11 juin 1990 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur les relations franco-seychelloises, l'aide au développement et la dette des pays intermédiaires, Mahé, le 11 juin 1990.
Monsieur le Président,
- Madame,
- C'est en organisant ce voyage que j'ai appris que la visite qui me conduit dans votre pays serait comme vous venez de le rappeler la première visite jamais faite aux Seychelles par un chef de l'Etat français.
- Vous y avez vu avec raison un témoignage d'intérêt particulier, celui que la France porte à votre pays depuis longtemps et particulièrement depuis une quinzaine d'années où vous assurez votre propre indépendance.
- Quelles raisons à cela ? J'en vois deux essentielles : l'histoire et une certaine forme de voisinage. L'histoire, est-il besoin de le rappeler, c'est déjà fait, c'est vrai que nos compatriotes furent les premiers à s'installer dans ces îles, à s'y arrêter, à y faire souche. Nombreux sont encore leurs descendants directs. On me dit aussi que le dernier représentant de la France est mort aux Seychelles. Sa tombe se dresse toujours à Victoria dans le jardin du Palais du Gouverneur, rappel symbolique d'une page d'histoire. Et pourtant ce dernier témoin de l'autorité française et la suite des temps assumée par un autre pays, tout cela n'a pas entraîné la fin de la présence française, ni de notre langue, ni de notre culture qui sont restés très vivants chez les Seychellois à travers tant de noms de familles et de lieux dont vous m'avez appris certains.\
C'est à partir du français que des hommes et des femmes venus d'horizons divers ont développé les liens qui ont formé le peuple seychellois. Eh bien je dois vous dire que cette fidélité aux origines est assez remarquable. Je dois vous exprimer, ici, la reconnaissance que nous Français nous devons à ceux qui, au travers des vicissitudes de l'histoire, ont su garder, préserver, enrichir l'héritage culturel laissé il y a quand même longtemps par la France elle-même. Comme nous le disions il y a un instant, non seulement pour vous apporter une langue mais pour que cette langue puisse se mêler à une autre, qui est spécifiquement la vôtre et pour qu'à son tour cette langue, le créole, pût enrichir, renouveler, raviver la saveur du français d'origine. Qu'un jeune Etat se dote de trois langues, comme c'est le cas ici, cela pourrait apparaître comme un luxe. On pourrait dire que le recours à un seul instrument de communication serait peut-être préférable. Ce serait oublier la diversité de vos sources £ et je pense bien que c'est une des chances des Seychellois que de pouvoir disposer d'un accès très large à plusieurs formes de civilisations. Vous en êtes porteurs, non seulement témoins mais acteurs et à votre tour vous transmettrez.
- C'est pourquoi c'est pour nous, Français, très important que de pouvoir venir chez vous et reconnaître votre hospitalité, en tirer déjà quelques conclusions, observer la beauté des paysages, des éléments naturels, et la cordialité des habitants, être à l'écoute aussi des accents de la langue et des mots. C'est très important de savoir que cela existe dans ces îles apparemment si lointaines, à travers cet immense océan. A vrai dire nous avons souvent reçu vos étudiants, nous avons quand même envoyé quelques professeurs même si vous trouvez qu'il n'y en a pas assez, ce qui est une revendication qui nous plaît. Récemment et toujours dans ce sens de la communication, nous avons contribué à mettre à votre disposition une installation qui vous permet de capter directement les programmes français de télévision transmis par satellite TELECOM. Vous me rappeliez tout à l'heure que cela permettait aux Seychellois de suivre les événements sportifs d'importance mondiale - après tout, ce n'est pas désagréable de pouvoir suivre avec passion un des événements qui se déroule aujourd'hui en Italie autour du football - mais cela permettra aussi beaucoup d'autres choses.\
Et, bien que située à 3000 kms de l'île de la Réunion, comme il s'agit d'une terre française, on pourrait dire en forçant peut-être un peu les mots, que les Seychellois sont parmi les voisins les plus proches de la France. Bon, n'exagérons pas la formule. Il n'empêche que ce passé, ces relations constantes et le fait qu'il existe dans l'Océan Indien des témoins vivants et prometteurs de la terre française, tout cela nous permet quand même de préserver, de maintenir une relation plus étroite. Je sais que vous allez procéder à des échanges sportifs qui vous intéressent entre les différentes îles de l'Océan Indien et que vous appelez "les jeux de l'Océan Indien". Nous transmettrons cette démarche, j'espère avec quelques chances de succès, au ministre de l'économie et des finances qui ne s'en laisse pas compter, parce qu'après tout, dans tous les domaines qui vous paraissent primordiaux, nous nous ferons un devoir d'être là.\
Tout au long des dernières décennies, la France a su tirer les leçons d'une histoire qui fut cruelle en Europe dans l'ensemble du domaine qui fut naguère un empire colonial et qui désormais vit sa vie au travers d'un grand nombre de pays indépendants demeurés des amis de la France. En Europe, c'est la naissance de la Communauté économique européenne qui s'affirme d'année en année. Ce n'est pas si simple, ce n'est pas aisé de faire vivre ensemble douze pays qui représentent aujourd'hui trois cent quarante millions d'habitants. Cette Europe, première puissance commerciale du monde, qui pourrait être la première puissance industrielle et la première puissance technologique pour peu qu'elle disposât d'une volonté politique.
