9 janvier 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur les nouvelles solidarités, les différentes formes d'exclusions, les pratiques administratives et judiciaires envers les immigrés, et sur le revenu minimum d'insertion, Paris, le 9 janvier 1989.

Mesdames,
- Messieurs,
- Lorsque j'ai été informé de la tenue de ces assises sur les solidarités nouvelles, j'y ai vu, bien entendu, le prolongement d'une série d'actions qui avaient été engagées déjà depuis longtemps par la plupart de ses initiateurs. Il est bon que de temps à autre on s'arrête pour faire le point et qu'on se rencontre pour comparer les expériences et tenter d'en tirer les conclusions utiles.
- Je me suis donc réjoui de pouvoir venir un moment parmi vous. Je prendrai connaissance des résultats de ces travaux de la façon la plus attentive. Pourquoi ? Parce que, hors de tous les clivages, de toutes les séparations, de toutes les oppositions qui sont l'image même de notre démocratie - et c'est bien comme cela -, il est quelques domaines où il est important que tous se retrouvent - enfin, ceux qui le veulent - pour dépasser - par une projection dans le futur, avec une prise réelle dans l'immédiat - tout ce qui peut séparer inutilement et pour aller ensemble à la recherche de solidarités qui s'imposent.
- L'occasion du bicentenaire de la Révolution française et surtout de la déclaration des droits de l'homme, cette occasion-là doit être saisie pour rafraîchir les mémoires et pour faire un bilan. Deux cents ans après, les mêmes mots ayant gardés leurs mêmes valeurs, il faut examiner si leur contenu, ne doit pas être prolongé, élargi, car des situations nouvelles se sont naturellement créées.
- L'examen auquel je procédais dans une autre enceinte, des droits de l'homme tels qu'ils ont été définis aussi bien par la déclaration initiale que par les textes constitutionnels ou législatifs subséquents, permet de considérer qu'aujourd'hui, l'arsenal des lois et des textes est suffisant. Et pourtant si vous êtes là, si nombreux, c'est bien parce qu'il y a quelque chose qui reste en creux. Comme le disait, à l'instant, Bernard Kouchner, c'est bien parce que les lois ne peuvent suffire à définir les lignes de l'action et qu'on ne parviendra jamais à résoudre les problèmes de société par des simples pétitions de principe : liberté, égalité, fraternité, souveraineté du peuple. Toutes ces choses ont été dites et si bien dites. Aujourd'hui, qu'est-ce qu'elles signifient ? Je ne perdrai pas votre temps de travail de cet après-midi à philosopher sur la signification de ces grands mots. Je vais simplement marquer comment l'action d'aujourd'hui doit s'inscrire pour perpétuer ou réviser - et perpétuer dans des domaines souvent nouveaux, parfois anciens - cette grande espérance traduite en une grande volonté nationale.\
Un emploi ! Tout homme a droit à un travail ! Cela figure aujourd'hui dans le préambule de notre Constitution - la Constitution de 1958, au demeurant par simple référence au préambule de la Constitution de 1946 -. Avait-on prévu la crise dont souffre la plupart des pays d'occident ? Sans doute pas. Avait-on prévu que les décennies marquées par le plein emploi qui faisait que ce type de question n'était pas posé, sinon précisément pour des marginaux dont nous allons parler dans un moment, qui pour une raison ou pour une autre étaient de toute façon déjà des exclus ? Mais les grandes masses paraissaient à l'écart de ce mouvement-là. Et cependant est apparu le chômage - dans un pays comme le nôtre : plus de 10 % -, dans certains pays voisins bien davantage et les moyennes de l'Europe de la Communauté, au-dessus. Chômage intolérable, surtout pour les jeunes qui sont frappés. Au demeurant sont-ils chômeurs, ne le sont-ils pas ? Ils n'ont jamais travaillé, mais ils ne peuvent pas travailler. Ils sont exclus à l'avance. Ils n'ont pas accès à la société à laquelle les destinent leurs vingt ans, leurs travaux, leurs études, leurs compétences. D'où une certaine forme de désespoir, le refus de cette société, après tout ils ont bien raison. Ils vont grossir ici et là toutes les catégories que je vais maintenant examiner de ceux qui, exclus d'occasion, deviennent des exclus de structure.\
