7 décembre 1988 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à la télévision tchécoslovaque le 7 décembre 1988, sur le désarmement, les relations est-ouest et les relations franco-tchécoslovaques.
QUESTION.- Monsieur le Président, à cause de votre deuxième septennat nous sommes témoins ... de la diplomatie française, alors comme en France va-t-elle à contre-pied pour le processus de désarmement, pour le processus d'Helsinki et encore quelle importance attache-t-elle aux relations avec des pays socialistes ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas "réactivation". Depuis 1981, la diplomatie française a toujours été très active. Peut-être voulez-vous dire qu'il y a réactivation du côté de l'est, et du centre de l'Europe. D'une certaine manière ce serait exact. Si vous voulez, nous allons en parler. Mais vous m'avez d'abord demandé quelle était notre position sur le désarmement. Dès le premier jour, lorsque nous avons appris que des négociations s'engageaient sur le désarmement des forces nucléaires dites intermédiaires, à moyenne et à courte portée, des armes nucléaires qui vont de 500 kilomètres à quelque 5500 et plus, j'ai dit que c'était une excellente initiative et que je l'approuvais.
- Je me suis réjoui de l'accord de Washington entre MM. Gorbatchev et Reagan. Et je souhaite que cet effort aille à son terme et que, passant de ce type d'armement à un autre, le désarmement soit désormais général. Les deux très grandes puissances que sont les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique ont engagé une négociation sur le désarmement des armes nucléaires stratégiques, en fixant l'objectif de 50 % de réduction. C'est très bien. Ces deux pays disposent de quelque 12 à 13000 charges nucléaires et si ils la réduisent de 50 % ce sera un progrès pour tout le monde. Donc j'approuve cela aussi.\
`Suite réponse sur le désarmement` Vous savez qu'aura lieu le mois prochain, en janvier 1989, une conférence à Paris consacrée au désarmement chimique, qui étudiera la manière d'interdire, en pratique, l'emploi de l'arme chimique et aussi de faire interdire par la Conférence de Genève la fabrication, ce qui suppose bien entendu des moyens de contrôle. C'est une bonne nouvelle. Cela va actualiser le désarmement dans un domaine particulièrement dangereux et inquiétant, pour l'Europe en tout cas.
- Ne parlons pas de désarmement biologique, la France n'a pas de raison d'avoir part à ce type de débat. Enfin, il y a ce qui est devenu quasiment l'essentiel, c'est-à-dire le désarmement des forces conventionnelles en Europe, c'est là où est le danger, là où il y a déséquilibre car on peut estimer, "grosso-modo" qu'il existe une sorte d'équilibre nucléaire entre l'est et l'ouest.
- Je vais maintenant aborder la dernière question, comprise dans votre interrogation générale : que penser du devenir des négociations actuelles, et comment organiser entre nos pays un système de détente et de confiance ? D'abord il y a déséquilibre. Déséquilibre en faveur des forces de l'est. Quand je dis de l'est, c'est parce que j'emploie le langage compris par tout le monde, bien que les puissances en question, dont fait partie votre pays, ne sont pas essentiellement à l'est de l'Europe. Mais enfin, c'est une façon de parler.
- Il faut rétablir un équilibre. Et laisser la parole aux diplomates et aux experts pour qu'ils fassent l'étude qu'il conviendra afin que derrière ce mot équilibre il y ait un effort mutuel tel qu'aucun des deux blocs ne puisse agir par surprise ou disposer de concentrations armées excessives et disproportionnées. Non pas que je croie qu'il soit dans l'intention des uns ou des autres d'engager un conflit. Mais puisque nous parlons de désarmement, mieux vaut prendre nos précautions. Je souhaite vivement cet accord. Je crois très important qu'il existe un forum, comme celui qui se tient à Vienne pour que tous les pays d'Europe puissent parler ensemble. Et il faut préserver ce forum. C'est un grand souci de la France, que chacun de ces pays qui sont souverains, puissent échanger leurs vues sur la sécurité dans notre continent, ce continent qui est le nôtre. Il y a beau y avoir des barrières, des frontières, des séparations, des oppositions, c'est notre continent.
