21 juin 1990 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur l'aide française à l'Afrique en matière économique, militaire, financière et la démocratisation de l'Afrique, La Baule, le 21 juin 1990.

Mesdames et messieurs,
- Nous allons procéder à la traditionnelle conférence de presse. Mardi soir, nous avons tenu une réunion informelle entre chefs d'Etat des pays francophones. Dans le même temps se tenait une réunion des ministres des affaires étrangères des pays francophones.
- Au cours de cette réunion, les projets décidés à Casablanca ont été examinés : l'Observatoire du Sahara et de la désertification, le projet pour la lutte contre les criquets, la recherche médico-scientifique sur un certain nombre de maladies en particulier les maladies du foie, la liaison entre l'université de Bordeaux et l'université du Caire.
- La deuxième journée a commencé par la séance plénière à laquelle vous avez assisté. A la séance plénière de l'après-midi, les débats ont été multiples, comme vous pouvez l'imaginer : dette, développement, démocratie, problèmes des technologies, effondrement des cours des matières premières.
- Des nombreuses propositions que nous avons entendues, je noterai celle du Président Diouf sur la constitution d'une sorte de grand marché à l'intérieur de l'Afrique qui s'inspirerait des structures de la Communauté économique européenne. Nous avons eu des débats sur l'apartheid et ces débats se sont poursuivis ce matin au cours d'entretiens particuliers.
- J'ai reçu treize chefs d'Etat ce matin et cinq cet après-midi. Pendant que j'avais ces rencontres bilatérales, nombreux ont été les entretiens de ce type au gré des besoins et des affinités.
- Au cours de la séance plénière, nous avons entendu des exposés de caractère général, ce qui n'était pas l'habitude. Sans doute le besoin de s'exprimer sur le débat démocratie et développement explique-t-il cela. Sont intervenus le Président Kolingba, le Président Chissano, le Président Museveni, le Président Eyadema, le Président Habyarimana, le Président Diouf et de nombreux autres, notamment ceux qui sont autour de cette table, Sa Majesté le Roi du Maroc au titre de précédent Président et celui qui nous recevra la prochaine fois, à la demande des chefs d'Etat rassemblés, le Président du Gabon.
- Un certain nombre de mesures ont été prises que je vous ai communiquées au cours de mon exposé du matin. Je reste à votre disposition pour vous apporter tout éclaircissement, si vous le désirez, sur ce sujet ou sur quelques autres £ aucun sujet n'est interdit.\
QUESTION.- Avez-vous abordé les problèmes entre le Sénégal et la Mauritanie ? Vos discussions ont-elles fait avancer ce problème ?
- LE PRESIDENT.- C'est un problème, malheureusement, dont j'ai eu l'occasion de parler très souvent avec le Président Diouf. Depuis que ce conflit dure, la France se trouve constamment invoquée par l'un et l'autre des antagonistes. Nous avons constamment rencontré les uns et les autres, nous avons uni nos efforts à ceux du Président Traore, du Président Moubarak, et, dans la déclaration finale que je ne vous lis pas mais qui vous sera communiquée, un paragraphe précise que les chefs d'Etat insistent pour que, sous l'égide de l'OUA, le différend trouve une solution, que les incidents qui éprouvent les populations cessent et que les relations amicales reprennent.\
QUESTION.- Je voudrais savoir si vous avez évoqué avec les chefs d'Etat rassemblés autour de vous la politique que Jean-Pierre Cot avait prônée, quand il était ministre de la coopération. N'a-t-il pas eu raison trop tôt ?
- LE PRESIDENT.- Je me réjouis que le Figaro prenne tardivement la défense de Jean-Pierre Cot !... Je ne sais pas s'il avait raison ou tort. Quand on pourra développer les thèses qui étaient en présence, on pourra en débattre. Mais il s'agit d'un départ déjà un peu ancien, puisque cela remonte à 1982 ou 1983, 1982 je crois. On est en 1990, alors je ne peux pas vous répondre là-dessus. Que vouliez-vous savoir ?