C'est vrai qu'au cours des années précédentes - et je ne remonte pas à 1981, moi je ne me livre pas à ces comptes d'apothicaire, sans vouloir insulter personne - il y a déjà longtemps que l'effort a commencé pour tenter de remédier au chômage. A partir du moment où, 1973, 1974, le chômage est inscrit dans notre société de telle sorte que cela est devenu un problème majeur, alors, bien entendu, on a essayé de le combattre. Les uns ou les autres, bien ou mal, peu importe, plus ou moins bien, de plus en plus mal ou le contraire. Cela c'est la dispute politique qui n'a pas beaucoup d'intérêt. Ce qui est vrai, c'est que tout de suite les gouvernements se sont trouvés confrontés à deux façons de faire £ à la fois la réponse économique au chômage, c'est-à-dire tenter de retrouver le rythme d'une certaine croissance, en même temps qu'une tentative de formation des hommes et des femmes pour qu'ils soient mieux en mesure, au niveau de l'instruction, d'aborder les nouveaux métiers que la technologie la plus avancée leur proposait et de ne plus être spécialisés dans les métiers qu'on ne faisait plus. Cette adaptation a été lente. La crise, faut-il encore le répéter, c'est l'absence d'adaptation d'une société aux formes nouvelles de la technologie et de la science. Puis la réponse sociale, parce que si l'on ne peut pas encore par les moyens économiques rétablir les circuits, au moins faut-il que la solidarité s'affirme autour de ceux qui sont les exclus du travail.
- On commence d'apercevoir quelques signes prometteurs, il faut le dire, les années ont passé, la somme d'efforts de volonté, d'intelligence dépensés pour répondre à cette question-là, tout cela fait qu'en 1989 les chiffres, les statistiques, les indications dont on dispose montrent bien qu'il y a une croissance qui s'éveille - pour notre pays elle a dépassé 3 % cette année - en même temps qu'une reprise du travail, une diversification des métiers et une adaptation des jeunes à ces nouveaux métiers. Il n'y a pas d'autres remèdes. Croissance économique d'une part, formation des enfants et des adultes d'autre part, enfin, réponse sociale, c'est-à-dire solidarité, contribution de ceux qui possèdent afin d'aider ceux qui n'ont rien. Je n'inventerai pas en cet après-midi des termes nouveaux à ce problème. Simplement j'ai le sentiment qu'il faut persévérer au point où nous en sommes.\
Parmi les autres formes d'exclusions que vous avez étudiées, je crois, ou que vous allez étudier il y a le problème du logement. Enfin, quand on dit logement, il ne s'agit pas simplement des quatre murs dont on dispose et des mètres cubes chichement distribués lorsqu'on n'a pas beaucoup d'argent. C'est aussi l'immeuble, c'est aussi le quartier, c'est aussi la ville. Nous avons essayé de répondre à ces questions-là. Il y a toujours des textes qui s'entrechoquent sur le logement. On corrige, on corrige ce qui a été fait la veille, on essaie de s'adapter le plus exactement possible aux besoins. Le logement, en avoir assez, pas trop cher, suffisamment habitable, dans des ensembles qui ne soient pas trop écrasants, dans des quartiers qui ne soient pas trop laids ou repoussants, dans des villes où l'on peut circuler, mais aussi où l'on peut s'arrêter et vivre ! C'est ce que vous appelez le voisinage. Que de fois en ai-je parlé dans le passé, et j'y suis attaché plus que jamais. Un certain nombre de missions ont été chargées de répondre à ces questions indépendamment du travail normal des grandes administrations d'Etat. Vous avez la délégation à la ville confiée à M. Dauge, vous avez la mission que remplit Roland Castro. Cette immensité des grandes villes dites de banlieue qui enserrent aujourd'hui le coeur de nos cités, l'immense désordre, le triomphe de la laideur, l'impossibilité de s'y reconnaître, la longueur des transports, tout cela fait que les hommes qui vivent là savent bien chaque jour que l'endroit où ils habitent n'a pas été construit pour leur bonheur, même pas pour leur confort mais généralement pour le profit de ceux qui ont construit et dans des conditions qui pratiquement s'échappent de toutes volontés de servir la société.
