5 juillet 1989 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République, et de M. Mikhaïl Gorbatchev, Président du Soviet Suprême d'URSS, à l'issue de la visite officielle de ce dernier, Paris, Palais de l'Élysée, le mercredi 5 juillet 1989.

LE PRESIDENT.- Mesdames, messieurs, je commencerai par quelques mots.
- Nous avons déjà, M. Gorbatchev et moi, tenu une conférence de presse de ce type, il y a quelques années, c'était en 1985 £ ce n'est donc pas une inauguration, il s'agit de la deuxième visite de M. Gorbatchev en France. Dans l'intervalle, je me suis rendu moi-même plusieurs fois en Union soviétique. Nous avons pratiquement repris le rythme des visites annuelles de part et d'autre.
- Pendant ces deux jours - qui seront continués demain par une visite du Président Gorbatchev à Strasbourg - nous avons abordé beaucoup de sujets, des heures de conversation et aussi délibéré avec le Premier ministre et de nombreux ministres soviétiques et français. Des accords ont été signés. Au-delà de ces accords, des lignes directrices d'une bonne et solide coopération entre l'Union soviétique et la France ont été tracées. Tout est affaire d'état d'esprit et de volonté politique. Nous avons senti que tel était le cas, cette volonté politique existe.
- Nous ne nous sommes pas dissimulé les difficultés de la tâche, et nous connaissons les données du temps présent en Europe et dans le monde.
- Je n'ajouterai rien, je désirais vous présenter, comme c'éait mon devoir, M. Mikhaïl Gorbatchev, auquel vous pourrez, dans un moment, quand il aura lui-même ajouté quelques mots, poser les questions de votre choix. Je suis également à votre disposition bien entendu £ je vous remercie.\
M. GORBATCHEV.- Je vous remercie, monsieur le Président. Tout d'abord, je voudrais me servir de mes notes et poursuivre ce que vous avez dit.
- Je souhaite la bienvenue à cette presse représentative qui a couvert ma visite. Je pense que le Président et moi-même nous sommes sensibles à cette collaboration avec la presse au cours de ce séjour. Cependant, je voudrais commencer cette brève intervention en m'adressant, une fois encore, aux correspondants français, en leur transmettant mes salutations pour le peuple français à l'occasion du Bicentenaire de la grande Révolution.
- Notre visite, à la veille de cette fête, souligne tout le respect du peuple soviétique pour le peuple français. Dans notre pays, en célébrant ce Bicentenaire, on estime que c'est un moment de "familiarisation" nouvelle et l'occasion de mieux connaître certaines vérités qui ont une résonnance plus qu'historique. Nous sommes satisfaits de notre visite.
- J'ai à l'esprit la délégation qui s'est trouvée ici avec moi. Les négociations et les entretiens avec le Président, M. François Mitterrand, ont justifié tout ce que nous en attendions. Notre dialogue a été réellement d'un niveau élevé, non pas au sens diplomatique, mais quant à son envergure, à son contenu, à sa franchise et à son degré de compréhension mutuelle. Qu'ai-je retiré de ce dialogue ? Tout d'abord, la confirmation du fait que la France et l'URSS dans leurs relations gardent un potentiel bilatéral important, européen et international.
- Nous pensons tous les deux que le caractère dynamique de ces relations qui se développent est nécessaire, non seulement à nos pays, à nos peuples, mais également à l'Europe £ il est nécessaire au monde. Au cours de nos entretiens avec le Président, nous avons vu que nous étions guidés par toute la responsabilité que nous impose cette époque où se déroulent des processus inhabituels, extraordinaires, qui vont déterminer l'avenir immédiat et l'avenir éloigné du monde. Cela exige des hommes politiques d'envergure un haut degré de compréhension de l'importance et de la signification de ces processus.
- Le Président et moi-même ne doutons pas de ce que le développement peut connaître plusieurs options à l'intérieur des systèmes, à l'intérieur des Etats appartenant à des systèmes différents. C'est là un facteur positif, et c'est avec prudence et attention qu'ils doivent être pris en compte dans la politique.
- Les processus, comme nous les observons, se déroulent de façon positive, avec une orientation positive, mais ils sont complexes et fragiles. Ils sont soumis à un danger de déstabilisation, de rupture qui pourrait porter un préjudice énorme, non seulement aux pays en question, mais au développement dans le monde et tout d'abord sur le continent européen où sont apparus ces processus.\
`Suite M. Gorbatchev` La rencontre franco-soviétique actuelle renforce la stabilité du processus d'Helsinki, et je pense que le Président et moi-même ne manquerons pas de modestie si nous osons faire cette appréciation. Cela renforce les positions de la réunion de Vienne. On a confirmé le caractère inchangé de l'action franco-soviétique dans le processus européen. Il y a là la force des traditions et le fait que la France et l'URSS ont été les initiatrices d'idées communes importantes pour l'Europe, et cela s'explique par l'expérience d'un dialogue à un niveau élevé.
- Nos deux pays représentent les deux ailes de l'histoire et de la civilisation de l'Europe, tout particulièrement sous l'influence et après la Révolution française.
- Avec le Président, nous avons abordé au cours de nos discussions des problèmes régionaux. L'examen de ces problèmes a confirmé une grande communauté d'approche et d'opinion, quant à leur nature et quant aux moyens de les résoudre. Il s'agit tout particulièrement du Proche-Orient et du Liban, notamment, où la situation exige des efforts urgents et énergiques, afin de prévenir le pire, bien qu'il semble qu'au cours des nombreuses années de ce conflit tragique qui a provoqué tant de destructions, tant de victimes, il est difficile de concevoir quelque chose de pire.