- QUESTION.- N'y a-t-il pas eu un règlement de compte ?
- LE PRESIDENT.- Vous désirez que nous ayons un débat franco-français ?
- QUESTION.- Non, non.
- LE PRESIDENT.- Un règlement de compte entre qui et qui ? Entre le Figaro et moi, entre le Figaro et Jean-Pierre Cot, entre Jean-Pierre Cot et moi ? Je n'ai pas bien compris ce que vous vouliez dire. C'était trop fin.
- QUESTION.- Ce que je voulais dire c'est que Jean-Pierre Cot avait beaucoup parlé de 1981 à 1982 de démocratisation.
- LE PRESIDENT.- Eh bien, nous en avons tous beaucoup parlé, depuis 1981 et avant. Jean-Pierre Cot, c'est moi autant que Pierre Mauroy qui l'avons nommé et nous avons travaillé en confiance. Ce qui nous a séparés, c'est la thèse qu'il avançait sur la suppression du ministère de la coopération, pour que ce ministère soit joint au ministère des affaires étrangères. Cette jonction a été refusée et je continue de penser qu'il faut un ministère de la coopération. Voilà la seule réponse politique intéressante que je puis vous fournir.\
QUESTION.- Une phrase de votre discours, monsieur le Président, a fait couler beaucoup d'encre : c'est celle où vous établissez un lien entre l'aide française et les évolutions vers la démocratisation. Est-ce que vous pouvez nous expliquer concrètement comment cela va fonctionner ? Est-ce qu'il y aura une prime à la démocratisation comme le demande le Président Diouf, ou est-ce que vous avez déjà des modalités à l'esprit ? Je voudrais demander au Président Bongo de réagir également à cette idée.
- LE PRESIDENT.- Il y aura une aide normale de la France à l'égard des pays d'Afrique. C'est évident que cette aide traditionnelle, déjà ancienne, sera plus tiède en face de régimes qui se comporteraient de façon autoritaire, sans accepter l'évolution vers la démocratie, et qu'elle sera enthousiaste pour ceux qui franchiront ce pas avec courage et autant qu'il leur sera possible. Voilà ce que cela veut dire.
- On n'a pas à fixer un barême sur le progrès démocratique. Quant au Gabon, il se trouve que c'est un des pays - j'en ai compté huit - qui, au cours de ces derniers mois, pas simplement ces dernières semaines, ont entrepris d'organiser le pluralisme. Je ne sais combien il y a de parti actuellement au Gabon. Il y en a pas mal je crois. Je sais qu'il y en a dix-sept en Côte d'Ivoire. Evidemment, il faut qu'ils aient le temps de s'habituer. On ne passe pas facilement du monopartisme au multipartisme avant de parvenir au stade où en sont un certain nombre de pays, comme les pays anglo-saxons qui ont tendance à ne pas dépasser trois partis où les pays latins qui sont un peu plus prolixes. Les pays africains semblent devoir battre tous les records. Il faudra le temps qu'ils s'habituent à la démocratie pour en goûter tous les charmes avant d'en éprouver quelques inconvénients.
- Au Gabon mais aussi dans quelques autres pays, et dans des conditions tout à fait différentes comme au Bénin, en Côte d'Ivoire et même au Congo, on assiste indiscutablement à une évolution importante et je crois qu'on ne peut qu'encourager ces efforts-là.\
QUESTION.- Une coopération suppose une circulation des biens mais aussi des personnes. Alors que vous avez décidé d'abaisser les blocages qui se posent à la circulation des personnes en provenance de votre pays, il y a toujours des obstacles qui se dressent pour la circulation des ressortissants francophones et notamment d'Afrique en direction de la France. Vous aviez dit que des efforts seraient faits à ce niveau-là. Jusqu'à plus ample informé, il me semble qu'il y a plutôt un resserrement des boulons.