- Le logement représente une des grandes causes d'exclusion. D'abord une cause directe quand on n'a pas de logement, quand on ne peut pas le payer cela c'est un exclusion directe, et indirecte parce que selon la nature du quartier dans lequel on vit, selon l'horizon que l'on a devant les yeux se trouvent le développement d'une certaine forme de délinquance, l'abandon par les jeunes de la société, le refus à l'égard des parents, l'impossibilité des familles de vivre ensemble, etc...
- De ce point de vue, j'ai dès le point de départ donné des instructions pour que le gouvernement et les ministres spécialisés puissent considérer ce type de problèmes comme prioritaires.\
La signification de ce gouvernement d'aujourd'hui doit se trouver sans doute dans la réponse économique à donner pour que la machine reparte mais aussi dans la scrupuleuse attention qui doit être portée pour le service des droits de l'homme, par le refus des exclusions. Vous avez cité, docteur Kouchner, membre du gouvernement, la maladie. Oui, la maladie on le sait bien, on cite toujours le Sida. Vous avez eu raison parce qu'elle inspire une peur, quelque chose d'obscur qui se développe, qui fait que les hommes et les femmes de notre époque ne savent plus exactement comment aborder le malade, un peu comme dans les grandes époques du Moyen-Age où les grandes maladies épidémiques étaient cause d'isolement, parfois même de châtiment. Eh bien, on retrouve là ces grandes peurs. Il faut dans une société civile laisser sa marque. Si ce pays est civilisé il doit refuser de se laisser aller à ce qui est du domaine instinctif, la peur, la panique. Il doit s'organiser, il doit s'adresser à l'esprit et au coeur et on trouve, cela va de soi, suffisamment de femmes et d'hommes disponibles pour que la chaîne s'établisse et que finalement on trouve le moyen de répondre à cette peur par un courage nouveau, par une présence dont vous êtes, mesdames et messieurs, les témoins quand vous n'en êtes pas les acteurs.\
La présence de Michel Gillibert `secrétaire d'Etat chargé des handicapés et des accidentés de la vie` au gouvernement a une signification qui n'est pas que symbolique. Mais enfin la valeur du symbole n'est pas négligeable. Je veux parler des handicapés. On les appelle comme cela, mais il y a des mots plus beaux qui peuvent être employés pour signifier cette chose, à savoir qu'il y a des filles et des garçons qui au point de départ n'ont pas les mêmes possibilités que les autres, qui ont été frappés. Il s'agit maintenant de faire soit qu'ils s'en sortent £ qu'ils vivent comme les autres, le plus possible comme les autres, et s'ils ne peuvent pas vivre comme les autres, alors qu'ils s'assument par ce qu'ils ont acquis de noblesse et par la détermination à trouver en eux-mêmes des sources et les capacités qui sont les leurs. Il y a toujours un éveil possible dans chaque être humain. J'ai pu voir moi-même ce qui avait été fait sur le plan physique par ces handicapés qui ont participé aux jeux olympiques de Séoul. J'ai pu voir qu'en France il y avait là une formidable resurgence des grandes solidarités en même temps qu'avec une immense réussite et le simple fait de rencontrer et de connaître ces jeunes gens-là, leur rayonnement, leur assurance, leur audace d'esprit, leur disponibilité physique en dépit du handicap dont ils souffrent, représentent à mon avis l'un des sommets de ce que peut représenter aujourd'hui la réussite d'un être humain. Donc, c'est possible ! Sans oublier naturellement tous les aspects moraux ou mentaux qui peuvent être corrigés quasiment de la même manière. Et puis, si on ne veut pas, alors on retrouve la nécessaire solidarité, la nécessaire assistance dans le beau sens du terme ! il ne faut pas non plus que ce mot-là soit rejeté comme s'il s'agissait de quelque chose d'infamant, car il s'agit de retrouver la solidarité qui permet de guérir au moins l'âme des hommes.\
