26 juin 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du Conseil européen, notamment sur la convocation de la conférence intergouvernementale, l'aide à l'Union soviétique, l'union politique et le siège du Parlement européen, Dublin, le 26 juin 1990.

Mesdames,
- Messieurs,
- Le Sommet européen de Dublin s'est donc achevé à l'instant. Vous connaissez les points importants des débats. Je les résume, convocation de la conférence intergouvernementale devant mettre sur pied l'union économique et monétaire £ cette conférence se réunira les 14 et 15 décembre £ de même pour la conférence intergouvernementale sur l'union politique.
- Donc l'union économique et monétaire et l'union politique se réuniront à la même époque. Elles ont pour objet de déboucher à la date du 1er janvier 1993 qui apparaît a priori comme celle qui convient. Les ministres des affaires étrangères mèneront les travaux préparatoires.
- Depuis longtemps, il était question de ces réunions de conférences intergouvernementales. Elles ont été pleinement validées dès hier, dès la première séance.
- Qu'est-ce que je pourrais noter en plus ? Il y a eu débat sur la nature de l'aide à l'Union soviétique et aux pays anciennement communistes de l'Europe centrale et de l'Europe orientale. Cette aide a été proposée en particulier par le Chancelier Kohl et par moi-même, vous le savez, lors d'une démarche récente. Elle a fait l'objet de l'essentiel des discussions d'hier soir - dîner et après dîner -. Elle s'est terminée par une position majoritaire, fortement majoritaire, qui a été transcrite par la présidence irlandaise dans un texte sur lequel on reviendra, sans doute, dans un instant.
- Autre point, la réunion de la CSCE au mois de novembre et la mise sur pied de la coordination entre les Douze. Débat sur la drogue, sur l'environnement, sur le Proche-Orient, etc, et, ritournelle connue, le débat sur les sièges. Il a été décidé que M. Andreotti, prochain Président du Conseil européen devrait faire un rapport pour conclusion au mois d'octobre prochain.
- Voilà, maintenant, c'est à vous de poser des questions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, en ce qui concerne l'aide à l'URSS, il semble que deux positions se soient opposées, la vôtre et celle du Chancelier Kohl, selon laquelle il faut prêter de l'argent pour que M. Gorbatchev puisse mener ses réformes, et celle de Mme Thatcher qui dit à l'inverse qu'il faut que M. Gorbatchev commence par faire des réformes pour qu'on puisse lui prêter de l'argent. Alors laquelle des deux conceptions l'a emporté finalement ?
- LE PRESIDENT.- D'une façon très largement majoritaire, la proposition du Chancelier Kohl et de moi-même. Beaucoup d'autres délégations étaient d'accord avec nous. La proposition a donc reçu le soutien sans discussion particulière de la plupart des délégations : italienne, néerlandaise... Cela aboutit à une proposition du Président Haughey qui reflète très fidèlement la discussion et la décision d'hier soir. Je vous la lis : "Le Conseil européen a demandé à la Commission de consulter le gouvernement de l'Union soviétique afin d'élaborer d'urgence des propositions portant sur les crédits à court terme et le soutien à apporter à plus long terme aux réformes structurelles. La Commission examinera la proposition du gouvernement néerlandais visant à créer un réseau européen de l'énergie". Il a été ajouté en cours de séance, ce matin, mais c'était déjà dans l'esprit de ceux qui ont débattu hier soir, que la Commission réunirait des experts de haut niveau : de la Banque Européenne d'Investissement, du Fonds Monétaire International, le Président de la Banque pour le développement - La Berd -, etc... Il a été conclu que les propositions ainsi établies par la Commission seront soumises en "temps voulu" au Conseil européen, vraisemblablement la fois prochaine, sans quoi cela n'aurait pas de sens.
- Donc, il y a eu débat, débat très long puisque la Grande-Bretagne se trouvait un peu isolée dans sa proposition, je ne dirais pas de refus, mais qui éludait le problème. On pouvait compter sur le Premier ministre britannique pour que les débats durent un certain temps et pour que les décisions prises soient constamment reprises.
- Mais le texte de la Présidence est resté ce qu'il était hier soir avec la simple adjonction de la référence aux experts. Les propositions de la Commission seront soumises en temps voulu au Conseil européen, je répète, en temps voulu veut dire octobre.