- LE PRESIDENT.- On ne peut pas dire cela. Ce qui est vrai c'est que l'obligation des visas a été prolongée. C'est d'ailleurs toujours une discussion assez difficile lorsqu'il s'agit de supprimer les visas même avec les pays européens parce qu'il y a toujours deux thèses : il y a ceux qui pensent que la sécurité serait menacée et ceux qui pensent qu'elle ne le serait pas davantage. Moi je suis de ceux qui pensent qu'il faut ouvrir les visas autant qu'il est possible, en tout cas, déjà à l'égard des pays d'Europe. C'est en train de se faire comme vous le savez. Cela n'a pas été fait, à l'heure actuelle, à l'égard des pays qui se trouvent de l'autre côté de la Méditerranée pour des raisons que vous connaissez bien : il s'agit là de pays d'émigration et, sur ce plan-là, nos lois et nos réglements imposent un certain nombre de vigilances.\
QUESTION.- Monsieur le Président, certains pays ont publiquement manifesté leur inquiétude après vos propos sur la démocratisation. Comment comptez-vous les convaincre ou les rassurer ?
- LE PRESIDENT.- Ils ne m'ont pas exprimé leurs inquiétudes. Ils vous ont fait des confidences qui ne m'ont pas été transmises.
- QUESTION.- Il nous l'ont dit à nous, journalistes.
- LE PRESIDENT.- Alors, j'attends qu'ils me l'expriment eux-mêmes. Ils ne manquent pas de la capacité de s'exprimer.\
QUESTION.- Vous avez discuté des questions de l'apartheid. La mode, aujourd'hui, c'est de demander la levée des sanctions économiques contre le gouvernement sud-africain. Vous en parlerez à partir de lundi prochain au sommet de Dublin : quel a été le consensus auquel vous êtes parvenu avec vos pairs africains sur cette question ?
- LE PRESIDENT.- Ici, dans cette réunion, je crois qu'une opinion générale s'est dégagée : nous apprécions les efforts du Président de Klerk et nous connaissons bien les positions de l'ANC et du Vice-Président de l'ANC, Nelson Mandela. Nous pensons qu'il faut contribuer autant que possible à faciliter la démarche du Président de Klerk. Mais le seuil qui doit permettre de lever les sanctions - la disparition de l'apartheid - n'est pas encore franchi même si des mesures excellentes et courageuses ont été prises récemment par le Président de Klerk. Un ajustement est encore nécessaire.\
QUESTION.- Je voudrais connaître vos commentaires sur la décision de l'administration américaine concernant la suspension du dialogue avec l'OLP.
- LE PRESIDENT.- C'est une position qui concerne ce gouvernement et ce pays. Je crois connaître, sans que cela m'ait été communiqué, l'origine de cette décision. Je pense que c'est la tentative d'attentat que l'OLP n'a pas désavouée - je le crois mais je ne peux vous le garantir absolument - qui est à l'origine de la position des Etats-Unis d'Amérique. Moi je ne suis pas le porte-parole chargé par le gouvernement américain de s'expliquer devant la presse mondiale, à La Baule. Posez-lui donc la question. Je pense qu'il faut être très prudent dans cette démarche. Il faut pouvoir parler à la fois à l'OLP et à Israël. Cela vaudrait mieux que de ne parler ni à l'un, ni à l'autre. Si est faite une démarche qui puisse permettre de parler avec la même fermeté à Israël, ce sera une bonne chose.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais vous demander de définir l'intervention militaire française actuelle en Afrique. Je pense aux récentes interventions françaises dans les pays africains mais je pense aussi au Tchad qui demande cette intervention militaire.
