13 décembre 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la nécessité de poursuivre les initiatives en faveur de la protection de l'environnement au niveau national et international, Paris, le 13 décembre 1989.

Mesdames et messieurs,
- et vous particulièrement Commandant, vous qui nous recevez,
- l'histoire retiendra, je le crois, comme une date importante pour l'humanité celle du premier vol de la mission Apollo. C'était il y a vingt ans. Jamais regard humain n'avait contemplé notre planète de si loin, jamais elle n'avait paru si petite, si fragile.
- Ce jour-là, il était impossible de ne pas réaliser qu'il n'y avait qu'une seule terre et qu'elle méritait tous nos soins. Vous, Commandant Cousteau vous mettez cet amour de la vie au service d'une volonté, celle qui doit animer ou qui devrait animer tous les citoyens de la terre et tous les responsables politiques. Vous nous avez révélé les beautés du monde du silence et vos avertissements sur la protection de la nature, de la mer en particulier et celle du continent antarctique commencent à être entendus.
- L'environnement, c'est tout cela à la fois, l'air que nous respirons, nos océans, nos rivières, nos campagnes, et nos villes. C'est l'harmonie des liens patiemment tissés entre chaque sol, chaque climat, chaque civilisation.
- Faisons tous brièvement un peu d'histoire : la France protège ses forêts depuis Charles V, elle les cultive depuis Colbert. Elle tient compte de façon explicite, des droits des générations futures depuis Charles X. Elle veille sur ses industries du bois depuis Napoléon et ces industries ne se sont pas suffisamment développées. Elle a conscience de ses réserves naturelles sous l'influence de ceux qui dirigeaient la société, qui en tiraient les principaux avantages depuis la fin du XIXème siècle. Nous tentons de préserver des espèces vivantes depuis si peu de temps que l'on peut se demander ce qu'il en restera.
- Mais la prise de conscience des dangers nouveaux qui menacent la terre s'est, je le crois, heureusement accélérée ces dernières années. Je ne voudrais pas poursuivre cet exposé sans rendre hommage aux précurseurs, ceux qui se sont battus tous seuls dans l'indifférence. Aujourd'hui, ils sont rejoints par le plus grand nombre tant la nécessité devient évidente mais pendant plusieurs décennies, quelques hommes, quelques femmes et de petits groupes au risque de paraître eux-mêmes comme exotiques ont défendu une idée fixe lorsque la plupart des responsables l'ignoraient. Sauver la nature, préserver ses équilibres, c'est aussi sauver et préserver l'homme.
- Je vais vous énumérer un certain nombre d'initiatives prises depuis cette époque mais je ne voudrais pas commettre l'injustice de ne pas noter comme cela au passage de quelle façon ont agi ceux qui ont pris leurs risques quand c'était difficile, quand c'est difficile. Il y a des risques, après la route est large.\
A la conférence de La Haye, vingt-quatre pays, à l'initiative de la France, de la Norvège et des Pays-Bas ont lancé un appel solennel pour créer une autorité supranationale chargée de veiller à la protection de l'atmosphère. C'était vraiment un large pas en avant qui demeure contesté. De nombreux pays hors les vingt-quatre en question continuent d'estimer qu'une autorité supranationale en plus de celle qui existe ou à côté ferait plus de dommages qu'elle ne rendrait de services. Et puis chacun se referme sur son pouvoir souverain. Enfin nous avons lancé cet appel et j'ai le sentiment qu'il commence d'être suivi.
- J'ai de mon côté réuni les scientifiques du monde entier pour les interroger sur la meilleure façon de protéger notre planète lors du colloque "Planète Terre" de juin dernier. Au Sommet de l'Arche - le sommet des pays industrialisés - qui s'est tenu cette année en France en juillet dernier j'ai pu faire adopter par nos partenaires une déclaration où la protection de l'environnement tenait pour la première fois à cet échelon une place éminente £ et nous rappelions la nécessité de renforcer le dialogue à cet égard entre les pays favorisés et ceux qui le sont beaucoup moins. Extraordinaire difficulté que d'avancer dans ce domaine où les pays industriellement évolués distribuent des conseils oubliant peut-être la part qu'ils ont pris aux destructions passées et qui semblent donner des conseils qui auraient valeur de directives ce qui fait se rebeller les pays en question, ceux qui reçoivent les conseils et qui souvent ne veulent pas les entendre. D'où le débat sur la forêt de l'Amazone et de quelques autres, la forêt de l'Amazone qui touche plusieurs pays d'Amérique latine.\
Faut-il aussi rappeler - je le ferai parce que je tiens à rappeler quelques données qui vous permettront de comprendre l'importance que nous attachons désormais à cette oeuvre. La Communauté européenne, sous notre présidence, vient de décider la création d'une agence de l'environnement.