- Faut-il recommencer l'histoire du dernier siècle ? On pourrait penser que ce serait sacrifier trop que de consentir à cette Europe-là de larges parts de souveraineté. Faisons le compte des guerres, de leurs désastres, des saignées qui ont, au cours d'un siècle, détruit le capital français, le capital humain. Il nous a fallu plus d'un demi siècle pour nous en remettre. Et encore ne sommes-nous pas, en dépit de ce que je viens de dire, le pays qui fut le plus éprouvé. Pensez à l'Allemagne de la fin de la deuxième guerre mondiale, aux vingt millions de morts en Union soviétique et à tous les pays d'Europe qui ont apporté leur contribution à cet holocauste que j'appellerai traditionnel, presque nécessaire, tant il fallait en découdre d'Etat à Etat, de Nation à Nation. On comprend que cette tentative de Communauté européenne devenue réalité, réponde à une nécessité. Et bien entendu, il convient de faire la part des choses. Douze pays aujourd'hui réunis ont été capables de créer des structures communes - j'aurai l'occasion de le constater dans quelques jours lorsque je me trouverai à Dublin - mais en même temps nous voyons bien que, tout à côté, dans l'ensemble de l'Europe continentale se déroulent des événements dont la rapidité et l'ampleur dépassent l'imagination.
- L'Europe continentale, d'un pas inégal, mais certain, se dirige vers la démocratie, elle commence à choisir la paix à l'affrontement, elle comprend bien qu'à travers ce continent le plus petit, mais peut-être le plus vivant et doté d'une très ancienne civilisation, tout acte destructeur est mortel désormais pour tous.
- Alors, nous avons l'intention, nous la France, d'y participer pleinement. Et nous y jouons un rôle éminent comme il est normal pour l'une des quatre plus anciennes nations d'Europe, on pourrait presque dire du monde. Nous sommes très fiers de ce que nous sommes, mais nous avons conscience aussi qu'il existe en dehors de nous, des peuples dont le travail, la réussite et la qualité, l'intelligence et l'apport à la culture universelle méritent bien qu'on s'en occupe.
- Préférons l'alliance, préférons l'amitié, préférons la construction commune à la division et à la guerre.\
Alors nous, de notre côté, nous nous efforçons de regarder au-delà de notre continent. Voyez, quand vous avez créé la Commission de l'Océan Indien, les Seychelles, Maurice, Madagascar, les Comores : la France aussi s'est jointe à vous, pour prendre en compte la dimension commune de nos intérêts.
- Soumis à des contraintes similaires qui tiennent à l'insularité, à leur éloignement des grands marchés mondiaux, ces pays ont ressenti la nécessité de rechercher ensemble les moyens de les surmonter. L'intérêt bien compris de tous est, là comme ailleurs, sous des formes différentes, de coopérer. Voyez le mouvement interne de la Communauté qui pousse plus loin que partout ailleurs ses propres contraintes, sa propre discipline, qui ambitionne de définir un vaste dessein autour des réalités politiques, économiques et monétaires. Cela ira naturellement plus loin afin d'englober l'ensemble des activités humaines.
- Et, sur le plan de la sécurité, il existe des alliances qui nous portent au-delà de l'Atlantique, vers l'Afrique et vers l'Océan Indien. Observez que nous sommes à vos côtés et autant que cela nous sera possible - car nous aussi nous avons nos problèmes, nous avons à assurer notre sortie de crise internationale - nous assurerons cette coopération.\
Vous avez parlé de la dette. Cette dette a été accumulée à travers les décennies. C'est vrai qu'il arrive un moment où beaucoup de pays pauvres ou qui sont proches de la pauvreté, qui n'ont en tout cas pas les moyens de leur développement sont pratiquement hors d'état d'assurer le remboursement de leur dette sans ruiner leurs chances de développement, sans ruiner leurs chances d'avenir.