- QUESTION.- Ce qui laisse la possibilité à Mme Thatcher en octobre prochain de faire encore un peu durer les choses ?
- LE PRESIDENT.- Non, elle peut estimer que les propositions sont inacceptables. Mais cela c'est le jeu normal. La décision est prise en tout cas de demander à la Commission d'étudier et de chiffrer l'aide à apporter à l'Union soviétique et à d'autres pays. On a parlé de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne. En somme ce qui n'est pas décidé c'est le chiffre, le montant exact. Bien entendu si la Commission nous proposait quelque chose d'inacceptable cela ne serait pas accepté. Ce n'est pas à mon avis la prévision à faire.
- QUESTION.- Le principe de prêter quelque chose est définitivement acquis ?
- LE PRESIDENT.- Oui et si cela n'avait pas été si difficile, le débat aurait duré moins longtemps.\
QUESTION.- Monsieur le Président, estimez-vous que cela permet aux douze de parler d'une seule voix, lorsque le même sujet sera abordé à Houston dans quelques jours, aux douze pays européens qui sont là ?
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas l'affirmer. Je peux dire que trois des quatre membres de la Communauté qui seront présents à Houston, l'Allemagne fédérale, l'Italie et la France se sont prononcés avec fermeté dans ce sens. Ils ont obtenu une large majorité car personne d'autre n'a voté la proposition britannique. Comme la Grande-Bretagne se trouve là peut-être dans un dernier sursaut d'énergie qui ne sera sans doute que l'avant dernier et encore, ce débat pourra reprendre mais nos décisions sont prises.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous n'êtes pas un petit peu déçu qu'il faille attendre, vous n'auriez pas eu envie de donner un signal concret à l'Union soviétique puisque de toute façon les besoins sont tels.
- LE PRESIDENT.- Le signal concret est donné et je n'ai aucune raison d'être déçu car à aucun moment je n'ai songé à demander au Conseil européen de se prononcer sur un chiffre. Nous voulons que cette aide soit donnée, nous avons estimé avec le Chancelier Kohl que cette aide serait utile si elle était accordée avant la fin de l'année, de préférence en octobre. Cela aurait été très imprudent et jamais je n'aurais songé de demander au Conseil européen de se prononcer les yeux fermés. Une aide oui, mais laquelle ? Combien ? Comment ? Le rôle normal de la Commission est de nous faire ses propositions. Je serais déçu si au mois de décembre vous pouviez me reposer la même question mais je ne le crois pas.
- QUESTION.- Est-ce que l'aide serait éventuellement liée aux nouvelles propositions qui ont été faites par M. Lubbers concernant l'énergie ?
- LE PRESIDENT.- Je ne le pense pas. Mais tout cela est complémentaire et c'est une idée très riche d'avenir que celle du gouvernement néerlandais.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous disiez tout à l'heure que le sommet de la CSCE se réunirait en novembre à Paris, est-ce que le mois de novembre est maintenant définitivement acquis ? LE PRESIDENT.- Il n'y a pas eu de débat contradictoire là-dessus.
- QUESTION.- Dans quelle mesure les débats ont porté sur le lien entre cette aide et les obstacles que mettent les Soviétiques sur l'unité allemande. Est-ce que le lien a été fait au cours des discussions d'hier soir ?
- LE PRESIDENT.- Un membre du Conseil européen a établi ce lien, mais cela n'a pas été suivi.
- QUESTION.- Que pouvez-vous nous dire sur le débat sur les sièges. On avait un peu l'impression que vous êtes venu avec l'espoir d'une décision concrète sur Strasbourg.
- LE PRESIDENT.- Vous savez, j'ai l'expérience des sommets européens, je vois comment les choses mûrissent. Il me semble mais je ne voudrais pas prononcer une phrase imprudente, que nous arrivons au terme et que le mandat donné à M. Andreotti dont on connait les immenses réserves de diplomatie devrait permettre d'en finir au mois d'octobre puisque c'est l'échéance qui lui a été demandée. D'autant plus qu'il y a vraiment une grande presse de la part de beaucoup de délégations d'obtenir que le siège de ceci ou de cela leur soit attribué : l'environnement, les marques, la banque, la liste est longue.
