18 novembre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République et de M. Karoly Grosz, Premier ministre hongrois, sur les relations franco-hongroises, la politique française vis-à-vis des pays de l'Est et la négociation sur la limitation des armements conventionnels, Paris le 18 novembre 1988.

Mesdames et messieurs,
- Nous avons devant nous le premier responsable de la Hongrie, pays riche d'histoire, qui contribue à ce que l'Europe soit un continent si divers et finalement riche de ses contradictions.
- La Hongrie est un pays respectable qui a vécu, depuis la dernière guerre mondiale, des expériences qui ne peuvent que faire mûrir un peuple et je dois dire que les conversations que nous avons eues nous ont permis respectivement de mieux connaître la Hongrie et, je l'espère, la France.
- J'ai déjà eu il y a quelques années des conversations avec M. Janos Kadar qui nous avaient permis de mieux situer les relations de deux pays qui ne se connaissent pas beaucoup. La visite de l'homme d'Etat que nous recevons aujourd'hui a fait franchir un nouveau pas important pour une meilleure communication entre nous et des échanges beaucoup plus féconds.
- Nous avons naturellement parlé un peu de tout, de nos relations bilatérales, de l'Europe et du monde. Mais je ne vais pas en faire le tour. Ce sont vos questions qui nous y aideront. Cédons la parole maintenant à notre invité qui nous a fait un grand honneur en venant jusqu'à nous. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, mais comme je n'aurais peut-être plus l'occasion de le dire, je veux exprimer mes remerciements au peuple hongrois, à ses représentants, à ses dirigeants et particulièrement à vous, monsieur le Premier ministre, car nous avons, je crois, réussi au cours de cette visite à donner aux relations entre la France et la Hongrie une signification nouvelle.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République ainsi que notre Premier ministre ont parlé du fait que nos relations politiques sont bonnes, normales depuis longtemps mais que notre coopération économique n'est pas au même niveau. Est-ce que nous pouvons espérer que les conditions se sont améliorées grâce aux entretiens actuels ? Est-ce que la situation a évolué par rapport à ce qui était valable pour le passé ? Est-ce que M. le Président de la République voit une possibilité concrète à ce que notre coopération économique s'approfondisse ?
- LE PRESIDENT.- Je dois dire que oui. Tout dépend de l'élan que l'on donne à ce type de relations. Elles ne sont pas traditionnelles. Nous avons vécu à travers l'histoire de façon très différente et les événements qui ont occupé ces derniers siècles n'ont pas donné à la Hongrie et à la France l'occasion de multiplier les échanges commerciaux. Donc on part de loin et il y a beaucoup à faire. Mais on peut faire beaucoup parce que maintenant l'Europe est devenue un petit continent. On va d'une capitale à l'autre si facilement.
- Et puis, il faut faire l'Europe. Donc je suis optimiste, mais pour cela il faut se connaître. Je le répète, l'usage n'est pas créé et l'effort que nous avons fait il y a quelques années n'a pas donné grand chose. Il faut donc mobiliser toutes les forces disponibles, les industriels, les économistes, les diplomates et aussi les intellectuels car, sur ce plan, les liens entre nos deux pays sont d'une grande richesse. Ce n'est pas intense, mais c'est important.\
QUESTION.- Monsieur le Président, avez-vous parlé avec le Premier ministre de Hongrie de votre projet d'Eurêka audiovisuel ? Avez-vous décidé de l'entraîner dans cette entreprise ?
- LE PRESIDENT.- Nous en avons parlé hier longuement. Cela nous intéresse l'un et l'autre. Le terme d'Eurêka a été employé pour qualifier une vaste construction technologique intéressant, outre la Communauté européenne, d'autres pays d'Europe, en tout dix-huit. C'est donc une très vaste entreprise qui est essentiellement ouverte à l'Europe. A côté de cela, il y a, vous le savez, un plan-programme développé par la Commission européenne. Les contrats qui ont été passés sont de toutes sortes, et tous sont portés vers la technologie la plus fine et la plus sophistiquée. Dans cette technologie, j'ai voulu - comment dirais-je - isoler le problème des images audiovisuelles.
- L'Europe occidentale produit extrêmement peu d'images au regard de ce dont elle a besoin. 125000 heures par an sont nécessaires. La production représente environ 5000 heures, ce qui veut dire que l'essentiel des productions et des images sont américaines. Les sources de la culture se trouvent aussi bien réparties dans des pays comme la Hongrie ou comme le nôtre. C'est donc vraiment le prototype du terrain sur lequel nous pouvons développer nos actions en commun pour sauvegarder nos cultures, nos langues qui sont également menacées. Je compte beaucoup sur Eurêka audiovisuel, pour que des pays comme la Hongrie et la France aient l'occasion de travailler ensemble.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous recevez aujourd'hui le premier responsable hongrois, vous vous rendez, je crois, à Moscou la semaine prochaine. Vous allez à Prague, je crois, dans quinze jours. Est-ce que vous avez l'intention de continuer cette série de visites dans les pays de l'Europe orientale ? Si c'est le cas, quelle est la signification que vous donnez à cette initiative diplomatique ?
