19 mars 1990 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert en l'honneur de M. Vaclav Havel, Président de la République tchécoslovaque, notamment sur les relations entre la France et la Tchécoslovaquie et la nouvelle configuration de l'Europe, Paris, le 19 mars 1990.
Monsieur le Président,
- Sachez que c'est une vraie joie pour nous que de vous accueillir ici ce soir.
- Le 9 décembre 1988, nous nous rencontrions à Praque, à l'ambassade de France. Le 29 décembre 1989, vous étiez élu à la présidence de la République de votre pays. Entre ces deux dates, quel changement, quel changement en Europe ! Quarante années de silence et d'oppression, quarante années muettes ont été abolies en un automne qui fut le plus extraordinaire printemps politique du siècle.
- Le Président Masaryk qui, comme vous, incarnait la synthèse de la culture, de la conscience et de la politique, avait fait sienne cette devise "la vérité vaincra". Telle a été votre conviction constante tandis que les dangers, les douleurs, les humiliations ne vous étaient pas épargnés. Vous avez refusé le pacte tacite qui vous était proposé, à vous comme à votre pays, d'une certaine tranquillité contre le renoncement à la conscience civique. Et vous avez prouvé qu'on ne pouvait emprisonner l'esprit, je veux dire l'esprit qui y résiste, l'esprit de liberté.
- Voilà pourquoi, lorsque ceux que vous avez appelés les "sans pouvoir" ont enfin reconquis ce qui leur avait été confisqué, ils vous l'ont aussitôt confié, sachant qu'entre vos mains, la politique serait mise au service d'une vérité, la vérité de la morale, de la justice.
- Certes, maintenant, beaucoup reste à faire pour que le droit d'être eux-mêmes, dont se sont emparé avec tant de courage les peuples d'Europe centrale et orientale, soit assuré pour que la démocratie vers laquelle ils tendent s'exerce pleinement et pour qu'un ordre de paix s'instaure en Europe entre nations souveraines.
- Nous savons qu'il n'est pas de vraie démocratie sans progrès économique et social. C'est pourquoi le soutien des Etats membres de la Communauté économique européenne aux évolutions en cours à l'Est a été très vite décidé et qu'il sera poursuivi et intensifié. La France y a sa part et les initiatives qu'elle a prises, notamment pour la constitution de la Banque pour la reconstruction et le développement en Europe de l'Est en témoignent.
- Nous savons aussi que la mémoire des peuples existe, et qu'il faut respecter ce que l'Histoire nous a légué, ses aspirations, mais aussi ses contraintes.\
L'unification des deux Etats allemands vient, hier, de franchir une étape décisive. Cette étape s'inscrit dans la logique de l'Histoire et met un terme au cruel déchirement d'un peuple. Sans entrer dans le débat politique qui vient d'opposer les partis politiques d'Allemagne de l'Est, je dis à tous "bonne chance à l'Allemagne". Et je rappelle que j'ai maintes fois déclaré : c'est aux Allemands qu'il importe de décider la forme et le rythme de leur unité. Mais les conséquences de cet événement, événement majeur, près d'un demi-siècle après la fin de la seconde guerre mondiale, intéresse et concerne au plus haut point l'ensemble des pays d'Europe et, particulièrement, les voisins de l'Allemagne. C'est pour cela qu'ont été engagées des conversations entre les quatre puissances titulaires de droits et de responsabilités pour Berlin et l'Allemagne dans son ensemble, et les deux Etats allemands, conversations auxquelles la Pologne participera lorsqu'il s'agira de ses frontières. Pourquoi cela ? Parce qu'il faut aboutir rapidement à un acte juridique international fixant l'intangibilité des frontières, pour mettre fin aux inquiétudes et aux incertitudes nuisibles aux réconciliations nécessaires.\
Dans le même temps, doivent être poursuivies les négociations sur le désarmement des armes dites "conventionnelles". L'objectif est qu'un équilibre soit atteint au niveau le plus bas possible. Les accords en cours de discussion à Vienne constituent un progrès important dans cette voie. Dès leur conclusion, dont je souhaite qu'elle coïncide avec le sommet de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe prévu pour la fin de l'année, un nouveau cycle de négociations devra reprendre entre des nations qui retrouvent peu à peu leur solidarité naturelle.\