Parmi les données qui m'ont animé lors du début de l'année dernière pour justifier à mes propres yeux la continuation de mon mandat ou de mes responsabilités, croyez-moi il y avait celle-là. Essayer de retrouver un certain ton, un certain élan, faire que la France tout entière pourrait se sentir intéressée, peut-être passionnée, en se retournant sur elle-même et en considérant que là, s'est trouvée comme sur d'autres terrains la chance de nouvelles victoires : la solidarité ! reprendre les vieux thèmes de liberté, égalité et de fraternité surajoutés car les premiers Constituants n'ont pas trouvé cela tout de suite ! la fraternité éclairant les autres principes de notre République ! d'où le problème des immigrés ! Dans mon esprit, les choses sont simples. Les polémiques embrouillent facilement les choses mais les choses sont simples. Un étranger cherche du travail, il vient en France. Il ne vient pas dans le cadre de nos lois, c'est qu'il est clandestin. Aussi triste que cela soit, en raison des intérêts nationaux, de l'impossibilité où l'on se trouverait d'offrir à ceux qui viennent chez nous et nous honorent en souhaitant venir chez nous, de l'impossibilité de leur donner l'accueil, l'intégration, l'environnement dont ils ont besoin, ce serait une faute que d'y consentir. Donc tout ce qui est hors de la loi ou clandestin nous contraint de le refuser. Simplement puisqu'il s'agit de ramener, ou d'amener à l'endroit de son choix, dans son pays celui qui est venu indûment chez nous, rien ne nous interdit de le faire dans des conditions qui marquent le respect que l'on doit à tout être humain. Rien ne l'interdit. Les choses ne sont pas liées. On doit donc considérer que les procédures devraient être, doivent être, et seront traitées de telle manière qu'il y ait toujours un minimum de procédures contradictoires et que les conditions administratives seront telles que nul ne soit humilié en plus de la souffrance qu'il a de devoir retourner là d'où il vient pour être affronté de nouveau aux difficultés du chômage, de la misère qui justifient le départ d'un homme ou d'une femme vers un pays mirage comme l'est souvent la France. Bon, alors je ne demande rien d'autre..... les procédures contradictoires, un traitement digne, un traitement humain d'une société civilisée et si la loi a besoin de ce point de vue d'être améliorée eh bien qu'elle le soit. Il n'y a aucune raison que cela mette de mauvaise humeur qui que ce soit ! ou bien si certains éprouvent un malaise lorsqu'ils aperçoivent leur propre pays traiter mieux ceux qui souffrent, l'origine de ces malaises commence à m'inquiéter. D'où cela vient ? Etrange tournure d'esprit ou étrange absence de coeur.\
Ceux qui sont là, munis d'une carte de séjour, d'un contrat de travail qu'est-ce qu'on a à dire ? Et si pour une raison intercalaire, raison d'ordre public, délinquance, que sais-je encore il est nécessaire de sévir ? Alors le débat n'est pas exactement comme je le lis partout entre la méthode judiciaire ou la méthode administrative, il est dans le fait que de toutes manières, par quelques filières que l'on passe, il doit y avoir un recours. On ne peut laisser un homme, une femme, une famille à la simple décision d'un pouvoir administratif souvent aveugle, qui traite, souvent par obligation, les questions simplement au vu d'un document, d'un papier. Ceci fait que nous accumulons les souffrances, que nous organisons les séparations, les déchirements familiaux et parfois même nous exposons des hommes et des femmes qui sont des nôtres, qui vivent avec nous, chez nous depuis leur prime jeunesse, qui sont parfois là depuis vingt ans, vingt-cinq ans. Soudain, par quel étonnant, surprenant prodige, se trouvent-ils rejetés de leur milieu et de leur société, rejetés par ceux qu'ils croyaient leurs amis et leurs frères ? On chasse un immigré avec dans certains milieux et dans certains endroits le secret plaisir d'avoir à assouvir on ne sait quelle rancune. Il faut traiter cela sérieusement, et j'ai demandé au gouvernement que soit examiné le problème du recours. Il ne peut plus y avoir, il ne doit pas y avoir d'arbitraire administratif. J'allais dire que pour moi il est secondaire que cette décision initiale soit judiciaire ou administrative. Ce qui m'importe c'est que le recours soit celui qui examine des hommes et des femmes de bonne foi, qui ne soit pas soumis à une directive administrative, ni gouvernementale, qui juge en bonne foi, et qui sans bien entendu lier entièrement tout le système vienne dire au gouvernement de la République : voilà, vous allez commettre une injustice et vous n'avez pas le droit de le faire. Mais, il faut organiser le système qui permettra par rapport à chaque cas d'être exactement informé. Il faut que le Président de la République, le Premier ministre ou le ministre de l'intérieur, ou le ministre de la santé publique, la protection sociale, ne soient plus obligés une fois de temps à autre de tendre une main secourable au hasard des hasards, pour, par un acte bienveillant délivrer un individu sur mille du sort qui l'attend. Cela c'est la mauvaise gestion d'une démocratie d'un pays qui se refuse à l'exclusion.
