18 janvier 1989 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert par M. Todor Jivkov, Président du Conseil d'Etat de la République de Bulgarie, notamment sur la nécessité de relancer les relations franco-bulgares, sur le désarmement et la sécurité européenne, Sofia le 18 janvier 1989.
Monsieur le Président,
- Je vous remercie des paroles que vous venez de prononcer et de l'accueil que vous nous avez réservé depuis ce matin, à ma femme, à moi-même, à la délégation qui m'accompagne. Je suis d'autant plus satisfait d'honorer aujourd'hui l'invitation que vous m'aviez adressée que, comme vous l'avez relevé, c'est la première fois qu'un Chef d'Etat français accomplit une visite officielle à Sofia. Voici réparée une anomalie bien singulière entre deux nations qui comptent parmi les plus anciennes de l'Europe, entre deux peuples qui ont souvent montré qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre estime et sympathie. Ces sentiments, je les renouvelle ce soir au peuple bulgare en formulant le voeu que ma visite contribue à les raviver.
- Je suis venu à Sofia, accompagné de cinq ministres du gouvernement français, de parlementaires, de chefs d'entreprise, de personnalités culturelles avec une double ambition : d'une part, donner à nos relations l'élan et l'ampleur qui leur manque, d'autre part, faire progresser, par le dialogue direct, le rapprochement, entre les deux parties séparées de l'Europe, ce qui constitue à mes yeux l'une des entreprises majeures de cette fin de siècle.
- Pas plus que vous, monsieur le Président, je ne me satisfais du médiocre bilan de notre coopération. On invoquera, pour l'expliquer, l'éloignement géographique, la barrière des langues ou l'appartenance de nos deux pays à des systèmes différents. Aucune de ces raisons n'est convaincante. Dès lors que la volonté politique et l'intérêt économique coïncident, rien ne nous condamne à la stagnation, voire à l'indifférence. Et soyez assuré que la France entend tenir sa place en Bulgarie, en tirant parti d'affinités qui ont survécu aux vicissitudes de ces dernières décennies.
- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, la Bulgarie a, comme la France, une très longue histoire derrière elle. Vous venez, en 1981, de célébrer avec une légitime fierté le 1300ème anniversaire de la fondation de l'Etat bulgare. Pendant des siècles, votre nation a cessé d'être indépendante sans cesser d'exister. Vous savez combien mes compatriotes ont vibré, au siècle dernier, pour la cause nationale bulgare. Vous l'avez rappelé, avec toute la force de son indignation, Victor Hugo exhortait, devant le parlement français, les nations d'Europe à mettre fin au martyre de l'héroïque peuple bulgare. D'autres illustres voyageurs français, de Lamartine à Edouard Herriot, rapportèrent de leur séjour, l'image d'un peuple aussi fier et épris de liberté que généreux et accueillant.
- Vous avez également célébré avec une ferveur qui nous honore, le centenaire de la mort de Victor Hugo. Vous vous apprêtez à commémorer tout aussi dignement le bicentenaire de la Révolution française et de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont les principes trouvèrent en Bulgarie, en particulier lors des luttes pour l'indépendance, un écho considérable. Souveraineté nationale, démocratie représentative, séparation des pouvoirs, liberté, respect de la personne : ces valeurs n'ont rien perdu de leur actualité. Puisse-t-on comprendre, à l'Est comme à l'Ouest, que cet héritage forme un bloc indissociable, que nul ne saurait y puiser à sa guise ce qui convient à ses thèses et rejeter ce qui les dérange sans dénaturer profondément l'esprit de la Révolution.\
Comment, sur ces prémisses, revivifier une coopération que j'ai dite "languissante" ? Sur le plan économique, la réponse appartient d'abord à nos entreprises. Je crois pouvoir assurer, au nom des industriels français, présents ou non autour de cette table, que leurs sociétés sont prêtes à participer davantage à votre effort de modernisation. Nous avons cet après-midi passé en revue avec nos ministres les domaines les plus prometteurs : télécommunications, où la France est déjà présente avec le meilleur de sa technologie, mais aussi nucléaire civil, agro-alimentaire, tourisme, biotechnologies. Il appartient au gouvernement bulgare de créer de son côté, les conditions propices à l'accueil de nos entreprises et je me réjouis à cet égard de la signature prochaine d'un accord de protection réciproque des investissements.