- Le Président et moi-même pensons que le monde arabe se consolide dans son désir de régler le conflit libanais. Nous sommes prêts à contribuer à ces efforts. Nous pensons que nos négociations, au cours de ces jours à Paris, accroîtront le rôle des rencontres au sommet pour conférer un caractère dynamique à ces réunions.
- J'ai invité le Président François Mitterrand à se rendre en Union soviétique. Nous espérons que ces rencontres contribueront au développement des relations bilatérales et au processus européen. Quant aux relations bilatérales, c'est là un problème essentiel dans les négociations qui se sont déroulées au cours de ces jours de ma visite. Nous avons procédé à un échange de vues et nous avons travaillé à différentes questions à la veille de la visite et au cours de la visite avec la participation des ministres des affaires étrangères et de représentants du gouvernement pour les affaires économiques et, ce qui est tout aussi important, nous avons procédé à des échanges de vues avec nos départements militaires.
- D'ailleurs, l'information que nous avons reçue aujourd'hui, lors de la réunion commune des représentants des ministères de la défense de la France et de l'Union soviétique nous montre que la dynamique et l'ampleur de ces négociations nous permettent de les qualifier de positives.\
`M. Gorbatchev`
- Nous avons compté, je crois que nous avons signé 22 documents alors que nous avions l'intention de n'en signer que 21. Nous avons signé une déclaration avec M. le Président. Au cours de ces jours, nous avons senti que le niveau de dialogue au sommet reflète l'état d'esprit et les voeux de nos deux peuples, et c'est un esprit qui souhaite le rapprochement des rapports amicaux, ce sont les souhaits du peuple français, nous les avons ressentis bien que nous ayons peu de possibilités d'avoir des contacts personnels, des rencontres, mais nous en avons eu, cela nous a permis de nous en convaincre, et de même les Français peuvent constater la même attitude à l'égard de la France chez les Soviétiques.
- Enfin, mais ce n'est pas le moindre, c'est avec satisfaction que nous avons entendu le jugement porté par le Président sur les perspectives et les possibilités de notre Perestroïka et de son importance pour l'Europe et pour le développement dans le monde. Lorsqu'on nous demande, et on nous a posé la question au cours de ces jours, ce que nous voudrions que fasse l'Occident à l'égard de notre Perestroïka, nous disons que nous voulons qu'on comprenne bien sa signification, que l'on comprenne ses conséquences positives, non seulement pour notre pays et pour nos peuples.
- S'agissant des conséquences pratiques, économiques, eh bien c'est là l'affaire de tout un chacun. Nous savons qu'un rôle décisif dans le succès de la Perestroïka appartient au peuple soviétique. Nous savons également que la société a besoin maintenant de percées décisives dans les domaines principaux de la Perestroïka, afin que chacun puisse voir que sa première étape consiste non seulement en une réforme politique mais économique et que cette première étape puisse se réaliser. Il nous le faut, il nous le faut pour résoudre avec assurance nos problèmes dans le domaine de la politique extérieure sur la base d'une réflexion nouvelle.
- En conclusion, je voudrais vous dire que j'ai reçu beaucoup de lettres de France, des milliers de lettres : au cours de l'année dernière j'ai reçu 13000 lettres £ cette année, il y en aura plus encore. De nombreuses lettres portent sur ma visite. On y soulève des thèmes importants pour nos deux pays et des thèmes relatifs à des événements qui surviennent ailleurs dans le monde. Il y a beaucoup de voeux, de conseils qui sont émis quant à notre Perestroïka £ la majorité de ces lettres ont un caractère amical et bienveillant.
- Il s'agit de la majorité de ces lettres. Elles expriment également l'état d'esprit des gens. Elles sont caractéristiques des pays d'où elles viennent. Nous l'avons senti récemment en RFA et maintenant, nous le ressentons ici en France.
- Je suis reconnaissant aux auteurs de ces messages qui m'ont été adressés. J'ai pu répondre à certains d'entre eux, mais il est impossible de répondre a tous, mais là où il y a des demandes, j'essaierai de faire en sorte qu'elles soient examinées de la façon voulue. Une fois encore, je voudrais dire que mes collègues et moi-même remercions toutes les Françaises, tous les Français, pour la chaleur, pour la solidarité, pour les sentiments de responsabilité quant au sort commun de l'Europe et du monde. Je vous remercie.\
QUESTION.- (Télévision soviétique).- Ma question s'adresse à M. le Président Mitterrand. Monsieur le Président, à la veille de la visite de M. Gorbatchev, dans votre interview à la télévision soviétique, vous avez approuvé la conception de la "maison commune" et vous avez dit : "puisqu'il y a une maison, il faut la faire meubler". A la suite de votre entretien, est-ce que vous avez l'impression que le problème de l'ameublement avance ? Peut-être les clés sont-elles déjà commandées pour cette maison commune ?
- LE PRESIDENT.- Oui, l'Europe, ce n'est pas seulement l'Union soviétique et la France £ nous ne sommes que quelques-uns parmi les nombreux futurs co-propriétaires de "la maison commune", pour reprendre l'expression qui appartient à M. Gorbatchev. Je la reprends pour la commodité, pour la compréhension, c'est d'ailleurs une belle idée.
- Oui, ce dont nous avons discuté doit nous permettre de meubler. Il reste beaucoup à faire parce que je ne pense pas que nous en soyons à l'installation permanente d'une chambre à coucher. Simplement peut-on entrer à la cuisine et prendre un casse-croûte, mais enfin ce n'est déjà pas si mal. Il reste beaucoup à faire, mais c'est l'idée principale et j'avais ajouté, d'ailleurs, monsieur, que dans la future maison commune, il ne fallait pas que ce soit toujours les mêmes qui habitent à la cave ou bien au grenier. Il faut donc discuter de tout cela.