- LE PRESIDENT.- En effet, je serai à Moscou, puis à Baïkonour la semaine prochaine. Rendez-vous est pris pour les 8 et 9 décembre en Tchécoslovaquie, un autre rendez-vous est pris pour les 18 et 19 janvier en Bulgarie. Mais je ne veux pas en faire un système. J'irai dans des pays que je n'ai pas visités depuis mon élection à la Présidence de la République, en 1981. Je ne m'interdis pas de retourner dans les pays où je me suis déjà rendu, comme la Hongrie, par exemple.
- Mais, en effet, je compte bien me rendre plus souvent dans les pays de l'autre Europe `Europe de l'Est`, puisqu'au cours de mon premier septennat, je n'ai visité - sous forme de visite d'Etat - que l'Union soviétique et la Hongrie précisément.
- Votre deuxième question était : quelle explication donnez-vous à cela ? Est-ce que cela a une signification politique ? Oui, cela a une signification politique. Vous savez bien que je suis l'un de ceux qui pensent que l'une des grandes affaires de la fin de ce siècle et du début de l'autre, c'est le rapprochement des Europes séparées. Qu'en agissant avec sagesse, avec prudence, mais aussi avec audace, nombreux sont les domaines où tout est déjà possible. En tout cas c'est la direction que j'entends prendre. Je suis un partisan résolu de l'Europe communautaire. Mais cela ne me détourne pas le moins du monde du souci qui est de faire que l'Europe soit l'Europe dans sa réalité historique et géographique.
- Enfin, comme ce sont des vues à longue distance, agissons d'une façon pragmatique.\
QUESTION.- Un des dirigeants hongrois, responsable des relations internationales au Comité central, a récemment demandé, dans une interview, l'appui de tous les pays européens de l'Est et de l'Ouest à la Hongrie vis-à-vis de la Roumanie. Je ne sais pas si la Roumanie sera un des pays que vous avez l'intention de visiter. Mais certains pays occidentaux ont déjà fait connaître leur position sur ce qui se passe actuellement dans ce pays. Est-ce que vous-même avez l'intention de faire quelque chose ou de prendre position ? Qu'est-ce que vous pensez de tout cela ?
- LE PRESIDENT.- D'abord, je vais vous répondre d'une façon simple. Il n'y a, à mes yeux, aucun interdit, aucun autre interdit que ceux que je me fixe à moi-même pour me rendre dans un pays ou dans un autre.
- Deuxièmement, le problème qui s'est créé à propos de la Transylvanie et des minorités existantes en Roumanie, a naturellement été abordé dans nos conversations. Je n'ai pas à rendre compte de son contenu, quoique vous n'ayez pas à douter de l'état d'esprit dans lequel mon visiteur a abordé ce type de question. Les pays qui sont intervenus, sont ceux qui précisément ont avec la Roumanie un problème du même ordre, c'est-à-dire un problème de minorité ethnique. Je me permets d'ajouter cette précision à ce que vous avez dit vous-même, car cela donne un autre éclairage à votre question. Je pense en particulier à l'Allemagne fédérale. Mais c'est en effet un problème qui peut se poser sur le plan disons de la défense des droits de l'homme, c'est-à-dire des minorités qui ont besoin d'être traitées comme toute communauté humaine doit l'être. Alors là, chacun fera son appréciation, je n'ai pas l'intention aujourd'hui d'entrer dans ce débat mais il ne m'est pas indifférent.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République, à la conférence-bilan de Vienne, la position française ne retarde-t-elle pas la mise en place d'une maison européenne commune, et la négociation sur les armements conventionnels ?
- LE PRESIDENT.- Nous sommes attachés à ce que ces négociations aboutissent. Donc nous sommes pressés. Ce n'est pas parce que nous sommes pressés que nous allons accepter toutes les suggestions qui nous viennent d'ailleurs. Donc nous ferons tout ce que nous pourrons pour hâter le moment où l'on entrera dans le vif du sujet et pour sortir des pétitions de principe. Vous auriez pu faire la même observation à l'égard de beaucoup d'autres pays qui se sont contentés jusqu'ici des principes. Donc la France prêtera la main pour faciliter la discussion, et je l'espère l'accord, sur la réduction et l'équilibre des armements conventionnels. Mais vous avez traité ce sujet d'une façon un peu détournée, vous vouliez dire sans doute la discussion sur les 23 Etats et les 35, peut-être aussi sur les zones. Sur ce dernier point la France est très ouverte, je considère que ce ne doit pas être un obstacle à la négociation. Il peut y avoir un problème de méthode, mais ce n'est pas un problème de principe.
- Quant aux 23 et aux 35, cette question est à la portée de bons diplomates. Et la France ne dressera pas d'obstacle, elle se plaindrait plutôt des multiples obstacles qui ont été créés par les uns et les autres, si peu pressés qu'ils sont de parler de ces choses. Peut-être sont-ils très contents de voir que la France pose des questions parce que cela leur donne l'occasion de se défausser de la responsabilité qui est la leur.\