- L'attachement des Bulgares à la langue française, dont témoigne la place qui lui est réservée dans votre système éducatif, me touche particulièrement. J'y vois le gage le plus solide d'un développement de nos relations, l'indispensable outil d'une meilleure compréhension entre les jeunes de nos deux pays grâce à la multiplication des voyages, des échanges, des stages. Nous souhaitons faciliter à vos concitoyens l'accès à la culture française par l'ouverture d'un centre culturel à Sofia. J'ai également évoqué avec vous le projet d'Eurêka audiovisuel dont j'ai pris l'initiative et qui, s'appuyant sur les technologies les plus avancées, doit permettre à l'Europe de mieux affirmer son identité en valorisant un patrimoine culturel trop souvent laissé à l'abandon. J'ajoute qu'il est vrai que si l'on compare, par exemple, le nombre de traductions d'ouvrages français en langue bulgare et son contraire par la diffusion des oeuvres bulgares en France, nous avons nous-mêmes - et nous en prenons l'engagement - à faire un effort important pour mieux faire connaître en France ce que vous êtes.
- Enfin, parmi les domaines où nous pouvons utilement travailler en commun, celui de la défense de l'environnement que vous avez cité prendra une place grandissante. Il est clair aujourd'hui que la pollution de l'air, de l'eau, des forêts, de la santé de l'homme, se joue des frontières comme des clivages politiques. Cela paraît presque une vérité d'évidence que de dire cela et pourtant on a souvent refusé d'y songer. C'est un thème auquel les populations sont et seront toujours plus sensibles. Les Etats ne l'affronteront sérieusement que s'ils consentent à s'informer mutuellement, à mettre en commun leur savoir-faire et à faire prévaloir le profit général de l'humanité contre la tyrannie, souvent aveugle des intérêts particuliers. Si notre rencontre d'aujourd'hui débouche sur la mise en chantier d'un programme de travail franco-bulgare à long terme, nous aurons, je le crois beaucoup fait pour tirer nos relations d'une trop longue hibernation.\
Bien entendu, mesdames et messieurs, ces relations ne pourront que tirer profit de l'amélioration du climat international dont nous percevons jour après jour les indices et que vous avez vous-même relevés, monsieur le Président. Dans cette évolution, la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, puissance nucléaire autonome et pacifique, tient à peser de tout son poids en encourageant le processus de désarmement et en s'employant à surmonter la division de l'Europe issue de la guerre.
- L'entreprise du désarmement sera longue, malaisée, et pourtant, pour la première fois, la volonté politique existe et les méthodes employées, surtout en matière de vérification, semblent mieux garantir la solidité des accords conclus. Voyez l'accord soviéto-américain sur la suppression des armes nucléaires intermédiaires que j'ai immédiatement approuvé et qui introduit précisément des mesures de vérification sans précédent. Voyez la récente conférence de Paris, où 140 pays et même davantage se sont entendus, pour mettre hors la loi l'arme chimique et appeler à son élimination complète et contrôlée. Cette mobilisation exceptionnelle a montré qu'à la tribune du désarmement, tous avaient leur mot à dire. Voyez enfin le résultat des discussions de Vienne, où les 35 membres de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, seul forum où les Européens, tous les Européens, se retrouvent et se parlent, ont décidé d'ouvrir, au mois de mars - le 6 mars - les négociations sur la stabilité conventionnelle qui pourraient être demain le préalable à une nouvelle conception de la sécurité en Europe.
- Nous n'en sommes pas là encore. Aussi longtemps que persisteront menaces et déséquilibres de toute nature, la sécurité reposera sur la dissuasion nucléaire qui a, depuis quarante ans, écarté de notre continent le spectre de la guerre. Mais il ne s'agit pas de considérer que c'est une étape satisfaisante, et on peut du moins assurer que la dissuasion nucléaire peut être assurée à des niveaux d'armement beaucoup plus bas. Les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique, détentrices de plus de 10000 têtes nucléaires chacune ont la capacité de se détruire plusieurs fois £ le seul fait d'énoncer ces mots signifie une absurdité. Si les deux plus grandes puissances négocient comme elles en ont affirmé l'intention, une réduction plus importante de leurs arsenaux, nous ne leur marchanderons pas notre approbation et le cas échéant, notre concours.
