13 juillet 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Interview accordée par M. François Mitterrand, Président de la République, à la châine de télévision américaine ABC, le 13 juillet 1989, sur le sommet des pays industrialisés et les fêtes du Bicentenaire de la Révolution française, Paris, le jeudi 13 juillet 1989.

QUESTION.- Monsieur le Président, dans les sommets on met toujours l'accent sur ce qui unit les Sept, mais ici il y a des différences, des divergences quand même relativement importantes sur des questions comme, comment aborder la dette du tiers monde, l'inflation, les questions d'échanges commerciaux, etc. Est-ce que vous pensez qu'on pourra concilier ces différents points de vues ?
- LE PRESIDENT.- Je participe à ces sommets depuis huit ans, ce sera mon neuvième. J'ai toujours participé à des discussions difficiles. On n'insiste pas sur ce qui rassemble, on insiste beaucoup sur ce qui divise et c'est normal. Ces sept pays décident de choses très importantes dont les répercussions toucheront le monde entier et a priori ils ne sont pas semblables. Mais chaque fois, j'ai vu les Sept faire un effort pour trouver les synthèses nécessaires, c'est-à-dire qu'ils finissent par se rassembler sur des propositions généralement très positives. Il y a l'approche du règlement de l'endettement qui n'est qu'un aspect subalterne des relations générales entre le Nord et le Sud, avec les pays riches et ceux qui ne le sont pas. De ce point de vue, chacun part avec son idée. On s'est déjà rapprochés l'année dernière à Toronto. On a continué de discuter ensemble. Je pense qu'il y aura un progrès cette fois-ci. J'ai d'ailleurs posé le problème du tiers monde en priorité dans l'ordre du jour qui sera débattu à partir de vendredi soir.
- QUESTION.- Vous parlez vous-même de la dette du tiers monde depuis les tous premiers sommets auxquels vous avez participé, mais l'ennui c'est que, actuellement, la dette du tiers monde atteint des sommes absolument astronomiques. La question est de savoir qui va payer ? Où est l'argent pour rembourser tout cela ?
- LE PRESIDENT.- D'abord je pense que les Etats peuvent réduire sinon même supprimer dans certains cas les créances publiques, celles qui dépendent de la direction des gouvernements. C'est ce que la France vient de faire pour les 35 pays les plus pauvres. Le Canada, la Belgique ont agi de même dans certaines circonstances. Mais c'est vrai que c'est un très grand problème, d'autant plus qu'il y a aussi les banques privées. Bref, on ne peut résoudre ce problème que si l'on crée, d'une façon ou d'une autre un fonds, une caisse internationale avec des fournitures d'argent frais. J'ai suggéré la création de nouveaux droits de tirages spéciaux. L'imagination est libre de faire d'autres propositions, auxquelles je suis tout prêt à me rallier si elles me paraissent bonnes afin d'éviter, premièrement, que les créanciers qui doivent accepter des rééchelonnements, des moratoires, mais qui ont le droit d'être payés le soient. D'autre part, que les débiteurs qui ne peuvent pas payer sans accroître leur ruine et provoquer des crises économique, sociale et politique dramatiques puissent disposer de relais, c'est-à-dire d'une caisse qui paye à leur place une partie de leur dette. Il faut une sorte de fonds international alimenté par de l'argent frais et, bien entendu, la responsabilité principale relève des Etats les plus riches.\
QUESTION.- Une autre question qui est tout à fait sur le tapis lors de ce sommet, c'est l'environnement sur l'échelle planétaire. Qu'est-ce que les sept pays peuvent faire ?
- LE PRESIDENT.- C'est l'autre question qui, après les problèmes de l'endettement et les relations Nord - Sud, sera débattue au Sommet de Paris, vous avez raison de le souligner. Je crois que c'est une matière dans laquelle on peut réagir plus commodément, car beaucoup de ces décisions dépendent de nous dans la lutte contre de multiples formes de pollution, celle qu'engendrent nos usines, la production de C02, les agressions contre la couche d'ozone, la politique à suivre à l'égard de l'Antarctique, la lutte contre la pollution des mers. Mais il y a aussi des décisions qui ne dépendent pas que de nous ou qui ne dépendent pas de nous du tout, c'est-à-dire des actions qui relèvent de l'autorité des pays souverains, de pays plus pauvres qui, comme c'est le cas pour la forêt de l'Amazone, considèrent que leurs objectifs nationaux passent avant les problèmes de sécurité internationale ou qui ont besoin de justes compensations, qui ne peuvent pas être sanctionnés parce que leur progrès technique et industriel a été plus tardif que les progrès du monde industriel qui les ont spoliés pendant longtemps sans prendre de précaution. C'est une négociation internationale où chacun doit trouver une compensation.\
QUESTION.- Actuellement, le monde entier a le regard braqué sur la France en raison du Bicentenaire. Vous connaissez les critiques, on a dit que c'était au fond une opération un peu impériale. J'aurai deux questions à vous poser. D'une part, quel était votre but en imaginant ces festivités, et deuxièmement que répondez-vous aux critiques.