- Ce concept est devenu un concept populaire. Il y a beaucoup de parties prenantes : l'Europe, c'est toute l'Europe, il y a les pays qui appartiennent à l'Alliance de l'Est, il y a les pays qui appartiennent à l'Alliance atlantique, il y a les pays neutres, de neutralité au demeurant fort diverse, il y a des groupements, des associations, des coopérations qui sont au moins au nombre de quatre ou cinq. On a besoin de tout le monde. Encore faut-il aussi que ceux qui seront dans notre Europe établissent entre eux des règles communes, des règles d'application, sans quoi cette maison deviendrait infernale.
- Donc, nous devons faire un effort pour mieux nous comprendre et pour avancer vers un type de système où les futurs propriétaires entreront, sortiront librement, échangeront des propos le soir, discuteront autour de la table ou devant la télévision avec un langage commun. C'est donc une immense entreprise. Nous ne sommes qu'au début.\
QUESTION.- (TF1).- Le Président Mitterrand a parlé par métaphores. Je voudrais prendre un des exemples concrets : dans deux pays d'Europe centrale au moins, un processus de démocratisation est avancé : en Pologne et en Hongrie. Ce processus de démocratisation pourrait éventuellement aboutir au fait que le Parti communiste ne soit plus la force dominante. Est-ce que l'Union soviétique serait disposée à accepter cet état de chose ?
- M. GORBATCHEV.- Je voudrais tout d'abord dire que je ne suis pas d'accord avec vous pour dire que le processus de démocratisation ne touche que deux pays, en fait c'est une démocratisation qui touche tous les pays, et ces changements, à des degrés divers, à des rythmes divers, se déroulent et vont de l'avant. Et je pense que c'est un phénomène naturel qui permettra à ces pays, si l'on parle de l'Europe socialiste, d'accéder à une nouvelle qualité de vie en développant tout le potentiel que renferment la démocratie socialiste et l'ordre socialiste.
- Si nous convenons avec vous sur l'édification de notre maison commune européenne cela ne veut pas dire et cela ne voudra jamais dire que l'on élimine telle ou telle nation ou tel ou tel système ou telle ou telle forme de réalisation de notre choix social, mais que c'est un respect, une reconnaissance de toutes les valeurs des uns et des autres, des échanges qui permettront à chacun de garder sa nature profonde, tout en acceptant des changements sur la base de ces échanges, d'une concurrence libre, et de tout ce qui peut permettre d'améliorer la vie dans cette maison, si c'est le cas, si nous sommes d'accord, chaque peuple conservera son droit au choix et c'est cela qui est l'essentiel. Si nous ne reconnaissons pas ce principe fondamental, nous ne pouvons pas nous attendre à une amélioration dans les relations internationales à venir.
- Eh bien ! la façon dont le peuple polonais résoudra son problème ou le peuple hongrois résoudra son problème, c'est leur affaire. Nous avons beaucoup de respect et d'amitié pour ces peuples.\
QUESTION.- Vous avez récemment effectué des visites à Londres, à Bonn, vous avez eu des entretiens avec Mme Thatcher, M. Khol et aujourd'hui avec M. Mitterrand. Cela veut-il dire que vos partenaires occidentaux comprennent véritablement l'importance et l'ampleur de la Perestroïka au sein de votre pays ?
- M. GORBATCHEV.- Je pense que les visites que j'ai effectuées au cours des derniers temps me permettent d'affirmer avec beaucoup d'assurance qu'en la personne des dirigeants de ces pays nous avons des hommes politiques qui sont conscients des réalités, qui sentent toute leur responsabilité, qui voient que toute conduite irresponsable, qui n'est pas suffisamment consciente des réalités, gênerait le développement de ces processus. Cela signifierait une tentative de spéculation sur la base des difficultés, des problèmes liés à ce processus véritablement révolutionnaire. Cela ne serait de l'intérêt ni de l'Europe ni du monde entier. Voilà pourquoi je pense que nous avons eu un entretien extrêmement important, long et très substantiel avec le Président Mitterrand. LE PRESIDENT.- Beaucoup de mains se lèvent, je pense qu'il faudrait, puisque nous avons entendu un journaliste soviétique, un journaliste français et un journaliste tchécoslovaque, - et bien entendu, ce ne sont pas les derniers auxquels je donnerai la parole - savoir s'il y a d'autres journalistes représentants de presse d'autres grands pays ?...\
QUESTION (Le Journal de Berlin).- Je souhaite poser une question au Président Gorbatchev, et je prie le Président Mitterrand de faire connaître sa position sur le même sujet. Monsieur le Président Gorbatchev, à l'occasion de votre récent voyage en RFA, vous avez laissé planer un doute en ce qui concerne le droit des peuples à l'autodétermination. Ce droit appartient-il exclusivement au peuple, comme l'indique son nom, ou bien à ses dirigeants ? Deuxièmement, ce droit permet-il un choix par exemple, au peuple allemand étant contraire aux intérêts des quatre puissances alliées ? Je pense à la réunification allemande. Je vous remercie, monsieur le Président.