- Or, et c'est tout à fait normal vous le comprendrez bien, la France n'entend pas accepter que soit fixé le siège de nouvelles organisations ou de nouveaux organismes alors que l'on remettrait en cause des sièges déjà attribués depuis trente-deux ans. Comme tout est lié, beaucoup de délégations commencent à souffrir d'impatience, ce qui devrait être de bon conseil.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que l'on peut se demander si Mme Thatcher n'a pas accepté la convocation de cette conférence, parce que finalement, elle ne croit pas à la faisabilité de l'union politique. Est-ce que vous pensez qu'il y a un risque d'un ravaudage de l'acte unique et que l'on n'aille pas tellement plus loin ?
- LE PRESIDENT.- Je ne saurais pas préjuger ce qui sortira des débats. C'est la Conférence intergouvernementale qui tranchera ce problème-là. Il nous appartenait de convoquer la Conférence intergouvernementale, et l'ayant convoquée pour les 14 et 15 décembre, bien entendu, on a glosé, chacun a dit, ou laissé entendre de quelle façon il voyait ensuite les décisions se prendre. Mais elles ne seront prises que par la Conférence intergouvernementale qui seule, a qualité pour cela. Vous savez que normalement cela doit aboutir à un nouveau traité.
- C'est la Conférence intergouvernementale selon une procédure spéciale qui échappe aux règles normales du Traité de Rome qui peut déterminer ce que serait le nouveau Traité. Difficile de préjuger £ mais enfin on peut quand même faire des suppositions. Il est vraisemblable que le débat reprendra de plus belle, mais il devrait être tranché à la majorité. Quelle sera cette majorité ? Laissez le temps venir. Lorsque nous avons proposé cette union politique, il y a déjà assez longtemps, elle avait accumulé les réserves de beaucoup de délégations. Et puis lorsque cela a été précisé par une lettre commune du Chancelier Kohl et de moi-même, à ce moment encore certaines résistances se sont affirmées. Et puis aujourd'hui, ou plutôt hier, la décision a été très facilement emportée pour les 14 et 15 décembre. On aurait pu s'attendre à un combat plus âpre. Au sein de la Conférence intergouvernementale il est vraisemblable que seront reprises les discussions d'origine.\
QUESTION.- Comment vous-mêmes vous définiriez les bons contours de cette future union politique ?
- LE PRESIDENT.- Vous me faîtes sortir de mon rôle. Lorsque je serai présent à la Conférence intergouvernementale, je dirai bien entendu ce que je pense et ce que je souhaite. Mais, je vois très bien où vous voulez m'engager, c'est normal de votre part.
- L'union politique part d'une constatation : c'est qu'en fait, depuis plusieurs années, et à mesure que les années passent, nous abordons tous les problèmes de politique intérieure de façon de plus en plus précise, concrète. Au point de départ, il y a quelques années, la Communauté s'exprimait avec une très grande prudence et abordait certains sujets lointains, sur l'Afrique du Sud par exemple, sur l'Afghanistan, c'était facile. Sur le Proche-Orient c'était déjà un peu compliqué, sur l'Irak et l'Iran, c'était plus facile. On ne parlait pas de l'Amérique centrale, sauf des tentatives qui venaient de moi, mais qui n'éveillait pas beaucoup d'échos.
- Et puis à mesure que le temps a passé, on s'est habitué à parler de choses qui se rapprochaient de nous. Au point que, l'année dernière, à deux reprises, au mois de décembre, on a parlé de l'unification de l'Allemagne. On a parlé des frontières, on a rappelé les traités de base et on en a discuté. Et je dois dire qu'au cours des années précédentes, une sorte de convention voulait que l'on laissât à d'autres assemblées le soin de discuter des problèmes qui touchaient de près l'Europe, ce qui n'est pas normal. La Communauté par exemple n'a jamais discuté des problèmes de sécurité européenne, il est vrai que ce n'est pas dans son mandat. Elle sort de son mandat lorsqu'elle en discute, car elle est une Communauté économique européenne. Mais en fait, maintenant on en discute. On commence d'en discuter, il y a eu des discussions, hier à ce sujet, alors qu'une réunion de l'OTAN est annoncée, comme vous savez, pour la semaine prochaine.\
En fait sur les problèmes qui concernaient l'Europe, la Communauté marquait une extrême timidité. C'était trop délicat, cela nous touchait de trop près et les contradictions nationales étaient trop évidentes. On a franchi ce pas £ on l'a franchi insensiblement, je le répète, à travers les années et cette fois-ci, maintenant c'est catégorique. La façon dont on vient de débattre avec un certain acharnement, hier soir et ce matin, de l'aide à l'Union soviétique est typique £ jamais la Communauté ne se serait hasardée à cela, il y a quelque temps. Donc, en fait, l'union politique considérée comme devant aboutir à un vote majoritaire ou à des discussions même sans vote, c'est-à-dire une délibération où l'on voit bien que tout le monde n'est pas d'accord, mais où se dessine le courant principal, cela devient une pratique habituelle.