- Quant à la France, elle a un rôle à jouer, et je tiens à l'affirmer ici, dans la sauvegarde de la paix du monde et de l'équilibre en Europe. Puissance pacifique, dépourvue d'agressivité à l'égard de quiconque, elle dispose, je viens de le rappeler, d'une force nucléaire de dissuasion qui a, pour seul objectif, de préserver son identité, son indépendance, ses intérêts vitaux. Membre de l'Alliance atlantique elle est solidaire certes de ses alliés, elle est fidèle à ses engagements, mais elle décide seule, en toute autonomie, de sa stratégie et de l'emploi de ses forces.\
Pour surmonter ses divisions, l'Europe a besoin de plus de sécurité, de plus de confiance, de plus de solidarité. La confiance naîtra des contacts entre les personnes et du respect du droit. Là encore beaucoup reste à faire. Est-il concevable encore qu'aujourd'hui un Européen perçoive un autre Européen comme un ennemi potentiel ? Qu'un citoyen d'Europe ait à redouter l'arbitraire d'un pouvoir établi ? Que les frontières soient d'infranchissables glacis plutôt que des zones de contact, ce qu'elles devraient être ? Nos peuples aspirent à retrouver un héritage culturel commun et une liberté d'aller et de venir qui existait autrefois. Ils éprouvent comme une nécessité vitale le besoin d'échanges et de confrontation des idées. Je compte que, dans la ligne des accords historiques d'Helsinki, de nouvelles percées aboutiront à la définition des libertés fondamentales et des droits de l'homme applicables à l'ensemble de l'Europe. Ce sera l'objet des réunions qui se tiendront à Paris dès le mois de mai, à Copenhague et à Moscou ensuite. Je vois un indice encourageant dans les récentes déclarations de M. Gorbatchev sur - je le cite - "la suprématie des valeurs universelles communes à l'humanité toute entière".
- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, préparer l'avenir de l'Europe, c'est enfin, et dès maintenant, retrouver et organiser les solidarités nécessaires entre les deux parties séparées de notre continent. Déjà, la réconciliation franco-allemande a frayé la voie à l'édification de la Communauté économique européenne des Douze, fondée sur la libre adhésion de ces pays. L'ambition qu'elle se propose aujourd'hui est de faire vivre ensemble, à partir de 1993, 320 millions d'hommes et de femmes dans un espace où, toutes barrières abattues, ils pourront librement circuler, travailler, s'installer, échanger leurs biens et leurs services.
- Je peux vous assurer que cette Communauté n'a nullement l'intention de se replier sur elle-même, ou de se constituer en forteresse économique comme certains affectent de le craindre. Le grand marché restera ouvert sur l'extérieur. Des accords ont déjà été passés entre la CEE et des Etats socialistes. Nous ferons tout pour que l'année 1989, qui verra, au second semestre, la France assurer la présidence du Conseil des Communautés, soit aussi celle de la conclusion d'un accord avec la Bulgarie.
- Permettez-moi enfin de vous dire que nous suivons avec grand intérêt les efforts entrepris par les Etats balkaniques pour promouvoir entre eux dialogue et coopération. Nous savons le rôle que joue la Bulgarie en faveur de la stabilité de cette région. L'Europe que je souhaite, à laquelle la France entend travailler, sera un ensemble de peuples libres et d'Etats indépendants, où personne ne menacera personne, et où le droit des individus sera respecté. Paix entre les Etats, libertés pour les citoyens : telle est, mesdames et messieurs, la voie dans laquelle nous souhaitons avancer.\
Monsieur le Président, je concluerai en exprimant le voeu que le dialogue franco-bulgare, relancé par ma visite et par nos entretiens, ouvert à de nouvelles ambitions et assuré de nouveaux contacts, contribue à une meilleure connaissance de nos peuples et participe à la solidarité européenne que je viens d'évoquer. Je crois connaître, j'apprécie en tout cas, les qualités de votre peuple, sa pratique depuis longtemps de la vie mondiale, son désir de vivre en paix. Je connais, et j'ai tenu à le rappeler, la sympathie traditionnelle que lui portent les Français. C'est pourquoi, monsieur le Président, mesdames et messieurs, je vous prie de bien vouloir lever votre verre. Ce sera d'abord à la santé du Président Jivkov, de Mademoiselle Jivkova, que nous avons grand plaisir d'avoir parmi nous, à la prospérité des Bulgares, à l'amitié entre nos peuples, au succès de notre coopération, oui je réitère mes voeux pour que nous sachions construire ensemble, entre la Bulgarie et la France, entre les peuples de l'Europe, que nous sachions construire un ensemble politique nouveau où les hommes vivront mieux. Merci.\
- Je vous remercie des paroles que vous venez de prononcer et de l'accueil que vous nous avez réservé depuis ce matin, à ma femme, à moi-même, à la délégation qui m'accompagne. Je suis d'autant plus satisfait d'honorer aujourd'hui l'invitation que vous m'aviez adressée que, comme vous l'avez relevé, c'est la première fois qu'un Chef d'Etat français accomplit une visite officielle à Sofia. Voici réparée une anomalie bien singulière entre deux nations qui comptent parmi les plus anciennes de l'Europe, entre deux peuples qui ont souvent montré qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre estime et sympathie. Ces sentiments, je les renouvelle ce soir au peuple bulgare en formulant le voeu que ma visite contribue à les raviver.
