31 mai 1990 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la célébration de la 500ème greffe hépatique, Villejuif, le 31 mai 1990.
Mesdames et messieurs,
- C'est une cérémonie émouvante à laquelle nous participons, celle qui réunit ces femmes, ces hommes que vous appeliez tout à l'heure les "miraculés de la science", ceux qui en France et dans le monde aujourd'hui vivent grâce au formidable progrès des techniques, à la qualité des équipes, au dévouement de tous.
- Mais si ces techniques si complexes de la transplantation d'organes se sont développées en France à tel point que notre pays occupe à cet égard l'une des toutes premières places dans le monde, et vous disiez la première en Europe, ce n'est quand même pas tout à fait un miracle : c'est bien que plusieurs conditions favorables ont été réunies. Je voudrais évoquer rapidement celles d'entre elles qui me paraissent les plus déterminantes.
- D'abord, c'est indéniable, l'existence de grands pionniers, d'hommes et de femmes remarquables. Je ne peux pas les citer, peut-être quelques-uns comme cela au risque d'injustice pour les autres mais vous les connaissez. Comment ne citerai-je pas par exemple le professeur Dausset dont le rôle éminent dans la découverte des mécanismes du rejet de greffe lui a valu le Prix Nobel de Médecine et tous ceux qui ont réalisé les greffes, les premières greffes, le Professeur Hamburger, première greffe du rein et vous-même, monsieur le Professeur qui êtes un de ces pionniers dans le domaine de la greffe du foie. Le centre que vous animez ici est mondialement connu et reconnu £ d'autres équipes sont nées, certaines initiées par vos élèves et il faut se réjouir de voir ainsi accrues les possibilités de greffe d'organes, les espoirs de vie dont elles sont porteuses. Mais, au-delà des individualités, ce qui explique pour une part le rayonnement de la France, c'est la compétence, le très haut niveau de technicité, de connaissances, de dévouement, de passion, qui caractérise les équipes hospitalières qui s'y consacrent. Car la greffe d'organes, c'est une opération - vous l'imaginez bien et vous l'avez vécu vous-même - très lourde qui suppose la mobilisation au moins de deux équipes quasi simultanément, à des points parfois très éloignés l'un de l'autre, celle qui recueille, qui prélève l'organe, celle qui le greffe et l'activité conjuguée, étroitement soudée de tant de personnels de l'hôpital : chirurgiens, anesthésistes, réanimateurs, infirmières, personnels de laboratoire. Il ne faut pas oublier ceux-là. C'est sans doute parce que l'hôpital public est le creuset de toutes les intelligences dévouées au mieux-être des autres, que notre pays a réussi si bien dans ce domaine.\
Quand on dit l'hôpital public, c'est un peu une abstraction. Il est composé de dizaines de milliers de personnes, celles dont on ne parle jamais ou trop rarement, dont le labeur quotidien, le dévouement absolu, la compétence discrète fait que l'hôpital public reste un lieu de haut niveau qui pose bien des problèmes si l'on veut pouvoir lui préserver son rôle et il faudra le préserver.
- Mais je veux dans ce rapide exposé, saluer celles et ceux dont je parle et qui se trouvent ici dans cette salle. J'ai dit creuset de toutes les intelligences mais aussi somme de toutes les passions, réunion de toutes les volontés. Ces équipes ont su se coordonner, s'organiser pour être les plus utiles possible, pour rapprocher les caractéristiques du donneur et celle du receveur, faire le meilleur choix pour aussi contrôler ce qui ne doit à aucun prix et j'y reviendrai devenir un marché, celui des organes humains. Notre pays pour ce faire s'est doté d'un système que je crois efficace, que beaucoup de pays nous envient avec l'organisation "France-Transplant" que le professeur Cabrol préside. Je salue sa présence parmi nous comme je pourrais citer bien d'autres que je vois devant moi et qu'il me plaît de voir ici.\
Ne croyez-vous pas que l'exigence de notre système de protection sociale soit aussi pour beaucoup dans ces succès ? Parce que notre système de protection sociale, qu'il faut également protéger avec soin contre toutes les attaques qu'il subit, repose sur la solidarité devant la maladie, solidarité de tous et autant que possible l'égalité de tous. Ce système a été capable de prendre en charge des thérapeutiques onéreuses, de ne pas les réserver à quelques-uns qui seraient les plus favorisés par la fortune mais au contraire d'y assurer l'égal accès de tous. Il serait intolérable que l'argent puisse devenir la clé d'accès aux techniques médicales, bref, l'accès à la santé, à la vie.\
Enfin, nous avons été capables - ce n'est pas le cas de tous les pays, on a le droit quelquefois d'être fier - de donner à une activité aussi grave, parce qu'elle touche à des problèmes éthiques, des problèmes moraux, un soubassement législatif, réglementaire, satisfaisant. Je pense en particulier à ce que l'on appelle la loi Caillavet de 1976 qui définit les conditions dans lesquelles un organe peut être prélevé.
