10 octobre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations entre les jeunes et les personnes âgées et la nécessité du maintien de la protection sociale, Magnanville, le 10 octobre 1988.

Mesdames et messieurs,
- Un élément particulier qui frappe vos visiteurs, c'est bien celui-là. On vient visiter une maison de retraite, de personnes âgées et on entend surtout des jeunes, des très jeunes qui, me semble-t-il, ont la majorité ici. Je pense que c'est ce qu'ont voulu les organisateurs et qu'ils se trouvent recompensés, même s'ils sont un peu inquiets pour l'instant en se demandant si nous parlerons tous ensemble et au même moment, jusqu'à la fin de cet exposé.
- Mais moi je suis très content de vous entendre, même si je souhaite maintenant pouvoir dire quelques mots aux personnes âgées qui m'entendent, de ce que j'ai vu là : des bâtiments neufs conçus pour ceux qui y vivent, mais accueillant pour ceux qui viennent, comme vous et comme moi £ j'y ai rencontré des pensionnaires qui n'ont pas cessé toute activité, pas toujours, j'y ai rencontré un personnel médical et para-médical dont on me dit - et je le crois - qu'il assume sa tâche avec un extrême dévouement. Et puis j'observe - comment ne pas le remarquer ! - que la maison de Magnanville ouvre ses portes à toutes les générations.
- Je vais vous faire une confidence £ c'est bien la première fois que je vois cela et je ne m'en plains pas ! Cela vaut mieux que le silence dont on croit parfois devoir entourer les anciens.
- Eh bien je vais vous dire quelque chose qui va vous paraître contradictoire avec la vie joyeuse des jeunes ici présents ! D'abord on vit chez nous plus longtemps qu'avant £ il y a de l'espoir, plus de 60 ans et en 20 ans, l'espérance de vie a augmenté pour ceux qui ont de 70 à 90 ans. C'est un signe d'un grand progrès médical, social et humain.
- Bref, la mortalité a reculé. C'est un privilège, vous savez pour un pays comme le nôtre, la France, lorsqu'on songe aux conditions de vie dans le climat d'immenses régions du monde où l'on est soumis à la faim, au froid, aux rigueurs du soleil, à la misère et à la faim. Réjouissons-nous d'être où nous sommes, c'est-à-dire en France. Mais alors, usons de ce privilège, en ne se refermant pas sur soi-même, en cherchant justement à venir en aide aux autres là-bas, au-delà des mers qui souffrent tant. Ne restons pas de ces pays que l'on dit riches - et où tout le monde ne l'est pas - qui sont oublieux de la misère des autres.
- Et puis je vais vous faire une autre remarque ! C'est vrai que si la vie dure plus longtemps, le rythme des naissances augmente moins vite que le nombre des personnes âgées. Cela c'est inquiétant. Il faut que la France soit riche aussi de ses enfants. Bref, il faudrait qu'aux deux extrémités de la vie, au début et dans les dernières années notre société soit plus accueillante pour tous.\
Deuxième observation : je veux parler de la Sécurité sociale. Tout le monde sait qu'il y a des problèmes financiers qui se posent pour ce que l'on appelle le régime de l'assurance vieillesse. Il ne faut pas non plus tomber dans le catastrophisme. Nous ne sommes pas à la veille de l'apocalypse. On continuera de financer les retraites. Il faut résister après ces campagnes qui souvent sont orientées afin de faire douter les Français de l'efficacité de leur système, celui de la Sécurité sociale qui est la forme la meilleure de la solidarité nationale.
- Rien ne sera accepté par le gouvernement qui puisse restreindre la solidarité entre les Français et il ne sera rien fait qui substitue des solutions purement individuelles et inégalitaires à la protection telle qu'elle a été fondée et qui cherche d'abord à protéger les plus malheureux et les plus démunis.
- Bref, la Sécurité sociale c'est notre bien à tous et il faut continuer de compter sur elle pour répartir l'effort national. Est-ce que l'on va faire porter sur les personnes les plus âgées ou les plus malades ou les plus malheureuses, le poids des économies ? Non ! C'est pourquoi le gouvernement a rétabli par exemple parmi d'autres choses le remboursement à 100 % des dépenses auxquelles sont contraints les grands malades ou les peronnes âgées atteintes de plusieurs maladies ou infections qui les rendent invalides.\
Troisième observation : il s'agit maintenant des ressources. Il y a maintenant sept ans, j'avais voulu et cela a été fait par le gouvernement de l'époque, que l'on revalorise les pensions, les retraites, le minimum vieillesse.
- Il faut aujourd'hui s'adapter aux circonstances et porter notre attention sur certains autres problèmes : je pense à celui de ménages, de couples dont le mari ou la femme doit être reçu dans un établissement médicalisé. Cure, maison de retraite, service hospitalier de long séjour alors celui qui reste en dehors qu'est-ce qu'il va faire seul, sans le moyen vraiment de subvenir aux besoins du conjoint, ainsi affecté dans un service hospitalier ? Cela coûte trop cher ! C'est là que la collectivité nationale doit intervenir pour apporter des facilités, y compris fiscales, à ceux ou celles qui se trouveraient dans cette situation.\
Quatrième observation : c'est le spectacle que vous m'avez offert cet après-midi, la solidarité des générations. C'est quand même assez bien que des jeunes viennent passer quelques heures en compagnie des plus vieux pour essayer de leur apporter un peu de paix, un peu de joie et plus de vie.
