22 février 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert par M. Ershad, Président de la République populaire du Bangladesh, sur les relations entre la France et le Bangladesh, l'aide au développement et la coopération internationale pour la lutte contre les inondations, Dacca, jeudi 22 février 1990.

Monsieur le Président,
- Madame,
- Je veux vous remercier. D'abord des paroles qui viennent d'être prononcées et qui nous vont droit au coeur, mais aussi de l'accueil réservé depuis notre arrivée. Par vous-mêmes qui en avez été les initiateurs, mais aussi par le peuple du Bangladesh. Mes compagnons de voyage ont pu le vivre comme moi et le ressentir de la même façon.
- Nous avons pu découvrir un peu votre capitale, rencontrer un certain nombre de ceux qui y vivent. Je dois dire que nous sommes très heureux de faire connaissance de votre pays auquel la France est attachée par des liens d'amitié, amitié fondée sur le respect car nous vous avons vus à l'oeuvre, alertés par les catastrophes qui s'étaient abattues successivement sur votre pays. Nous avons voulu, nous qui sommes si loin par la géographie, étudier de plus près la situation du Bangladesh. Nos rencontres, monsieur le Président, m'ont permis de mieux voir et de mieux comprendre à quel type d'expérience et à quelle forme de combat pour la vie ou pour le développement vous vous étiez consacrés.
- Parmi les membres de la délégation qui m'accompagne, plusieurs sont déjà venus au Bangladesh. Vous-même, monsieur le Président, vous êtes venu en France à deux reprises l'an dernier et il y a quelques semaines encore. Ces contacts fréquents, ce dialogue constant, nombreux ont été des représentants de la France qui dans les intervalles sont venus jusqu'à vous. Ma femme elle-même, certains de mes collaborateurs, des experts, des fonctionnaires français, plusieurs ministres.
- C'est donc un dialogue, un début d'amitié, d'une vraie amitié. Sans doute avions-nous des souvenirs communs mais anciens, sans doute, étions-nous proches de vous lors de la création de votre Etat. Mais maintenant nous voici attachés à la même oeuvre de renaissance et de progrès. Bien des problèmes se posent à l'extérieur. Je ne peux tous les évoquer, vous l'avez fait vous-même. Sur la plupart des points, nous sommes en harmonie dans notre jugement porté sur la lutte des peuples pour construire leur liberté et posséder leurs terres.\
Quand nous venons ici nous dialoguons sur le problème dit Nord-Sud, simplifié quelquefois autour des termes pays industriellement avancés et pays riches et les autres pays pauvres. Mais c'est vrai que la gestion de chaque jour, c'est vrai que les endettements antérieurs, une somme de difficultés que nous avons présente à l'esprit font qu'il y a d'un côté les pays du Nord, qui se développent vite, qui sont dotés de systèmes équilibrés et les autres.
- Ce fossé qui nous sépare s'élargit. Cela est devenu la préoccupation principale de ceux qui veulent bien réfléchir. J'ai coutume de dire, lorsque je me trouve en France, que deux menaces pèsent sur le monde : la bombe atomique et le sous-développement. Encore peut-on maîtriser les formes de menaces nucléaires, qui sont en peu de mains et, je l'espère, dans des mains responsables. Mais le sous-développement, lui, échappe par sa gravité et sa diversité à toute maîtrise si on laisse aller.
- En vérité, si des progrès ont été accomplis au cours de ces dernières années, de la décennie qui s'achève surtout, si l'aide apportée par les uns s'est conjuguée avec les efforts des autres, beaucoup oui, beaucoup reste à faire. Et nous devons constamment alerter la société internationale.
- Vous savez que la France agit en ce sens et vous avez bien voulu nous le dire encore à l'instant et nous y sommes sensibles. C'est vrai que nous insistons dans les instances internationales pour qu'aux discours succèdent des actes, que soit prélevée pour l'aide au développement une part du produit national des nations plus aisées. C'est la France qui fournit, je dois le dire - parce que ce sont les Français qui le font cet effort - la part la plus importante du monde industriel.
- C'est ainsi que notre pays s'est trouvé à côté du vôtre pour ce combat, - je ne dirai pas qu'il est le même combat au premier degré certes pas, c'est vous qui souffrez les premiers mais au deuxième degré si l'on pense au développement de l'humanité au cours du siècle prochain, c'est bien le même combat, notre intérêt est du même côté. Et quand je vous ai vu vous-même lutter contre la résignation et contre l'abandon, votre volonté acharnée de vous organiser pour vaincre les dangers naturels en même temps que ceux que provoquent les hommes, j'ai pensé que nous devions nous tourner, nous Français vers vous et par priorité, intéresser en même temps les institutions internationales aux problèmes du Bangladesh.