- Je suis venu à Sofia, accompagné de cinq ministres du gouvernement français, de parlementaires, de chefs d'entreprise, de personnalités culturelles avec une double ambition : d'une part, donner à nos relations l'élan et l'ampleur qui leur manque, d'autre part, faire progresser, par le dialogue direct, le rapprochement, entre les deux parties séparées de l'Europe, ce qui constitue à mes yeux l'une des entreprises majeures de cette fin de siècle.
- Pas plus que vous, monsieur le Président, je ne me satisfais du médiocre bilan de notre coopération. On invoquera, pour l'expliquer, l'éloignement géographique, la barrière des langues ou l'appartenance de nos deux pays à des systèmes différents. Aucune de ces raisons n'est convaincante. Dès lors que la volonté politique et l'intérêt économique coïncident, rien ne nous condamne à la stagnation, voire à l'indifférence. Et soyez assuré que la France entend tenir sa place en Bulgarie, en tirant parti d'affinités qui ont survécu aux vicissitudes de ces dernières décennies.
- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, la Bulgarie a, comme la France, une très longue histoire derrière elle. Vous venez, en 1981, de célébrer avec une légitime fierté le 1300ème anniversaire de la fondation de l'Etat bulgare. Pendant des siècles, votre nation a cessé d'être indépendante sans cesser d'exister. Vous savez combien mes compatriotes ont vibré, au siècle dernier, pour la cause nationale bulgare. Vous l'avez rappelé, avec toute la force de son indignation, Victor Hugo exhortait, devant le parlement français, les nations d'Europe à mettre fin au martyre de l'héroïque peuple bulgare. D'autres illustres voyageurs français, de Lamartine à Edouard Herriot, rapportèrent de leur séjour, l'image d'un peuple aussi fier et épris de liberté que généreux et accueillant.
- Vous avez également célébré avec une ferveur qui nous honore, le centenaire de la mort de Victor Hugo. Vous vous apprêtez à commémorer tout aussi dignement le bicentenaire de la Révolution française et de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont les principes trouvèrent en Bulgarie, en particulier lors des luttes pour l'indépendance, un écho considérable. Souveraineté nationale, démocratie représentative, séparation des pouvoirs, liberté, respect de la personne : ces valeurs n'ont rien perdu de leur actualité. Puisse-t-on comprendre, à l'Est comme à l'Ouest, que cet héritage forme un bloc indissociable, que nul ne saurait y puiser à sa guise ce qui convient à ses thèses et rejeter ce qui les dérange sans dénaturer profondément l'esprit de la Révolution.\
Comment, sur ces prémisses, revivifier une coopération que j'ai dite "languissante" ? Sur le plan économique, la réponse appartient d'abord à nos entreprises. Je crois pouvoir assurer, au nom des industriels français, présents ou non autour de cette table, que leurs sociétés sont prêtes à participer davantage à votre effort de modernisation. Nous avons cet après-midi passé en revue avec nos ministres les domaines les plus prometteurs : télécommunications, où la France est déjà présente avec le meilleur de sa technologie, mais aussi nucléaire civil, agro-alimentaire, tourisme, biotechnologies. Il appartient au gouvernement bulgare de créer de son côté, les conditions propices à l'accueil de nos entreprises et je me réjouis à cet égard de la signature prochaine d'un accord de protection réciproque des investissements.