- Je n'ai pas du tout l'intention de définir ce que pourrait être la loi future, la réforme des lois existantes. Il existe depuis très longtemps des dispositions que l'on retrouve dans toutes les lois qui se sont succédées. Pourquoi retoucher à tout cela ? Il faut simplement éviter les abus, corriger les erreurs de jugement. Je ne vais pas en faire l'énumération. C'est aux législateurs que ce travail appartiendra. Je ne vais pas me substituer à lui. Simplement il faut un recours. Cà c'est très important. Ensuite il faut qu'il y ait un certain nombre de personnes qui - en raison du temps passé parmi nous, des conditions dans lesquelles ils sont venus vivre parmi nous - ne soient pas expulsables. Je veux dire qu'ils soient traités comme s'ils étaient des citoyens français même s'ils ne le sont pas.\
`Suite sur la justice envers les immigrés`
- Je pense à des immigrés qui sont venus en France, qui n'y sont pas nés, sans quoi leurs cas seraient différents, mais qui sont venus à cinq ans, à six ans, à sept ans. Et puis ils ont vécu, ils en ont trente. Et puis, ils vont se trouver chassés en direction d'un pays, nominativement le leur, par l'origine de leurs parents, et puis quoi...? La France en accomplissant ce geste, commet un acte indigne de son histoire. Celui qui se trouve parmi nous, même s'il est venu plus tard, est là depuis plusieurs décennies. Dans l'intervalle, des choses se sont passées : une famille, un voisinage, des habitudes, des amitiés, on vit, on meurt, on se relie à une terre, à un ciel £ on est d'ici même si on n'y a pas ses racines antérieures. Eh bien cela doit être maintenant prévu par la loi, comme acquis une fois pour toute. Et ceux qui commettraient la faute, par voie de délinquance, de s'écarter des intérêts de notre pays, doivent subir la loi que subirait tout Français dans la même situation, mais non point avec une exclusion supplémentaire.
- Tout cela sera étudié.\
Je dois dire que j'ai été très surpris, mais vraiment surpris, il n'y a pas grand chose qui me surprenne aujourd'hui, mais très surpris de voir que ce que j'avais dit le 31 décembre 1988 pouvait provoquer un tel trouble dans certains milieux. Un trouble, vraiment, et même un réel scandale. Sans doute avais-je l'oeil exagérément fixé sur l'horizon des élections municipales ? Cela ne pouvait s'expliquer que comme çà. Chacun naturellement juge les autres à son niveau. Je voudrais vraiment que l'on admette que si j'avais eu ce souci au même titre que ceux qui m'en faisaient le reproche, je n'aurais pas dit ce que j'aurais dit, parce que, à voir les statistiques actuelles, ce n'est pas forcément le meilleur argument électoral dans un quartier de Marseille ou dans certains quartiers de par ici. Mais, il faut le faire, c'est tout. Moi, je ne peux pas accepter le rejet d'un immigré qui est venu chez nous dans les conditions régulières, légales, qui travaille chez nous, qu'on a conduit à venir chez nous. Rappelons quand dans les années précédentes par camions, par charters, les industriels - un certain nombre d'industriels - allaient dans le Maghreb surtout, parfois même au Mali et au Sénégal et ramenaient par centaines quelquefois par milliers des immigrés, je crois que c'était une façon de disposer d'un atout pour ne pas augmenter les salaires, de mon point de vue à moi, cela ne devrait pas peser sur la manière dont la France traite ceux qui vivent sur son sol.
