1 février 1989 - Seul le prononcé fait foi
Discours de M. François Mitterrand, Président de la République et à l'occasion du dîner offert par M. Ramaswamy Venkataraman, Président de la République de l'Inde, notamment sur les relations franco-indiennes en matière économique, technologique, sur le désarmement et l'aide au pays en voie de développement, New-Delhi le 1er février 1989.
Monsieur le Président,
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Les propos que vous nous avez adressés à l'instant, monsieur le Président, propos de bienvenue, et la qualité de l'accueil que vous nous réservez me touchent profondément, comme ils touchent ma femme et ceux qui m'accompagnent. Acceptez qu'en ce premier soir de notre visite en Inde, je vous exprime mes remerciements pour l'invitation à laquelle je réponds aujourd'hui et le plaisir que j'ai à me retrouver en ces lieux, six ans après mon précédent séjour à Delhi.
- J'ai tenu, nous l'avons rappelé ce matin, à ce que le premier déplacement en Asie de mon second septennat fût consacré à l'Inde. C'est le signe de l'importance que nous reconnaissons à votre pays dans les affaires mondiales comme de la volonté de la France d'y marquer hautement sa place.
- A travers vos personnes, c'est au peuple de l'Inde, que j'apporte le salut fraternel de mes compatriotes, leur témoignage d'estime et de sympathie. L'Inde aujourd'hui serait-elle ce qu'elle est, libre, indépendante, démocratique, unie dans sa diversité, tournée vers de nouveaux progrès, sans le courage, la ténacité, la sagesse de son peuple ? Tandis que je vous parle, ma pensée va vers Indira Gandhi. Je compte au nombre des privilèges de ma fonction d'avoir connu votre mère, monsieur le Premier ministre, partagé son amitié et travaillé avec elle à construire entre nos deux pays une relation particulière. Elle s'inscrit dans la lignée des bâtisseurs de l'Inde moderne, ce dont je suis allé honorer le souvenir cet après-midi : le mahatmah Gandhi, le plus grand éveilleur de consciences de ce siècle, le pandit Nehru, votre grand-père, monsieur le Premier ministre, qui transmit à l'Inde sa foi dans la démocratie et le progrès.
- Monsieur le Président, l'année même où nous célébrons le bicentenaire de la Révolution française, vous fêtez, vous, le centième anniversaire de la naissance de Jawaharlal Nehru. Je me réjouis que nos deux pays aient choisi cette année symbolique pour raffermir leurs liens et mieux se retrouver, par cette visite, sans doute, et particulièrement par le Festival de la France en Inde que nous inaugurerons ensemble à Bombay dans deux jours.\
Les rapports entre nations obéissent à de complexes alchimies. Il en est de nécessaires, ceux qu'imposent le voisinage de l'histoire. Il en est d'électifs qui se jouent des distances géographiques et culturelles. Tel est le cas entre l'Inde et la France. Nos deux pays ont longtemps suivi des routes séparées, prenant chacun une part éminente dans son monde à lui, sans avoir à tenir compte de l'autre. Nos relations, à l'origine, doivent beaucoup à la volonté politique, comme à de subtiles attractions. Mal connue de mes compatriotes, l'Inde ne leur est pas cependant étrangère. Les grandes figures de votre histoire moderne leur sont familières. La correspondance entre Gandhi et Romain Rolland, vous l'avez évoquée, monsieur le Président, témoigne d'une fascination qui continue de s'exercer. J'ajoute une parenthèse : j'ai représenté pendant 35 ans une petite région de France d'où Romain Rolland était originaire et que de fois il m'est arrivé de visiter sa tombe ou bien, avec Mme Romain Rolland, d'examiner les documents non exploités de sa riche bibliothèque, je puis témoigner que l'Inde revenait très souvent dans ses écrits et sa correspondance. Si cela n'était pas, comment expliquerait-on le grand succès populaire de l'année de l'Inde que vous avez ouverte à Paris en 1985 ! Et comment expliquer l'engouement du public pour des spectacles comme le "Mahabharata" ou l'"Indiade" sinon par le besoin de puiser dans les épopées hindoues ce surcroît de spiritualité qui manque trop souvent à l'occident d'aujourd'hui ?