- Pour assurer le passé, s'interdire l'avenir, cela devient un pari stupide, il faut que les pays créanciers le comprennent.
- Eh bien, je tiens à rappeler ici que la France est depuis un certain nombre d'années - en tout cas je puis parler en mon nom depuis déjà neuf ans - le pays qui a constamment proposé des réponses sérieuses et durables au problème du développement. Si d'ailleurs, je voulais forcer le trait, je dirais que c'est le seul pays.
- La France est le pays qui aujourd'hui contribue le plus, proportionnellement à son revenu national intérieur, à l'aide multilatérale et bilatérale aux pays en voie de développement. Le plus, et de beaucoup, puisque les institutions internationales ont fixé un premier objectif après tout bien timide, de 0,7 % du revenu national. La France, compte non tenu de ses territoires et départements d'Outre-mer, en est à 0,55 laissant loin derrière l'Allemagne et le Canada et très loin derrière elle le Japon et les Etats-Unis d'Amérique. Si un effort égal était fait par ceux-ci, une large partie du problème posé serait déjà résolu.
- J'ai moi-même, à Ottawa, au nom de mon pays, proposé la réduction, dans une proportion importante, de la dette des pays pauvres. C'était lors d'un des sommets des grands pays industrialisés. J'ai ensuite proposé devant les Nations unies que les pays intermédiaires fussent l'objet d'attentions particulières. Et un peu plus tard, lors d'une réunion des Etats d'Afrique et la France, j'ai annoncé que la France, de son propre mouvement, renonçait à sa créance sur les trente-cinq pays les plus pauvres.
- Trente-cinq, ce n'était pas suffisant. Très vite, ceux qui se trouvaient juste au-dessus de ce niveau, sont venus nous voir. Et nous sommes passés à trente-neuf. Et puis ce n'était pas suffisant. Très vite, se sont ajoutés les pays dits intermédiaires, ceux qui ne sont pas tout à fait pauvres, car ils ont des richesses potentielles importantes - le Brésil par exemple - dont la dette est tellement écrasante qu'à l'heure actuelle leur population travaille pour rembourser cette dette avec un pouvoir d'achat qui diminue d'année en année. Ceux-là produisent davantage, remboursent davantage, mais reçoivent moins. Si l'on veut créer de graves crises politiques dans des démocraties fragiles, chacun sait que c'est à partir du trouble social, de la misère et du désespoir.\
J'ai donc un devoir au regard de la démocratie, en sachant, j'y insiste, je le répéterai toutes ces prochaines semaines comme je le fais depuis des années : il n'y a pas de démocratie sans développement, c'est la condition de base. Il est inutile de gémir sur la situation souvent désastreuse, inacceptable, de minorités ou de personnes assurant des gouvernements autoritaires, sans partage, dans des pays où le développement est si faible qu'il n'est pas possible de développer l'enseignement.
- Si bien que sont réservés à quelques-uns les privilèges que d'autres seraient au demeurant incapables d'acquérir par eux-mêmes £ d'où une incertitude le jour où conscience est prise £ et le vent qui vient d'Europe commence à souffler en Afrique, c'est normal, on ne s'en plaindra pas, on pourrait même s'en réjouir. Développement et démocratie sont deux termes inséparables.
- Pour développer la démocratie, pour remplir un devoir que je crois vraiment universel, le devoir d'un Etat et d'une puissance civilisée, le devoir du pays de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, je pense que le problème de la dette est l'un des premiers qui se pose pour lever cette chape de plomb qui s'abat sur la prospérité possible de tant de millions d'êtres humains sur la terre.
- On ne peut pas faire tout et n'importe quoi. Et j'entends bien continuer, sur chaque tribune internationale, partout où se réunissent les grands pays riches ou responsables, à développer le même thème et faire comprendre - on y arrivera mais les problèmes sont réels - que tant que nous n'aurons pas décidé, nous qui le pouvons, des moyens qui permettront à l'ensemble des pays en difficulté, de se développer, d'échapper à la spéculation sur les matières premières, de ne pas se faire voler leurs biens au bénéfice de la spéculation, tant que l'on n'aura pas trouvé un système stable - la France en a déjà proposé plusieurs - le monde ira cahotant, plein de révolutions, de rumeurs de guerre, de colère, de violence, de désespoir et de misère.