- L'attachement des Bulgares à la langue française, dont témoigne la place qui lui est réservée dans votre système éducatif, me touche particulièrement. J'y vois le gage le plus solide d'un développement de nos relations, l'indispensable outil d'une meilleure compréhension entre les jeunes de nos deux pays grâce à la multiplication des voyages, des échanges, des stages. Nous souhaitons faciliter à vos concitoyens l'accès à la culture française par l'ouverture d'un centre culturel à Sofia. J'ai également évoqué avec vous le projet d'Eurêka audiovisuel dont j'ai pris l'initiative et qui, s'appuyant sur les technologies les plus avancées, doit permettre à l'Europe de mieux affirmer son identité en valorisant un patrimoine culturel trop souvent laissé à l'abandon. J'ajoute qu'il est vrai que si l'on compare, par exemple, le nombre de traductions d'ouvrages français en langue bulgare et son contraire par la diffusion des oeuvres bulgares en France, nous avons nous-mêmes - et nous en prenons l'engagement - à faire un effort important pour mieux faire connaître en France ce que vous êtes.
- Enfin, parmi les domaines où nous pouvons utilement travailler en commun, celui de la défense de l'environnement que vous avez cité prendra une place grandissante. Il est clair aujourd'hui que la pollution de l'air, de l'eau, des forêts, de la santé de l'homme, se joue des frontières comme des clivages politiques. Cela paraît presque une vérité d'évidence que de dire cela et pourtant on a souvent refusé d'y songer. C'est un thème auquel les populations sont et seront toujours plus sensibles. Les Etats ne l'affronteront sérieusement que s'ils consentent à s'informer mutuellement, à mettre en commun leur savoir-faire et à faire prévaloir le profit général de l'humanité contre la tyrannie, souvent aveugle des intérêts particuliers. Si notre rencontre d'aujourd'hui débouche sur la mise en chantier d'un programme de travail franco-bulgare à long terme, nous aurons, je le crois beaucoup fait pour tirer nos relations d'une trop longue hibernation.\
Bien entendu, mesdames et messieurs, ces relations ne pourront que tirer profit de l'amélioration du climat international dont nous percevons jour après jour les indices et que vous avez vous-même relevés, monsieur le Président. Dans cette évolution, la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, puissance nucléaire autonome et pacifique, tient à peser de tout son poids en encourageant le processus de désarmement et en s'employant à surmonter la division de l'Europe issue de la guerre.
- L'entreprise du désarmement sera longue, malaisée, et pourtant, pour la première fois, la volonté politique existe et les méthodes employées, surtout en matière de vérification, semblent mieux garantir la solidité des accords conclus. Voyez l'accord soviéto-américain sur la suppression des armes nucléaires intermédiaires que j'ai immédiatement approuvé et qui introduit précisément des mesures de vérification sans précédent. Voyez la récente conférence de Paris, où 140 pays et même davantage se sont entendus, pour mettre hors la loi l'arme chimique et appeler à son élimination complète et contrôlée. Cette mobilisation exceptionnelle a montré qu'à la tribune du désarmement, tous avaient leur mot à dire. Voyez enfin le résultat des discussions de Vienne, où les 35 membres de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, seul forum où les Européens, tous les Européens, se retrouvent et se parlent, ont décidé d'ouvrir, au mois de mars - le 6 mars - les négociations sur la stabilité conventionnelle qui pourraient être demain le préalable à une nouvelle conception de la sécurité en Europe.
- Nous n'en sommes pas là encore. Aussi longtemps que persisteront menaces et déséquilibres de toute nature, la sécurité reposera sur la dissuasion nucléaire qui a, depuis quarante ans, écarté de notre continent le spectre de la guerre. Mais il ne s'agit pas de considérer que c'est une étape satisfaisante, et on peut du moins assurer que la dissuasion nucléaire peut être assurée à des niveaux d'armement beaucoup plus bas. Les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique, détentrices de plus de 10000 têtes nucléaires chacune ont la capacité de se détruire plusieurs fois £ le seul fait d'énoncer ces mots signifie une absurdité. Si les deux plus grandes puissances négocient comme elles en ont affirmé l'intention, une réduction plus importante de leurs arsenaux, nous ne leur marchanderons pas notre approbation et le cas échéant, notre concours.