- Voilà, les choses étant ce qu'elles sont, cette forme d'exclusion doit être corrigée et j'espère qu'elle le sera bientôt. Tout ce qui ne relève pas de la loi doit attendre la session d'avril prochain. Tout ce qui relève de la décision gouvernementale, cela a commencé avec les circulaires de M. Evin et de M. Joxe, doit être accompli d'ici là. Dans un domaine pareil, ne perdez pas un jour. Là où il faut la loi, et nous sommes respectueux de la loi, le parlement sera consulté et c'est lui qui décidera. Je lui fais confiance. Il décidera bien, croyez-moi. Ce n'est pas toujours arrivé mais de ce point de vue, je suis, au mois de janvier 1989, plus optimiste que dans d'autres circonstances.\
Et puis il y a aussi l'exclusion par l'éducation ou par le manque d'éducation. Vous en avez parlé ou vous en parlerez bien entendu. Je n'insisterai que sur un point. C'est qu'après les lois fort heureuses adoptées à la fin de l'autre siècle et qui ont surtout promu la première instruction primaire, nous avons connu au lendemain de la deuxième guerre mondiale le rush du secondaire. Et nous étions peu préparés à cela. Il faut dire aussi que ceux qui gouvernaient à l'époque avaient quelques autres soucis en tête, après un deuxième désastre, une deuxième guerre mondiale dont nous avons été parmi les principales victimes. Mais enfin, cette arrivée massive des jeunes a fait que dans le recrutement des maîtres, dans la manière de recevoir, dans la construction des écoles, nous avons pris du retard et on n'a pas véritablement - la République française - répondu au devoir qui était le sien. Maintenant nous en sommes à la troisième vague qui touche le supérieur. On ne peut pas dire que la plupart ou le plus grand nombre de nos universités soit véritablement digne de sa fonction, pas plus qu'on ne peut se dire que la fonction enseignante depuis l'instituteur jusqu'au professeur d'université ait véritablement son dû dans la société d'aujourd'hui. Eh bien il faut le faire ! Pour cela il faut de l'argent ! Il ne faut pas que de l'argent mais il faut de l'argent et c'est pourquoi j'ai demandé d'augmenter de façon considérable le budget de l'éducation nationale, le budget de la formation. Cela a été fait, et cela durera encore pendant les années prochaines. L'engagement que j'ai pris est un engagement initial de quatre ans. Il sera sans aucun doute renouvelé. On ne règle pas ce problème en quatre ans cette priorité est aujourd'hui reconnue par tous - et je m'en réjouis - de quelque côté que l'on se tourne, je ne vois personne la contester. Ce choix doit être traduit dans la pratique quotidienne de telle sorte, et Lionel Jospin s'y emploie avec le Premier ministre, que l'on puisse enfin étudier les problèmes connexes qui ne peuvent pas être séparables l'un de l'autre, à savoir la condition des enseignants, l'état des équipements, le contenu de l'enseignement, la diversité des disciplines, les rythmes scolaires, la relation entre l'école - terme générique que j'emploie là - et le métier, la formation pour un métier, tout ceci de façon à éviter au maximum possible un hiatus qui serait entre le temps d'étude et le temps de la vie active dans la société, la vie de travail, le métier. Je crois que le chantier maintenant dispose des éléments fondamentaux à partir desquels nous serons en mesure en quelques années de renverser l'ordre des choses et nous sommes assurés de recevoir le concours d'un immense corps enseignant dont les dispositions d'esprit, le dévouement et la compétence seront pour notre réussite des auxiliaires remarquables. Encore faut-il que la Nation accepte de sacrifier une large part de ses moyens pour se consacrer à ce principe même, principe majeur de toute société moderne : on ne pourra maîtriser les secrets de la matière si l'on n'a pas des équipes de chercheurs nombreuses £ on ne pourra pas maîtriser les métiers à haute technologie si l'on n'a pas les étudiants nombreux, formés à cette discipline-là, on n'aura pas dans tous les domaines où l'esprit cherche et se cherche, de réponse si l'ensemble des Français, si l'ensemble des contribuables n'est pas appelé à donner son concours. C'est ce que nous sommes en train de faire par des augmentations de crédits si sensibles qu'ils paraissent parfois très lourds aux responsables de nos finances publiques.\