- Je souhaite que d'ici peu de temps, si ce n'est pas quelques jours, disons quelques semaines, il soit possible de commencer réellement les négociations sur le désarmement conventionnel. Et la France fera tout ce qui sera en son pouvoir pour y contribuer positivement. Voilà la position de la France dans le domaine sur lequel vous m'avez questionné.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous parlez déjà de la coopération en Europe etc... quelles sont les relations avec des pays socialistes, quelle est votre opinion par exemple sur cette idée d'une maison européenne commune etc... après la création de démarches communes, au commencement de 93, alors quelles sont les perspectives de collaboration, de coopération, avec des pays socialistes ?
- LE PRESIDENT.- Je souhaite vivement un rapprochement et des échanges entre ce que j'appellerai les deux parties de l'Europe. Ce sont les hasards de la dernière guerre mondiale qui ont tracé cette sorte de frontière politique, économique, sociale, philosophique peut-être. Mais que je ne crois pas culturelle. Ce sont les hasards de la guerre. Et ensuite la force des idéologies ou des systèmes en place.
- A travers le temps qui vient, je crois que nous devons prendre conscience que nous appartenons au même continent, je viens de le dire. M. Gorbatchev a parlé de "maison commune". Enfin, notre destin est lié quelle que soit l'expression que l'on choisit. Comme nous parlions d'une façon plaisante avec M. Gorbatchev, il y a quelques jours à Moscou, et qu'il rappelait cette notion de la "maison commune", j'ajoutais oui, c'est une très belle expression. Vous pensez à construire une maison commune, moi je pense déjà à meubler les étages. Quel sera le contenu, bref, de cette expression ? Ce qui est vrai, c'est que nous sommes trop éloignés les uns des autres, qu'il convient entre les deux grandes organisations, l'Europe des Douze et celle qui se trouve de l'autre côté, de multiplier les échanges. Déjà, il existe avec certains pays des accords. Il en faut davantage. Il faut que ces accords aient plus de substance. Il faut se réhabituer à vivre ensemble au moment même où on assiste - je m'en réjouis - à une détente sur les fronts principaux de compétition qui se sont engagés depuis le début de l'après-guerre. Je crois que nous en sommes arrivés, maintenant, - plus de quarante ans s'étant écoulés - au moment où nous pouvons nous reconnaître davantage entre Européens.
- Les meilleurs chemins, pour l'instant, ce sont les chemins de l'économie, des échanges, de l'entraide économique et les moyens culturels. Mieux connaître nos civilisations qui ont été à travers les siècles souvent très proches les unes des autres, nos sources historiques, nos origines, notre formation même, ce qui fait le fond de nous-même. Tout cela passe par-dessus les frontières, comme passent par-dessus les frontières bien des techniques nouvelles quand il ne s'agirait que des moyens audiovisuels, compte tenu des satellites. Nous devrons accélérer nos relations pour éviter d'ajouter de nouveaux malentendus à ceux qui existent déjà.\
Bref, si je vais dans votre pays cette semaine, en Bulgarie à la fin du mois de janvier, en Pologne dans le courant de l'année 1989 et dans d'autres pays de cette partie de l'Europe, comme je suis allé dans tous les autres pays d'Europe occidentale, c'est parce que, d'une part je souhaite que la France retrouve davantage la place qui fut la sienne à travers le temps dans des pays où nos peuples ont entretenu souvent des relations extrêmement cordiales et chaleureuses puis aussi parce que je souhaite que la France puisse contribuer de cette manière à faire avancer le rapprochement entre ces maisons au travers desquelles on ne se parle pas beaucoup.
- Le temps est venu de considérer l'Europe en tant que telle. Il ne faut pas se faire d'illusions, il y a des différences profondes. Les systèmes sont très différents. Nous avons une conception de la démocratie qui fait que nous exprimons de sérieuses réserves sur le système pratiqué dans les pays de l'Europe de l'Est, avec d'ailleurs des variations selon les pays en cause. Nous continuons ainsi d'estimer que le troisième volet de la conférence d'Helsinki, c'est-à-dire le problème des droits de l'homme se pose à nous en termes impérieux. Il convient de faire de grands progrès sur ce plan. Mais il n'empêche que le rapprochement des peuples, et donc les relations aussi des Etats, me paraît plus nécessaire aujourd'hui que jamais.\
QUESTION.- Dans quelques heures, vous allez visiter notre pays, je crois que c'est un événement historique, parce que c'est la première visite ... de la France dans la République tchécoslovaque. Je crois que c'est un grand espace pour la connaissance, etc. Alors monsieur le Président, qu'est-ce que vous attendez de votre visite en Tchécoslovaquie ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien d'abord je suis très sensible à l'histoire et quand je rappelle l'étroitesse des liens qui nous unissaient avec le peuple de votre pays, à la naissance de la Tchécoslovaquie, aux grands hommes qui ont présidé à cette entrée dans le monde international, je pense que nous avons des devoirs à l'égard de cette histoire et que si certains de ces souvenirs se sont estompés par la méchanceté des temps, les problèmes de la guerre mondiale avec ses conséquences, je pense que notre devoir est de renouer les fils de cette histoire.