- Ce que je vous dis pour l'ensemble des pays dont je parle ne se pose pas dans les mêmes termes aux Seychelles, terre qui n'est plus seulement une terre d'escale, mais qui permet de communiquer avec les continents voisins. Ce n'est pas aux Seychelles que j'aurai à faire la leçon. Cependant je vois bien d'autres pays intermédiaires, fortement endettés. Vous attendez des réponses, la France vous les apportera autant qu'il sera possible, je répète volontairement cette expression "à son corps défendant", mais cela ne suffira pas. Voilà pourquoi il convient que vous participiez, comme nous le faisons nous-mêmes, à ce grand mouvement de prise de conscience universelle. Le devoir des pays riches est désormais, après tant de temps perdu, de s'atteler à cette tâche primordiale : assurer le développement. Ils en ont le moyen. Ils peuvent s'interdire à eux-mêmes un certain nombre de pratiques qui rappellent fâcheusement, cruellement, des pratiques coloniales. A quoi sert-il d'aider un pays si l'on compte tirer de cette aide, plus de profits encore pour soi-même.\
Enfin, je voudrais évoquer comme dernière indication utile le rôle de la France dans les négociations pour le renouvellement de la Convention de Lomé. Je me souviens du chiffre qui courait. Monsieur le ministre des affaires étrangères français le sait puisqu'il a largement contribué à cette négociation. En fait, les pays dits du tiers monde redoutaient l'attrait nouveau que ressentaient les grand pays occidentaux pour l'Europe de l'Est. Il fallait les rassurer, leur dire que nous remplirions les deux devoirs. Et, finalement, les chiffres qui ont été retenus pour l'aide aux pays en question, ont été supérieurs à ceux qui étaient attendus.
- Voilà pourquoi je puis vous apporter la garantie que, pour ce qui nous concerne, aussi désireux que nous soyons, et nous le sommes, d'être présents dans les pays de l'Europe centrale et de l'Est et d'être présents sur tous les terrains y compris commercial et financier, nous sommes prêts à garantir un effort supplémentaire pour préserver la part qui revient au développement des pays pauvres.
- Je me suis engagé dans cette conversation parce que vous m'y avez invité et je n'entends pas laisser vos propos sans réponse. Quant aux dossiers dont vous m'avez saisi, plusieurs ont déjà reçu des réponses, dans le cadre de nos rencontres ou des commissions mixtes. D'autres ont reçu des demi réponses, d'autres sont en instance de réponse, d'autres sont simplement posées et sont restées tout à fait sans réponse, enfin d'autres resteront sans réponse. Mais il s'agit d'établir l'échelle dans l'importance des sujets que nous avons traité en commun. Et ce que vous m'en avez dit cet après-midi me suffit pour vous assurer qu'il y aura progrès. Progrès dans la rapidité et progrès dans l'importance. N'attendez cependant pas des merveilles, les voyages n'ont pas pour objet de laisser attendre des miracles qui risqueraient de ne pas se produire.\
Venir aux Seychelles, chacun sait que pour un voyageur, c'est une admirable perspective. On pense, il faut l'avouer, plutôt aux vacances £ enfin pour ceux qui viennent, je ne pense pas à ceux qui y résident. Je pense aux vacances, au repos, à la liberté des choses, à la poésie. On retrouve les grands éléments. Ces grands éléments, vous avez su les respecter, ce qui me paraît essentiel et qui est véritablement le jugement que l'histoire portera de votre passage aux affaires publiques. Mais venir comme je le fais, un après-midi, une soirée, une matinée, cela permet tout juste de respirer, d'essayer de comprendre et de regretter de s'en aller si vite. Si je faisais autre chose que ce que je fais, et si je n'avais pas le temps qui m'a été confié par le peuple français, je ferais des projets à bref délai.. Au demeurant, j'aime bien rester chez moi .. ! Mais vraiment, on ne peut pas se séparer de vous sans avoir envie de rester. Il faut que les Seychellois qui m'entendent le sachent : leur hospitalité, leur caractère, leur culture, la grande diversité des richesses de ce peuple peu nombreux, plaident pour que l'on ait envie de renforcer nos relations, d'établir un courant permanent et constamment renouvelé.
- Voilà les impressions que rapporteront ceux qui m'accompagnent. Ceux qui, parmi eux, ont coutume de venir souvent dans votre pays me l'ont déjà dit. Ils sont très bien chez vous. Quant je partirai, demain, je vous regretterai. Mais j'aurai la satisfaction d'avoir témoigné pour la France, en apportant d'abord au peuple seychellois un hommage du peuple français, en assurant qu'après plus de deux siècles, de vie qui fut longtemps commune, nous avons parfaitement rempli les obligations de l'histoire. Ce n'est pas un hasard, si c'est peu après l'affirmation de votre indépendance que la France a établi avec vous des relations immédiates et confiantes.\
- Madame,
- C'est en organisant ce voyage que j'ai appris que la visite qui me conduit dans votre pays serait comme vous venez de le rappeler la première visite jamais faite aux Seychelles par un chef de l'Etat français.