- C'est ce que vous faites les filles et les garçons des collèges avoisinants et je vous en remercie car il ne faut pas l'oublier, les retraités, les gens âgés sont très souvent et de plus en plus souvent des gens actifs. Il y a des associations, des centaines d'associations, des clubs et des universités où l'on essaie d'apprendre encore, d'apprendre toujours, où l'on se distrait, où l'on joue du théâtre, où l'on chante, où l'on se réunit, où l'on retrouve la joie d'être ensemble. Eh bien, il faut qu'une maison comme celle-ci, qui peut servir d'exemple, continue dans cette voie. Et comme je l'ai dit pour commençer, il faut maintenir ou rétablir la communication entre les générations. La manière dont sont construites nos villes a rompu ce lien : on ne connait plus les grands-parents, la famille ne peut plus toujours vivre en commun dans des logements trop étroits £ on ne se connaît plus £ on ne peut plus s'entraider. Voilà pourquoi je me réjouis chaque fois que je vois ou que je visite des institutions comme celle-ci où l'on organise cette relation entre les plus jeunes et les plus âgés.\
Cinquième observation : vous savez, il arrive un moment où si l'on n'est pas bien organisé, les personnes âgées se retrouvent toutes seules. Elles ont vécu dans un village, dans un quartier, dans une ville toute leur vie £ arrive un accident de santé ou simplement la grande vieillesse et on les arrache à leur milieu £ elles perdent tout à la fois £ elles ne savent plus où elles sont £ elles n'ont plus leurs meubles £ elles n'ont plus leurs voisins £ elles ne voient plus le même paysage et elles souffrent.
- Notre société doit s'organiser pour éviter cela autant qu'il est possible. Il faut donc tenter de préserver le cadre familier. Il faut assurer l'autonomie des personnes âgées ou bien il faut alors que l'aide ménagère, que les services de soins, que les gardes se fassent de plus en plus à domicile. De toutes façons, j'ai pu remarquer en passant au travers des couloirs ces unités de vie qui permettent à un petit nombre de personnes de vivre ensemble, un peu chez soi et de recevoir la visite de celles et de ceux qui comme vous viennent les distraire pendant des heures ou des après-midi.\
Sixième et dernière observation, et là permettez-moi d'aborder en peu de mots un sujet très sérieux. Beaucoup de femmes et d'hommes, à la fin de leur vie, ont besoin d'un environnement et de soins médicaux quelquefois très coûteux et très rares. Or, il existe encore en France, dans ce département et dans les autres, beaucoup trop d'hospices où les soins et les conditions de vie ne sont pas dignes d'un pays comme le nôtre. Et puisque le pays m'a donné du temps, maintenant, pour la seconde fois, je veux que ce temps soit utilisé de telle sorte que soit achevé le programme de transformation des hospices lancé il y a plusieurs années. Cela nous obligera à un gros effort financier qui comme le reste ne sera possible que si on l'applique sur plusieurs années £ que si on comprend qu'il faut se servir du temps pour peu à peu répondre à des besoins que le gouvernement connait. Dans la plupart des protestations, il y a beaucoup de bien fondé ! La protestation ne vient pas de nulle part ! Mais la responsabilité d'un gouvernement dans lequel - je peux le dire - vous devez avoir confiance, c'est d'apporter une réponse, une solution à ces problèmes. Il ne commencera pas l'année prochaine, il a déjà commencé ! Mais il lui faut quelques temps, quelques années pour arriver au terme de ses efforts, sans quoi nous détruirons tous les équilibres de la France et personne au bout du compte de profitera de ce qui aura été accompli dans de mauvaises conditions. Eh bien, il en va ainsi pour la modernisation et l'humanisation des conditions d'accueil des personnes âgées dans les divers établissements, notamment les hospices. Et c'est pourquoi le gouvernement - le Premier ministre que j'ai le plaisir à voir ici me le disait encore récemment, il est d'ailleurs à peu près chez lui - entend inscrire cette modernisation des hospices, comme une priorité dans les contrats de plan état-région, lesquels contrats de plan ont été précisément mis en place par ses soins, il y a quelques années, alors qu'il avait cette responsabilité.
- Voilà j'ai terminé ! Je vais vous faire une confidence, si vous voulez m'écouter un moment : lorsque j'entends les discours des autres, je les trouve un peu longs. Alors je m'arrête de peur que vous n'ayez déjà éprouvé ce sentiment. Après tout l'important n'est pas de parler, c'est d'agir et je vois que dans cette maison on agit et on agit bien. Je dois en remercier ceux qui en assument la responsabilité, qui ont eu l'esprit assez ouvert et assez moderne pour préparer l'avenir et comprendre les problèmes qui se posent aujourd'hui.
- Eh bien, chers amis à plus tard et bonne chance ! Bonne chance et bon espoir aux retraités et aux personnes du 3ème âge comme on dit ! Mais bonne chance aussi à vos jeunes visiteurs de façon que tous ensemble, vous ayez la joie de vivre mieux en France !.\