8 octobre 1988 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, dans "Les Dernières Nouvelles d'Alsace" le 8 octobre 1988, notamment sur sa rencontre avec le Pape Jean-Paul II, les relations entre l'Europe de l'Est et l'Europe de l'Ouest et la construction européenne.

QUESTION.- Monsieur le Président, vous venez accueillir le Pape, sur le sol de France, en terre d'Europe à Strasbourg. Votre rencontre avec le Saint-Père sera-t-elle seulement protocolaire ou aurez-vous des échanges de vue sur les problèmes actuels ? Si oui, lesquels ?
- LE PRESIDENT.- C'est la troisième fois que j'accueille le Saint-Père en France. Chacune de nos rencontres est l'occasion d'un échange de vues approfondi sur les problèmes du monde actuel, les droits de l'homme, les risques du surarmement, le scandale de la pauvreté et de l'exclusion dans le monde, la situation au Liban, voilà autant de questions dont nous nous entretiendrons avec profit et sur lesquelles la diplomatie de la France et celle du Vatican maintiennent d'étroits contacts.\
QUESTION.- Le Pape parlera également longuement de l'unité européenne, au-delà de la cassure Est-Ouest. Il vient à Strasbourg parler devant les représentants élus non de l'Europe mais d'une moitié d'Europe. Pensez-vous que le processus actuel de dédramatisation des relations Est-Ouest va entraîner un nouveau rapprochement entre les deux Europes ?
- LE PRESIDENT.- Je le souhaite vivement. L'Histoire, la culture, la géographie nous invitent à surmonter patiemment, avec réalisme, la division que la guerre et ses séquelles ont imposée à l'Europe. Nous devons pour cela bâtir une nouvelle conception de la sécurité reposant sur un niveau plus bas d'armements : c'est l'objet de la négociation sur les forces conventionnelles qui s'ouvrira prochainement.
- Nous devons aussi préparer l'avenir. A quoi servirait d'atténuer les effets du Yalta politique, militaire et économique, si devait s'y substituer demain un Yalta culturel ? La France veillera particulièrement à ce que la création du marché unique à l'Ouest n'aboutisse pas à creuser l'écart avec l'Est sur le plan des niveaux de vie et de la civilisation. Des évolutions en cours, émerge lentement l'idée d'une solidarité européenne embrassant l'ensemble du continent.\
QUESTION.- Le gouvernement français a été vivement critiqué après la rencontre à Strasbourg entre le ministre Roland Dumas et Yasser Arafat. Personnellement, vous êtes resté silencieux. Pensez-vous que des progrès sérieux peuvent être envisagés à terme sur la voie de la paix au Proche-Orient ? Comment et à quelles conditions ?
- LE PRESIDENT.- Je vous corrige sur un point : des critiques ont été émises avant la rencontre, pas après.
- Quant à ce que vous appelez mon silence, permettez-moi de vous rappeler que je n'ai jamais perdu une occasion d'exprimer mes vues sur ce conflit et que je l'ai fait, dans les mêmes termes, à la Knesset et dans les capitales arabes. Qu'y a-t-il de critiquable à ce que la France parle avec tous ceux qui, un jour ou l'autre, auront leur mot à dire dans la recherche d'un règlement ?
- J'ai énoncé à la tribune des Nations unies les conditions nécessaires pour progresser vers la paix au Proche-Orient. D'une part, que chacun des partenaires, Israéliens et Palestiniens, fasse sa part de chemin et accepte pour l'autre ce qu'il exige pour lui-même : le droit à l'existence, à l'identité, à la sécurité. D'autre part, que la communauté des nations se comporte en intermédiaire actif en proposant le cadre, celui d'une conférence internationale, où le dialogue pourra, enfin, se nouer.\
QUESTION.- Revenons à l'Europe. La France va assumer la présidence de la Communauté. L'horizon 1992 a d'abord suscité beaucoup d'enthousiasme. Aujourd'hui, c'est la crainte qui domine dans certains secteurs, y compris au gouvernement, sur la TVA par exemple. Le pari de 1992 sera-t-il tenu ?
- LE PRESIDENT.- La suppression des frontières fiscales est un objectif conforme à nos engagements européens, notamment à ceux souscrits par tous les Etats-membres dans l'Acte unique. Il n'est pas question de revenir en arrière et de compromettre la construction européenne.
- Bien entendu l'harmonisation fiscale doit être progressive - afin de tenir compte des contraintes budgétaires nationales - et équitablement répartie entre les Etats-membres. Le Premier ministre a décrit l'ampleur des difficultés que cette harmonisation représente pour la France et l'urgence, à court terme, de consacrer tous nos efforts à l'harmonisation de la fiscalité de l'épargne que la France juge absolument indispensable, parallèlement à la libération des mouvements des capitaux en Europe.\
QUESTION.- Lors du prochain Sommet franco-allemand, deux dossiers intéresseront particulièrement les Alsaciens : le TGV-Est et l'éventuelle création d'un district européen. Ces deux dossiers sont essentiels pour le développement du rôle de "Strasbourg, capitale européenne", à un moment où ce rôle est contesté. Comment comptez-vous faire en sorte que "Strasbourg, capitale de l'Europe" soit concrètement défendue comme une "cause nationale" ?
- LE PRESIDENT.- Vous connaissez l'intérêt que je porte au TGV Est. Dès juillet 1984 j'ai fait mettre en place une commission d'études et de concertation pour en préciser la meilleure configuration et en analyser les retombées économiques et sociales.
- Le projet progresse. Je peux vous confirmer que cette ligne qui reliera Paris au Sud de la République fédérale d'Allemagne doit desservir Strasbourg, confirmant ainsi sa place dans l'Europe.
- Le gouvernement est bien sûr attaché au rôle éminent que joue Strasbourg au sein de la Communauté.\