- Certes entre temps il s'est passé beaucoup de choses. Cette séparation entre la Tchécoslovaquie et la France a des causes. Parmi ces causes il y a des causes internes dues à l'évolution différente des systèmes politiques en place et de méthodes de gouvernement. Je le répète, je vais en Tchécoslovaquie avec un grand intérêt. Je souhaite que soient renoués les fils. J'insiste sur cette notion. J'aimerais que la France soit plus et mieux connue parmi les générations d'aujourd'hui en Tchécoslovaquie.
- Je vais donc rencontrer, et cela m'intéresse beaucoup, les principaux dirigeants de votre pays au cours d'une première journée à Prague et au cours d'une deuxième journée à Bratislava. J'aurai avec moi un certain nombre d'industriels, de chefs d'entreprise, d'intellectuels qui m'aideront à mieux faire connaître mon pays. J'aurai des relations avec les différents représentants de votre société y compris de votre société politique dans sa diversité et même dans ses oppositions. Je m'exprimerai dans la plus grande liberté, dans le souci et le respect naturellement que l'on doit à un Etat et à un peuple et j'attends une sorte d'accélération du mouvement actuel.
- Nos échanges sont pauvres dans tous les domaines. Ils pourraient être beaucoup plus riches dans le domaine culturel. Nous avons l'instrument et les traditions. L'enseignement de la langue française a perdu beaucoup de terrain. D'autre part sur le plan économique, vous êtes un pays actif, vous avez des hommes et des femmes tout à fait remarquables qui dans beaucoup de domaines se situent parmi les meilleurs et nous n'avons aucune raison de rester à l'écart de cette capacité du peuple tchécoslovaque. De la même façon il faut que vos compatriotes sachent qu'en France leur sera réservé le meilleur accueil et que nous n'avons rien oublié de notre histoire et que nous souhaitons la renouveler. Voilà, ceci est pour le premier point.\
Quant au reste, c'est-à-dire mes relations, j'irai devant l'université de Bratislava. Cela m'intéressera de voir, d'apercevoir - que peut-on voir dans un voyage officiel, pas grand chose ? Enfin j'aurai des conversations avec les personnalités officielles ce qui permettra d'avancer et je verrai aussi des personnes très représentatives : les étudiants, groupe toujours vivant, actif, prometteur, celui qui fera un jour l'avenir. Deux journées, ce sera trop bref, mais ce sera la première reprise véritable de contacts après une visite du ministre des affaires étrangères ce qui n'était pas négligeable. J'ai personnellement encouragé la visite qu'a faite récemment M. Dumas en Tchécoslovaquie. J'ai personnellement désiré ce rapprochement. Et puis la première visite d'un chef d'Etat français en Tchécoslovaquie - je ne le savais pas - j'ai été étonné d'apprendre cette carence - je voudrais qu'elle soit à l'origine d'un changement. Je m'intéresse beaucoup à votre pays, à sa réalité profonde. Je suis particulièrement sensible, je doit le dire à tout ce qui touche ce que nous allons célébrer dans quelques mois, c'est-à-dire les grandes leçons de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de la révolution française qui eut tellement d'écho en Tchécoslovaquie. Je souhaite que s'accélère le mouvement qui permettra à chaque citoyen partout en Europe de se sentir en conformité avec cette admirable déclaration qui reste très moderne, j'allais presque dire malheureusement car j'aimerais que l'on ait fait plus de progrès dans ce domaine. Enfin je vais en Tchécoslovaquie avec plus que de l'intérêt. J'y vais avec une attention très grande, intellectuelle et sentimentale. Nous avons combattu côte à cote. Je me souviens que mes parents avaient hébergé pendant la guerre de 14 - 18 dans leur petite ville de l'ouest de la France des soldats tchécoslovaques. Il en était resté des relations affectueuses qui se sont perpétuées à travers le temps. Je me souviendrai un peu de mon père - qui aimait tant votre pays - lorsque je mettrai le pied sur votre sol. En tout cas j'adresse un salut au peuple de Tchécoslovaquie. J'aurai l'occasion de saluer et de rencontrer le Président de la République, le chef du gouvernement, le secrétaire général du parti communiste. Je crois qu'il faut aborder ces conversations avec le souci de les rendre utiles.\
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas "réactivation". Depuis 1981, la diplomatie française a toujours été très active. Peut-être voulez-vous dire qu'il y a réactivation du côté de l'est, et du centre de l'Europe. D'une certaine manière ce serait exact. Si vous voulez, nous allons en parler. Mais vous m'avez d'abord demandé quelle était notre position sur le désarmement. Dès le premier jour, lorsque nous avons appris que des négociations s'engageaient sur le désarmement des forces nucléaires dites intermédiaires, à moyenne et à courte portée, des armes nucléaires qui vont de 500 kilomètres à quelque 5500 et plus, j'ai dit que c'était une excellente initiative et que je l'approuvais.