- Vous y avez vu avec raison un témoignage d'intérêt particulier, celui que la France porte à votre pays depuis longtemps et particulièrement depuis une quinzaine d'années où vous assurez votre propre indépendance.
- Quelles raisons à cela ? J'en vois deux essentielles : l'histoire et une certaine forme de voisinage. L'histoire, est-il besoin de le rappeler, c'est déjà fait, c'est vrai que nos compatriotes furent les premiers à s'installer dans ces îles, à s'y arrêter, à y faire souche. Nombreux sont encore leurs descendants directs. On me dit aussi que le dernier représentant de la France est mort aux Seychelles. Sa tombe se dresse toujours à Victoria dans le jardin du Palais du Gouverneur, rappel symbolique d'une page d'histoire. Et pourtant ce dernier témoin de l'autorité française et la suite des temps assumée par un autre pays, tout cela n'a pas entraîné la fin de la présence française, ni de notre langue, ni de notre culture qui sont restés très vivants chez les Seychellois à travers tant de noms de familles et de lieux dont vous m'avez appris certains.\
C'est à partir du français que des hommes et des femmes venus d'horizons divers ont développé les liens qui ont formé le peuple seychellois. Eh bien je dois vous dire que cette fidélité aux origines est assez remarquable. Je dois vous exprimer, ici, la reconnaissance que nous Français nous devons à ceux qui, au travers des vicissitudes de l'histoire, ont su garder, préserver, enrichir l'héritage culturel laissé il y a quand même longtemps par la France elle-même. Comme nous le disions il y a un instant, non seulement pour vous apporter une langue mais pour que cette langue puisse se mêler à une autre, qui est spécifiquement la vôtre et pour qu'à son tour cette langue, le créole, pût enrichir, renouveler, raviver la saveur du français d'origine. Qu'un jeune Etat se dote de trois langues, comme c'est le cas ici, cela pourrait apparaître comme un luxe. On pourrait dire que le recours à un seul instrument de communication serait peut-être préférable. Ce serait oublier la diversité de vos sources £ et je pense bien que c'est une des chances des Seychellois que de pouvoir disposer d'un accès très large à plusieurs formes de civilisations. Vous en êtes porteurs, non seulement témoins mais acteurs et à votre tour vous transmettrez.
- C'est pourquoi c'est pour nous, Français, très important que de pouvoir venir chez vous et reconnaître votre hospitalité, en tirer déjà quelques conclusions, observer la beauté des paysages, des éléments naturels, et la cordialité des habitants, être à l'écoute aussi des accents de la langue et des mots. C'est très important de savoir que cela existe dans ces îles apparemment si lointaines, à travers cet immense océan. A vrai dire nous avons souvent reçu vos étudiants, nous avons quand même envoyé quelques professeurs même si vous trouvez qu'il n'y en a pas assez, ce qui est une revendication qui nous plaît. Récemment et toujours dans ce sens de la communication, nous avons contribué à mettre à votre disposition une installation qui vous permet de capter directement les programmes français de télévision transmis par satellite TELECOM. Vous me rappeliez tout à l'heure que cela permettait aux Seychellois de suivre les événements sportifs d'importance mondiale - après tout, ce n'est pas désagréable de pouvoir suivre avec passion un des événements qui se déroule aujourd'hui en Italie autour du football - mais cela permettra aussi beaucoup d'autres choses.\
Et, bien que située à 3000 kms de l'île de la Réunion, comme il s'agit d'une terre française, on pourrait dire en forçant peut-être un peu les mots, que les Seychellois sont parmi les voisins les plus proches de la France. Bon, n'exagérons pas la formule. Il n'empêche que ce passé, ces relations constantes et le fait qu'il existe dans l'Océan Indien des témoins vivants et prometteurs de la terre française, tout cela nous permet quand même de préserver, de maintenir une relation plus étroite. Je sais que vous allez procéder à des échanges sportifs qui vous intéressent entre les différentes îles de l'Océan Indien et que vous appelez "les jeux de l'Océan Indien". Nous transmettrons cette démarche, j'espère avec quelques chances de succès, au ministre de l'économie et des finances qui ne s'en laisse pas compter, parce qu'après tout, dans tous les domaines qui vous paraissent primordiaux, nous nous ferons un devoir d'être là.\
Tout au long des dernières décennies, la France a su tirer les leçons d'une histoire qui fut cruelle en Europe dans l'ensemble du domaine qui fut naguère un empire colonial et qui désormais vit sa vie au travers d'un grand nombre de pays indépendants demeurés des amis de la France. En Europe, c'est la naissance de la Communauté économique européenne qui s'affirme d'année en année. Ce n'est pas si simple, ce n'est pas aisé de faire vivre ensemble douze pays qui représentent aujourd'hui trois cent quarante millions d'habitants. Cette Europe, première puissance commerciale du monde, qui pourrait être la première puissance industrielle et la première puissance technologique pour peu qu'elle disposât d'une volonté politique.
