11 mars 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Intervention de M. François Mitterrand, Président de la République sur la protection de l'environnement et la nécessité d'une négociation internationale dans le cadre des Nations unies, La Haye, samedi 11 mars 1989.

Majesté,
- Messieurs les Présidents,
- Excellence,
- Je concluerai comme on a commencé en remerciant et de grand coeur sa Majesté la Reine Béatrix ainsi que le Premier ministre du gouvernement des Pays-Bas pour la qualité de leur accueil.
- Chacun connaît ici l'importance du rôle joué par M. Lubbers, par Mme Brundtland, Premier ministre de Norvège, M. Michel Rocard, Premier ministre français afin que soit adoptée la déclaration que nous allons signer. Grâce à eux, nos 24 pays ici représentés et qui appartiennent à toutes les régions du globe peuvent démontrer que l'humanité est résolue à préserver son bien commun, l'environnement.
- La détérioration de l'atmosphère est aujourd'hui certaine, son traitement ne peut qu'être mondial. Ses conséquences peuvent ruiner les possibilités mêmes de la vie sur la planète. Voilà ce que vous avez tous dit et qu'il faut bien faire comprendre à tous les hommes sur la terre. S'il existe une part d'incertitude sur le plan de l'appréciation scientifique lorsque seront levées les dernières interrogations, l'inquiétude risque fort de s'accroître plutôt que de se dissiper. Quel que soit le pourcentage de probabilité du danger, sa nature même doit nous conduire à le combattre. C'est si vrai que partout dans le monde, colloques, rencontres, conférences se multiplient améliorant la connaissance, creusant la voie aux solutions qui finalement quoi qu'il advienne prévaudront. Mieux vaudrait tôt que tard. C'est Ottawa, Londres, Paris, La Haye, maintenant on nous annonce Tokyo. Plus nombreuses seront les occasions de parler pour agir, mieux cela vaudra pour chacun.
- De nombreuses organisations font preuve un peu partout de leur efficacité. On me permettra de songer particulièrement au programme des Nations unies pour l'environnement £ eh bien voilà qui nous offre des bases solides auxquelles manque cependant encore un certain champ de décisions, celui précisément que la conférence d'aujourd'hui aspire à présenter aux peuples dans le monde. C'est pour cela qu'il nous a fallu réagir selon des procédures d'urgence et pour des objectifs nouveaux. Des procédures d'urgence car des siècles d'expérience nous ont enseigné la lenteur des mécanismes de décisions internationales et le temps nous est trop compté pour que nous puissions le prendre à loisir.
- Des objectifs nouveaux car les conditions nous semblent réunies pour que chacun accepte l'idée d'une autorité mondiale qui, moyennant des garanties nécessaires, soit un jour mandataire de tous dans l'intérêt de tous.
- Devant l'enjeu s'inclineront, je le souhaite, les dogmatismes, les égoïsmes. Il ne suffit pas de clâmer, il faut agir, il ne suffit pas de dénoncer, il faut agir - comme nous le faisons - cela se démontre dans la vie quotidienne et pas simplement dans le discours. Dénoncer c'est bien, condamner c'est mieux. Il ne suffit pas non plus d'inciter, il faut aider. Telles sont les missions principales que cette autorité que j'appelle de mes voeux devra remplir, telles sont les tâches qu'elle devra accomplir.\
L'appel que nous allons signer peut constituer une date dans l'histoire de l'humanité si pour la première fois comme nous l'y invitons, elle accepte des délégations partielles de souveraineté dans le domaine limité nécessaire à notre propre survie. Ce sera un premier succès, un grand succès, mais bien entendu en même temps commenceront les difficultés puisqu'il faudra traduire ces principes nouveaux au moyen d'instruments juridiques efficaces - eux-mêmes à inventer - et qu'il existe bien entendu des jurisprudences de toutes sortes qui nous permettent de disposer de règles établies déjà par l'esprit humain. Il faudra convaincre les nations qui ont encore besoin de l'être. Il faudra aller assez vite pour que le mal ne soit pas plus rapide que l'effet du remède. Je pense qu'ici personne ne sous-estime ces difficultés £ mais il faut bien se dire que pour les surmonter nous disposons d'atouts qui ne sont pas minces. La coalition pacifique des volontés politiques réunies autour de cette table tout d'abord, l'attente impatiente d'une opinion publique alertée, angoissée qui sera notre meilleure alliée en même temps que l'aiguillon qui stimulera nos partenaires. Enfin, la bienveillance active d'organisations comme les Nations unies et d'institutions qui en dépendent et qui ont parfaitement perçu l'intérêt et la portée de notre initiative.
- Je crois pouvoir dire en votre nom que nous entendons soumettre la question à la prochaine assemblée générale des Nations unies. D'autres nations nous rejoindront, soyez-en sûrs. Ensuite, il reviendra à chacun d'entre nous d'expliquer et de convaincre de sorte que notre volonté devienne contagieuse.
- La négociation internationale n'a de chance d'aboutir que dans le cadre des Nations unies où nous entendons la situer mais cette négociation devra progresser plus rapidement qu'à l'ordinaire, ce qu'autorise, je crois, la force et la clarté du message politique qui sortira ce soir de notre conférence.\
Je n'en dirai pas davantage, fusse avec la permission de M. le Premier ministre des Pays-Bas dont, vous le constaterez, je n'aurai pas abusé. Je n'en dirai pas plus, surtout devant vous dont la présence atteste précisément l'accord. Sachez seulement la conviction de mon pays selon laquelle nous n'avons pas droit à l'échec, cela a été dit excellement par d'autres que par moi car cet échec non seulement serait le nôtre mais aussi celui des générations futures, bref, de l'humanité tout entière.
- J'ajoute pour terminer que la France aurait le sentiment d'être digne des acquits de la Révolution dont elle fête le Bicentenaire si elle contribuait en cette fin de siècle à ce qu'une nouvelle fois la raison des hommes l'emporte sur le cours anarchique des choses afin que s'affirme le droit à la vie sur les forces de destruction. Erasme, Majesté, votre Erasme - c'est un peu le nôtre aussi - écrivait je le cite : "la sagesse rend les gens timides", il parlait sans doute de lui-même, "Les sages vivent oubliés, sans gloire et sans sympathie", il était sans doute exagérément pessimiste. Après tout, peu importe la gloire, la sympathie viendra plus tard. Espérons qu'au moins la sagesse rendra nos peuples audacieux.\