- Je me suis réjoui de l'accord de Washington entre MM. Gorbatchev et Reagan. Et je souhaite que cet effort aille à son terme et que, passant de ce type d'armement à un autre, le désarmement soit désormais général. Les deux très grandes puissances que sont les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique ont engagé une négociation sur le désarmement des armes nucléaires stratégiques, en fixant l'objectif de 50 % de réduction. C'est très bien. Ces deux pays disposent de quelque 12 à 13000 charges nucléaires et si ils la réduisent de 50 % ce sera un progrès pour tout le monde. Donc j'approuve cela aussi.\
`Suite réponse sur le désarmement` Vous savez qu'aura lieu le mois prochain, en janvier 1989, une conférence à Paris consacrée au désarmement chimique, qui étudiera la manière d'interdire, en pratique, l'emploi de l'arme chimique et aussi de faire interdire par la Conférence de Genève la fabrication, ce qui suppose bien entendu des moyens de contrôle. C'est une bonne nouvelle. Cela va actualiser le désarmement dans un domaine particulièrement dangereux et inquiétant, pour l'Europe en tout cas.
- Ne parlons pas de désarmement biologique, la France n'a pas de raison d'avoir part à ce type de débat. Enfin, il y a ce qui est devenu quasiment l'essentiel, c'est-à-dire le désarmement des forces conventionnelles en Europe, c'est là où est le danger, là où il y a déséquilibre car on peut estimer, "grosso-modo" qu'il existe une sorte d'équilibre nucléaire entre l'est et l'ouest.
- Je vais maintenant aborder la dernière question, comprise dans votre interrogation générale : que penser du devenir des négociations actuelles, et comment organiser entre nos pays un système de détente et de confiance ? D'abord il y a déséquilibre. Déséquilibre en faveur des forces de l'est. Quand je dis de l'est, c'est parce que j'emploie le langage compris par tout le monde, bien que les puissances en question, dont fait partie votre pays, ne sont pas essentiellement à l'est de l'Europe. Mais enfin, c'est une façon de parler.
- Il faut rétablir un équilibre. Et laisser la parole aux diplomates et aux experts pour qu'ils fassent l'étude qu'il conviendra afin que derrière ce mot équilibre il y ait un effort mutuel tel qu'aucun des deux blocs ne puisse agir par surprise ou disposer de concentrations armées excessives et disproportionnées. Non pas que je croie qu'il soit dans l'intention des uns ou des autres d'engager un conflit. Mais puisque nous parlons de désarmement, mieux vaut prendre nos précautions. Je souhaite vivement cet accord. Je crois très important qu'il existe un forum, comme celui qui se tient à Vienne pour que tous les pays d'Europe puissent parler ensemble. Et il faut préserver ce forum. C'est un grand souci de la France, que chacun de ces pays qui sont souverains, puissent échanger leurs vues sur la sécurité dans notre continent, ce continent qui est le nôtre. Il y a beau y avoir des barrières, des frontières, des séparations, des oppositions, c'est notre continent.
- Je souhaite que d'ici peu de temps, si ce n'est pas quelques jours, disons quelques semaines, il soit possible de commencer réellement les négociations sur le désarmement conventionnel. Et la France fera tout ce qui sera en son pouvoir pour y contribuer positivement. Voilà la position de la France dans le domaine sur lequel vous m'avez questionné.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous parlez déjà de la coopération en Europe etc... quelles sont les relations avec des pays socialistes, quelle est votre opinion par exemple sur cette idée d'une maison européenne commune etc... après la création de démarches communes, au commencement de 93, alors quelles sont les perspectives de collaboration, de coopération, avec des pays socialistes ?