- L'Etat, le législateur sont intervenus pour tracer un cadre, poser des bornes, fournir des repères. Mais le respect de cette morale relève de la responsabilité de tous. C'est pourquoi j'ai tenu à constituer, en 1984, un Comité national d'éthique qui a été, et qui sera appelé à donner son avis sur toutes les questions concernant les problèmes médicaux. Il existe des comités régionaux maintenant, il existe aussi une organisation internationale.
- Comme l'écrit le Professeur Jean Bernard qui préside ce comité, dans un récent livre, je le cite : "une loi quelle qu'elle soit ne règle pas tous les problèmes moraux qui se posent aux médecins". C'est pourquoi l'exigence du respect de l'éthique repose essentiellement sur vous, mesdames et messieurs les médecins. Je crois que la grande qualité de ce que l'on appellera d'un terme que je n'aime guère, vos performances, vos réussites techniques et médicales font depuis toujours la noblesse de votre profession. Je veux vraiment la célébrer en ce jour.\
Mais dépassant les termes officiels, les hommages, les congratulations qui vous sont dûs, je veux dire à quel point me paraît émouvant le fait que nous puissions être réunis à l'occasion de la 500ème greffe. Ce n'est pas le chiffre qui compte, ce n'est qu'un point de repère, un symbole, puisque la tâche continue. Alors je pense à celles et à ceux qui sont devant moi. Il se trouve que j'en connais et je sais leur souffrance, leur attente, leur espoir. Et je devine aussi la confiance qu'il leur faut dans leurs propres capacités, dans leur résistance morale et physique, en même temps que la confiance qu'ils doivent porter à ceux qui portent leur vie dans leurs mains. Les angoisses qu'on ne peut toujours maîtriser - on vient de si loin - dues à une si longue ignorance, à cette impossibilité de franchir les distances entre la vie, la mort.
- Il faut donc que nous nous arrêtions un instant pour songer à cet effort, songer à ces souffrances, songer à ces espoirs. Placés ici, nous pouvons mesurer les vanités, les choses inutiles, les luttes absurdes - elles ne le sont pas toutes -, le dérisoire de bien des choix lorsqu'on est affronté à l'essentiel, tel qu'il est posé ici même, tel que vous tentez de le résoudre avec pour vous-même, je l'imagine dans votre conscience et votre sensibilité, de la douleur devant l'échec et une volonté cependant acharnée d'aller encore plus loin pour laisser à vos disciples et à vos successeurs, à travers les générations, un outil plus fort encore, afin d'assurer la victoire de l'homme sur la rigueur de son destin.
- Voilà, je voulais vous saluer. Je voulais vous dire à vous, qui avez bénéficié avec succès de ces transplantations, ainsi qu'à tous les échelons du personnel de cet hôpital, mais aussi des autres, je voulais vous dire, à vous, monsieur le professeur, puisque c'est vous qui nous recevez en ce jour, et que vous représentez l'ensemble des médecins, des grands médecins qui, dans les différentes disciplines de la santé, s'appliquent à une oeuvre du même type et qui ont obtenu des résultats très souvent remarquables. Je tiens à vous dire à quel point je me sens votre obligé et me sentant votre obligé, à quel point je souhaite - comme certainement M. le ministre de la santé qui se trouve à mes côtés - répondre du mieux possible par l'effort national et les volontés gouvernementales à l'immense besoin, à la nécessité de vos missions.\
- C'est une cérémonie émouvante à laquelle nous participons, celle qui réunit ces femmes, ces hommes que vous appeliez tout à l'heure les "miraculés de la science", ceux qui en France et dans le monde aujourd'hui vivent grâce au formidable progrès des techniques, à la qualité des équipes, au dévouement de tous.