- M. GORBATCHEV.- Je pense qu'avec ces quatre peuples, il vous faut poursuivre les relations, comme elles se sont établies récemment, et comme elles permettent à l'Europe, tout particulièrement au centre de l'Europe, où vous viviez, si je comprends bien, de se sentir assez bien. Maintenant - je voulais dissiper le caractère de défi que comportait votre question - je vais répondre sur le fond. Je suis profondément attaché à l'approche dont je vous ai parlé, mais les changements, les relations nouvelles, en Europe et dans le monde, ne se déroulent pas dans un vide ou sur une île déserte, tout ceci doit se produire sur notre terre où nous vivons tous, où nous travaillons, où nous avons l'intention de vivre ensemble. Et cela signifie que nous devons être réalistes, car si nous mettions en doute la réalité, telle qu'elle s'est établie, et si par là-même nous mettions en doute tout le processus d'Helsinki et le processus de Vienne qui en constitue la suite, et que nous avons l'intention de poursuivre dans l'intérêt de tous les peuples, ce ne serait pas la tâche à laquelle nous devons nous livrer. En Europe, nous détenons ce que nous avons reçu à la suite de certains événements, et les initiateurs de ces événements, qui ont entrepris certaines actions dont les conséquences nous sont connues, ceux-là vivaient à Berlin. C'est l'Histoire qui en a disposé ainsi, et le monde se transformera selon nos actes, mais l'Histoire en disposera dans le cadre de notre maison commune européenne. Construisons cette maison commune européenne, je vous y invite !
- LE PRESIDENT.- La question m'a été posée également : je dirai simplement que cette aspiration à la réunification est une aspiration légitime pour ceux qui l'éprouvent, ici et là, dans quelque partie de l'Allemagne que ce soit, comme vient de le dire M. Gorbatchev. Quelle est la réalité ? Deux Allemagnes qui obéissent à des systèmes différents, de tous ordres : économique, social, politique, des alliances différentes, qui existent à l'intérieur d'Etats, d'Etats souverains, cela pose donc beaucoup de problèmes, et je crois que l'ensemble des dirigeants allemands eux-mêmes désirent que le processus qu'ils jugent désirable, se déroule dans la paix, ne soit pas facteur de tensions nouvelles.
- Finalement, c'est vrai que le choix des Allemands est un élément déterminant.
- Avant d'en arriver à ce point, vous imaginez nécessairement l'ensemble des problèmes à résoudre. Voilà pourquoi je n'adopterai pas une attitude... plus imprudente que celle des dirigeants allemands eux-mêmes, qui sont pourtant des Allemands très patriotes. Mais voilà, on ne bouscule pas l'histoire qui s'est fondée au lendemain de la 2ème guerre mondiale simplement à la faveur d'une inspiration, aussi belle soit-elle. Donc il n'y a aucun refus de principe ni réalité contraignante, et les pays qui sont aujourd'hui responsables continuent de l'être. Alors cela nécessitera beaucoup de conversations.\
QUESTION (Washington Post).- Ma question s'adresse à M. Gorbatchev. Nous avons vu cette semaine que Solidarité est devenu un élément très important de la vie politique en Pologne. Pensez-vous qu'il serait utile à l'heure actuelle d'inviter Lech Walesa ou d'autres dirigeants de Solidarité à se rendre à Moscou pour des entretiens ? Est-ce que vous pensez que ce serait un facteur de stabilisation ?
- Bien sûr, je suis conscient du fait que c'est un problème interne, mais puisque vous connaissez si bien le Général Jaruzelski, nous aimerions savoir ce que vous pensez de sa décision de ne pas présenter sa candidature à la présidence en Pologne ?
- M. Gorbatchev.- Pour la première partie de votre question, je peux dire que nous avons, avec la République populaire de Pologne et son peuple, des relations assez étendues au sein des milieux culturels les plus larges, les plus divers. Ces relations font intervenir de plus en plus de personnes et d'institutions politiques également. Voilà pourquoi je ne vois aucun obstacle à ce que dans le cadre de ce processus qui se développe, il y ait une possibilité de rencontre avec cette organisation qui est reconnue par le peuple polonais, qui est présente dans le processus politique polonais, à la Diète, et qui participera à l'édification des organes qui permettront et qui conduiront le développement ultérieur de ce peuple. Voici la première réponse que je ferai. La deuxième question ... La situation en Pologne était telle que certaines personnes ont insisté pour que le Général Jaruzelski présente sa candidature, ou donne son accord pour que cette candidature soit présentée. Nos amis polonais ont débattu de cette question d'une façon très approfondie. C'est un problème qui est le leur et autant que je connaisse le camarade Jaruzelski, c'est un homme politique très conscient, d'une moralité élevée. Je pense qu'il a pesé le pour et le contre, qu'il a tout bien considéré avant de prendre cette décision. Je ne peux rien ajouter à cela.\
QUESTION.- C'est une question aux deux Présidents. Je voudrais savoir si vos analyses, monsieur le Président Gorbatchev et monsieur le Président Mitterrand, sont convergentes ou divergentes sur la situation en Chine, et je voudrais prolonger cette question en vous demandant si vous ne croyez pas, monsieur Gorbatchev, qu'il y a aujourd'hui une crise des communismes, comme on a pu parler d'une crise du capitalisme.
- LE PRESIDENT.- Puisque moi je n'ai droit qu'à une seule question, ce dont je vous remercie, je vais répondre rapidement en disant que pour la plupart de ceux qui sont ici, y compris à cette table, les événements de Chine apparaissent comme dommageables. C'était un mouvement qui permettait à ce pays de s'ouvrir sur l'extérieur, d'engager un processus de démocratisation indéniable. Ce recul est tragique. Voici en tous cas mon opinion, et je ne pense pas me trouver déphasé avec la plupart de mes interlocuteurs au cours de toutes mes rencontres de ces derniers mois.
- Mais sur le fond, quant à savoir si les communismes sont en crise, j'ai bien mon opinion. Mais vous ne me l'avez pas demandée, je n'en suis pas fâché et je laisse M. Gorbatchev répondre pour son compte !
