nouveau mandat ?
- LE PRESIDENT.- Pour que la France change sa ligne.. Il y a des pays qui ont une approche différente, oui. Mais finalement la Communauté a été solidaire dans le dernier débat et pourquoi voulez-vous que ce soit la France qui change sa ligne ? Rassurez-vous, si je puis dire, je n'en ai pas l'intention.
- QUESTION.- Monsieur le Président, il semble qu'il y ait eu un débat sur la répartition des aides à l'Union soviétique entre ceux qui souhaitaient plutôt des dons et ceux qui souhaitaient plutôt des prêts. Quelle est votre position ? Etes-vous satisfait du texte adopté ?
- LE PRESIDENT.- Je suis satisfait du texte, de son contenu et je préfère les dons. C'est plus net. Les crédits, vous savez.. Mais enfin la sagesse, c'est de mélanger. D'ailleurs, il y a une part de crédits et il y a une part de dons dans la décision finale.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez annoncé qu'à la suite de l'octroi de l'aide à l'Union soviétique, la Communauté va aussi adopter un projet de traité à long terme, est-ce que vous pouvez en parler un tout petit peu ?
- LE PRESIDENT.- C'est un projet sur lequel la France insiste beaucoup. Elle n'est pas la seule. Pour l'instant, je ne peux rien vous dire de plus que, avant la fin 91, une décision devra être prise.
- QUESTION.- Monsieur le Président, il ne s'agit pas de l'Europe, mais c'est à nos portes et cela nous concerne directement, nous en tant que Français, ce sont les émeutes qui ont lieu hier au Maroc, est-ce que vous pourriez nous dire votre sentiment ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas à l'ordre du jour, et cela relève de la politique intérieure du Maroc.
- QUESTION.- Cette aide à l'Union soviétique, ne s'agit-il pas avant tout d'une aide politique et d'un signal politique à M. Gorbatchev ?
- LE PRESIDENT.- Vous ne vous trompez pas.\