- LE PRESIDENT.- Je souhaite vivement un rapprochement et des échanges entre ce que j'appellerai les deux parties de l'Europe. Ce sont les hasards de la dernière guerre mondiale qui ont tracé cette sorte de frontière politique, économique, sociale, philosophique peut-être. Mais que je ne crois pas culturelle. Ce sont les hasards de la guerre. Et ensuite la force des idéologies ou des systèmes en place.
- A travers le temps qui vient, je crois que nous devons prendre conscience que nous appartenons au même continent, je viens de le dire. M. Gorbatchev a parlé de "maison commune". Enfin, notre destin est lié quelle que soit l'expression que l'on choisit. Comme nous parlions d'une façon plaisante avec M. Gorbatchev, il y a quelques jours à Moscou, et qu'il rappelait cette notion de la "maison commune", j'ajoutais oui, c'est une très belle expression. Vous pensez à construire une maison commune, moi je pense déjà à meubler les étages. Quel sera le contenu, bref, de cette expression ? Ce qui est vrai, c'est que nous sommes trop éloignés les uns des autres, qu'il convient entre les deux grandes organisations, l'Europe des Douze et celle qui se trouve de l'autre côté, de multiplier les échanges. Déjà, il existe avec certains pays des accords. Il en faut davantage. Il faut que ces accords aient plus de substance. Il faut se réhabituer à vivre ensemble au moment même où on assiste - je m'en réjouis - à une détente sur les fronts principaux de compétition qui se sont engagés depuis le début de l'après-guerre. Je crois que nous en sommes arrivés, maintenant, - plus de quarante ans s'étant écoulés - au moment où nous pouvons nous reconnaître davantage entre Européens.
- Les meilleurs chemins, pour l'instant, ce sont les chemins de l'économie, des échanges, de l'entraide économique et les moyens culturels. Mieux connaître nos civilisations qui ont été à travers les siècles souvent très proches les unes des autres, nos sources historiques, nos origines, notre formation même, ce qui fait le fond de nous-même. Tout cela passe par-dessus les frontières, comme passent par-dessus les frontières bien des techniques nouvelles quand il ne s'agirait que des moyens audiovisuels, compte tenu des satellites. Nous devrons accélérer nos relations pour éviter d'ajouter de nouveaux malentendus à ceux qui existent déjà.\
Bref, si je vais dans votre pays cette semaine, en Bulgarie à la fin du mois de janvier, en Pologne dans le courant de l'année 1989 et dans d'autres pays de cette partie de l'Europe, comme je suis allé dans tous les autres pays d'Europe occidentale, c'est parce que, d'une part je souhaite que la France retrouve davantage la place qui fut la sienne à travers le temps dans des pays où nos peuples ont entretenu souvent des relations extrêmement cordiales et chaleureuses puis aussi parce que je souhaite que la France puisse contribuer de cette manière à faire avancer le rapprochement entre ces maisons au travers desquelles on ne se parle pas beaucoup.
- Le temps est venu de considérer l'Europe en tant que telle. Il ne faut pas se faire d'illusions, il y a des différences profondes. Les systèmes sont très différents. Nous avons une conception de la démocratie qui fait que nous exprimons de sérieuses réserves sur le système pratiqué dans les pays de l'Europe de l'Est, avec d'ailleurs des variations selon les pays en cause. Nous continuons ainsi d'estimer que le troisième volet de la conférence d'Helsinki, c'est-à-dire le problème des droits de l'homme se pose à nous en termes impérieux. Il convient de faire de grands progrès sur ce plan. Mais il n'empêche que le rapprochement des peuples, et donc les relations aussi des Etats, me paraît plus nécessaire aujourd'hui que jamais.\
QUESTION.- Dans quelques heures, vous allez visiter notre pays, je crois que c'est un événement historique, parce que c'est la première visite ... de la France dans la République tchécoslovaque. Je crois que c'est un grand espace pour la connaissance, etc. Alors monsieur le Président, qu'est-ce que vous attendez de votre visite en Tchécoslovaquie ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien d'abord je suis très sensible à l'histoire et quand je rappelle l'étroitesse des liens qui nous unissaient avec le peuple de votre pays, à la naissance de la Tchécoslovaquie, aux grands hommes qui ont présidé à cette entrée dans le monde international, je pense que nous avons des devoirs à l'égard de cette histoire et que si certains de ces souvenirs se sont estompés par la méchanceté des temps, les problèmes de la guerre mondiale avec ses conséquences, je pense que notre devoir est de renouer les fils de cette histoire.