- M. GORBATCHEV.- Je vois que les questions les plus faciles me sont adressées ! Aujourd'hui, on m'a posé une question très développée à la Sorbonne sur ce sujet, j'ai répondu de façon également très développée. Je vous demande de prendre connaissance de cette réponse, je ne veux pas perdre de temps, et ma pensée reste la même.\
`M. GORBATCHEV.- Réponse sur la crise du communisme`
- S'agissant de la deuxième question, toutes les générations, celles qui ont disparu, celles qui se trouvent dans un monde autre, celles qui ont quitté la vie active, celles qui assument la responsabilité majeure de la situation de tel pays ou de tel autre, enfin toutes les générations ont entendu beaucoup de déclarations sur les crises du communisme.
- Je ne suis pas d'accord. Il s'agit d'un système de pensée qui n'a pas été inventé au sein d'un cabinet, qui n'est pas apparu dans des cercles académiques, mais qui est né en tant qu'idéologie d'une classe qui s'est dressée sur l'arène de la vie sociale : la classe ouvrière.
- Autrefois on avait essayé d'enterrer ce système en partant du principe que finalement, il n'y avait plus de classe ouvrière, ou qu'elle n'était plus la même, qu'elle avait changé, et surtout que ce sont les couches moyennes de la société. Mais dès qu'il y a des tournants, eh bien la classe ouvrière montre son caractère et sa position, et tous les hommes politiques, dans tous les gouvernements, découvrent qu'il y a une classe ouvrière organisée, déterminée quand il le faut et sachant défendre ses positions.
- Dans la mesure où cette classe ouvrière est vivante, son idéologie est vivante, et les intérêts de ce mouvement ouvrier, de cette classe ouvrière, se trouvent réflétés dans la social démocratie, dans le mouvement communiste. Ce sont deux branches du mouvement ouvrier. Je suis très heureux en tant que communiste, en tant qu'homme, en tant que ressortissant de la classe ouvrière, que ces dernières années on assiste à des contacts très profonds et très sérieux entre les partis communistes et les partis socio-démocrates.
- Après 1914, on assiste à un nouveau processus. Il se poursuit, je m'en félicite, et nous apportons notre contribution à ce processus, car la base des partis communistes comme des partis socialistes, c'est la classe ouvrière.
- Donc, il faut parler non pas de crise du marxisme, non pas de crise du communisme, mais du renouveau, il faut parler de la compréhension des caractéristiques de ce mouvement dans le contexte des transformations que l'on observe dans les pays dirigés par des communistes, c'est ce qui se passe en Union soviétique, et si l'on pense que nous renonçons à nos valeurs, que nous renonçons au socialisme, que nous renonçons au pouvoir populaire, c'est une erreur. Il faut que tout le monde le comprenne.
- Nous n'en faisons pas mystère. Ce n'est pas un mystère de la Cour de Madrid, de la Cour de Kremlin, ou de la cour de l'Elysée. Non. Disons que nous voulons par la démocratisation, par la glasnost, par le retour de l'homme au processus économique et politique, nous voulons surmonter l'aliénation de l'homme, de la propriété, de la culture. Nous voulons dynamiser le socialisme, nous voulons conférer un souffle nouveau, un second souffle au socialisme. J'en suis convaincu, mais ce sont des tournants brutaux. Ceci s'accompagne de grandes discussions. Il est naturel que certains estiment que c'est là une faiblesse, une crise. D'aucuns veulent déjà nous jeter dans les poubelles de l'histoire. On l'a fait déjà plus d'une fois. Tout ceci existe, mais si l'on estime que ces voeux sont une réalité, eh bien ! L'on se trompe.
- On peut en faire du bruit dans la presse. Vous le savez, il y a des genres de presse différents, il y a la presse sérieuse, qui étudie le fond des processus qui se déroulent. Ceux-là, je leur demanderai de tirer profit de mes considérations.\
QUESTION.- C'est une question qui prolonge, en fait, votre dernière réponse, puisque vous avez effectivement souvent réaffirmé votre attachement à la démocratisation, suscitant par là même beaucoup d'espoirs chez les intellectuels soviétiques à l'intérieur même de votre pays, et justement à la veille de votre départ à Paris, l'Union des Ecrivains a recommandé la publication de l'écrivain Soljénitsyne, dans sa totalité, en particulier la publication de "l'Archipel du Goulag".
- Je voudrais savoir, monsieur le Président Gorbatchev, si vous êtes favorable à cette décision, si vous la soutenez, et si vous êtes prêt éventuellement à aller jusqu'à permettre une réhabilitation de l'écrivain Alexandre Soljenitsyne. Merci. M. GORBATCHEV.- Tout d'abord, en ce qui concerne la première partie de votre question, je vous dirai que c'est avec confiance que je tiens compte des opinions de l'Union des Ecrivains de l'Union soviétique. Je crois que c'est le point de vue de cette Union, et ce point de vue doit être examiné avec attention.
- En ce qui concerne la deuxième partie, c'est-à-dire la réhabilitation, là, tout est concret.\
QUESTION.- Je me présente : Agence de presse du Qatar. Ma question, c'est à vous deux, messieurs les Présidents, qu'elle s'adresse.
- On sait que Paris et Moscou sont depuis 1986 à l'origine de l'idée d'une Conférence internationale sur le Proche-Orient. Vous en avez certainement parlé pendant ces deux jours. Est-ce qu'on peut dire que vous avez décidé d'entreprendre des démarches pour aboutir à cette conférence, après trois ans de consultations et de contacts avec les parties concernées ? Je voudrais, par ailleurs, vous demander votre appréciation sur le Plan Shamir, le Premier ministre israélien. Est-ce que vous croyez que ce Plan pourrait être une démarche pouvant faciliter la Conférence internationale ou, au contraire, compliquer les choses ?