- Tant mieux si le dialogue des civilisations vient étayer, renforcer l'échange politique. Situés où ils sont, nos deux pays posent sur le cours des choses un regard souvent semblable. Si je fais le compte de ce qui nous rapproche, je vois un même goût, très vif, de l'indépendance nationale £ une commune appartenance au cercle trop restreint des démocraties £ un égal souci d'assurer sa sécurité sans complaisance pour le surarmement £ un même et tenace engagement pour un monde plus solidaire, fondé sur le double refus de la logique des blocs et de la fatalité du sous-développement. Voilà de bien puissantes raisons d'unir nos efforts.
- Certes, chacun de nous a ses amitiés, ses voisinages et ses engagements. La géographie introduit des différences dans certaines de nos analyses. Mais l'essentiel est que la volonté d'apaisement qui s'affirme dans les relations internationales nous ouvre de nouvelles perspectives auxquelles il nous convient de contribuer. L'un des objectifs de ma visite est précisément d'identifier avec M. le Premier ministre, et nous avons commencé de le faire cet après-midi, les domaines dans lesquels des consultations ou des initiatives franco-indiennes sont possibles et souhaitables.\
Présente, elle aussi, dans l'Océan indien, et attentive à y préserver les équilibres, la France désire que cette région demeure libre, prospère et pacifique. S'agissant par exemple du Cambodge, auquel nous sommes liés par d'anciennes et vivaces traditions, nous nous employons à faciliter les discussions et la réconciliation de tous les Khmers, première étape sur la voie d'un règlement qui garantira à ce pays la paix dans l'indépendance retrouvée. Prenant acte avec satisfaction de la décision de l'Union soviétique de retirer ses troupes d'Afghanistan, la France souhaite que les Afghans puissent se doter du gouvernement de leur choix et vivre en paix avec leurs voisins. Que ces embellies se confirment, et les conditions seront remplies pour que le non-alignement, dont l'Inde est l'un des chefs de file écoutés, retrouve une nouvelle jeunesse et l'inspiration de ses fondateurs. Permettez-moi enfin de me réjouir des effets positifs pour les relations entre l'Inde et le Pakistan que laissent entrevoir les échanges récents d'Islamabad.\
Le siècle ne devrait pas s'achever sans que d'importants pas aient été accomplis sur la voie du désarmement. MM. Reagan et Gorbatchev ont eu l'intelligence et le courage d'enrayer une course aux armements aussi coûteuse qu'absurde. J'ai approuvé sans hésitation l'accord de Washington, je l'ai approuvé, assuré qu'il était indispensable d'éliminer les armes nucléaires intermédiaires. J'applaudirai plus encore lorsque Russes et Américains, conformément à l'engagement qu'ils ont pris, réduiront massivement leurs arsenaux stratégiques. Dois-je rappeler que ceux-ci renferment encore quelque 12000 charges nucléaires pour les uns et 13000 pour les autres, alors que la France en compte quarante fois moins. Je connais les sentiments de l'Inde sur ce point et comprends ce qui les motive. Je n'ai pas de sympathie particulière pour l'arme atomique ! Non plus que pour tout autre moyen d'attenter à la vie humaine. La France est éprise de paix. Sa force nucléaire est destinée à prévenir la guerre et non pas à la faire. Elle la maintient au niveau suffisant pour dissuader tout agresseur éventuel et rien de plus. Faute de reposer sur la confiance, la sécurité des Etats dépendra longtemps encore de l'équilibre des forces auquel la dissuasion nucléaire apporte une contribution sans égale ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas évoluer. La France sera prête lorsque la disproportion des arsenaux aura changé d'échelle, à prendre sa part du désarmement nucléaire.
- D'autres accords sont à portée de la main. J'avais pris, avec le Président Reagan, l'initiative de réunir à Paris une conférence sur le désarmement chimique, à l'issue de laquelle 149 pays ont condamné unanimement l'utilisation de l'arme chimique et appelé à son élimination totale.
- Enfin, l'ensemble des pays européens, de l'Est et de l'Ouest et non alignés, ainsi que les Etats-Unis et le Canada se retrouveront pour la première fois à Vienne dans un mois pour ouvrir des négociations sur le désarmement conventionnel.
- Plus de sécurité avec moins d'armes, qu'elles soient nucléaires, chimiques ou classiques, tel est notre objectif.\
C'est bien ainsi, monsieur le Président, au demeurant, que nous avons une chance de dégager des ressources nouvelles consacrées au développement. Je tiens à le répéter ici, ce soir : il est au moins aussi crucial, pour l'avenir de l'humanité, de briser le cercle infernal de la misère, de la faim, de la maladie, de l'analphabétisme que de juguler la course aux armements. La Communauté internationale paraît, dans un sursaut de sagesse, refuser la fatalité de la guerre. Qu'elle se donne au moins d'urgence les moyens de remédier aux déséquilibres économiques qui, faute d'être maîtrisés à temps, la précipiteront dans d'incurables désordres.