`Suite sur l'éducation`
- Et puis je pense au milieu culturel. Aujourd'hui encore, les enfants sont enfermés beaucoup plus qu'on ne le croit en dépit des brassages de population que l'on suppose, les enfants sont enfermés dans le milieu que j'appellerai culturel de leur famille. On ne peut quand même pas laisser un enfant à la seule chance d'avoir des parents qui eux-mêmes savent ce que l'on enseigne et qui disposent du temps et de la patience chaque soir de venir au secours de l'enfant qui peine devant ce qu'il doit apprendre. Et ceux qui n'ont jamais su ? Eh bien les enfants seront abandonnés ! Et le clivage social, la séparation catégorique continueront encore de peser sur les divisions de notre société par une sorte de répartition insupportable des intérêts. Ceux qui peuvent disposer du savoir ont le pouvoir ! Le savoir c'est une forme de pouvoir que les autres n'auront pas et ils subiront le pouvoir ! C'est tout. Cette société figée - je dois vous le dire, je n'ai pas du tout l'intention de vous parler d'une façon figée ou officielle - je ne la supporte pas. Et j'entends contribuer à délivrer les enfants de tous les carcans que la société leur impose dès lors qu'à peine nés, ils sont déjà acceptés ou exclus. C'est une tâche absolument essentielle et si Dieu me prête vie, les six ans et quelques mois qui me reste, - cela me fait toujours de la peine à dire cela - enfin cela fait de la peine pour ceux qui aimeraient bien.... £ nous sommes encore dans les dix premiers jours de janvier, période où l'on se sent encore tout attendri (....) croyez bien que c'est cette ligne-là qui sera tracée. Si j'ai l'aveu du parlement, c'est cette ligne-là qui sera tracée. Elle ne sera pas abandonnée et je considèrerai que si l'on aboutit à faire des progrès suffisamment sensibles, - aucun problème ne se résoud jamais - on aura avancé de telle sorte que nous aurons mis la France et la société française en mesure de répondre au vieil appel deux fois centenaire à l'égalité et à la liberté par la légalité reconquise. Les chances égales, il s'agit bien de cela.\
Alors j'en arrive au dernier point, c'est celui qui touche à la pauvreté, bien que tous les éléments que je viens successivement d'énumérer après Bernard Kouchner, tournent autour de la notion de pauvreté. On est pauvre de quelque chose pour des raisons collectives ou pour des raisons sociales. Il ne s'agit pas forcément de devenir riche mais au moins faut-il posséder tous les moyens et toutes les chances auxquelles ont droit tous les êtres humains.
- La pauvreté toute brute, toute simple. Celle que j'ai pu connaître en allant voir les uns et les autres, lorsque j'en discutais il y a déjà combien d'années ? - Je n'ose pas le dire avec l'Abbé Pierre que j'ai la joie de voir ici - ou lorsque j'allais voir avec le Docteur Kouchner les établissements ou l'un des établissements qui permettent d'apporter des soins tout simplement à des gens non reconnus, sans aucun statut, ou lorsque je vais dans telle ou telle ville, dans tel ou tel village avec le besoin de savoir un peu mieux comment va la France. Je ne suis pas le seul. Je n'ai été que l'interprète d'une volonté de plus en plus générale lorsque j'ai vu tant de misère et surtout cette misère absolue, comme je l'ai écrit quelque part, de ceux qui ne sont rien parce qu'ils n'ont rien et ils ne peuvent rien, à jamais, au point qu'eux-mêmes s'inscrivent à leur tour dans cette façon de penser. Non seulement ils sont exclus, mais ils n'ont pas envie d'être réinsérés et éprouvent une sorte de rancoeur à l'égard de la société qui les refuse. Mais aussi après tout, on vit comme on vit ! D'ou la notion ou les notions liées d'un revenu minimum garanti. On ne crèvera pas de faim ! on aura un peu quelque chose ! pas grand chose ! assez quand même, pour avoir un tissu sur le corps, du pain, deux fois par jour ! On pourra donner à ses enfants un peu quelque chose ! ce ne sera pas le désespoir absolu mais cela ne suffit pas ! il faut le faire, ce n'était pas fait ! Combien ? 