3 novembre 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République et de M. Helmut Kohl, chancelier de RFA, notamment sur la construction européenne et sur la position française à propos du problème de la réunification de l'Allemagne, Bonn, le 3 novembre 1989.

LE PRESIDENT.- Je serai conduit, mesdames et messieurs, à préciser tel et tel point, selon les questions que vous me poserez, et vous me pardonnerez si je me dispense d'un exposé de caractère exhaustif, après ce qui vient d'être dit par le Chancelier Kohl et que j'approuve.
- Il a dès le point de départ marqué une volonté de construction européenne, alors que se déroulent les événements que nous savons à l'Est de l'Europe. Ce faisant, il a exprimé un point de vue fondamental sur lequel je me permets d'insister. Plus les événements en Europe de l'Est vont vite, plus nous devons accélérer et renforcer la Communauté européenne. Il faut offrir un pôle solide, homogène, résistant en Europe pour polariser l'ensemble des mouvements qui aujourd'hui occupent et passionnent les peuples. C'est pourquoi, je me rendrai en tant que Président du Conseil européen au Conseil de Strasbourg, je mettrai l'accent comme je l'ai fait récemment dans cette même ville, devant le parlement, sur un certain nombre d'axes qui me paraissent essentiels. Je les ai déjà indiqués, je ne vais pas me répéter. Ils sont d'ailleurs simples, et vous les connaissez. Disons pour le moins que l'Union économique et monétaire doit prendre un nouveau tour, ainsi que la Charte sociale, sans oublier d'autres questions qui se posent, qui touchent à l'environnement, à l'audiovisuel, à ce qu'on appelle Lome IV c'est-à-dire à nos accords européens avec un grand nombre de pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique. Je demanderai au Conseil européen de Strasbourg de se prononcer sur la tenue de la Conférence intergouvernementale qui débattra d'un nouveau traité et qui devrait s'ouvrir dans le courant de 1990 sous la présidence italienne.
- Telles sont les dispositions générales, à quoi m'incitent des événements que nous avons rappelés il y a un instant, partout en Europe, et particulièrement en Allemagne de l'Est. Tout cela vous intéresse sans doute, pour que vous ayez des questions à poser. Je les attends.\
QUESTION.- On entend ici, parmi les hommes politiques allemands, à propos de la question de la réunification de l'Allemagne, que peut-être les voisins et les alliés de l'Allemagne ne seraient pas tellement enthousiasmés par cette idée, qu'ils auraient même peur de cette réunification. Est-ce que vous, monsieur le Président, vous avez peur d'une éventuelle réunification de l'Allemagne ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas que les hommes politiques qui en parlent, les journalistes aussi, et particulièrement en Allemagne, mais aussi en France. C'est bien normal puisqu'il s'agit d'un fait dominant de cette fin de siècle. J'accorde à ce problème allemand une grande importance, mais la réunification ne doit pas se situer sur le plan des craintes ou de l'approbation. Ce qui compte avant tout, c'est la volonté et la détermination du peuple, que le déroulement des faits se produise à une époque que j'ignore, tout de suite ou plus tard, de telle sorte que les Allemands ne feront qu'un seul peuple dans un seul Etat ou sous une forme à déterminer - je ne m'avance aucunement sur ce terrain là - c'est la volonté des citoyens allemands qui pourra le dire. Et personne n'a à se substituer à cette volonté. Bien entendu, cela ne se produira pas n'importe comment, dans n'importe quelles circonstances. On a coutume de dire - ce sont des mots qui peuvent paraître convenus mais j'insiste quand même - il ne faut pas mettre la paix en jeu. Donc cela doit être une démarche pacifique. D'autre part, cela doit être démocratique, ce qui est présupposé puisque nous avons parlé de la détermination du peuple lui-même. Cela regarde aussi les autres pays, spécialement les pays d'Europe. Vous savez qu'il existe des accords et des garanties particulières qui sont définies par les accords de l'après-guerre mondiale, mais aussi par le fait que nous vivons en communauté.
- Tout cela est à mettre sur la table. Mais ce qui compte, c'est ce que veulent faire les Allemands, ce qu'ils veulent, et ce qu'ils peuvent. Alors, il y a des problèmes sur lesquels j'exprimerai mon opinion le jour venu. Mais où en est la République démocratique allemande ? Quel sera le degré de ses évolutions ? Que veulent ceux qui la dirigent ? Que veulent ceux qui sont dirigés ? A quel rythme, pour aboutir à quels statuts ou à quelles structures ? Est-il même question dans ces milieux-là de réunification ? J'attendrai que les faits soient là pour terminer cet exposé.