- Faut-il recommencer l'histoire du dernier siècle ? On pourrait penser que ce serait sacrifier trop que de consentir à cette Europe-là de larges parts de souveraineté. Faisons le compte des guerres, de leurs désastres, des saignées qui ont, au cours d'un siècle, détruit le capital français, le capital humain. Il nous a fallu plus d'un demi siècle pour nous en remettre. Et encore ne sommes-nous pas, en dépit de ce que je viens de dire, le pays qui fut le plus éprouvé. Pensez à l'Allemagne de la fin de la deuxième guerre mondiale, aux vingt millions de morts en Union soviétique et à tous les pays d'Europe qui ont apporté leur contribution à cet holocauste que j'appellerai traditionnel, presque nécessaire, tant il fallait en découdre d'Etat à Etat, de Nation à Nation. On comprend que cette tentative de Communauté européenne devenue réalité, réponde à une nécessité. Et bien entendu, il convient de faire la part des choses. Douze pays aujourd'hui réunis ont été capables de créer des structures communes - j'aurai l'occasion de le constater dans quelques jours lorsque je me trouverai à Dublin - mais en même temps nous voyons bien que, tout à côté, dans l'ensemble de l'Europe continentale se déroulent des événements dont la rapidité et l'ampleur dépassent l'imagination.
- L'Europe continentale, d'un pas inégal, mais certain, se dirige vers la démocratie, elle commence à choisir la paix à l'affrontement, elle comprend bien qu'à travers ce continent le plus petit, mais peut-être le plus vivant et doté d'une très ancienne civilisation, tout acte destructeur est mortel désormais pour tous.
- Alors, nous avons l'intention, nous la France, d'y participer pleinement. Et nous y jouons un rôle éminent comme il est normal pour l'une des quatre plus anciennes nations d'Europe, on pourrait presque dire du monde. Nous sommes très fiers de ce que nous sommes, mais nous avons conscience aussi qu'il existe en dehors de nous, des peuples dont le travail, la réussite et la qualité, l'intelligence et l'apport à la culture universelle méritent bien qu'on s'en occupe.
- Préférons l'alliance, préférons l'amitié, préférons la construction commune à la division et à la guerre.\
Alors nous, de notre côté, nous nous efforçons de regarder au-delà de notre continent. Voyez, quand vous avez créé la Commission de l'Océan Indien, les Seychelles, Maurice, Madagascar, les Comores : la France aussi s'est jointe à vous, pour prendre en compte la dimension commune de nos intérêts.
- Soumis à des contraintes similaires qui tiennent à l'insularité, à leur éloignement des grands marchés mondiaux, ces pays ont ressenti la nécessité de rechercher ensemble les moyens de les surmonter. L'intérêt bien compris de tous est, là comme ailleurs, sous des formes différentes, de coopérer. Voyez le mouvement interne de la Communauté qui pousse plus loin que partout ailleurs ses propres contraintes, sa propre discipline, qui ambitionne de définir un vaste dessein autour des réalités politiques, économiques et monétaires. Cela ira naturellement plus loin afin d'englober l'ensemble des activités humaines.
- Et, sur le plan de la sécurité, il existe des alliances qui nous portent au-delà de l'Atlantique, vers l'Afrique et vers l'Océan Indien. Observez que nous sommes à vos côtés et autant que cela nous sera possible - car nous aussi nous avons nos problèmes, nous avons à assurer notre sortie de crise internationale - nous assurerons cette coopération.\
Vous avez parlé de la dette. Cette dette a été accumulée à travers les décennies. C'est vrai qu'il arrive un moment où beaucoup de pays pauvres ou qui sont proches de la pauvreté, qui n'ont en tout cas pas les moyens de leur développement sont pratiquement hors d'état d'assurer le remboursement de leur dette sans ruiner leurs chances de développement, sans ruiner leurs chances d'avenir.
