6 mars 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le bilan de la francophonie en 1989 et la réflexion de la communauté francophone dans la coopération internationale, Paris, le 6 mars 1990.

Mesdames et messieurs,
- Je déclare ouverte la sixième session du Haut Conseil de la Francophonie et je vous remercie de votre présence. Je tiens à remercier ceux qui sont fidèles à notre rendez-vous annuel. Je suis vos travaux aussi près que possible, individuels et collectifs, Stelio Farandjis, votre secrétaire général, me tient régulièrement au courant de vos écrits, de vos prises de paroles et je me réjouis de vous voir, de vous savoir des défenseurs intransigeants de notre langue commune. Etre francophone, bien entendu, c'est parler français, mais c'est aussi penser en français £ écrire en français. Grâce à votre action, à votre persévérance, à votre exemple, vous tous montrez et démontrez ce que certaines notions et ce que certaines actions doivent à la langue française.
- Alain Decaux qui siège avec nous ne me démentira pas, puisqu'il est conduit, au nom du gouvernement de la République française, à se rendre un peu partout dans le monde afin de constater sur place de quelle manière, heureuse ou moins heureuse, la langue française est reçue ou se défend.\
Malgré tout, l'année 1989 a été, je crois, une belle année pour la francophonie. Voyons, pendant cette période, on a célébré le 450ème anniversaire de la promulgation de l'ordonnance de Villers-Cotterets qui, à la demande de François Ier, prescrivait l'emploi du français au lieu du latin, dans les actes officiels. Le Bicentaire de la Révolution française, révolution qui a servi de modèle à de nombreux peuples et qui a été célébrée avec éclat et même dans certaines circonstances avec une joie que n'oublieront pas les millions de femmes et d'hommes qui l'ont vécue. Cette commémoration nous a permis à la fois de réapprendre notre histoire mais aussi de réveiller les échos de cette histoire dans nos esprits et dans nos coeurs.
- En juin 1989, s'est tenu à Dakar le troisième Sommet des chefs d'Etats et de gouvernements ayant en commun l'usage du français. Cette réunion a marqué une étape importante pour la reconnaissance des solidarités qu'implique l'appartenance à un monde culturellement uni. A vrai dire, au delà de cet aspect des choses on a pu noter certaines solidarités économiques, qui ne sont pas de mince importance, puisque les pays du Nord s'y sont mis d'accord pour demander la remise d'une partie des dettes des pays du Sud. Solidarités intellectuelles, solidarités actives, pour mettre en oeuvre des programmes précis, efficaces, je l'espère, dans des domaines comme l'éducation, l'information, l'environnement et même la production agricole.
- En décembre a eu lieu la VIème conférence générale de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique des pays francophones à l'issue de laquelle M. Jean-Louis Roy, l'un des vôtres, a été élu Secrétaire général de cet organisme important. Je dois saisir cette occasion pour lui renouveler mes félicitations et mes voeux de réussite. L'Agence est la cheville ouvrière de la francophonie et le Comité international du suivi des sommets dont le Président, Christian Valantin que vous connaissez, en est l'instance finale de coordination et de décision.
- En 1989, l'Association internationale des parlementaires de langue française s'est érigée en Assemblée internationale des Parlementaires de langue française, ce qui donne une autorité accrue aux membres qui la composent. L'association des universités partiellement ou entièrement de langue française prépare sa prochaine assemblée générale qui se tiendra à Paris à la fin de l'année. Demain le ministre de la francophonie a organisé les rencontres d'écrivains, de scientifiques, d'artistes francophones. Sous l'autorité de M. Jacques Pelletier a eu lieu un colloque important sur "l'Afrique en créations".
- La communauté francophone vit. Vous me pardonnerez de ne pas citer toutes les manifestations auxquelles elle a participé ou qu'elle a suscitées depuis l'année dernière.\
Pour 1990, le Haut Conseil s'est fixé comme thème de réflexion "la communauté francophone dans la coopération internationale", sujet difficile, mais qu'il est nécessaire de traiter. C'est votre secrétaire général qui l'écrivait dans le dossier préparatoire qui nous a été remis, je le cite : "la XIème session du Haut Conseil de la Francophonie doit être l'occasion d'explorer les voies d'affirmation de la Communauté francophone dans la coopération internationale". Voilà pourquoi pendant quelques jours vous allez rechercher comment devrait être coordonnée la coopération multilatérale avec les actions internationales dont vous ferez le bilan.
- La communauté francophone peut-elle émerger dans la nouvelle organisation du monde ? Une stratégie francophone peut-elle s'affirmer dans la concertation internationale ? Comment la coopération francophone peut-elle se conjuger avec les autres coopérations internationales ? Voilà des questions, vous avez préparé les uns et les autres des réponses. Je souhaite qu'elles servent à améliorer, à renforcer tout ce qui nous unit. Nous sommes liés par l'histoire, par la culture, par l'amitié, je l'espère aussi, mais aussi par des intérêts qui sont des intérêts très forts et dont nous devons être les interprètes indépendamment des raisons affectives sur lesquelles je n'insisterai pas, elles sont très évidentes.\
Vous savez que la politique mondiale connaît de très profonds bouleversements, les régimes totalitaires montrent de jour en jour qu'ils ne sont pas viables, la démocratie apparaît comme la sauvegarde pour la plupart des pays qui ne l'ont pas jusqu'ici pratiquée. La France se trouve au carrefour de beaucoup de ces expériences, mais le monde francophone connaît lui, en dehors même de la France des expériences multiples qu'il convient de mettre ici dans une réflexion en commun afin d'en tirer le meilleur. Bien entendu, nous ne constituons pas un ensemble homogène, ce serait une démarche inutile et même dangereuse, nous ne cherchons pas cela. La francophonie n'est pas une sorte de fédération qui s'impose aux tempéraments nationaux, aux volontés, aux intérêts, aux alliances de toutes sortes. Mais je crois que notre langue, notre culture et nos affinités nous permettent d'envisager une approche des bouleversements du monde avec une sorte de communauté de vue ou d'approche, une sensibilité particulière.
- Enfin, ce que nous avons vécu en 1989, ce que nous vivons en ce début 1990, permet d'affirmer que tous ceux qui disposeront de richesses culturelles, qui les comprendront, qui les adapteront au monde d'aujourd'hui, nous recherchons d'abord ce ciment-là qui va plus loin que les seuls intérêts ou les seules compétitions politiques. C'est là que se trouve en vérité le ciment de la communauté internationale future. Et de ce point de vue vous êtes particulièrement préparés dans le cadre de la francophonie certes, mais avec des dispositions à caractère universel. Vous êtes mieux préparés que d'autres à orienter cette évolution.
- En tout cas, votre Haut Conseil c'est un ensemble de repères pour toutes les communautés francophones, quels que soient leur nature, leur spécificité, leur champ d'action. De la richesse de votre réflexion dépendra la suite. Nous avons là un lien puissant et permanent. Je crois que rien n'est plus important que ces structures de la réflexion et du langage. C'est d'abord les vraies fraternités, une façon d'appréhender le monde, le monde des idées, le monde des arts, l'esthétique, le monde des hommes dans ce formidable bouillonnement que représente la société humaine. Ce point commun est si important qu'il me rend optimiste pour la suite, que je continue de croire à la valeur de ce que nous avons entrepris. En tout cas, mes voeux vont de ce côté-là, et je vous souhaite un bon travail.\