- Alors pourquoi ne pas formaliser, généraliser et rendre constante une attitude qui reste encore transitoire ou apparemment provisoire, comme si c'était une sorte de manquement à nos règles ? Nous sommes en pleine évolution. La décision prise hier, et confirmée ce matin par l'adoption des résolutions vient de faire entrer la Communauté européenne dans une nouvelle phase de son existence. Mais ce n'est pas l'Assemblée des chefs d'Etats ou de gouvernements qui peut faire ces réformes. C'est la Conférence intergouvernementale, si l'on veut rester fidèle au Traité de Rome.
- Donc, je crois que, vraiment, désormais on devrait pourvoir dessiner les contours de cette union politique. Mais cette union politique part du concret, de la réalité qui s'est instaurée à mesure. Au fond, c'est très sage. Nous proposons à Mme Thatcher une procédure anglo-saxonne, qu'elle récuserait.
- En avançant avec bon sens, en évitant de trop cristalliser dans des textes ce qui était devenu une pratique. Mais l'heure arrive, il faut que les lois soient écrites. Sortons du droit coutumier qui jusqu'alors a été excellent et entrons dans la zone du droit romain.\
Comment se diriger ? Alors là vous demandez la position de la France, c'est différent. Nous sommes un parmi douze.
- La position de la France est bien entendu favorable à cette union politique. D'abord pour une raison qui vous paraîtra aller d'elle-même. Nous avons déjà réalisé une série de transferts de souveraineté, depuis le Marché commun agricole. Nous l'acceptons. D'autant plus que nous sommes favorables à l'Union économique et monétaire. Il n'y a même plus de discussions là-dessus, il y en a eu beaucoup, rappelez-vous à Hanovre. Et il y aurait toutes ces unions, il y aurait toutes ces politiques communes, sans qu'il y ait une aspiration politique commune ! Cela devient vraiment très incommode et très illogique ! La multiplication des unions, des décisions communes, doit impliquer un pouvoir politique. Il doit y avoir quelque part une expression politique qui explique et justifie toute une série d'engagements qui sans elle risqueraient d'être très anarchiques et de ne correspondre à rien. D'être contradictoires, de n'aboutir à rien, sinon au désordre. Cette Europe qui se dessine, pour l'instant c'est une Europe à Douze, il faut qu'elle puisse disposer d'une unité de vue politique, dans les domaines où c'est raisonnable. D'abord dans le domaine de la politique extérieure, et, ensuite de la sécurité. Il nous faudra devantage demain accentuer notre effort dans le domaine de la politique extérieure et commencer notre effort dans le domaine de la sécurité. Quand on sera munis de cela, c'est l'objet toujours de la conférence intergouvernementale, on aura déjà un soubassement, un terreau qui permettra de développer l'Europe.\
Alors on peut débattre maintenant de la finalité. Où veut-on aller ? Je pense que tout ce qu'on a fait perdrait son sens si ce n'était pas pour arriver à quelque chose de suffisamment cohérent. Si l'on tient compte des réalités de nos peuples, de leurs traditions, de leurs différences, de leurs intérêts, de leurs institutions, je pense qu'aller vers un système à finalité fédérale, cela permet à la fois de bâtir l'Europe politique, et à la fois d'assurer à chacun des pays qui prennent part à cette union, la perpétuation de leur tempérament, de leur caractère, de leurs coutumes, de leurs lois. Ils ne se fondent pas dans la grisaille, voilà le point qui me paraît utile. Il faudra bien des étapes avant d'y parvenir, beaucoup de patience. Tout ceci n'étant pas exclusif de la démarche confédérale que je souhaite et que j'ai proposée pour l'Europe tout entière, dont la Communauté n'est qu'un des éléments, même si c'est l'élément principal.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous allez prendre contact avec M. Gorbatchev pour lui expliquer qu'on n'a pas encore décidé d'une aide en sa faveur mais qu'il doit, peut-être pour l'obtenir...