- LE PRESIDENT.- A propos de la situation des troupes françaises en Afrique, il est un certain nombre de pays avec lesquels nous avons signé dans un temps déjà lointain des accords de coopération militaire. Ces accords de coopération militaire comportent un droit d'assistance en cas de menace ou d'agression extérieure. Certains de ces accords ont précisé par des clauses secrètes qui sont connues de tout le monde, qu'il pourrait y avoir des interventions. Ces dernières dispositions n'ont pas été appliquées depuis de longues années, en tout cas pas depuis que j'ai la charge d'assurer la Présidence de la République. On peut donc estimer que les accords de coopération militaire portent sur un soutien aux pays amis et alliés qui pourraient subir une agression venue de l'extérieur.
- A vrai dire, les cas d'intervention ont été assez rares. Nous avons eu à nous manifester, je ne parle pas encore du Tchad, nous n'avons encore jamais eu à en découdre. Il y a eu à deux reprises des renforts militaires apportés une fois au Cameroun et l'autre fois au Togo. Les moyens n'ont pas été utilisés puisque les menaces extérieures ont aussitôt cessé.
- Le problème du Tchad est différent. Il n'y a pas de convention militaire entre le Tchad et la France. Ce n'est donc pas en application de cet accord qu'il y a eu des interventions françaises à diverses reprises au cours de ces dernières années. C'est de propos délibéré que j'ai décidé d'intervenir pour arrêter l'intervention libyenne. Une grande part de nos forces ont été retirées depuis que le Tchad a retrouvé indépendance, souveraineté et unité.
- Dans le reste de l'Afrique, il y a des troupes françaises ici ou là. Je vous répète qu'elles ne sont jamais intervenues dans les problèmes de maintien de l'ordre. Au Gabon récemment, elles sont intervenues ou elles se sont montrées pour assurer la sauvegarde de nos ressortissants. Par ailleurs, il existe un certain nombre de personnes qui sont dans les administrations de différents pays africains. Quelques militaires, pas beaucoup, quelques policiers, pas beaucoup. J'ai demandé que l'on en fasse le compte exact.
- Ce sont des personnes à la retraite qui sont libres de leur choix. Mais il faut éviter toute confusion entre le caractère national d'une armée et la mission d'assistance de la nôtre. Voilà où nous en sommes. Les choses depuis neuf ans n'ont jamais provoqué de difficultés. Nous n'avons pas eu un seul accident, nous n'avons pas eu mort d'homme.\
QUESTION.- Inaudible.
- LE PRESIDENT.- En vérité, la distinction entre pays pauvres et pays intermédiaires n'est pas une définition française, c'est une définition internationale. Il y a même la catégorie des pays les moins avancés qui tiendront leur conférence mondiale au mois de septembre prochain à Paris.
- Ces pays dits intermédiaires ne se trouvent pas seulement en Afrique. Il y en a partout dans le monde. Il s'agit de pays endettés. Quand nous avons décidé d'abandonner nos créances publiques à l'égard des trente-cinq pays les plus pauvres, pays dont la situation méritait bien d'être étudiée de près, certains pays n'étaient pas concernés parce qu'ils échappent à la définition : le Cameroun, la Côte d'Ivoire, le Congo et le Gabon. Dès lors que nous avons décidé de prendre des mesures particulières à l'égard des pays intermédiaires, ce sont ces quatre pays qui s'en sont trouvés bénéficiaires et je m'en réjouis. A partir de là, il faut bien se fixer un certain nombre de règles et c'est toujours pénible, lorsque l'on est juste au-dessus - ce qui était votre cas - et non pas juste au dessous. Remarquez que ce n'est pas très agréable d'être juste au-dessous non plus. Il se trouve que vous avez des ressources ou des revenus que les autres n'ont pas, bien que ces ressources et ces revenus soient très variables. On avait traité le problème des pays intermédiaires parmi lesquels on compte un pays comme le Brésil. Ces mesures ne sont pas les mêmes mais je crois qu'elles sont intéressantes : elles réduisent très sérieusement la dette de pays qui ont le plus grand besoin d'être aidés et d'être compris, d'être traités comme des pays qui méritent de disposer de la solidarité internationale.