- Les dispositions des Etats riches ne sont pas - c'est le moins qu'on puisse dire - à la mesure de l'attente des moins favorisés. L'aide internationale stagne ou régresse. La France qui est déjà, de tous les grands pays industrialisés, celui qui consacre à l'aide au développement le pourcentage le plus élevé de son produit national brut, agit, vous le savez, dans toutes les réunions internationales pour donner un contenu concret au dialogue Nord-Sud. C'est ainsi que j'ai récemment proposé, à la Tribune des Nations unies, un mécanisme visant à réduire substantiellement la charge de la dette des pays dits à revenu intermédiaire. L'Inde n'est pas au premier chef concernée par cette initiative dans la mesure où une politique avisée l'a conduite à maintenir dans des proportions raisonnables sa dette à l'égard du système bancaire. Mais comment votre pays, acteur essentiel du dialogue Nord-Sud ne s'intéresserait-il pas au succès d'initiatives de cet ordre, nous en avons parlé suffisamment M. le Premier ministre et moi pour que j'en sois assuré.\
S'agissant de l'Europe, aujourd'hui engagée dans l'unification de son marché intérieur, je tiens à dissiper tout malentendu. 1992 ne sera pas protectionniste. Déjà largement ouvert sur le monde, le grand marché le restera. La Communauté européenne, dont je rappelle qu'elle enregistre avec les pays en développement un déficit sur les produits agricoles de 13 milliards de dollars, tiendra compte, comme par le passé, du souci légitime de ces pays d'y exporter leurs productions.
- Et puis notre bonne volonté, notre bonne entente réciproque gagnera à se nourrir aussi de réalisations économiques. La coopération franco-indienne a connu de vrais progrès durant cette décennie. Mais sa base se révèle encore trop étroite au regard de l'énorme potentiel naturel, humain et technologique de votre pays, sans ignorer le haut niveau de vos recherches et de vos réalisations. Mais je tiens à souligner ici les capacités de l'industrie et de la science françaises.
- Le gouvernement français a pris des mesures pour mieux faire connaître les produits indiens sur notre marché et des possibilités offertes en Inde à nos investissements. L'avenir passe par la multiplication d'entreprises communes qui partagent la technologie mais aussi le capital et la conception des produits. L'accord qui vient d'être signé entre l'Institut Mérieux et son partenaire indien pour la production de vaccins, dont on me dit qu'il constituait l'investissement le plus important dans ce secteur depuis 20 ans, illustre de façon exemplaire une démarche qui concilie les aspects industriels, scientifiques et humanitaires. Nous connaissons l'effort gigantesque que vous avez entrepris pour maîtriser et gérer les ressources en eau potable. Puis-je observer qu'on ne manque pas en France d'excellents spécialistes capables de contribuer à la formation d'ingénieurs et de techniciens indiens et à l'équipement de laboratoires ? Nos ministres compétents en discuteront. Aucun domaine n'est interdit à notre réflexion dès lors que nous nous engageons dans un programme de coopération de longue durée.\
Monsieur le Président, madame, je souhaite que les relations de la France avec l'Inde se placent sous le signe de la modernité, d'une modernité au service de l'homme. "Il n'est rien de plus excellent que l'homme", dit votre "Mahabharata". C'est dans cet esprit, en tout cas, que nous voulons montrer au peuple indien, tout au long de cette année et après, le meilleur des créations culturelles et artistiques françaises, le meilleur de ses réalisations scientifiques et technologiques.
- J'ai confiance dans l'avenir de nos relations parce qu'il existe en Inde un inestimable capital culturel et humain, fondé sur une civilisation plusieurs fois millénaire et servi par une volonté politique ferme et clairvoyante. Monsieur le Président, vous connaissez la France qui eut plusieurs fois l'honneur de vous accueillir et dans votre personne, un des combattants pour la liberté de l'Inde, un homme pétri d'une profonde sagesse. Vous savez ce que vous pouvez attendre de mon pays. L'hospitalité chaleureuse que vous nous accordez aujourd'hui vient à point nommé donner un nouvel élan à l'amitié entre nos deux nations.