- Je réponds à votre question initiale : je n'ai pas peur de la réunification. Je ne me pose pas ce genre de question à mesure que l'histoire avance. L'histoire est là. Je la prends comme elle est. Je pense que le souci de réunification est légitime pour les Allemands. S'ils le veulent et s'ils le peuvent. La France adaptera sa politique de telle sorte qu'elle agira au mieux des intérêts de l'Europe et des siens. Je ne vais pas recommencer le même discours, je dirai que la réponse, elle, est simple : à mesure qu'évolue l'Europe de l'Est, l'Europe de l'Ouest doit se renforcer, renforcer ses structures et définir ses politiques.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Là, on me demande de faire un pronostic .. Moi ma vie maintenant, elle commence à se raccourcir sérieusement ... en même temps qu'elle s'allonge .. Donc je ne saurais faire de pronostic, mais à l'allure où ça va, je serais étonné que les dix années qui viennent se passent sans que nous ayons à affronter une nouvelle structure de l'Europe, cela m'étonnerait beaucoup. Je comprends très bien que beaucoup d'Allemands le désirent. Il faut simplement qu'ils comprennent que l'histoire ne se fait pas comme ça. Il existe des pays qui sont déjà, pour certains d'entre eux, depuis un millénaire, et d'autres depuis des centaines d'années, habitués à voisiner, à se quereller, à étudier leurs équilibres. Ces données doivent rentrer en jeu lorsque l'on parle de ce problème.. Alors, mon pronostic partira d'une constatation évidente : c'est que ça va vite, très vite. Cela n'ira pas ensuite aussi vite que le désirent ceux qui parlent de réunification pour maintenant. Mais pas un homme politique européen ne doit désormais raisonner sans intégrer cette donnée, cela me paraît évident. Je ne fais pas de pronostic précis, la réunification pose tant de problèmes que j'aviserai à mesure que les faits se produiront.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Il y a déjà un certain nombre d'années que j'ai entrepris d'organiser des visites d'Etat dans la plupart des pays dits de l'Est. C'est ce que j'ai fait à diverses reprises avec l'Union soviétique, avec la Hongrie et plus récemment avec la Tchécoslovaquie, la Bulgarie et la Pologne. J'ai l'intention de continuer. J'avais prévu d'inscrire dans ce calendrier une visite d'Etat en RDA du temps où M. Honecker assurait la responsabilité des affaires. Il n'y a pas de raison de modifier mon programme. Je ne fais pas de visite à telle ou telle personne. Je visite un peuple et son Etat. Les circonstances peuvent, bien entendu, créer un certain nombre d'opportunités, mais je ne vois pas ce qui m'empêcherai de me rendre en RDA. Le problème est maintenant de fixer une date £ je ne sais pas quand elle sera mais elle ne sera pas tardive.
- QUESTION.- (en allemand).
- LE PRESIDENT.- Vous faites allusion au cas particulier des Allemands appartenant aux deux Etats allemands. Est-ce que ce raisonnement s'appliquerait aux personnes qui sont citoyens des pays étrangers ? J'ai bien cru comprendre qu'il s'agissait de ceux qui vivent au-delà de la ligne Oder-Neisse. C'est ce que vous vouliez dire ou est-ce que je me trompe ? C'est cela. Alors pourquoi est-ce que vous ne l'avez pas dit ?
- Je pense que les frontières doivent disposer d'une certaine forme d'intangibilité pour autant que l'intangibilité ait présidé à l'histoire du monde, mais enfin qu'il n'y a pas lieu de revenir sur ce sujet.\
QUESTION.- (en allemand).
- LE PRESIDENT.- Oui, nous en avons parlé mais ce n'était pas l'objet même de ce 54ème sommet franco-allemand. Ce sera l'objet du Conseil européen de Strasbourg au cours duquel nous nous retrouverons. Mais nous en avons parlé pour préparer ce Conseil européen, je peux vous le confirmer. La position britannique est une position importante. Nous souhaitons très ardemment - je suis le premier à le souhaiter - un bon accord avec les britanniques. S'ils ne le souhaitent pas autant que moi, je n'y peux rien mais je n'en sais rien. On verra bien.\
QUESTION.- Est-ce que vous pensez qu'avec la grande influence dont vous disposez, vous pouvez pendant votre voyage dans "l'autre Allemagne" pousser à obtenir des élections libres ?