- QUESTION.- Parlant précisément de ces mesures d'allègement en faveur des quatre pays à revenu intermédiaire que vous venez de citer, est-ce qu'il n'aurait pas été possible de faire plus compte tenu justement des intérêts de la France et des bénéfices que la France tire de ces pays ?
- LE PRESIDENT.- A qui pensez-vous ?
- QUESTION.- Je pense à l'ensemble de ces pays.
- LE PRESIDENT.- Non, non, mais j'en ai cité quatre. Quel est le cinquième auquel vous penseriez ?
- QUESTION.- Non, je disais en faveur des quatre pays que vous avez cités tout à l'heure. Est-ce qu'il n'aurait pas été possible de faire plus à raison précisément des intérêts énormes de la France et des bénéfices que la France tire de ces pays.
- LE PRESIDENT.- Vous voulez dire abandonner la créance ?
- QUESTION.- Oui.
- LE PRESIDENT.- Eh oui, cela aurait été mieux.\
QUESTION.- J'aurais voulu savoir, monsieur le Président, ce que vous pensez du danger intégriste musulman qui menace certains pays arabo-africains notamment l'Algérie ?
- LE PRESIDENT.- J'ai déjà dit mon opinion au lendemain de ces élections en Algérie. J'ai constaté que des élections libres avaient eu lieu en Algérie. J'ai constaté que ces élections avaient assuré le succès du Front islamique du salut. Je me suis interdit tout autre commentaire car la France ne doit pas préjuger la suite. Il ne faut pas sembler, dès le point de départ, tirer des conclusions qu'il appartient au peuple algérien de tirer lui-même. Je ne vous en dirai donc pas davantage.\
QUESTION.- Certains pays africains - j'insiste sur cette question posée par mon confrère de RFI - n'ont pas tellement apprécié le ton employé hier par M. François Mitterrand pour leur dicter le chemin à suivre sur la voie de la démocratie.
- LE PRESIDENT.- Mais, madame, vous êtes la deuxième journaliste à me dire cela et je dois dire qu'il faut croire que, vraiment nous n'avons pas vécu les deux mêmes journées au même endroit. Vous avez entendu cela et, semble-t-il, vous n'avez entendu que cela et moi, cela ne m'a pas été dit. Or j'ai été en relation directe avec tous les chefs d'Etat, pendant deux jours. Et à aucun moment, il n'a été dit, soit en public soit en privé, quoi que ce soit qui puisse confirmer ce que vous-même avez entendu. Donc il y a quelque part quelque chose de difficile à comprendre et comme je ne veux pas attribuer un manque de courage à ceux qui se sont confiés à vous, je dois bien avouer qu'ils ne m'ont rien dit de tel. Cela dit, même s'ils le pensaient, je répéterais mon discours.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous êtes très satisfait de la façon dont fonctionne la coopération franco-africaine et de la façon dont les chefs d'Etat africains mènent les affaires. Or, les observateurs sont unanimes à reconnaître qu'il existe un malaise général et que plus la France aide ces pays, plus ils sont sous-développés.
- LE PRESIDENT.- On pourrait interrompre toute aide et je pense que tout irait mieux. Je sais bien que c'est cela la thèse, n'est-ce pas ?
- QUESTION.- Mais après avoir écouté les uns et les autres, on a le sentiment que personne n'est responsable aujourd'hui de ce qui se passe en Afrique. D'après vous, monsieur le président, d'où vient le malheur des pays africains, pourquoi les populations se soulèvent elles contre leurs dirigeants et réclament de nouvelles politiques avec des hommes neufs ? Monsieur Bongo, je poserai la question suivante : êtes-vous prêt à accueillir sur le sol gabonais, un exilé désormais célèbre, M. Pierre Manboundou, qui avait été expulsé par le gouvernement français ? Merci.