- LE PRESIDENT.- Non car une décision a été prise, demandant à la Commission de nous remettre une estimation de ce qu'il conviendrait de faire sur le plan conjoncturel, des crédits à accorder tout de suite, et sur la manière de les appliquer à telle ou telle action pour être sûrs de sa rentabilité. Tout cela doit nous mener dans le courant de ce semestre. Vraisemblablement c'est ce que la commission a l'intention de faire avant le mois d'octobre.
- Donc je pourrai communiquer à M. Gorbatchev que la Communauté va intervenir pour contribuer au redressement économique de l'Union soviétique. Il faut qu'elle en délibère avec ses experts. Il ne faut pas qu'elle agisse au hasard, mais elle a décidé. Vous aurez une réponse avant la fin de cette année. La Banque qui aura plus tard pour charge de mener ce type d'action n'existe pas encore même si elle existe dans les esprits. L'accord est déjà fait entre quarante pays et deux institutions internationales, mais il faut encore attendre la ratification des parlements et ensuite la mise en place. Tout cela veut dire pas avant janvier 91. Il y a urgence, on répond à l'urgence. Voilà ce que je dirais à M. Gorbatchev dans ce dialogue hypothétique que vous me suggérez.
- QUESTION.- Monsieur le Président, le Chancelier Kohl a déjà débloqué 17 milliards de francs sans consulter je crois beaucoup d'experts, et cet argent...
- LE PRESIDENT.- Oui, il a très bien fait.
- QUESTION.- Je crois que c'est ce que mon confrère voulait...
- LE PRESIDENT.- Lorsqu'il s'agit de la décision d'un seul Etat, on n'a besoin de consulter personne d'autre. Je suppose quand même que la Chancelier Kohl a bien du dire un petit mot, au Président de la Banque, et à quelques personnes. Mais lorsqu'il s'agit d'une décision à Douze, il est normal que tous les éléments de la décision soient examinés.
- La Commission se met au travail dès maintenant. Vous pouvez interroger M. Delors.\
QUESTION.- Donc un renforcement de la construction communautaire, est-ce que sur le plan intérieur français au moment où il y a semble-t-il des résistances de plus en plus grandes, ou des craintes de plus en plus grandes vis-à-vis de la construction européenne, est-ce que ce n'est pas un risque ou est-ce que vous pensez au contraire que c'est peut-être justement le moment opportun pour le faire ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que ce moment opportun a commencé depuis 35 ans. Il s'agit de continuer l'oeuvre entreprise et de la faire aboutir.
- QUESTION.- Je voudrais revenir à l'union politique de l'Europe. Par rapport à la libre circulation de personnes, de police et de coopération judiciaire, spécifiquement, est-ce que vous voyez le traité de Schengen comme la base fondamentale de l'union européenne dans ce domaine.
- LE PRESIDENT.- Non, je n'ai rien dit de tel. Cinq pays ont décidé de signer les accords de Schengen. Je ne veux pas engager les autres. C'est un bon modèle, une base départ intéressante.\
QUESTION.- J'ai bien écouté, vous avez dit qu'il n'y avait eu aucun chiffre. On a eu quelques informations, hier soir au dîner, le chiffre de 15 milliards de dollars en faveur de l'Union soviétique a circulé. Est-ce que c'est un chiffre qui correspond ?
- LE PRESIDENT.- Quelqu'un l'a cité. Il paraissait raisonnable, mais cela n'a pas été débattu. On ne peut pas décider d'accorder un nombre x de milliards, sans avoir d'autres données. Cette proposition du Chancelier Kohl et de moi-même, je l'ai exprimée dans une interview que j'ai donnée au journal Le Monde et le lendemain le Chancelier Kohl me saisissait d'une lettre, qu'il a d'ailleurs adressée à d'autres délégations, tendant au même objet. Nous avons réuni nos efforts lors de notre entretien vendredi dernier à Bingen. C'est très récent.
- On ne peut pas dire : c'est quoi, c'est 15 milliards, c'est 20, c'est 14, c'est 32 ? On ne peut pas dire cela comme ça. C'est l'objet du travail de la Commission. La décision est prise, faut-il le répéter ? Il faut qu'elle soit maintenant quantifiée. Je pense qu'en octobre, nous le saurons.