- LE PRESIDENT.- Dans tous les pays où je vais, je défends, en respectant les règles de la politesse, les idées qui me sont chères. Je ne cache jamais ma préférence pour un système démocratique. Je n'entends pas faire la leçon à ceux qui me reçoivent, mais j'entends témoigner pour les peuples et pour le développement pacifique et démocratique du monde. D'autant plus que lorsque je vais dans un pays donné, surtout là où il se pose ce genre de problèmes, je ne rencontre pas que des dirigeants officiels, je rencontre aussi des représentants des diverses formes de pensée. C'est ce que j'ai fait dans les pays que j'ai cités tout à l'heure. J'ai rencontré les dirigeants et j'ai rencontré les opposants. Je continuerai de le faire, y compris en République démocratique allemande.\
QUESTION.- (inaudible).... fabrication de l'Airbus en République fédérale d'Allemagne et si oui, est-ce que vous pensez que les propositions faites par l'Espagne et par le Royaume-Uni à ce sujet vous conviennent également ? La réponse de M. le Chancelier aujourd'hui, était de dire que cela n'avait pas fait l'objet de négociation.
- LE PRESIDENT.- Non, non. Cela n'a pas fait l'objet de négociation et je n'en demande pas.
- QUESTION.- Dans votre esprit, quand concrètement devrait se tenir la Conférence intergouvernementale ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à fixer le jour, la semaine, pas même le mois. Je dis simplement que si l'on veut tenir compte du délai de 1992-1993, il serait bon pour l'Europe que la conférence intergouvernementale put ouvrir ses travaux en 1990, fin 1990, sous présidence italienne.
- QUESTION.- (Europe à deux vitesses).
- LE PRESIDENT.- Je réponds : j'espère que non. Je ne le désire pas, mais il ne faudrait pas que les pays qui souhaiteraient s'installer dans le wagon de queue freinent ceux qui se trouvent dans la locomotive. Je ne sais pas qui sera ici et qui ne sera pas là. La France entend bien se situer parmi ceux qui veulent avancer.\
QUESTION.- (voyage commun dans l'Europe de l'Est).
- LE PRESIDENT.- Compte-tenu de la situation particulière de l'Allemagne fédérale dans ce débat sur les relations entre les deux Etats allemands, je considère qu'il n'y a pas autant que vous le pensez d'ordre dispersé. Je n'ai pas compté, - ils pourraient vous le dire mieux que moi - combien de fois se sont rencontrés MM. Genscher et Dumas. Je ne pense pas que beaucoup plus d'une dizaine de jours se passe sans qu'ils se rencontrent quelque part en Europe £ dans l'intervalle c'est le téléphone qui fonctionne. Nous n'apprenons pas une démarche allemande par voie de presse. Généralement nous sommes informés auparavant. Cela se passe comme cela aussi dans l'autre sens. Que nous ayons des vues, des intérêts, des réactions instinctives différentes, c'est naturel, c'est l'histoire qui fait cela, mais nous faisons un effort non seulement de rapprochement mais d'unification de l'Europe, il ne faut pas oublier cela. La démarche n'est pas qu'économique et monétaire, elle n'est pas que sociale, elle est politique. Nous travaillons déjà comme si nous étions en mesure d'aller plus vite. Donc nous ne travaillons pas en ordre aussi dispersé que cela. Maintenant, il peut y avoir telle ou telle initiative allemande sur laquelle, le cas échéant, j'exprimerai des réserves. Pour l'instant ce n'est pas arrivé. Si cela arrive je le dirai au Chancelier et M. Dumas le dira à M. Genscher. A l'inverse si nos partenaires trouvent que la France prend des chemins de traverse, ils ne manqueront pas de nous le dire. Pour l'instant, le dialogue est vraiment positif.
- En ce qui concerne les voyages communs, le seul que je connaisse pour l'instant, c'est le voyage de M. Delors et de M. Dumas. Je trouve que c'est une excellente chose. Ils vont dans les pays de l'Est exprimer les vues européennes puisque pour l'instant la France assume la Présidence et que M. Dumas agit es qualité de Président du Conseil des ministres. Pour les autres démarches, rien de précis n'est prévu.\