- Pour assurer le passé, s'interdire l'avenir, cela devient un pari stupide, il faut que les pays créanciers le comprennent.
- Eh bien, je tiens à rappeler ici que la France est depuis un certain nombre d'années - en tout cas je puis parler en mon nom depuis déjà neuf ans - le pays qui a constamment proposé des réponses sérieuses et durables au problème du développement. Si d'ailleurs, je voulais forcer le trait, je dirais que c'est le seul pays.
- La France est le pays qui aujourd'hui contribue le plus, proportionnellement à son revenu national intérieur, à l'aide multilatérale et bilatérale aux pays en voie de développement. Le plus, et de beaucoup, puisque les institutions internationales ont fixé un premier objectif après tout bien timide, de 0,7 % du revenu national. La France, compte non tenu de ses territoires et départements d'Outre-mer, en est à 0,55 laissant loin derrière l'Allemagne et le Canada et très loin derrière elle le Japon et les Etats-Unis d'Amérique. Si un effort égal était fait par ceux-ci, une large partie du problème posé serait déjà résolu.
- J'ai moi-même, à Ottawa, au nom de mon pays, proposé la réduction, dans une proportion importante, de la dette des pays pauvres. C'était lors d'un des sommets des grands pays industrialisés. J'ai ensuite proposé devant les Nations unies que les pays intermédiaires fussent l'objet d'attentions particulières. Et un peu plus tard, lors d'une réunion des Etats d'Afrique et la France, j'ai annoncé que la France, de son propre mouvement, renonçait à sa créance sur les trente-cinq pays les plus pauvres.
- Trente-cinq, ce n'était pas suffisant. Très vite, ceux qui se trouvaient juste au-dessus de ce niveau, sont venus nous voir. Et nous sommes passés à trente-neuf. Et puis ce n'était pas suffisant. Très vite, se sont ajoutés les pays dits intermédiaires, ceux qui ne sont pas tout à fait pauvres, car ils ont des richesses potentielles importantes - le Brésil par exemple - dont la dette est tellement écrasante qu'à l'heure actuelle leur population travaille pour rembourser cette dette avec un pouvoir d'achat qui diminue d'année en année. Ceux-là produisent davantage, remboursent davantage, mais reçoivent moins. Si l'on veut créer de graves crises politiques dans des démocraties fragiles, chacun sait que c'est à partir du trouble social, de la misère et du désespoir.\
J'ai donc un devoir au regard de la démocratie, en sachant, j'y insiste, je le répéterai toutes ces prochaines semaines comme je le fais depuis des années : il n'y a pas de démocratie sans développement, c'est la condition de base. Il est inutile de gémir sur la situation souvent désastreuse, inacceptable, de minorités ou de personnes assurant des gouvernements autoritaires, sans partage, dans des pays où le développement est si faible qu'il n'est pas possible de développer l'enseignement.
- Si bien que sont réservés à quelques-uns les privilèges que d'autres seraient au demeurant incapables d'acquérir par eux-mêmes £ d'où une incertitude le jour où conscience est prise £ et le vent qui vient d'Europe commence à souffler en Afrique, c'est normal, on ne s'en plaindra pas, on pourrait même s'en réjouir. Développement et démocratie sont deux termes inséparables.
- Pour développer la démocratie, pour remplir un devoir que je crois vraiment universel, le devoir d'un Etat et d'une puissance civilisée, le devoir du pays de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, je pense que le problème de la dette est l'un des premiers qui se pose pour lever cette chape de plomb qui s'abat sur la prospérité possible de tant de millions d'êtres humains sur la terre.
- On ne peut pas faire tout et n'importe quoi. Et j'entends bien continuer, sur chaque tribune internationale, partout où se réunissent les grands pays riches ou responsables, à développer le même thème et faire comprendre - on y arrivera mais les problèmes sont réels - que tant que nous n'aurons pas décidé, nous qui le pouvons, des moyens qui permettront à l'ensemble des pays en difficulté, de se développer, d'échapper à la spéculation sur les matières premières, de ne pas se faire voler leurs biens au bénéfice de la spéculation, tant que l'on n'aura pas trouvé un système stable - la France en a déjà proposé plusieurs - le monde ira cahotant, plein de révolutions, de rumeurs de guerre, de colère, de violence, de désespoir et de misère.