- Nous avons dit, le Chancelier Kohl et moi-même, qu'il y avait une certaine urgence mais pas la nécessité d'avoir une réponse tout de suite. On a dit avant le mois de novembre, c'est pour cela que c'est le mois d'octobre qui est retenu.
- QUESTION.- Est-ce que j'ai bien compris que le montant de l'aide à l'Union soviétique pourrait être voté à la majorité au mois d'octobre ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que vous avez très bien compris.
- L'argument de la délégation britannique, c'était qu'il fallait que ce ne soit pas de l'argent perdu. C'est une réflexion de bon sens. Mais M. Delors notamment a donné des indications très précises sur la situation délicate dans laquelle se trouvait l'Union soviétique. C'est peut-être l'origine du chiffre donné, non pas par lui d'ailleurs, somme qui se trouverait à l'heure actuelle en jeu en raison des obligations qu'elle a souscrite. Vous voyez comme peu à peu ce chiffre est venu. Il a besoin d'être étudié.\
QUESTION.- Il paraît qu'il y a eu des échanges très vifs entre vous et le Premier ministre britannique ?
- LE PRESIDENT.- Non, j'ai vu la dépêche. Cela s'est traduit par "escarmouche". Ce n'est pas l'expression la plus vive ! Cela a même été tout à fait aimable. Mme Thatcher voulait illustrer les difficultés que l'on pouvait éprouver dans tel ou tel pays aujourd'hui et a expliqué que la France avait eu la chance de s'adosser au mark - c'est le système monétaire européen - mais que cependant si l'on comparait les chiffres du chômage entre la Grande-Bretagne et la France, on pouvait constater que... Alors j'ai répondu d'une façon aussi aimable. J'ai été très surpris que la France fût mise en cause à cette occasion, alors que l'actuelle réussite de la France, nous disposons d'une monnaie très solide, a tenu surtout à l'effort des Français, au sacrifice qu'ils ont consenti, à une politique difficile à conduire et parfois impopulaire mais qui donne ses résultats. A aucun moment, nous n'avons été en dehors du système monétaire. Dans ce cas là comme les autres, nous avons simplement respecté la marge de fluctuation reconnue par le système monétaire européen - que je me suis permis de conseiller en exemple à Mme Thatcher - mais qui donne ces résultats, et que, à aucun moment nous n'avons été en dehors du système monétaire, dans ce cas là, comme les autres, nous avons été spécialement accrochés aux marges de fluctuation. Il y a une marge de fluctuation reconnue qui est très raisonnable, et que je me suis permis de conseiller en exemple à Mme Thatcher. Elle avait choisi l'exemple du chômage, elle aurait pu en choisir d'autres, notamment l'inflation. Cela n'a été qu'un échange de vue qui n'a pas assombri l'atmosphère. Le débat d'hier, a été étonnamment, et j'en ai vu beaucoup d'autres, agréable. Sans doute cela a été dû à une bonne préparation par le Premier ministre irlandais. Les deux Conférences intergouvernementales sont passées comme des lettres à la poste.\
A un moment, j'avais envie de me frotter les yeux. C'est comme cela ! Au fond, la seule discussion âpre a été celle d'hier soir, reprise ce matin et qui le sera sans doute encore, sur l'aide à l'Union soviétique. Pourquoi, sera-t-elle reprise ? Parce que l'on sait bien quelles seront les dispositions d'exprit du Président Bush, soit quand on parlera à Londres dans quelques jours ou à Houston trois jours après. Et quand cela reviendra en octobre, l'opposition américaine, devant a priori conforter la position anglaise, je pense que Mme Thatcher y trouvera de nouvelles forces pour reprendre la discussion non plus sur le principe puisqu'il est adopté, mais sur le chiffre retenu. Enfin c'est elle qui fera à sa manière.
- Donc l'acceptation d'une aide c'est derrière nous £ de quel montant, c'est devant nous. Pour ce qui touche à l'aide conjoncturelle, il est admis que c'est une aide qui se dispensera de toute convention annexe. Pour l'aide conjoncturelle, les choses sont différentes puisqu'il faudra examiner à quoi il est souhaitable d'affecter ces sommes. C'est pour cela qu'il y aura deux rapports distincts, pour répondre à la situation présente qui est absolument urgente pour l'Union soviétique et puis à moyen terme pour commencer d'aménager le redressement dont l'Union soviétique a le plus grand besoin.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais que vous reveniez d'un mot sur l'affaire du siège car je voudrais non pas seulement la position des Douze mais également la position de la France compte tenu de la fermeté qui a été réaffirmée ces derniers jours par les deux ministres des affaires étrangères et des affaires européennes, est-ce que c'est une mesure dilatoire et est-ce que cela viendra au Sommet de Rome ou en tout cas d'Italie à la fin de l'année seulement ? Est-ce que cela donne six mois de plus à Bruxelles pour agir ?