- Certes entre temps il s'est passé beaucoup de choses. Cette séparation entre la Tchécoslovaquie et la France a des causes. Parmi ces causes il y a des causes internes dues à l'évolution différente des systèmes politiques en place et de méthodes de gouvernement. Je le répète, je vais en Tchécoslovaquie avec un grand intérêt. Je souhaite que soient renoués les fils. J'insiste sur cette notion. J'aimerais que la France soit plus et mieux connue parmi les générations d'aujourd'hui en Tchécoslovaquie.
- Je vais donc rencontrer, et cela m'intéresse beaucoup, les principaux dirigeants de votre pays au cours d'une première journée à Prague et au cours d'une deuxième journée à Bratislava. J'aurai avec moi un certain nombre d'industriels, de chefs d'entreprise, d'intellectuels qui m'aideront à mieux faire connaître mon pays. J'aurai des relations avec les différents représentants de votre société y compris de votre société politique dans sa diversité et même dans ses oppositions. Je m'exprimerai dans la plus grande liberté, dans le souci et le respect naturellement que l'on doit à un Etat et à un peuple et j'attends une sorte d'accélération du mouvement actuel.
- Nos échanges sont pauvres dans tous les domaines. Ils pourraient être beaucoup plus riches dans le domaine culturel. Nous avons l'instrument et les traditions. L'enseignement de la langue française a perdu beaucoup de terrain. D'autre part sur le plan économique, vous êtes un pays actif, vous avez des hommes et des femmes tout à fait remarquables qui dans beaucoup de domaines se situent parmi les meilleurs et nous n'avons aucune raison de rester à l'écart de cette capacité du peuple tchécoslovaque. De la même façon il faut que vos compatriotes sachent qu'en France leur sera réservé le meilleur accueil et que nous n'avons rien oublié de notre histoire et que nous souhaitons la renouveler. Voilà, ceci est pour le premier point.\
Quant au reste, c'est-à-dire mes relations, j'irai devant l'université de Bratislava. Cela m'intéressera de voir, d'apercevoir - que peut-on voir dans un voyage officiel, pas grand chose ? Enfin j'aurai des conversations avec les personnalités officielles ce qui permettra d'avancer et je verrai aussi des personnes très représentatives : les étudiants, groupe toujours vivant, actif, prometteur, celui qui fera un jour l'avenir. Deux journées, ce sera trop bref, mais ce sera la première reprise véritable de contacts après une visite du ministre des affaires étrangères ce qui n'était pas négligeable. J'ai personnellement encouragé la visite qu'a faite récemment M. Dumas en Tchécoslovaquie. J'ai personnellement désiré ce rapprochement. Et puis la première visite d'un chef d'Etat français en Tchécoslovaquie - je ne le savais pas - j'ai été étonné d'apprendre cette carence - je voudrais qu'elle soit à l'origine d'un changement. Je m'intéresse beaucoup à votre pays, à sa réalité profonde. Je suis particulièrement sensible, je doit le dire à tout ce qui touche ce que nous allons célébrer dans quelques mois, c'est-à-dire les grandes leçons de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de la révolution française qui eut tellement d'écho en Tchécoslovaquie. Je souhaite que s'accélère le mouvement qui permettra à chaque citoyen partout en Europe de se sentir en conformité avec cette admirable déclaration qui reste très moderne, j'allais presque dire malheureusement car j'aimerais que l'on ait fait plus de progrès dans ce domaine. Enfin je vais en Tchécoslovaquie avec plus que de l'intérêt. J'y vais avec une attention très grande, intellectuelle et sentimentale. Nous avons combattu côte à cote. Je me souviens que mes parents avaient hébergé pendant la guerre de 14 - 18 dans leur petite ville de l'ouest de la France des soldats tchécoslovaques. Il en était resté des relations affectueuses qui se sont perpétuées à travers le temps. Je me souviendrai un peu de mon père - qui aimait tant votre pays - lorsque je mettrai le pied sur votre sol. En tout cas j'adresse un salut au peuple de Tchécoslovaquie. J'aurai l'occasion de saluer et de rencontrer le Président de la République, le chef du gouvernement, le secrétaire général du parti communiste. Je crois qu'il faut aborder ces conversations avec le souci de les rendre utiles.\