- Quant à la France, elle a un rôle à jouer, et je tiens à l'affirmer ici, dans la sauvegarde de la paix du monde et de l'équilibre en Europe. Puissance pacifique, dépourvue d'agressivité à l'égard de quiconque, elle dispose, je viens de le rappeler, d'une force nucléaire de dissuasion qui a, pour seul objectif, de préserver son identité, son indépendance, ses intérêts vitaux. Membre de l'Alliance atlantique elle est solidaire certes de ses alliés, elle est fidèle à ses engagements, mais elle décide seule, en toute autonomie, de sa stratégie et de l'emploi de ses forces.\
Pour surmonter ses divisions, l'Europe a besoin de plus de sécurité, de plus de confiance, de plus de solidarité. La confiance naîtra des contacts entre les personnes et du respect du droit. Là encore beaucoup reste à faire. Est-il concevable encore qu'aujourd'hui un Européen perçoive un autre Européen comme un ennemi potentiel ? Qu'un citoyen d'Europe ait à redouter l'arbitraire d'un pouvoir établi ? Que les frontières soient d'infranchissables glacis plutôt que des zones de contact, ce qu'elles devraient être ? Nos peuples aspirent à retrouver un héritage culturel commun et une liberté d'aller et de venir qui existait autrefois. Ils éprouvent comme une nécessité vitale le besoin d'échanges et de confrontation des idées. Je compte que, dans la ligne des accords historiques d'Helsinki, de nouvelles percées aboutiront à la définition des libertés fondamentales et des droits de l'homme applicables à l'ensemble de l'Europe. Ce sera l'objet des réunions qui se tiendront à Paris dès le mois de mai, à Copenhague et à Moscou ensuite. Je vois un indice encourageant dans les récentes déclarations de M. Gorbatchev sur - je le cite - "la suprématie des valeurs universelles communes à l'humanité toute entière".
- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, préparer l'avenir de l'Europe, c'est enfin, et dès maintenant, retrouver et organiser les solidarités nécessaires entre les deux parties séparées de notre continent. Déjà, la réconciliation franco-allemande a frayé la voie à l'édification de la Communauté économique européenne des Douze, fondée sur la libre adhésion de ces pays. L'ambition qu'elle se propose aujourd'hui est de faire vivre ensemble, à partir de 1993, 320 millions d'hommes et de femmes dans un espace où, toutes barrières abattues, ils pourront librement circuler, travailler, s'installer, échanger leurs biens et leurs services.
- Je peux vous assurer que cette Communauté n'a nullement l'intention de se replier sur elle-même, ou de se constituer en forteresse économique comme certains affectent de le craindre. Le grand marché restera ouvert sur l'extérieur. Des accords ont déjà été passés entre la CEE et des Etats socialistes. Nous ferons tout pour que l'année 1989, qui verra, au second semestre, la France assurer la présidence du Conseil des Communautés, soit aussi celle de la conclusion d'un accord avec la Bulgarie.
- Permettez-moi enfin de vous dire que nous suivons avec grand intérêt les efforts entrepris par les Etats balkaniques pour promouvoir entre eux dialogue et coopération. Nous savons le rôle que joue la Bulgarie en faveur de la stabilité de cette région. L'Europe que je souhaite, à laquelle la France entend travailler, sera un ensemble de peuples libres et d'Etats indépendants, où personne ne menacera personne, et où le droit des individus sera respecté. Paix entre les Etats, libertés pour les citoyens : telle est, mesdames et messieurs, la voie dans laquelle nous souhaitons avancer.\
Monsieur le Président, je concluerai en exprimant le voeu que le dialogue franco-bulgare, relancé par ma visite et par nos entretiens, ouvert à de nouvelles ambitions et assuré de nouveaux contacts, contribue à une meilleure connaissance de nos peuples et participe à la solidarité européenne que je viens d'évoquer. Je crois connaître, j'apprécie en tout cas, les qualités de votre peuple, sa pratique depuis longtemps de la vie mondiale, son désir de vivre en paix. Je connais, et j'ai tenu à le rappeler, la sympathie traditionnelle que lui portent les Français. C'est pourquoi, monsieur le Président, mesdames et messieurs, je vous prie de bien vouloir lever votre verre. Ce sera d'abord à la santé du Président Jivkov, de Mademoiselle Jivkova, que nous avons grand plaisir d'avoir parmi nous, à la prospérité des Bulgares, à l'amitié entre nos peuples, au succès de notre coopération, oui je réitère mes voeux pour que nous sachions construire ensemble, entre la Bulgarie et la France, entre les peuples de l'Europe, que nous sachions construire un ensemble politique nouveau où les hommes vivront mieux. Merci.\