L'écrivain Karel Capek le souhaitait avant la guerre lorsqu'il disait "Les hommes devraient d'abord croire dans les hommes et le reste viendra tout seul". Eh bien nous avons commencé de le faire à l'Ouest en créant la Communauté économique européenne qui réunit aujourd'hui 320 millions d'êtres humains et qui prend rang parmi les grands acteurs de la vie du monde. Encore devrons-nous accélérer l'allure si nous voulons répondre aux questions que pose l'évolution étonnamment rapide, bouleversante, qui vient de transformer l'ordre des choses sur notre continent. Je souhaite un renforcement de ses structures économiques, monétaires, culturelles, politiques, techniques, un élargissement de ses bases sociales. J'ai récemment tracé l'esquisse d'une organisation plus vaste entre tous les pays d'Europe qui se seraient dotés d'institutions démocratiques, organisation que j'ai appelée confédération européenne, concept politico-juridique qui permet à chacun de ces pays de s'associer aux autres avec des droits égaux, une dignité égale, des compétences égales, pour décider en commun, dans quelques domaines choisis, échange, paix, sécurité, au sein d'une structure moins contraignante que la Communauté mais lieu permanent de rencontres. Je pensais, en prenant cette initiative, à vos pays d'Europe centrale et orientale, sans aucune exclusive, et qu'il ne serait ni juste ni raisonnable de laisser dans une situation d'isolement ou dans une relation de pays avec lequel on traite au cas par cas, comme s'il s'agissait d'une assistance et non d'une association.
- La Tchécoslovaquie a tout spécialement vocation à devenir, ou à redevenir un des carrefours géographiques et spirituels de cette Europe que nous souhaitons. Si elle le veut, la France sera à ses côtés pour y contribuer autant qu'elle le pourra.\
Quant à nos rapports bilatéraux, nos ministres en parleront avec les vôtres. M'en tenant ici aux seuls sujets culturels, je suis heureux de vous dire que nous sommes prêts à donner à l'Institut de Prague la dimension qu'il requiert, à ouvrir à Bratislava une implantation culturelle française, comme les étudiants de l'Université Comenius m'en ont exprimé le désir. Prêts aussi à vous apporter notre concours pour l'ouverture de lycées bilingues en Tchécoslovaquie et pour la formation de vos enseignants de français. Les étudiants, les jeunes, pourront aller et venir d'un pays à l'autre. Je sais l'importance que vous attachez à ces questions, vous dont l'oeuvre entière plaide, je cite encore "pour qu'un homme sache entrer en communication avec un autre homme". Et je sais que la Tchécoslovaquie de son côté a beaucoup à donner à la France.
- Croyez-moi, nous n'oublions ni l'exceptionnelle qualité, ni la responsabilité qui fut celle de mon pays dans l'abandon du vôtre en un moment tragique. Monsieur le Président, en montant vers le château des Rois de Bohême dans cette ville de Prague qu'il admirait tant, Chateaubriand méditait - c'est lui qui écrit cela - sur "Les enchaînements de l'histoire, le sort des hommes, les destruction des empires, les desseins de la providence". Et on méditera longuement en effet, sur la renaissance de la Tchécoslovaquie, à la fin de l'année 1989 mais cependant, dès que, à Prague, ou à Paris, on sut que votre élection était acquise, on y a vu le meilleur témoignage d'une renaissance et son plus beau symbole.
- Monsieur le Président, mesdames et messieurs qui avez accompagné le Président de la Tchécoslovaquie, sachez que nous sommes heureux de vous recevoir pour cette soirée, et pour le temps que vous voudrez bien passer chez nous. Vous évoquez pour nous des heures fortes de notre histoire, les heureuses et les malheureuses, et nous nous sentons intimement associés au destin de la Tchécoslovaquie. Aussi, obéissant aux rites, je lève maintenant mon verre à votre santé, monsieur le Président, et vous mesdames et messieurs, à votre bonheur, à celui de vos proches, de vos compagnons d'hier et d'aujourd'hui, et au-delà, je m'adresse au peuple tchécoslovaque tout entier que je salue comme un ami ou comme un compagnon du peuple français.\
- Sachez que c'est une vraie joie pour nous que de vous accueillir ici ce soir.