- LE PRESIDENT.- Cette critique n'a pas beaucoup de sens. Pardonnez-moi de dire une vérité d'évidence, mais un centenaire, cela n'arrive pas très souvent et nous n'en sommes qu'au deuxième. Le deuxième centenaire d'un événement qui a bouleversé la face du monde et qui trouve son origine dans plusieurs pays démocratiques, notamment dans votre pays et aussi dans le mien qui a pu, avec la Déclaration des Droits de l'Homme, définir dans une belle langue et avec un sens très fort du développement de notre société ce que sont devenues les démocraties modernes et notre République.
- C'est un grand événement. D'ailleurs on le fête chez vous avec beaucoup d'amitié pour nous et une certaine solennité. Qu'est-ce que nous faisons d'extraordinaire ? Tous les 14 juillet, quand il n'a pas le centenaire - il y a une grande revue militaire, la veille au soir il y a des bals populaires dans tout Paris... Cette fois-ci il y aura les bals populaires partout dans Paris et en France, le 13 juillet notamment et le grand défilé militaire le 14 juillet au matin en présence cette fois-ci - c'est ce qui changera - d'une trentaine de chefs d'Etat et de gouvernements mais qui ne provoquera pas de difficultés particulières sauf, - c'est normal quand on reçoit - pour que les conditions de la sécurité soient assurées pour nos invités. Ce qu'il y a en plus, c'est que le 13 au soir, il y aura l'inauguration d'un nouvel opéra, l'Opéra Bastille, cela durera une heure, ce n'est pas impérial. Quand je vais dans un pays, lorsque je suis invité en voyage d'Etat on me reçoit très souvent à l'Opéra, ou au théâtre, pendant une heure. Le soir du 14 juillet, il y aura une grande fête populaire qui traversera une partie de Paris, mais qui sera très populaire avec 6000 figurants et des centaines de milliers de spectateurs. Il y a, place de la Concorde, un certain nombre de places assises, 16000 je crois, et sur ces 16000, moins du quart de ces places sera réservé aux corps constitués. Tout le reste, les trois quarts, sera occupé par tous les Parisiens qui en ont fait la demande en temps utile et par les travailleurs des entreprises qui ont contribué à la mise en place de la fête. Alors, où est le côté impérial ! Moi derrière tout cela, je ne fais rien de particulier, je ne prononce pas de discours, je me contente de recevoir les amis de la France qui sont venus nous saluer pour ce Bicentenaire.\
Mais, la confusion qui se fait, c'est qu'à partir du 14 juillet au soir, commence à se réunir le Sommet des sept pays les plus riches. Alors cela fait une sorte de collision psychologique. Mais à partir du moment où le Sommet se réunit, il n'y a plus de cérémonies autre que le fait que j'invite normalement à déjeuner et à dîner les partenaires du Sommet des Sept. Jusque-là, les chefs d'Etat du Nord et du Sud seront exactement sur le même pied, il n'y aura pas de privilèges.
- Donc, c'est peut-être une critique, - comment dirais-je ? - d'inspiration politique. Bon, cela existe dans tous les pays démocratiques. Peut-être aussi, y a-t-il une sorte de réminiscence des événements d'il y a deux siècles et, dans une partie de l'opinion française, une sorte de refus de cette Révolution. La mémoire collective est toujours très présente. C'étaient de grands événements mais aussi de grands événements dramatiques. Mais pour nous qui servons la République et la démocratie, le 14 juillet, c'est notre fête. Quand vous recevez des amis, vous mettez votre maison en état, vous mettez des fleurs dans les vases, vous organisez un dîner qui sera un peu plus important que ce que vous faites d'ordinaire en famille. Et on ne dira pas que vous recevez vos amis de façon impériale. Bon c'est ce que nous allons faire aussi.\