- LE PRESIDENT.- Sur le premier point, nous avons parlé, en effet, de la situation au Proche et au Moyen Orient. Nous avons rappelé notre désir commun de voir se réunir une Conférence internationale, selon le processus que nous avons, l'un et l'autre, indiqué en 1986. Je puis donc vous confirmer que telle est notre démarche. On ne peut réunir une Conférence réunissant, en particulier, les pays de la région et les membres permanents du Conseil de Sécurité que s'ils le veulent. Vous savez fort bien que certains s'y refusent encore aujourd'hui. Nous allons donc insister pour que nous soyons entendus.
- Deuxième question, relative au plan de M. Shamir. Vous savez fort bien, en journaliste très informé que vous êtes, que M. Shamir n'accepte pas la conférence internationale. Je pense que la réponse est déjà faite.
- M. GORBATCHEV.- Je pourrais dire que ce qu'a dit le Président est exactement ce que j'aurais pu dire moi-même. Je vais peut-être ajouter seulement deux mots, étant donnée l'importance de ce problème et le fait que cette question m'ait été aussi adressée personnellement.
- Nous pensons effectivement que c'est une des questions internationales invétérées, anciennes déjà, un de ces problèmes locaux qui existent depuis longtemps et qui recèlent un très grand danger, non seulement pour la région, mais pour le monde entier. Le fait que ce problème ait été présenté dans nos entretiens confirme encore ce fait.
- Le Président Mitterrand a effectivement décrit notre approche qui est la même, il faut trouver les moyens d'organiser une conférence internationale, nous ne savons pas exactement dans quel cadre ce sera possible. Il faudra des réunions bilatérales, trilatérales peut-être, mais il faudra entreprendre ce processus. Nous espérons que cette idée restera vivante, car d'une façon ou d'une autre, toutes les parties vont être amenées à convenir du fait que cette approche est la seule rationnelle. Elle répond aux intérêts des Arabes, du peuple palestinien, aux intérêts de toutes les parties à ce conflit. Cela répondra aussi aux intérêts de la sécurité de l'Etat d'Israël. Je pense que le monde entier n'a qu'à y gagner.
- Quant au plan de M. Shamir, je suis d'accord avec ce qu'a dit le Président Mitterrand.\
LE PRESIDENT.- Pour ne pas avoir à revenir sur des problèmes capitaux, touchant à cette région du monde, je vous rappelle qu'un texte a été diffusé : c'est une déclaration franco-soviétique sur le Liban £ cette déclaration proclame le soutien à la mission du "Comité des Trois" de la Ligue Arabe, la disponibilité de l'Union soviétique et de la France pour concourir par tous les moyens aux efforts de pacification, notamment dans le cadre des missions confiées au Secrétaire général des Nations unies.
- Je lis les quatre dernières lignes : "M. Gorbatchev et M. Mitterrand sont convaincus que le Liban doit demeurer un Etat souverain, indépendant, uni, à l'intégrité territoriale respectée, ainsi qu'un membre effectif et à part entière de la Communauté internationale".\
QUESTION (RFI).- Après votre rencontre et vos entretiens y a-t-il des éléments nouveaux dans le dossier concernant les questions du désarmement ?
- LE PRESIDENT.- Tout un large domaine du désarmement relève de la négociation directe entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique. Ce qui relève précisément du concert des nations européennes, en plus des autres, et donc de la France, c'est le désarmement conventionnel. Nous en avons parlé, en effet. On ne peut pas dire que nous avons apporté des éléments nouveaux, si ce n'est que nous avons réitéré notre volonté de parvenir à un accord pour un désarmement conventionnel.
- Seulement nous avons des partenaires. Certains de ces partenaires ne montrent pas le même entrain. Donc, il serait prématuré de répondre à votre question. Les négociations continuent, comme vous le savez.\
QUESTION.- Monsieur le Président, puisque l'on vous pose trop peu de questions, puis-je m'adresser à vous ? Mes collègues français, soviétologues, ont prévenu le public français à propos de certains dangers qu'il y aurait à être tenté par la Perestroïka. A votre avis, est-ce que la délégation soviétique a pu tenter de convaincre Paris et en particulier les milieux intellectuels ?
- LE PRESIDENT.- La presse est libre. Vous avez entendu des appréciations qui ont pu ne pas vous plaire. Moi, cela m'arrive tous les jours. J'y suis fait. Je trouve cela plutôt mieux pour la démocratie, en France. Ils vont continuer, vous savez ... ! Mais il vaut mieux que l'on puisse parler et écrire que le contraire.
- Quant à la façon dont la délégation soviétique s'est comportée, la nature de nos conversations, je peux dire que l'élément sympathie était présent. Je n'y étais pas, mais d'après ce que j'ai entendu dire par le ministre des affaires étrangères, le ministre de la culture et par quelques autres personnes qui se trouvaient à la Sorbonne, il semble bien que l'intervention de M. Gorbatchev ait été bien comprise et bien interprétée par les intellectuels et les représentants français de toutes sortes, de toutes disciplines qui se trouvaient là. On peut dire qu'un voyage comme celui-ci a facilité grandement la compréhension entre nos deux peuples.\
QUESTION (L'Express).- Je voulais poser une question à M. Gorbatchev sur lui-même, car les Français, monsieur le Président, vous connaissent un peu mieux mais il y a encore quelques parties de votre vie qui sont inconnues.
- Ma question est la suivante : nous savons que vous avez une maman qui est chrétienne, croyante. Est-ce que vous-même, vous êtes baptisé ?