- Le 9 décembre 1988, nous nous rencontrions à Praque, à l'ambassade de France. Le 29 décembre 1989, vous étiez élu à la présidence de la République de votre pays. Entre ces deux dates, quel changement, quel changement en Europe ! Quarante années de silence et d'oppression, quarante années muettes ont été abolies en un automne qui fut le plus extraordinaire printemps politique du siècle.
- Le Président Masaryk qui, comme vous, incarnait la synthèse de la culture, de la conscience et de la politique, avait fait sienne cette devise "la vérité vaincra". Telle a été votre conviction constante tandis que les dangers, les douleurs, les humiliations ne vous étaient pas épargnés. Vous avez refusé le pacte tacite qui vous était proposé, à vous comme à votre pays, d'une certaine tranquillité contre le renoncement à la conscience civique. Et vous avez prouvé qu'on ne pouvait emprisonner l'esprit, je veux dire l'esprit qui y résiste, l'esprit de liberté.
- Voilà pourquoi, lorsque ceux que vous avez appelés les "sans pouvoir" ont enfin reconquis ce qui leur avait été confisqué, ils vous l'ont aussitôt confié, sachant qu'entre vos mains, la politique serait mise au service d'une vérité, la vérité de la morale, de la justice.
- Certes, maintenant, beaucoup reste à faire pour que le droit d'être eux-mêmes, dont se sont emparé avec tant de courage les peuples d'Europe centrale et orientale, soit assuré pour que la démocratie vers laquelle ils tendent s'exerce pleinement et pour qu'un ordre de paix s'instaure en Europe entre nations souveraines.
- Nous savons qu'il n'est pas de vraie démocratie sans progrès économique et social. C'est pourquoi le soutien des Etats membres de la Communauté économique européenne aux évolutions en cours à l'Est a été très vite décidé et qu'il sera poursuivi et intensifié. La France y a sa part et les initiatives qu'elle a prises, notamment pour la constitution de la Banque pour la reconstruction et le développement en Europe de l'Est en témoignent.
- Nous savons aussi que la mémoire des peuples existe, et qu'il faut respecter ce que l'Histoire nous a légué, ses aspirations, mais aussi ses contraintes.\
L'unification des deux Etats allemands vient, hier, de franchir une étape décisive. Cette étape s'inscrit dans la logique de l'Histoire et met un terme au cruel déchirement d'un peuple. Sans entrer dans le débat politique qui vient d'opposer les partis politiques d'Allemagne de l'Est, je dis à tous "bonne chance à l'Allemagne". Et je rappelle que j'ai maintes fois déclaré : c'est aux Allemands qu'il importe de décider la forme et le rythme de leur unité. Mais les conséquences de cet événement, événement majeur, près d'un demi-siècle après la fin de la seconde guerre mondiale, intéresse et concerne au plus haut point l'ensemble des pays d'Europe et, particulièrement, les voisins de l'Allemagne. C'est pour cela qu'ont été engagées des conversations entre les quatre puissances titulaires de droits et de responsabilités pour Berlin et l'Allemagne dans son ensemble, et les deux Etats allemands, conversations auxquelles la Pologne participera lorsqu'il s'agira de ses frontières. Pourquoi cela ? Parce qu'il faut aboutir rapidement à un acte juridique international fixant l'intangibilité des frontières, pour mettre fin aux inquiétudes et aux incertitudes nuisibles aux réconciliations nécessaires.\
Dans le même temps, doivent être poursuivies les négociations sur le désarmement des armes dites "conventionnelles". L'objectif est qu'un équilibre soit atteint au niveau le plus bas possible. Les accords en cours de discussion à Vienne constituent un progrès important dans cette voie. Dès leur conclusion, dont je souhaite qu'elle coïncide avec le sommet de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe prévu pour la fin de l'année, un nouveau cycle de négociations devra reprendre entre des nations qui retrouvent peu à peu leur solidarité naturelle.\