- Enfin, nous aurons l'occasion d'en débattre un peu plus tard, la prochaine réunion de la conférence spéciale des Nations unies sur les pays dits les moins avancés se tiendra à Paris en septembre prochain comme s'était tenue la première réunion à Paris déjà à la fin de l'année 1981. J'avais présidé la séance d'ouverture et déjà j'avais senti à travers les propos tenus ce que pouvait représenter de vigilance, de courage et de constance l'effort que vous menez.\
C'est donc l'une des données majeures de la politique française. Certes, nous nous intéressons et de très près à ce qui se passe aussi dans notre voisinage, aux transformations que connaît l'Est de l'Europe. C'est bien naturel que la France - comme les voisins - regarde avec une immense espérance mais aussi avec la conscience des difficultés vers cette partie de l'Europe qui renaît à elle-même, et qu'on se mette à son service pour l'aider à franchir les étapes prochaines.
- Mais je veux vous le dire, monsieur le Président, notre solidarité avec les Européens ne se substitue pas à la solidarité que nous vous devons. Notre action en faveur des pays en voie de développement ne vient pas d'un choix par défaut. Elle n'a de ce fait, quelle que soit l'évolution autour de nous, aucune raison d'être remise en cause. Je souhaite que les craintes - ce ne sont pas ici qu'on les exprime mais dans bien d'autres pays - se dissipent et que les pays dits du Sud sachent que la diminution des tensions et la reconstitution d'économies saines sont à court et surtout à moyen terme des facteurs puissants de progrès dans tous les domaines et à l'échelle de la planète. En tous cas soyez sûrs que nous en sommes conscients.\
Quant au Bangladesh et à la France, monsieur le Président, mesdames et messieurs, ils se retrouvent dans les instances internationales. Votre pays y occupe le rôle qui lui revient. L'action constante de son Président et des représentants de son gouvernement a permis de faire le tour des choses et d'apercevoir la vigueur avec laquelle vous vous occupez du présent et de l'avenir. Nous sommes donc ensemble sur ce terrain et notre coopération bilatérale se déroule je crois, à notre satisfaction mutuelle. Elle demeurera forte, concentrée sur des secteurs économiques prioritaires sans omettre les aspects sociaux et culturels où je sais que vous avez réussi des réalisations remarquables comme la Grameen Bank ou le centre de santé de Savar. Tout ce que nous avons pu apercevoir des manifestations culturelles de votre peuple au travers de choses simples mais évidentes par leur vérité et leur force tout le long de cette journée me confirme dans cette impression que nous avons à faire à un pays ami, à un peuple ami plein de richesses intérieures à défaut des autres, et capables de conquérir les autres.\
Vous avez décidé de vous attacher à une besogne immense mais nous avons décidé de vous aider puisque nous le pouvons. Tout cela consiste à transformer en bénédiction, en chance, pour vos compatriotes ce qui est pour eux plus souvent une calamité, bref à dompter les grands fleuves qui ont fait la richesse mais aussi la tragédie de votre pays. On imagine à quel point cette tâche est considérable dans l'espace et dans le temps. Mais précisément parce qu'il faudra du temps, il fallait s'y mettre tout de suite. Alors s'agissant des experts, on peut dire que l'ensemble des nations intéressées est désormais mobilisé. L'année dernière a vu se succéder les étapes à un rythme vif à la suite de l'appel que j'avais lancé en septembre 1988 devant l'assemblée générale des Nations unies - vous avez bien voulu le rappeler - £ je me souviens de cette séance et de la surprise de ceux qui m'entendaient lorsque j'ai proposé le Bangladesh en exemple pour inaugurer une nouvelle façon d'aborder les problèmes internationaux. Pourquoi l'ensemble des nations, et d'abord les nations riches ne se ligueraient-elles pas pour régler un problème qui touche à la vie même de la planète avais-je dit. Tel est le cas des inondations en Bangladesh qui tiennent tout simplement à la maîtrise par l'homme des phénomènes de la nature.