- M. GORBATCHEV.- Oui, j'ai été baptisé. Je pense qu'il n'y a rien d'anormal à cela. Ai-je répondu à votre question ?\
QUESTION.-Vous venez de faire une déclaration commune sur le Liban, c'est très bien. Mais on voudrait savoir quels sont les moyens que vous allez exercer, vous deux, pour aider ce comité tripartite arabe à accomplir sa tâche.
- Une autre question pour le Président Gorbatchev : est-ce que l'émissaire soviétique qui s'est rendu en Irak et en Syrie a rapporté, de sa mission, un bon résultat pour consolider un cessez-le-feu ?
- LE PRESIDENT.- A la question qui vient en premier, madame, je veux dire que le fait que l'Union soviétique intervienne, avec l'influence dont elle dispose dans cette région du monde, dans le sens de la paix, de l'unité, de la souveraineté du Liban c'est quand même considérable. Le fait que les négociateurs arabes le sachent, cela contribuera certainement au résultat de leur mission.
- Je pourrais en dire autant de la France qui a des relations particulières, privilégiées, avec le Liban, quelles que soient les composantes de ce liban.
- Quels sont les moyens ? Laissez-nous travailler. Pour l'instant, c'est de soutenir la mission des pays arabes. C'est le premier devoir. On ne va pas se substituer à ceux qui sont sur le terrain. On va bien voir quels sont les résultats qu'ils obtiendront. De toute manière, on ne laissera pas les choses là.
- M. GORBATCHEV.- En ce qui concerne la première partie, je dirai que je suis tout à fait d'accord avec votre jugement, monsieur le Président. Cela est tout à fait conforme à l'esprit de nos entretiens. En ce qui concerne la deuxième partie, c'est-à-dire les résultats de la mission, il s'agissait d'une mission £ ce n'est qu'une partie de nos efforts. Mais le camarade qui était l'émissaire, vice-ministre des affaires étrangères, M. Bessmertnykh qui est allé en Irak et en Syrie, avait pour mission confiée par le secrétaire général, Président du Soviet Suprême, d'examiner toute une série de questions concrètes.
- A notre retour de Paris, nous entendrons bien sûr une information plus détaillée. Donc vous devez savoir, comme l'a dit M. le Président, que bien sûr nous compatissons aux souffrances du peuple du Liban et nous comprenons le côté stratégique de cette situation et nous comprenons parfaitement les conséquences que cela peut avoir. Nous ferons donc de notre mieux pour que le problème trouve une solution dans l'intérêt tout d'abord du peuple libanais, mais aussi d'autres.\
QUESTION.- Monsieur Gorbatchev, vous avez parlé de votre nouvelle pensée de la Perestroïka et de la maison européenne commune. Qu'adviendrait-il de la Perestroïka si pour une raison ou une autre vous n'étiez pas en mesure de la poursuivre vous-même ?
- M. GORBATCHEV.- Je pense que ces idées ne sont pas dues à Gorbatchev personnellement. En fait les sociétés, dans les pays européens et dans le monde, en sont venues à ce grand tournant et ont pris conscience du fait qu'il était indispensable à l'heure actuelle de poser ces problèmes-là de façon nouvelle. Si les milieux politiques, les milieux intellectuels des différents pays n'avaient pas pris conscience de cela, on peut douter du fait ques ces nouvelles idées, cette nouvelle pensée, aient pu recueillir un tel retentissement, une telle résonnance qui leur permet maintenant d'acquérir une dimension concrète dans la diplomatie et dans les relations entre les états. Ce processus est bien lancé parce que les peuples, les hommes comprennent la nécessité du changement.
- Mais est-ce que vous êtes inquiet de ma santé ? Ou qu'est-ce qui a motivé votre question ? Est-ce que les Britanniques seraient au courant du fait que les jours de Gorbatchev sont comptés ? D'ailleurs c'est une chose que j'ai lue dans le Figaro, mais cela ne me surprend pas parce que le Figaro écrit cela depuis lontemps déjà. Nous le savons, cela ne nous surprend plus du tout. Nous connaissons bien les organes de presse, nous savons bien pour qui ils travaillent.
- LE PRESIDENT.- De toutes façons nos jours sont comptés ! Le problème, c'est qu'on ne sait pas quel est le nombre ... C'est un avantage ou un inconvénient, c'est à vous de répondre !\
QUESTION (Journal Ogoniok).- Hier, vous avez tous les deux parcouru les Champs Elysées et c'est une scène que des millions de spectateurs ont vue. Vous êtes tous les deux tout seuls, il n'y a aucune autre personne qui vous accompagne et il serait bon de pouvoir savoir quelle était la matière de votre entretien, de quoi vous parliez en descendant les Champs Elysées tous les deux.
- LE PRESIDENT.- C'est très agréable de finir en plaisantant mais d'abord, nous n'avons pas descendu les Champs Elysées, donc erreur d'information ! Deuxièmement, nous nous sommes promenés dans le parc de l'Elysée, qui est là, et les interprètes se sont éloignés à la demande d'un certain nombre de photographes pendant trente mètres. En l'espace de trente mètres, nous nous sommes compris sans beaucoup parler. Même sans connaître nos langues respectives, il est possible d'employer des mots, de faire des signes, de montrer les choses, vous savez, ce langage-là existe.\
QUESTION.- C'est une question au Président Gorbatchev. Tout à l'heure, vous avez évoqué de possibles mouvements de déstabilisation en Europe de l'Est. Je voudrais savoir quelle est votre réaction ? Est-ce que vous pensez que ce mouvement de déstabilisation est en ce moment encouragé par les Etats-Unis ? Nous ne connaissons pas vos réactions sur la propositon du Président Bush adressée à l'URSS de retirer toutes ses troupes de Pologne ... quelle est votre réaction à ce propos ?