- Mais si ces techniques si complexes de la transplantation d'organes se sont développées en France à tel point que notre pays occupe à cet égard l'une des toutes premières places dans le monde, et vous disiez la première en Europe, ce n'est quand même pas tout à fait un miracle : c'est bien que plusieurs conditions favorables ont été réunies. Je voudrais évoquer rapidement celles d'entre elles qui me paraissent les plus déterminantes.
- D'abord, c'est indéniable, l'existence de grands pionniers, d'hommes et de femmes remarquables. Je ne peux pas les citer, peut-être quelques-uns comme cela au risque d'injustice pour les autres mais vous les connaissez. Comment ne citerai-je pas par exemple le professeur Dausset dont le rôle éminent dans la découverte des mécanismes du rejet de greffe lui a valu le Prix Nobel de Médecine et tous ceux qui ont réalisé les greffes, les premières greffes, le Professeur Hamburger, première greffe du rein et vous-même, monsieur le Professeur qui êtes un de ces pionniers dans le domaine de la greffe du foie. Le centre que vous animez ici est mondialement connu et reconnu £ d'autres équipes sont nées, certaines initiées par vos élèves et il faut se réjouir de voir ainsi accrues les possibilités de greffe d'organes, les espoirs de vie dont elles sont porteuses. Mais, au-delà des individualités, ce qui explique pour une part le rayonnement de la France, c'est la compétence, le très haut niveau de technicité, de connaissances, de dévouement, de passion, qui caractérise les équipes hospitalières qui s'y consacrent. Car la greffe d'organes, c'est une opération - vous l'imaginez bien et vous l'avez vécu vous-même - très lourde qui suppose la mobilisation au moins de deux équipes quasi simultanément, à des points parfois très éloignés l'un de l'autre, celle qui recueille, qui prélève l'organe, celle qui le greffe et l'activité conjuguée, étroitement soudée de tant de personnels de l'hôpital : chirurgiens, anesthésistes, réanimateurs, infirmières, personnels de laboratoire. Il ne faut pas oublier ceux-là. C'est sans doute parce que l'hôpital public est le creuset de toutes les intelligences dévouées au mieux-être des autres, que notre pays a réussi si bien dans ce domaine.\
Quand on dit l'hôpital public, c'est un peu une abstraction. Il est composé de dizaines de milliers de personnes, celles dont on ne parle jamais ou trop rarement, dont le labeur quotidien, le dévouement absolu, la compétence discrète fait que l'hôpital public reste un lieu de haut niveau qui pose bien des problèmes si l'on veut pouvoir lui préserver son rôle et il faudra le préserver.
- Mais je veux dans ce rapide exposé, saluer celles et ceux dont je parle et qui se trouvent ici dans cette salle. J'ai dit creuset de toutes les intelligences mais aussi somme de toutes les passions, réunion de toutes les volontés. Ces équipes ont su se coordonner, s'organiser pour être les plus utiles possible, pour rapprocher les caractéristiques du donneur et celle du receveur, faire le meilleur choix pour aussi contrôler ce qui ne doit à aucun prix et j'y reviendrai devenir un marché, celui des organes humains. Notre pays pour ce faire s'est doté d'un système que je crois efficace, que beaucoup de pays nous envient avec l'organisation "France-Transplant" que le professeur Cabrol préside. Je salue sa présence parmi nous comme je pourrais citer bien d'autres que je vois devant moi et qu'il me plaît de voir ici.\
Ne croyez-vous pas que l'exigence de notre système de protection sociale soit aussi pour beaucoup dans ces succès ? Parce que notre système de protection sociale, qu'il faut également protéger avec soin contre toutes les attaques qu'il subit, repose sur la solidarité devant la maladie, solidarité de tous et autant que possible l'égalité de tous. Ce système a été capable de prendre en charge des thérapeutiques onéreuses, de ne pas les réserver à quelques-uns qui seraient les plus favorisés par la fortune mais au contraire d'y assurer l'égal accès de tous. Il serait intolérable que l'argent puisse devenir la clé d'accès aux techniques médicales, bref, l'accès à la santé, à la vie.\
Enfin, nous avons été capables - ce n'est pas le cas de tous les pays, on a le droit quelquefois d'être fier - de donner à une activité aussi grave, parce qu'elle touche à des problèmes éthiques, des problèmes moraux, un soubassement législatif, réglementaire, satisfaisant. Je pense en particulier à ce que l'on appelle la loi Caillavet de 1976 qui définit les conditions dans lesquelles un organe peut être prélevé.