- De même, nous avons vraiment été à l'origine d'une forme de mobilisation internationale pour le Bangladesh, exemple très intéressant et très important. Un pays soumis à des inondations dont on ne soupçonne pas la sauvagerie, sa situation, son sol, ce déversoir de quelques grands fleuves à la chute de l'Himalaya et au voisinage de pays plus importants qui sont parfois assez jaloux de leurs propres eaux. Le Bangladesh périodiquement défraie hélas la chronique dans l'échelon des malheurs. La France a lancé un appel qui est maintenant accepté. Nous avons nous-mêmes organisé et financé un plan, envoyé des ingénieurs et des techniciens et il y a quelques jours seulement j'avais le plaisir d'apprendre que l'on venait de s'entendre au niveau international pour financer ces plans.\
Vous, vous le savez mieux que quiconque, Commandant, la France avec l'Australie et des pays de plus en plus nombreux, s'attache à faire de l'Antarctique une réserve scientifique, conformément aux conclusions du rapport que vous m'avez remis. Je n'ai pas la science infuse, je suis allé prendre mon miel où il était mais à partir du moment ou j'ai été convaincu de la sagacité de ces observations, j'ai rejoint le groupe des quelques trop rares pays qui veulent donner à l'Antarctique sa chance. Chance pour l'humanité tout entière et pour la planète elle-même. C'est une bataille difficile, elle va contre les habitudes des Nations qui se livrent une concurrence pour la possession des matières premières les plus précieuses. Il y a des aventuriers du profit de telle sorte que plus aucune garantie ne serait apportée pour la protection de ce domaine très vaste et qui serait rapidement souillé et perdu à jamais, réserve admirable, étonnante, difficile certes mais aussi dernières chance, sans doute pour que l'humanité dispose d'un domaine de cette qualité.
- Je sais que la situation n'est jamais idyllique et que les intérêts sont toujours contradictoires : parfois les grandes entreprises ou des administrations lointaines décident d'équipements définitivement dommageables pour la nature ou pour la qualité de la vie. Remarquez que ce que nous disons de l'Antarctique pourrait être appliqué aux plages de notre propre rivage, elles-mêmes souillées par les plastiques et les déchets que rejettent les courants.\
Sur un sujet aussi sérieux que la sûreté nucléaire, je n'arrête pas de répéter que tout doit être fait pour rendre les incidents improbables sinon impossibles. La France de ce point de vue a observé des garanties, des précautions dont les effets ne sont pas contestables. Le gouvernement s'est engagé à rendre l'information disponible et transparente et à permettre au Parlement de contrôler régulièrement les organismes de sûreté. L'Institut de Protection et de Sûreté nucléaire, en particulier, doit jouir d'une indépendance plus grande vis-à-vis de sa tutelle, je pense au Commissariat à l'énergie atomique lui même très prudent mais encore faut-il plusieurs partenaires qui équilibrent leurs compétences.
- Et puis, il faut préparer l'avenir plus lointain : mettre déjà au point les centrales du XXIème siècle qui devront être plus sûres encore et remplaceront les installations actuelles. On pourra envisager - et avec quel scrupule - qu'il y a déjà des solutions£ encore faut-il en débattre aussi ouvertement que possible. Il ne faut pas préserver le secret qui provoque automatiquement le soupçon.
- Il y a des solutions pour le retraitement des combustibles fissibles, je sais que c'est un domaine très difficile à aborder dans une assemblée de ce genre mais il faut bien que l'ensemble des données soient perçues par vous et qu'une réflexion sérieuse permette de voir si une synthèse est possible.\
Car voilà, l'écologie suppose l'accès à l'information, une information pertinente, la maîtrise des pouvoirs économiques, la maîtrise des pouvoirs bureaucratiques ce qui n'est pas le plus aisé. Mais aussi, la responsabilité de chacun, chaque habitant de notre pays, on pourrait dire de chaque habitant de la planète.
- Je suis heureux de constater que ce colloque organisé par vous, cher Brice Lalonde, a reçu le concours de nombreux membres du gouvernement. Ainsi se démontre leur sensibilité à ce problème, le sens qu'ils ont de leurs responsabilités, mais j'allais ajouter : encore heureux !
- On a coutume de dire que l'environnement est à la fois une préoccupation globale et locale, je puis vous dire que l'activité internationale sur le plan global ne se relâchera pas. Nous préparons de façon tout à fait précise et concrète le prochain sommet des pays industrialisés aux Etats-Unis d'Amérique et la mise en place de l'Agence européenne de l'environnement. On ne sait pas encore où elle sera située, c'est d'ailleurs le sort de ces grandes décisions que d'être soumis à ce que l'on pourrait appeler des détails. L'agence de l'environnement cela fait plusieurs mois qu'on l'a décidée. Pourquoi n'est-elle pas déjà installée ? Parce qu'on discute encore de l'endroit où elle siègera. Il y a 49 villes sur les douze pays de la Communauté candidates, alors pour choisir il faudra, sans doute, une réflexion, des équilibres, des échanges bref, toute une série de considérations qui ne feront pas avancer nos affaires. J'ai donc demandé à Strasbourg récemment que cette décision soit prise dans les deux prochains mois de cette année. Cette décision est maintenant entendue.