L'écrivain Karel Capek le souhaitait avant la guerre lorsqu'il disait "Les hommes devraient d'abord croire dans les hommes et le reste viendra tout seul". Eh bien nous avons commencé de le faire à l'Ouest en créant la Communauté économique européenne qui réunit aujourd'hui 320 millions d'êtres humains et qui prend rang parmi les grands acteurs de la vie du monde. Encore devrons-nous accélérer l'allure si nous voulons répondre aux questions que pose l'évolution étonnamment rapide, bouleversante, qui vient de transformer l'ordre des choses sur notre continent. Je souhaite un renforcement de ses structures économiques, monétaires, culturelles, politiques, techniques, un élargissement de ses bases sociales. J'ai récemment tracé l'esquisse d'une organisation plus vaste entre tous les pays d'Europe qui se seraient dotés d'institutions démocratiques, organisation que j'ai appelée confédération européenne, concept politico-juridique qui permet à chacun de ces pays de s'associer aux autres avec des droits égaux, une dignité égale, des compétences égales, pour décider en commun, dans quelques domaines choisis, échange, paix, sécurité, au sein d'une structure moins contraignante que la Communauté mais lieu permanent de rencontres. Je pensais, en prenant cette initiative, à vos pays d'Europe centrale et orientale, sans aucune exclusive, et qu'il ne serait ni juste ni raisonnable de laisser dans une situation d'isolement ou dans une relation de pays avec lequel on traite au cas par cas, comme s'il s'agissait d'une assistance et non d'une association.
- La Tchécoslovaquie a tout spécialement vocation à devenir, ou à redevenir un des carrefours géographiques et spirituels de cette Europe que nous souhaitons. Si elle le veut, la France sera à ses côtés pour y contribuer autant qu'elle le pourra.\
Quant à nos rapports bilatéraux, nos ministres en parleront avec les vôtres. M'en tenant ici aux seuls sujets culturels, je suis heureux de vous dire que nous sommes prêts à donner à l'Institut de Prague la dimension qu'il requiert, à ouvrir à Bratislava une implantation culturelle française, comme les étudiants de l'Université Comenius m'en ont exprimé le désir. Prêts aussi à vous apporter notre concours pour l'ouverture de lycées bilingues en Tchécoslovaquie et pour la formation de vos enseignants de français. Les étudiants, les jeunes, pourront aller et venir d'un pays à l'autre. Je sais l'importance que vous attachez à ces questions, vous dont l'oeuvre entière plaide, je cite encore "pour qu'un homme sache entrer en communication avec un autre homme". Et je sais que la Tchécoslovaquie de son côté a beaucoup à donner à la France.
- Croyez-moi, nous n'oublions ni l'exceptionnelle qualité, ni la responsabilité qui fut celle de mon pays dans l'abandon du vôtre en un moment tragique. Monsieur le Président, en montant vers le château des Rois de Bohême dans cette ville de Prague qu'il admirait tant, Chateaubriand méditait - c'est lui qui écrit cela - sur "Les enchaînements de l'histoire, le sort des hommes, les destruction des empires, les desseins de la providence". Et on méditera longuement en effet, sur la renaissance de la Tchécoslovaquie, à la fin de l'année 1989 mais cependant, dès que, à Prague, ou à Paris, on sut que votre élection était acquise, on y a vu le meilleur témoignage d'une renaissance et son plus beau symbole.
- Monsieur le Président, mesdames et messieurs qui avez accompagné le Président de la Tchécoslovaquie, sachez que nous sommes heureux de vous recevoir pour cette soirée, et pour le temps que vous voudrez bien passer chez nous. Vous évoquez pour nous des heures fortes de notre histoire, les heureuses et les malheureuses, et nous nous sentons intimement associés au destin de la Tchécoslovaquie. Aussi, obéissant aux rites, je lève maintenant mon verre à votre santé, monsieur le Président, et vous mesdames et messieurs, à votre bonheur, à celui de vos proches, de vos compagnons d'hier et d'aujourd'hui, et au-delà, je m'adresse au peuple tchécoslovaque tout entier que je salue comme un ami ou comme un compagnon du peuple français.\