- LE PRESIDENT.- Je réponds d'abord à votre question. Vous pouvez croire que l'aide française est la cause des difficultés de l'Afrique. Si tel est le cas, il suffirait qu'un Etat me le dise et je demanderai, bien entendu, au Trésor français d'économiser cette partie de ses dépenses. Mais personne ne me l'a dit et je pense, monsieur, que c'est un sophisme étrange dont vous vous faites porteur. Deuxièmement, penser que c'est la France, par son aide, qui pourrait aggraver la crise alors que les autres causes sont évidentes, c'est un deuxième sophisme. Troisièmement, je ne vais pas refaire pour vous l'exposé que j'ai fait hier matin pour beaucoup. Quatrièmement, je suis très heureux d'entendre cette leçon venue de Haïti.
- Quant à la situation de M. Manboundou, je pense qu'il préfère peut-être rester à Dakar... pour la France, nous accueillons vraiment tous les réfugiés politiques cependant ces réfugiés politiques sont tenus, avec beaucoup d'indulgence, à un certain devoir de réserve. Cela fait partie du contrat. Ils ne doivent pas entretenir constamment des opérations contre les gouvernements avec lesquels nous entretenons des relations diplomatiques et souvent de bonnes relations. C'est un contrat, il faut respecter ce contrat. Je vous le répète, avec beaucoup d'indulgence. Car combien d'entre eux ne peuvent pas oublier ce pourquoi ils sont exilés, et nous ne sommes pas très regardants. Mais cela ne peut pas durer des mois et des années. Il faut respecter le contrat.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République, deux questions qui concernent l'avenir ou qui pourraient le concerner : vous avez pris l'engagement que le franc CFA bénéficierait demain des mêmes avantages vis-à-vis de la future monnaie européenne que vis-à-vis du franc. Je voudrais savoir ce qu'en pensent les partenaires de la France au sein de la Communauté et puis, deuxième question, on a beaucoup parlé de la dette mais pour les pays à revenus intermédiaires, il est évident que si le cours des matières premières remonte, leur problème d'endettement sera naturellement réglé. Est-ce que la France peut prendre une initiative pour relancer, par exemple, l'accord cacao ?
- LE PRESIDENT.- Vous posez tellement de questions que je ne sais par laquelle commencer. Je ne vois pas très bien, si vous voulez préciser point par point, je vous répondrai par oui ou par non. La première ?
- QUESTION.- Pour le franc CFA...
- LE PRESIDENT.- J'ai dit que la France en serait le défenseur et que j'avais tout lieu de penser que le franc CFA connaîtrait le même sort, le jour où il pourrait y avoir une monnaie unique en Europe et que le franc CFA serait lié aux engagements du franc.\
QUESTION.- En ce qui concerne l'accord sur le cacao, est-ce que la France envisage de prendre la tête d'une croisade pour faire en sorte que cet accord qui est aujourd'hui en panne se remette à fonctionner demain ?
- LE PRESIDENT.- Cela vaudrait mieux. Nous n'avons pas à décider la croisade. Mais, vous avez raison, s'il s'agit de matières premières qui ont subi un sort lamentable au cours de ces dernières années.\
QUESTION.- Monsieur le Président, alors que de se déroule actuellement aux Etats-Unis une conférence internationale sur le sida, je voulais savoir si cette question du sida avait été abordée au cours de ce Sommet.
- LE PRESIDENT.- Non, pas à ma connaissance. Peut-être y a-t-il eu des entretiens entre tel et tel chef d'Etat mais pas en ma présence.\
QUESTION.- Le mot de "démocratie" a été beaucoup prononcé ces jours-ci. Mais pas celui du respect des Droits de l'Homme qu'on n'a pas entendu évoquer officiellement. Est-ce que le respect des Droits de l'Homme sera un des critères pour l'octroi de la prime ou du bonus à la démocratie que la France semble être prête à accorder aux pays qui se seront engagés dans cette voie ?