- L'Etat, le législateur sont intervenus pour tracer un cadre, poser des bornes, fournir des repères. Mais le respect de cette morale relève de la responsabilité de tous. C'est pourquoi j'ai tenu à constituer, en 1984, un Comité national d'éthique qui a été, et qui sera appelé à donner son avis sur toutes les questions concernant les problèmes médicaux. Il existe des comités régionaux maintenant, il existe aussi une organisation internationale.
- Comme l'écrit le Professeur Jean Bernard qui préside ce comité, dans un récent livre, je le cite : "une loi quelle qu'elle soit ne règle pas tous les problèmes moraux qui se posent aux médecins". C'est pourquoi l'exigence du respect de l'éthique repose essentiellement sur vous, mesdames et messieurs les médecins. Je crois que la grande qualité de ce que l'on appellera d'un terme que je n'aime guère, vos performances, vos réussites techniques et médicales font depuis toujours la noblesse de votre profession. Je veux vraiment la célébrer en ce jour.\
Mais dépassant les termes officiels, les hommages, les congratulations qui vous sont dûs, je veux dire à quel point me paraît émouvant le fait que nous puissions être réunis à l'occasion de la 500ème greffe. Ce n'est pas le chiffre qui compte, ce n'est qu'un point de repère, un symbole, puisque la tâche continue. Alors je pense à celles et à ceux qui sont devant moi. Il se trouve que j'en connais et je sais leur souffrance, leur attente, leur espoir. Et je devine aussi la confiance qu'il leur faut dans leurs propres capacités, dans leur résistance morale et physique, en même temps que la confiance qu'ils doivent porter à ceux qui portent leur vie dans leurs mains. Les angoisses qu'on ne peut toujours maîtriser - on vient de si loin - dues à une si longue ignorance, à cette impossibilité de franchir les distances entre la vie, la mort.
- Il faut donc que nous nous arrêtions un instant pour songer à cet effort, songer à ces souffrances, songer à ces espoirs. Placés ici, nous pouvons mesurer les vanités, les choses inutiles, les luttes absurdes - elles ne le sont pas toutes -, le dérisoire de bien des choix lorsqu'on est affronté à l'essentiel, tel qu'il est posé ici même, tel que vous tentez de le résoudre avec pour vous-même, je l'imagine dans votre conscience et votre sensibilité, de la douleur devant l'échec et une volonté cependant acharnée d'aller encore plus loin pour laisser à vos disciples et à vos successeurs, à travers les générations, un outil plus fort encore, afin d'assurer la victoire de l'homme sur la rigueur de son destin.
- Voilà, je voulais vous saluer. Je voulais vous dire à vous, qui avez bénéficié avec succès de ces transplantations, ainsi qu'à tous les échelons du personnel de cet hôpital, mais aussi des autres, je voulais vous dire, à vous, monsieur le professeur, puisque c'est vous qui nous recevez en ce jour, et que vous représentez l'ensemble des médecins, des grands médecins qui, dans les différentes disciplines de la santé, s'appliquent à une oeuvre du même type et qui ont obtenu des résultats très souvent remarquables. Je tiens à vous dire à quel point je me sens votre obligé et me sentant votre obligé, à quel point je souhaite - comme certainement M. le ministre de la santé qui se trouve à mes côtés - répondre du mieux possible par l'effort national et les volontés gouvernementales à l'immense besoin, à la nécessité de vos missions.\