- Monsieur le Président, madame, je lève mon verre à votre santé. A la votre, monsieur le Premier ministre, madame Gandhi, vous mesdames et messieurs, au succès des ambitieuses entreprises qui seront celles de l'Inde tout entière. Je vous demande, monsieur le Président, de transmettre au peuple indien les voeux que nous formons pour sa prospérité, pour son avenir toujours plus radieux, vive l'amitié franco-indienne !\
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Les propos que vous nous avez adressés à l'instant, monsieur le Président, propos de bienvenue, et la qualité de l'accueil que vous nous réservez me touchent profondément, comme ils touchent ma femme et ceux qui m'accompagnent. Acceptez qu'en ce premier soir de notre visite en Inde, je vous exprime mes remerciements pour l'invitation à laquelle je réponds aujourd'hui et le plaisir que j'ai à me retrouver en ces lieux, six ans après mon précédent séjour à Delhi.
- J'ai tenu, nous l'avons rappelé ce matin, à ce que le premier déplacement en Asie de mon second septennat fût consacré à l'Inde. C'est le signe de l'importance que nous reconnaissons à votre pays dans les affaires mondiales comme de la volonté de la France d'y marquer hautement sa place.
- A travers vos personnes, c'est au peuple de l'Inde, que j'apporte le salut fraternel de mes compatriotes, leur témoignage d'estime et de sympathie. L'Inde aujourd'hui serait-elle ce qu'elle est, libre, indépendante, démocratique, unie dans sa diversité, tournée vers de nouveaux progrès, sans le courage, la ténacité, la sagesse de son peuple ? Tandis que je vous parle, ma pensée va vers Indira Gandhi. Je compte au nombre des privilèges de ma fonction d'avoir connu votre mère, monsieur le Premier ministre, partagé son amitié et travaillé avec elle à construire entre nos deux pays une relation particulière. Elle s'inscrit dans la lignée des bâtisseurs de l'Inde moderne, ce dont je suis allé honorer le souvenir cet après-midi : le mahatmah Gandhi, le plus grand éveilleur de consciences de ce siècle, le pandit Nehru, votre grand-père, monsieur le Premier ministre, qui transmit à l'Inde sa foi dans la démocratie et le progrès.
- Monsieur le Président, l'année même où nous célébrons le bicentenaire de la Révolution française, vous fêtez, vous, le centième anniversaire de la naissance de Jawaharlal Nehru. Je me réjouis que nos deux pays aient choisi cette année symbolique pour raffermir leurs liens et mieux se retrouver, par cette visite, sans doute, et particulièrement par le Festival de la France en Inde que nous inaugurerons ensemble à Bombay dans deux jours.\
Les rapports entre nations obéissent à de complexes alchimies. Il en est de nécessaires, ceux qu'imposent le voisinage de l'histoire. Il en est d'électifs qui se jouent des distances géographiques et culturelles. Tel est le cas entre l'Inde et la France. Nos deux pays ont longtemps suivi des routes séparées, prenant chacun une part éminente dans son monde à lui, sans avoir à tenir compte de l'autre. Nos relations, à l'origine, doivent beaucoup à la volonté politique, comme à de subtiles attractions. Mal connue de mes compatriotes, l'Inde ne leur est pas cependant étrangère. Les grandes figures de votre histoire moderne leur sont familières. La correspondance entre Gandhi et Romain Rolland, vous l'avez évoquée, monsieur le Président, témoigne d'une fascination qui continue de s'exercer. J'ajoute une parenthèse : j'ai représenté pendant 35 ans une petite région de France d'où Romain Rolland était originaire et que de fois il m'est arrivé de visiter sa tombe ou bien, avec Mme Romain Rolland, d'examiner les documents non exploités de sa riche bibliothèque, je puis témoigner que l'Inde revenait très souvent dans ses écrits et sa correspondance. Si cela n'était pas, comment expliquerait-on le grand succès populaire de l'année de l'Inde que vous avez ouverte à Paris en 1985 ! Et comment expliquer l'engouement du public pour des spectacles comme le "Mahabharata" ou l'"Indiade" sinon par le besoin de puiser dans les épopées hindoues ce surcroît de spiritualité qui manque trop souvent à l'occident d'aujourd'hui ?
- Tant mieux si le dialogue des civilisations vient étayer, renforcer l'échange politique. Situés où ils sont, nos deux pays posent sur le cours des choses un regard souvent semblable. Si je fais le compte de ce qui nous rapproche, je vois un même goût, très vif, de l'indépendance nationale £ une commune appartenance au cercle trop restreint des démocraties £ un égal souci d'assurer sa sécurité sans complaisance pour le surarmement £ un même et tenace engagement pour un monde plus solidaire, fondé sur le double refus de la logique des blocs et de la fatalité du sous-développement. Voilà de bien puissantes raisons d'unir nos efforts.