400000, 500000, ce sont les estimations. Je lisais dans un article de journal, je ne sais plus lequel, c'était avant hier soir ou ce matin, que cela ne marche pas bien, qu'il y avait juste 40000 demandes, qu'on s'était sans doute trompés dans les estimations, qu'après tout cela n'intéressait pas grand monde.. Non ce n'est pas exact ! Il y a une sorte de montée en charge, qui était parfaitement prévue par le législateur et le gouvernement qui avaient prévu qu'il faudrait plusieurs mois : d'abord pour que tout le monde sache et puis sache aussi comment faire, et pour qu'on puisse, puisqu'il s'agit de réinsertion, examiner comment faire que le plus pauvre des plus pauvres puisse non seulement disposer du minimum garanti mais aussi retrouver une place dans la société. Je crois que ce n'est pas 40000 comme le disait ce journal, je crois qu'on approche des 100000 aujourd'hui de personnes répertoriées qui peuvent disposer du revenu minimum d'insertion. Et la montée en charge va se poursuivre pendant les prochains mois et nous en arriverons avant le prochain budget sans aucun doute, à l'étiage prévu.\
Ce revenu minimum d'insertion, cela paraît tellement normal aujourd'hui. On se demande pourquoi on insiste et je ne veux pas non plus insister pour dire : voyez ce que ce gouvernement a été capable de faire. Non ce n'est pas cela. C'est simplement faire qu'aucune exclusion ne demeure sans que la société ne s'en occupe, et ne tente de la corriger, d'insérer. Tout être humain dans le mouvement général du progrès, dans l'accession aux merveilles de l'esprit, aux chances du travail, à la possibilité toute simple de s'accomplir soi-même. Que personne n'en soit exclu ! Et que partout où l'exclusion dépend de ce qui ne relève pas de notre volonté collective, nous soyons comme vous l'êtes, là, à côté, présents, riches d'initiatives et d'imagination pour répondre encore au besoin qui jamais ne sera satisfait.
- Le revenu minimum d'insertion a cherché à relier ces deux notions, je vous le disais. D'une part, aucun exclu pour cause de pauvreté, de l'autre, il ne suffit pas d'assister, il faut que chacun ait sa chance de retrouver place, situation, salaire. Cela veut dire quoi ? Chacun a besoin de sa pleine dignité et jamais la dignité d'un être ne sera satisfaite par le seul fait que d'autres auront tendu la main. Chacun doit aussi s'assumer lui-même. Encore faut-il que la société en fournisse l'instrument. Voilà, c'est tout. Ce revenu minimum, ce n'est pas un miracle. Cela complète la démarche à travers deux siècles, la démarche qui a voulu que, progrès par progrès, et je n'oublie pas les luttes collectives du 19ème et du début du 20ème siècle, l'on donne une signification aux vieux mots qui commençaient de s'user, qui étaient souvent trafiqués, qui étaient inscrits sur tous les frontons des bâtiments publics mais que valaient-ils ? Oui, avoir la liberté c'est bien, mais manquer de liberté, qu'est-ce que cela signifie ? Et peu à peu, avec les forces de 1945, avec la naissance de la sécurité sociale et toutes les lois qui s'en sont suivies, notre société a veillé à corriger les injustices du sort ou les injustices de la lutte des intérêts. Et l'on peut dire que la France, dans le concert des nations, a plutôt mieux réussi que d'autres. C'est à l'honneur de la France, mais simplement nous sommes encore loin du compte, et particulièrement au regard de ces quelque 400 ou 500000 Français, démunis de tout. Nous l'avons fait. A peine sera-t-il accompli qu'il faudra regarder tout autour de soi. Nous n'aurons aucune peine malheureusement à découvrir d'autres tares sociales ou collectives, d'autres mécanismes qui ne fonctionnent pas. Croyez-moi, l'honneur des responsables politiques, d'où qu'ils viennent et quelles que soient leurs convictions profondes, sera de continuer dans cette trace, pour qu'un jour il soit possible d'offrir le spectacle d'un pays réconcilié - le nôtre - pour le meilleur, où il sera d'autant plus aisé de maintenir la querelle démocratique, pour la défense par chacun de son idéal propre, mais avec le sentiment que nous sommes tout de même d'un même peuple, appartenant à la même histoire, et que nous avons à répondre aux mêmes interrogations. En tout cas c'est ce que je souhaite. Mesdames et messieurs, maintenant à vous de travailler, puisque j'ai discouru.\