- M. GORBATCHEV.- Tout d'abord, je voudrais dire que lorsque j'ai parlé de certaines possibilités d'instabilité - c'est exactement ce que j'ai dit - eh bien je pense que si vous comprenez toute la complexité, la profondeur de ces changements, tout cela est normal, naturel. Rappelons-nous de la première partie des années 70, lorsqu'il y a eu des changements de structures dans les pays occidentaux en raison de la crise pétrolière. Il a fallu s'adapter à la nouvelle situation, et rappelons-nous des millions que l'on avait dépensés à ce moment-là et quelle bataille il y avait dans la Ruhr, dans les mines de Grande-Bretagne et en général. Donc, c'est, je dirai, un élément d'instabilité. Eh bien, à ce moment-là, le système capitaliste cherchait une réponse au défi du temps et cette société s'est adaptée, et le fait qu'aujourd'hui il existe des éléments positifs dans ce système est dû, justement, aux réflexions et aux recherches très sérieuses de cette époque-là. Mais, finalement, tout n'a pas été très positif pour les entreprises puisque certaines entreprises ont été ruinées, mais enfin, tout cela a eu lieu.
- Eh bien, en ce moment, il y a des changements dans les pays socialistes. Il y a un processus de décentralisation de l'économie. Si l'on parle de l'URSS, eh bien on refuse le système administratif de gestion et on passe à un système d'initiative, d'autonomie économique, financière, de renforcement des droits, bref il y a une démocratisation de toute la vie. Il y a une restructuration de la propriété £ apparaissent de nouvelles formes d'organisation économique, des conditions de travail, des coopératives, etc., je ne vais pas vous donner la liste à ce stade, mais je dirai que, parallèlement à ce phénomène de Perestroïka, eh bien il y a un certain danger, un danger évident, à savoir que ces processus n'échappent pas à un contrôle. Effectivement, il faut dire que c'est ce qui se passe actuellement en URSS et je crois qu'en effet il y a certaines manifestations douloureuses.
- Eh bien, je pense que si, à ce moment-là, quelqu'un voulait spéculer sur ces processus, voulait profiter en quelque sorte et voulait envisager une certaine déstabilisation ou peut-être envisager des mesures plus provoquantes, cela serait sérieux, et je dirai pour toute la situation de façon globale.
- Voilà ce dont je voulais vous entretenir.\
`M. GORBATCHEV.-`
- Maintenant, vous disiez qu'en ce qui concerne la proposition de M. Bush, nous n'avons pas répondu. Tout d'abord, M. Bush doit répondre à toutes nos propositions et nous attendons toujours. Donc, le processus est en cours, mais je dirai que le dialogue soviéto-américain n'a jamais cessé, et au moment où M. Bush a commencé à agir, au tout début de sa présidence, dès les premiers mois, lorsqu'il a traité de diverses questions, en particulier des contacts personnels, comme vous le savez - il y a longtemps que nous avons des contacts personnels avec M. Bush et nous continuons à les renforcer - nous essayons d'agir de telle sorte que nous évitions certaines attitudes de provocation.
- D'ailleurs, nous avons incité le Président Reagan à agir de la sorte, en particulier quand il y a eu certaines tentatives particulières, lorsqu'on nous donnait des leçons ou lorsqu'on nous accusait d'un ton de procureur. Eh bien, nous avons rétorqué à tout cela, et ensuite commencé un dialogue fructueux qui nous a mené à des solutions très intéressantes que vous connaissez parfaitement.
- Donc, le problème n'est pas du tout d'avoir des attitudes de gagnants en matière de propagande, mais le problème est que nous sortons d'une période très complexe de guerre froide, de stéréotypes, de méfiance, d'accumulation d'armements, de confrontations, bref il nous faut dominer tout cela, il nous faut être sages et faire preuve de virilité, en quelque sorte, de vigueur.
- Nous continuerons à aller de l'avant et c'est ce que je crois avoir entendu dire à M. le Président des Etats-Unis à savoir que nous continuerons ces relations soviéto-américaines et nous continuerons à utiliser ce capital accumulé.
- Nous partageons cette forumule, nous collaborons, nous coopérons, peut-être que tout ne plaît pas à nos partenaires dans ce que nous faisons... Nous ne pouvons pas dire que nous sommes très enthousiastes en ce qui concerne certaines mesures prises par l'Administration de M. Bush mais cela n'est pas un obstacle au dialogue réaliste qui continue. Je suis persuadé que le dialogue soviéto-américain continuera et je crois que nous nous y intéressons tous £ d'ailleurs, avec M. le Président, nous avons dit, et M. le Président l'a répété aujourd'hui lors de cette conférence de presse, que le dialogue soviéto-américain est un élément très important des relations internationales et nous ne pouvons pas manquer du sens des responsabilités. Je suppose que les dirigeants américains réagissent de même.
- Nous devons agir dans l'intérêt de nos peuples, des peuples européens et du monde entier.
- En ce qui concerne les problèmes concrets, je dirai que tout est ouvert, les mécanismes commencent à fonctionner et la période d'attente est passée. En ce qui concerne l'administration américaine, le processus est enclenché et, je crois, se déroulera de façon normale. Je vous remercie.
- LE PRESIDENT.- Je remercie le Président Gorbatchev d'avoir bien voulu participer à cette conférence de presse. Merci à vous, mesdames, messieurs, d'abord à ceux qui nous ont posé des questions. A la prochaine fois. La séance est levée.\