- Certes, chacun de nous a ses amitiés, ses voisinages et ses engagements. La géographie introduit des différences dans certaines de nos analyses. Mais l'essentiel est que la volonté d'apaisement qui s'affirme dans les relations internationales nous ouvre de nouvelles perspectives auxquelles il nous convient de contribuer. L'un des objectifs de ma visite est précisément d'identifier avec M. le Premier ministre, et nous avons commencé de le faire cet après-midi, les domaines dans lesquels des consultations ou des initiatives franco-indiennes sont possibles et souhaitables.\
Présente, elle aussi, dans l'Océan indien, et attentive à y préserver les équilibres, la France désire que cette région demeure libre, prospère et pacifique. S'agissant par exemple du Cambodge, auquel nous sommes liés par d'anciennes et vivaces traditions, nous nous employons à faciliter les discussions et la réconciliation de tous les Khmers, première étape sur la voie d'un règlement qui garantira à ce pays la paix dans l'indépendance retrouvée. Prenant acte avec satisfaction de la décision de l'Union soviétique de retirer ses troupes d'Afghanistan, la France souhaite que les Afghans puissent se doter du gouvernement de leur choix et vivre en paix avec leurs voisins. Que ces embellies se confirment, et les conditions seront remplies pour que le non-alignement, dont l'Inde est l'un des chefs de file écoutés, retrouve une nouvelle jeunesse et l'inspiration de ses fondateurs. Permettez-moi enfin de me réjouir des effets positifs pour les relations entre l'Inde et le Pakistan que laissent entrevoir les échanges récents d'Islamabad.\
Le siècle ne devrait pas s'achever sans que d'importants pas aient été accomplis sur la voie du désarmement. MM. Reagan et Gorbatchev ont eu l'intelligence et le courage d'enrayer une course aux armements aussi coûteuse qu'absurde. J'ai approuvé sans hésitation l'accord de Washington, je l'ai approuvé, assuré qu'il était indispensable d'éliminer les armes nucléaires intermédiaires. J'applaudirai plus encore lorsque Russes et Américains, conformément à l'engagement qu'ils ont pris, réduiront massivement leurs arsenaux stratégiques. Dois-je rappeler que ceux-ci renferment encore quelque 12000 charges nucléaires pour les uns et 13000 pour les autres, alors que la France en compte quarante fois moins. Je connais les sentiments de l'Inde sur ce point et comprends ce qui les motive. Je n'ai pas de sympathie particulière pour l'arme atomique ! Non plus que pour tout autre moyen d'attenter à la vie humaine. La France est éprise de paix. Sa force nucléaire est destinée à prévenir la guerre et non pas à la faire. Elle la maintient au niveau suffisant pour dissuader tout agresseur éventuel et rien de plus. Faute de reposer sur la confiance, la sécurité des Etats dépendra longtemps encore de l'équilibre des forces auquel la dissuasion nucléaire apporte une contribution sans égale ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas évoluer. La France sera prête lorsque la disproportion des arsenaux aura changé d'échelle, à prendre sa part du désarmement nucléaire.
- D'autres accords sont à portée de la main. J'avais pris, avec le Président Reagan, l'initiative de réunir à Paris une conférence sur le désarmement chimique, à l'issue de laquelle 149 pays ont condamné unanimement l'utilisation de l'arme chimique et appelé à son élimination totale.
- Enfin, l'ensemble des pays européens, de l'Est et de l'Ouest et non alignés, ainsi que les Etats-Unis et le Canada se retrouveront pour la première fois à Vienne dans un mois pour ouvrir des négociations sur le désarmement conventionnel.
- Plus de sécurité avec moins d'armes, qu'elles soient nucléaires, chimiques ou classiques, tel est notre objectif.\
C'est bien ainsi, monsieur le Président, au demeurant, que nous avons une chance de dégager des ressources nouvelles consacrées au développement. Je tiens à le répéter ici, ce soir : il est au moins aussi crucial, pour l'avenir de l'humanité, de briser le cercle infernal de la misère, de la faim, de la maladie, de l'analphabétisme que de juguler la course aux armements. La Communauté internationale paraît, dans un sursaut de sagesse, refuser la fatalité de la guerre. Qu'elle se donne au moins d'urgence les moyens de remédier aux déséquilibres économiques qui, faute d'être maîtrisés à temps, la précipiteront dans d'incurables désordres.