- Alors nous avons commandé, nous Français, une étude à laquelle nous avons voulu donner une dimension plus large, une dimension européenne d'abord, en proposant la constitution d'un comité d'experts provenant d'Etats membres de la Communauté et naturellement aussi de votre pays car il ne s'agit pas, comme je le disais tout à l'heure, devant cette belle assemblée, d'une assistance. Il s'agit de travailler ensemble à une oeuvre commune dont l'effet le plus proche sera d'apporter à votre peuple un peu plus de bien être, un peu moins de difficulté avant d'aborder l'étape suivante d'un avenir équilibré.
- Alors les conclusions de cette étude ? Nous les avons. Cela nous a permis d'acquérir la conviction que des solutions existaient pour éviter la répétition de ces catastrophes, celle de 1987 et celle de 1988. Ces conclusions vous ont été remises en juin de l'année dernière. Lors du Sommet européen de Madrid du 27 juin dernier, puis au Sommet des Pays industrialisés qui s'est tenu à Paris les 14 et 15 juillet, ces pays-là, les Sept ont donné à ce projet l'impulsion politique nécessaire afin de mobiliser la communauté internationale à partir, je le répète, de l'étude lancée par la France et d'autres pays : les Etats-Unis d'Amérique, le Japon ainsi que les Nations unies £ le programme pour le développement, la banque mondiale. Tout cela aboutit à un plan d'action qui a été approuvé à Londres en décembre dernier par l'ensemble des pays donateurs.
- Le premier plan est de 5 ans, il sera suivi par d'autres. Il s'inscrit conformément aux voeux de votre pays et du nôtre dans une stratégie à long terme de lutte contre les inondations.
- Nous en sommes donc maintenant, mesdames et messieurs, au stade de la mise en oeuvre. La contribution de la France figure dans le texte écrit de ce discours, elle figurera dans les textes d'accord qui seront signés demain.
- La France apportera une aide supplémentaire beaucoup plus importante que celle déjà annoncée. Elle représentera environ le sixième du coût de la première phase du plan de la banque mondiale. Ainsi se traduira dans les faits, dans les chiffres, ce qui constitue pour nous un objectif majeur : faire que le Bangladesh soit le premier exemple concret et vécu d'une entreprise de solidarité et de coopération internationale.\
Si cet exemple réussit, et nous y mettrons toute notre ardeur, je crois que nous serons entrés dans une époque nouvelle dans l'idée que nous nous faisons du travail en commun des nations car elles n'ont pas à s'occuper que de la paix et de la guerre, ou de ne venir au secours que dans des situations ponctuelles. Des menaces de toutes sortes pèsent sur l'environnement, sur l'équilibre de la nature, la maîtrise par l'homme de phénomènes qui souvent jusqu'ici l'ont dépassé. Ce sera une nouvelle philosophie en même temps qu'une nouvelle stratégie des relations entre les peuples.
- Je suis très heureux, monsieur le Président, madame, mesdames et messieurs, que le Bangladesh ait pu être le pays choisi non pas pour une expérience mais pour un commencement. Sans doute est-ce dû au malheur qui vous a frappés. Mais ce malheur était déjà compensé par vous-mêmes, par votre énergie, par votre souci de bien faire, par les capacités du peuple lui-même, artistes, travailleurs et dotés d'une vieille et forte culture. C'était le type de situation qui montrait bien qu'un peuple comme celui-ci devait être mis en mesure d'assurer désormais son avenir en étant capable avec les autres d'interdire aux calamités naturelles, aux rigueurs du climat de s'abattre à nouveau sur vous avec les conséquences que l'on sait.
- Voilà essentiellement ce que nous avons célébré, monsieur le Président, au cours de cette journée. Et vraiment, s'il est vrai que nous avons pu, nous Français et grâce à vous, être à l'origine de ce grand mouvement, nous en sommes d'autant plus sensibles aux manifestations d'amitié qui, toute la journée, nous ont accompagnés. Alors, je veux vous dire notre joie de passer ces heures, ces deux journées, c'est à la fois bien peu et c'est très important dans ce Bengale doré, aimé du poète Tagore. Le nom de votre pays évoque ses actions passées et présentes. Tout cela représente pour notre imagination toute une façon de penser au sort des hommes, en même temps qu'à la beauté contrastée d'une terre, contestée par les flots. Alors, réjouissons-nous ce soir puisque nous nous sommes retrouvés. Je vais lever mon verre, pour votre santé, monsieur le Président, et vous, madame, pour la santé de votre fils, pour la santé de ceux que vous aimez, et pour vous aussi, mesdames et messieurs, qui nous recevez dans cette belle et grande salle. Et puis au-delà de vos personnes, je lève mon verre au peuple du Bangladesh tout entier.\