- LE PRESIDENT.- Pour moi, les Droits de l'Homme, cela fait partie de la démocratie. Nous avons donc dit la même chose en employant d'autres termes. Vous aviez tout à fait raison de demander cette précision puisque je ne peux que confirmer ce que vous venez de dire.\
QUESTION.- Monsieur le Président, n'avez-vous pas le sentiment que votre engagement résolu en faveur de l'aide au développement en Afrique rencontre des incompréhensions en France et à l'étranger ?
- LE PRESIDENT.- Mais vous avez cent fois raison. L'aide aux pays d'Afrique ne peut pas reposer sur la seule contribution française. Remarquez qu'il serait excessif de dire que c'est la seule, car il y en a d'autres. Mais enfin c'est la France qui fait, proportionnellement à ses moyens, le plus gros effort. Vous avez raison de le dire : il y a un certain mouvement d'opinion qui pourrait penser que ces dépenses françaises sont inutiles ou tombent dans un tonneau sans fond. Certains le pensent et certains l'écrivent. Je leur ai répondu : cela ne me convainc pas. J'estime que le devoir de la France est de persévérer dans sa politique et elle le fera.
- Mais ce n'est pas suffisant. La France n'est pas en mesure d'arrêter le déclin actuel. Il faut que cet effort soit mondial ou du moins qu'il entraîne les pays les plus riches. Cela fait plusieurs années que nous ne sommes pas parvenus à les convaincre sinon par des mesures à mi-chemin. Ce n'est pas parce que les autres ne font pas l'effort suffisant ou en tout cas tous les autres - certains le font - qu'il faut pour autant abandonner. Nous avons un rôle de précurseur. Je considère que c'est un devoir. Nous n'avons pas convaincu tous nos partenaires européens et nous n'avons pas convaincu tous nos partenaires du Sommet des sept pays industrialisés. Cela reste à faire.
- Quand je pense au temps qu'il a fallu pour ceux qui ont voulu améliorer le sort des plus malheureux, des moins favorisés, on sait bien - l'histoire nous l'apprend - que ce sont toujours des efforts dont parfois on ne voit pas la fin. Faut-il pour autant y renoncer ? Moi je dis non. Seule la solidarité internationale sauvegardera l'équilibre et la paix dans le monde. Au total, c'est la seule voie qui permettra au monde actuel d'aller vers la prospérité, la multiplication des échanges et la fin d'un certain nombre de malheurs.\
QUESTION.- Merci, monsieur le Président. J'ai l'honneur et le privilège de vivre dans votre beau pays depuis un an et demi, j'ai l'impression que la France fait deux poids, deux mesures en ce qui concerne les opposants africains et les opposants des pays de l'Est ou de la Chine. Peut-être que je me trompe. La deuxième question, je voulais demander au Président Mitterrand de nous dire qu'est-ce qu'il compte faire sur la proposition du Président Abdou Diouf, vous l'avez dit tout à l'heure qui a proposé un grand marché africain à l'image des Douze ?
- LE PRESIDENT.- Sur cette deuxième question j'ai déjà dit publiquement à quel point j'encourageai cette très heureuse proposition. Je crois l'avoir reprise dans mon exposé d'hier matin. Je n'insiste donc pas. Chacun le sait ici, cela fait partie des propositions les plus constructives entendues au cours de ce sommet et j'appuierai de mon mieux le Président Diouf dans cette recherche.
- Deux poids, deux mesures. Vous voulez dire qu'avec les opposants chinois qui s'organisent en France, vous pensez qu'il faudrait les envoyer à Dakar aussi ? Je vous répète : on a toujours agi avec le maximum de souplesse et de tolérance mais il y a des limites à ne pas dépasser. Cela dit, la prise de position d'un certain nombre de Chinois réfugiés en France suscite un certain nombre de réactions assez vives du gouvernement chinois. Voilà, il faut avancer parmi les écueils. C'est cela gouverner. S'il faut procéder à des expulsions, nous les négocions patiemment avec d'autres pays, pour que nous soyons sûrs que les hommes et les femmes qui se trouvent dans cette situation continuent de vivre dans des pays démocratiques.\