3 février 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de l'ouverture de l'année de la France en Inde, notamment sur les relations culturelles franco-indiennes, Bombay vendredi 3 février 1989.

Monsieur le Premier ministre,
- Mesdames et messieurs,
- Alors que l'Indépendance de l'Inde faisait l'objet d'un long combat, le Pandit Nehru, dont votre pays célèbre le centenaire, écrivait en 1928 : "la culture d'un peuple doit être enracinée dans le génie national, sentir le terroir, tirer son inspiration de l'histoire du passé £ mais elle ne peut indéfiniment vivre d'acquis ancestraux ou puiser dans un vieux compte en banque qui ne serait plus alimenté. Entité vivante et grandissante, elle doit être sensible aux nouveautés et suffisamment flexible pour s'y adapter". Eh bien, c'est à cette nécessité d'échange que répondent ces deux festivals, celui de l'Inde en France en 1985 et, aujourd'hui, le festival de France en Inde. A la France de 1985, l'année de l'Inde avait apporté à la fois l'immense diversité de toutes les cultures de votre pays et, en même temps, la perception d'une forte unité nationale. Quand les Nagas du Nagaland dansèrent au Foyer de l'Opéra de Paris, quand les belles danseuses de l'Inde du Sud firent l'admiration des connaisseurs de l'art, quand les aborigènes du Madhya Pradesh déployèrent leurs acrobatiques pyramides sur l'Esplanade du Trocadéro, tandis que les chanteurs soufis ou la chanteuse épique se faisaient entendre des Parisiens admiratifs, tous étaient différents et tous représentaient l'Inde. Pour notre peuple épris de liberté et de connaissance, ce fut une belle et grande leçon, un véritable apprentissage de votre pays tels qu'il apparait dans l'hymne national composé par Rabindranath Tagore. Ou, comme le disait encore Nehru, "la meilleure manière d'apprendre l'Histoire : voir l'art et les artistes".\
Si nous étions ensemble, monsieur le Premier ministre, sur les bords de la Seine, nous voici, en ce jour, sur les rives de l'Océan indien au coeur de cette ville vibrante et dynamique dont on dit qu'elle est le poumon de l'Inde. Et nous allons ouvrir ensemble le festival de la France, "Festival-Retour", comme disent les journalistes et les diplomates mais cela signifie bien autre chose.
- Retour, réciprocité : nous rendons la pareille, comme font les paysans qui se rendent visite tour à tour. Mais la réciprocité ne se calcule pas pièce à pièce : nous aurions du mal nous, à trouver les chanteurs épiques ou des aborigènes français ! Ce que nous allons vous offrir c'est une image de génie national de la France, dans la plus grande diversité possible : ce soir le futurisme de la science-fiction et les prodiges de la technologie, des images les plus sophistiquées `spectacle de Jean-Michel Jarre`, demain, nos impressionnistes, puis l'étonnante rupture qui conduisit Paris à devenir le foyer d'une peinture résolument moderne, abstraite, d'une certaine façon progressiste.
- Nous commençons par la modernité de nos savants, nos ingénieurs sont ici pour réfléchir avec les vôtres, et nous continuons avec l'Histoire, sans perdre le fil des techniques qui, d'âge en âge ont été avec l'art, le moteur de notre culture, technique et art, cela n'est pas séparable. Je forme le voeu qu'à travers ces manifestations, qui n'oublient aucune des formes de l'art et de la science, apparaissent aux yeux de votre peuple, l'image du nôtre, sous des aspects aussi neufs que le furent ceux de l'Inde en France en 1985.\
Nos deux pays se proclament des démocraties et des Républiques, attachés aux libertés les plus difficiles à conquérir et donc les plus difficiles à préserver : la liberté d'opinion, la liberté de réunion, la liberté de pensée et de culte mais je vous demande existe-t-il aussi de grandes démocraties sans esprit d'innovation ?
- En ouvrant ce festival, je souhaite qu'il s'inspire pendant son déroulement de l'esprit de modernité : à condition de bien comprendre qu'il ne se fait rien de nouveau sans réflexion sur le passé.
- C'est en quoi je salue, monsieur le Premier ministre la politique des "festivals of India" que votre mère `Indira Gandhi` dont je salue ici la grande oeuvre et la mémoire et son amitié pour la France avait mis en oeuvre et que vous avez continué de façon éclatante. Il s'agit bien, en effet, d'innover : comment pourrait-il en aller autrement ? Le moteur du progrès c'est l'échange : ainsi vont les relations entre pays, ainsi avance l'humanité. En échangeant nos cultures, fût-ce au travers de fragiles miroirs, de quelques mois de Festival, nous amorçons je le pense une authentique réflexion commune assez forte pour repousser les barrières du langage des préjugés et des pesanteurs de l'histoire.
- Cette communauté de méditation, de pensées, se traduira pas des aventures communes, des sociétés mixtes, des activités théâtrales, grands travaux, des improvisations musicales pour une seule nuit, une nuit comme un été, enjeu économique ou esthétique qu'importe : nous cultiverons ensemble un jardin où se mêleront les fleurs et les fruits de toujours et de partout.
- Enfin telle est la grâce que je vous souhaite, monsieur le Premier ministre, que je souhaite en particulier, à nos artistes, à nos savants, Indiens et Français, car c'est leur métier que de faire souffler l'esprit.\
Je ne terminerai pas la visite que nous effectuons en Inde sans dire au peuple indien l'attachement que je lui porte, la gratitude que je lui dois, le sentiment que j'éprouve de retrouver par lui et grâce à lui, une immense tradition où l'âme exerce ses tensions, ses recherches, ses interrogations : le corps du pays tout entier s'est organisé pour le travail des temps modernes.
- Et je voudrais vous dire à vous, monsieur le Premier ministre, comme à vous, madame, les sentiments qui sont les miens, qui sont les nôtres - à nous Français, ici vos invités - après des échanges de vue fructueux, avec des espérances partagées, des projets approfondis : trouver une sorte de correspondance.
- Je ne dirai rien de plus, sinon, monsieur le Premier ministre, que j'ai trouvé un pays qui, sous votre autorité, votre travail et votre conscience, continue d'avancer sur la voie du progrès et de l'unité. Toute tâche de cette sorte est immense et difficile, rien n'est simple et rien n'est continu, telle est l'histoire de l'homme. Encore faut-il une volonté claire, un sens du devoir, une conscience du rôle des hommes sur la terre, une démarche où j'ai reconnu le meilleur, l'Inde. Je tiens à vous le dire, monsieur le Premier ministre et à vous madame qui nous avez reçus dans votre foyer, comme je tiens à dire à toutes les autorités de l'Inde, notamment de cet Etat, ma reconnaissance et mon amitié.\