- LE PRESIDENT.- Pas six mois, trois mois. Visiblement la compétition sur les autres sièges, ne parlons pas de Strasbourg, est encore vive et comme la France ne discute d'aucun siège tant que l'on pas confirmé ceux qui sont déjà établis depuis si longtemps, les candidats continuent d'espérer pour les autres postes. Cette mêlée ne peut pas être résolue comme cela mais là nous sommes plutôt spectateurs. Nous avons fait savoir que la France n'était pas en compétition. Nous ne demandons réellement pas autre chose que le maintien de l'assemblée à Strasbourg, parce qu'on ne la conteste pas en droit mais dans la tenue des sessions.
- QUESTION.- Majoritairement à Strasbourg ?
- LE PRESIDENT.- Pas majoritairement, toutes les sessions. Il a été admis en 1958 et en 65, il y a eu plusieurs étapes, que, éventuellement en octobre une session budgétaire pourrait avoir lieu à Bruxelles. Nous ne sommes pas revenus là-dessus. Mais nous voulons les sessions ordinaires et les sessions extraordinaires. Sinon très rapidement toutes les sessions deviendraient extraordinaires.\
QUESTION.- Monsieur le Président que pouvez-vous recommander aux pays de l'Est en ce qui concerne les relations économiques dans le cadre du CEMECON et des accords bilatéraux ?
- LE PRESIDENT.- Vraiment, je ne me suis pas mêlé de cela. La réalité veut qu'aujourd'hui se soient très éloignés de la tutelle soviétique un certain nombre de pays d'Europe centrale et orientale. Un certain nombre de liens organiques qui unissent ces pays commencent à devenir artificiels. Peut-être y substitueront-ils d'autres liens plus réels ? Leur diplomatie leur appartient.\
QUESTION.- Il y a quelques jours il y avait les premières élections libres en Bulgarie depuis 50 ans presque, est-ce que vous pouvez exprimer un souhait vers la démocratie bulgare, la nouvelle ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas allé en Bulgarie depuis déjà quelques temps mais il semble que les élections ont été libres. Il s'agit d'un gouvernement légitime.\
QUESTION.- La semaine dernière vous étiez à La Baule avec des chefs d'Etat africain et vous avez dit que vous plaideriez en faveur d'une aide de la France, est-ce que vous avez eu l'occasion d'en parler à vos partenaires ?
- LE PRESIDENT.- Oui, oui, il y a eu discussion à ce sujet, un texte a été adopté qui constate que la Communauté entend aider au progrès des pays d'Afrique et poursuivre cette tâche déjà amorcée par de nombreux accords bilatéraux et les accords de Lomé.\
QUESTION.- Monsieur le Président, sur l'Afrique du Sud, en avez-vous discuté entre vous et avez-vous décidé à l'unanimité de maintenir les sanctions ?
- LE PRESIDENT.- La question a été posée. Finalement, une majorité estime que le Président de Klerk a pris des dispositions courageuses, intelligentes qui ont abrogé des dispositions répressives prises à l'égard de ceux qui luttaient contre l'apartheid, mais n'a pas encore commencé d'abroger les dispositions de l'apartheid lui-même. M. Andreotti a proposé un texte qui correspondait au sentiment de la France et de quelques autres, une forte majorité des membres du Conseil tendant à dire que lorsque l'on en serait là, c'est-à-dire aux mesures anti-apartheid, il pourrait y avoir également dans l'attitude de la Communauté une attitude évolutive qui suivrait les progrès de la fin de l'apartheid et pas simplement de la fin des répressions politiques. Ce qui a été fait, il faut le dire, avec la cessation de l'état d'urgence, la libération des prisonniers politiques, l'autorisation des manifestations de masse, l'accueil de M. Mandela, etc. Tout cela, c'est très bien. Mais le système de l'apartheid n'est pas encore abrogé, ses dispositions principales ne le sont pas.\