- Ce que je vous dis pour l'ensemble des pays dont je parle ne se pose pas dans les mêmes termes aux Seychelles, terre qui n'est plus seulement une terre d'escale, mais qui permet de communiquer avec les continents voisins. Ce n'est pas aux Seychelles que j'aurai à faire la leçon. Cependant je vois bien d'autres pays intermédiaires, fortement endettés. Vous attendez des réponses, la France vous les apportera autant qu'il sera possible, je répète volontairement cette expression "à son corps défendant", mais cela ne suffira pas. Voilà pourquoi il convient que vous participiez, comme nous le faisons nous-mêmes, à ce grand mouvement de prise de conscience universelle. Le devoir des pays riches est désormais, après tant de temps perdu, de s'atteler à cette tâche primordiale : assurer le développement. Ils en ont le moyen. Ils peuvent s'interdire à eux-mêmes un certain nombre de pratiques qui rappellent fâcheusement, cruellement, des pratiques coloniales. A quoi sert-il d'aider un pays si l'on compte tirer de cette aide, plus de profits encore pour soi-même.\
Enfin, je voudrais évoquer comme dernière indication utile le rôle de la France dans les négociations pour le renouvellement de la Convention de Lomé. Je me souviens du chiffre qui courait. Monsieur le ministre des affaires étrangères français le sait puisqu'il a largement contribué à cette négociation. En fait, les pays dits du tiers monde redoutaient l'attrait nouveau que ressentaient les grand pays occidentaux pour l'Europe de l'Est. Il fallait les rassurer, leur dire que nous remplirions les deux devoirs. Et, finalement, les chiffres qui ont été retenus pour l'aide aux pays en question, ont été supérieurs à ceux qui étaient attendus.
- Voilà pourquoi je puis vous apporter la garantie que, pour ce qui nous concerne, aussi désireux que nous soyons, et nous le sommes, d'être présents dans les pays de l'Europe centrale et de l'Est et d'être présents sur tous les terrains y compris commercial et financier, nous sommes prêts à garantir un effort supplémentaire pour préserver la part qui revient au développement des pays pauvres.
- Je me suis engagé dans cette conversation parce que vous m'y avez invité et je n'entends pas laisser vos propos sans réponse. Quant aux dossiers dont vous m'avez saisi, plusieurs ont déjà reçu des réponses, dans le cadre de nos rencontres ou des commissions mixtes. D'autres ont reçu des demi réponses, d'autres sont en instance de réponse, d'autres sont simplement posées et sont restées tout à fait sans réponse, enfin d'autres resteront sans réponse. Mais il s'agit d'établir l'échelle dans l'importance des sujets que nous avons traité en commun. Et ce que vous m'en avez dit cet après-midi me suffit pour vous assurer qu'il y aura progrès. Progrès dans la rapidité et progrès dans l'importance. N'attendez cependant pas des merveilles, les voyages n'ont pas pour objet de laisser attendre des miracles qui risqueraient de ne pas se produire.\
Venir aux Seychelles, chacun sait que pour un voyageur, c'est une admirable perspective. On pense, il faut l'avouer, plutôt aux vacances £ enfin pour ceux qui viennent, je ne pense pas à ceux qui y résident. Je pense aux vacances, au repos, à la liberté des choses, à la poésie. On retrouve les grands éléments. Ces grands éléments, vous avez su les respecter, ce qui me paraît essentiel et qui est véritablement le jugement que l'histoire portera de votre passage aux affaires publiques. Mais venir comme je le fais, un après-midi, une soirée, une matinée, cela permet tout juste de respirer, d'essayer de comprendre et de regretter de s'en aller si vite. Si je faisais autre chose que ce que je fais, et si je n'avais pas le temps qui m'a été confié par le peuple français, je ferais des projets à bref délai.. Au demeurant, j'aime bien rester chez moi .. ! Mais vraiment, on ne peut pas se séparer de vous sans avoir envie de rester. Il faut que les Seychellois qui m'entendent le sachent : leur hospitalité, leur caractère, leur culture, la grande diversité des richesses de ce peuple peu nombreux, plaident pour que l'on ait envie de renforcer nos relations, d'établir un courant permanent et constamment renouvelé.
- Voilà les impressions que rapporteront ceux qui m'accompagnent. Ceux qui, parmi eux, ont coutume de venir souvent dans votre pays me l'ont déjà dit. Ils sont très bien chez vous. Quant je partirai, demain, je vous regretterai. Mais j'aurai la satisfaction d'avoir témoigné pour la France, en apportant d'abord au peuple seychellois un hommage du peuple français, en assurant qu'après plus de deux siècles, de vie qui fut longtemps commune, nous avons parfaitement rempli les obligations de l'histoire. Ce n'est pas un hasard, si c'est peu après l'affirmation de votre indépendance que la France a établi avec vous des relations immédiates et confiantes.\