- Il est prévu qu'une grande conférence sur l'environnement se tiendra en 1992 à l'initiative de l'organisation des Nations unies. Et je pense que la France pourrait organiser une conférence, une réunion préparatoire qui permettrait aux organisations non gouvernementales, dont on a grand besoin, de faire entendre leur voix pour la préparation de cette rencontre. Je pense que des propositions émergeront de tous ces débats. Les industriels, par exemple, considèrent maintenant - on peut le dire dans de nombreux cas - le respect de l'environnement comme un enjeu et non plus seulement comme une contrainte et puis eux-mêmes ressentent ces besoins.\
Le débat d'hier à l'Assemblée nationale sur l'énergie et l'environnement a souligné que la limitation des consommations en énergie et la lutte contre la pollution allaient de pair. Consommer peu c'est polluer moins et cela peut être rentable. C'est un langage qu'il faut bien tenir lorsqu'on traite ce genre de sujet. Il y a des marchés pour les procédés de dépollution, pour la destruction des déchets industriels. Cela suppose une mobilisation des industriels et des ingénieurs sur tous ces sujets.
- Comme le gouvernement, j'attache une grande importance au projet des voitures propres. Les constructeurs automobiles français, avec l'aide des pouvoirs publics sont d'ores et déjà encouragés à mettre au point un moteur à faible consommation respectant des normes sévères vis à vis de l'émission en gaz à effet de serre. Les propositions qui ont été faites à l'époque et notamment par l'Allemagne pour les pots catalytiques ont provoqué beaucoup de discussions chez nous. Je ne pensais pas que c'était la solution finale car elle n'envisage qu'un seul aspect de ce large problème. Encore fallait-il montrer, dès le point de départ, qu'on était volontaire pour aller dans ce sens et j'ai dû m'opposer à un certain nombre d'industriels et d'administrations qui, pensant que cela nous provoquerait des difficultés, et cela nous en provoque, qu'il ne convenait pas de donner notre accord. Mais il ne faut pas procéder de cette manière, il faut, a priori, aller dans le sens du progrès dans la lutte contre toutes les formes de pollution, quitte assurément, à chercher de meilleures réponses. C'est ce que nous faisons actuellement avec l'étude de la voiture propre.
- Des incitations fiscales spécifiques, comme par exemple des exonérations de TVA sont envisagées pour favoriser la commercialisation de certains matériel utilisant les énergies renouvelables. Un label des produits industriels respectant l'environnement ou induisant de fortes économies d'énergie pourrait être décerné sur des bases indiscutables.
- C'est un des sujets, croyez-moi qui, aujourd'hui, heureusement occupe une large part des débats internationaux. Certains pays se sentent plus menacés donc poussent davantage à la roue, ils ont bien raison, la France ne doit pas être en retard et je vous garantis que tant que j'en aurai les moyens j'y veillerai. Et je suis sûr, à cet égard, que vos travaux conduiront à suggérer d'autres initiatives visant les mêmes objectifs car, pour tout cela, il faut sans doute des réglementations mais, mieux encore, la volonté des consommateurs, l'écologie n'est pas que l'affaire du gouvernement. C'est aussi le souci, ou cela devrait être le souci de chaque citoyen qui doit pouvoir être écouté lorsqu'il défend son environnement, oui la terre, la planète mais aussi son petit environnement devant le pas de sa porte ou même à l'intérieur de sa maison £ car c'est notre vie, c'est notre travail que de défendre notre vie en respectant celle des autres.\
Je vais faire une dernière réflexion sur l'école et la télévision. Tous les moyens de formation et d'information serviront à propager cette vérité que l'on a redécouverte, mais un peu tard, grâce aux précurseurs et aux pionniers dont je parlais tout à l'heure. Ils sont plusieurs, ici dans cette salle. J'en ai reconnu quelques-uns et je rendrai d'abord cet hommage à notre hôte. Notre espace vital, vous l'avez dit, n'est pas infini loin de là, c'est un monde fini. Les ressources de la nature demeurent limitées, elles ont été considérablement réduites. Sans doute le génie de l'homme parvient à substituer d'autres réponses à celles que nous proposent, depuis toujours, la nature elle-même. Mieux vaudrait que l'intelligence humaine s'applique à respecter ce qui existe. Je souhaite que chacun d'entre vous, et bien au delà de cette salle, tous ceux qui entendront votre appel et qui recevront vos travaux se considèrent comme citoyens de la terre capables de cultiver et de protéger son jardin.\