- Les dispositions des Etats riches ne sont pas - c'est le moins qu'on puisse dire - à la mesure de l'attente des moins favorisés. L'aide internationale stagne ou régresse. La France qui est déjà, de tous les grands pays industrialisés, celui qui consacre à l'aide au développement le pourcentage le plus élevé de son produit national brut, agit, vous le savez, dans toutes les réunions internationales pour donner un contenu concret au dialogue Nord-Sud. C'est ainsi que j'ai récemment proposé, à la Tribune des Nations unies, un mécanisme visant à réduire substantiellement la charge de la dette des pays dits à revenu intermédiaire. L'Inde n'est pas au premier chef concernée par cette initiative dans la mesure où une politique avisée l'a conduite à maintenir dans des proportions raisonnables sa dette à l'égard du système bancaire. Mais comment votre pays, acteur essentiel du dialogue Nord-Sud ne s'intéresserait-il pas au succès d'initiatives de cet ordre, nous en avons parlé suffisamment M. le Premier ministre et moi pour que j'en sois assuré.\
S'agissant de l'Europe, aujourd'hui engagée dans l'unification de son marché intérieur, je tiens à dissiper tout malentendu. 1992 ne sera pas protectionniste. Déjà largement ouvert sur le monde, le grand marché le restera. La Communauté européenne, dont je rappelle qu'elle enregistre avec les pays en développement un déficit sur les produits agricoles de 13 milliards de dollars, tiendra compte, comme par le passé, du souci légitime de ces pays d'y exporter leurs productions.
- Et puis notre bonne volonté, notre bonne entente réciproque gagnera à se nourrir aussi de réalisations économiques. La coopération franco-indienne a connu de vrais progrès durant cette décennie. Mais sa base se révèle encore trop étroite au regard de l'énorme potentiel naturel, humain et technologique de votre pays, sans ignorer le haut niveau de vos recherches et de vos réalisations. Mais je tiens à souligner ici les capacités de l'industrie et de la science françaises.
- Le gouvernement français a pris des mesures pour mieux faire connaître les produits indiens sur notre marché et des possibilités offertes en Inde à nos investissements. L'avenir passe par la multiplication d'entreprises communes qui partagent la technologie mais aussi le capital et la conception des produits. L'accord qui vient d'être signé entre l'Institut Mérieux et son partenaire indien pour la production de vaccins, dont on me dit qu'il constituait l'investissement le plus important dans ce secteur depuis 20 ans, illustre de façon exemplaire une démarche qui concilie les aspects industriels, scientifiques et humanitaires. Nous connaissons l'effort gigantesque que vous avez entrepris pour maîtriser et gérer les ressources en eau potable. Puis-je observer qu'on ne manque pas en France d'excellents spécialistes capables de contribuer à la formation d'ingénieurs et de techniciens indiens et à l'équipement de laboratoires ? Nos ministres compétents en discuteront. Aucun domaine n'est interdit à notre réflexion dès lors que nous nous engageons dans un programme de coopération de longue durée.\
Monsieur le Président, madame, je souhaite que les relations de la France avec l'Inde se placent sous le signe de la modernité, d'une modernité au service de l'homme. "Il n'est rien de plus excellent que l'homme", dit votre "Mahabharata". C'est dans cet esprit, en tout cas, que nous voulons montrer au peuple indien, tout au long de cette année et après, le meilleur des créations culturelles et artistiques françaises, le meilleur de ses réalisations scientifiques et technologiques.
- J'ai confiance dans l'avenir de nos relations parce qu'il existe en Inde un inestimable capital culturel et humain, fondé sur une civilisation plusieurs fois millénaire et servi par une volonté politique ferme et clairvoyante. Monsieur le Président, vous connaissez la France qui eut plusieurs fois l'honneur de vous accueillir et dans votre personne, un des combattants pour la liberté de l'Inde, un homme pétri d'une profonde sagesse. Vous savez ce que vous pouvez attendre de mon pays. L'hospitalité chaleureuse que vous nous accordez aujourd'hui vient à point nommé donner un nouvel élan à l'amitié entre nos deux nations.
- Monsieur le Président, madame, je lève mon verre à votre santé. A la votre, monsieur le Premier ministre, madame Gandhi, vous mesdames et messieurs, au succès des ambitieuses entreprises qui seront celles de l'Inde tout entière. Je vous demande, monsieur le Président, de transmettre au peuple indien les voeux que nous formons pour sa prospérité, pour son avenir toujours plus radieux, vive l'amitié franco-indienne !\