6 août 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au magazine "Reportages" sur TF1 le 6 août 1988, sur les cadeaux offerts au Président et sur le musée du septennat créé à cet effet à Château-Chinon.

QUESTION.- Monsieur le Président bonjour, merci de nous recevoir. Je voudrais savoir, monsieur le Président, quels sentiments éprouvez-vous devant tant de cadeaux offerts par des gens inconnus du monde entier, plus de cinq par jour vous recevez, paraît-il ?
- LE PRESIDENT.- J'en ignorais le nombre. Ce que je sais, c'est que, d'une part, leur quantité - impressionnante - et leur valeur, souvent me créent un problème pratiquement insoluble : qu'en faire ? Certes, on peut penser à garder pour soi-même quelques objets significatifs ou symboliques qui rappellent de bons moments. Mais c'est vrai pour de petits objets, ce n'est pas vrai pour cette collection impressionnante. Je désirais donc en faire un ensemble, un ensemble qui pouvait avoir une certaine signification culturelle bien que l'origine de ces cadeux soit, par nature, extrêmement disparate. Et c'est pourquoi j'ai songé à créer ce musée à Château-Chinon qu'ils ont appelé, là-bas, "musée du septennat", dont nous allons parler, sans doute, maintenant.\
QUESTION.- J'aurai une question avant de l'aborder, une question peut-être impertinente. Dans les cadeaux, il y avait certains cadeaux : est-ce qu'à l'Elysée vous seriez si mal loti pour que des Français vous envoient de la nourriture et des vêtements ?
- LE PRESIDENT.- La nourriture, c'est périssable et vraiment, à moins de la redistribuer - ce que je fais quand cela arrive - de la redistribuer dans un hôpital, qu'en faire ? Quant aux vêtements, quelquefois il arrive que des pièces de tissus ou des vêtements tout à fait d'intérêt local - mais n'en aient pas moins grand intérêt - dans telle ou telle région du monde, alors-là, en Afrique par exemple, en Inde, j'ai reçu des vêtements que je n'ai pas l'habitude de porter à Paris. Tout au plus, cela peut aller dans une vitrine, dans le musée et intéresser ceux qui iront le voir. Mais pour le porter, ce n'est pas mon habitude. Je voudrais dire simplement : je ne me vois pas très bien faisant mes courses à Paris habillé comme cela.
- QUESTION.- Est-ce que dans tous ces cadeaux que vous avez vus, je suppose, il y en a un qui vous a ému particulièrement dans la masse ?
- LE PRESIDENT.- C'est une question trop particulière, je ne peux pas vous le dire, je ne peux pas improviser...
- QUESTION.- ... un petit objet ?
- LE PRESIDENT.- Il y en a un sûrement, mais comment vous dire ?
- QUESTION.- La littérature est très présente dans tous les cadeaux que vous recevez. Avez-vous assez de place pour mettre tous ces livres ?
- LE PRESIDENT.- Les livres, j'ai d'abord voulu les destiner également à ce musée et je me suis rendu compte que cela prendrait beaucoup de place parce qu'il y a beaucoup de livres, que d'autre part, certains livres de valeur ou d'intérêt culturel ou scientifique indiscutable n'avaient pas exactement leur place-là. Cela devrait être mis à la disposition d'un public qui est un public qui s'y intéresse, le cas échéant, pour des études. Alors, je les ai destinés à Nevers. A Nevers, où il existe un centre culturel, qui s'appelle le Centre culturel Jean Jaurès, qui est géré par la municipalité, et c'est là qu'iront tous les livres que j'ai reçus.\
QUESTION.- Comment vous est venue cette idée de "musée du septennat" au départ ?
- LE PRESIDENT.- Je vous l'ai dit tout à l'heure, que faire de tous ces cadeaux qui sont très intéressants dont certains sont d'ailleurs de grand prix ? Il n'y a pas de raison de garder des cadeaux de grand prix. J'avais vu aux Etats-Unis d'Amérique des Présidents créer des fondations dont certaines sont très intéressantes, et il y a une fondation par Président, c'est devenu presque un usage. Ce sont d'ailleurs des bâtiments très importants. Mais enfin, le musée de Château-Chinon n'est pas sans importance, il a été installé dans un très bel immeuble ancien, fort bien aménagé par l'architecte et le conservateur du musée et les différentes personnes qui travaillent auprès de moi appelées à collaborer à cette oeuvre. J'en suis très content. Donc, l'idée est venue d'elle-même. J'ai vu comment on faisait dans quelques pays, comme les Etats-Unis d'Amérique, sans vouloir imiter, atteindre ce stade qui fait qu'ensuite des chercheurs, des professeurs d'universités, si cela les intéresse, bien, ils seront à Château-Chinon. Un lien personnel entre Château-Chinon et moi, mais c'était aussi à faire de cette petite ville que j'ai longtemps administré, où je compte beaucoup d'amis que j'aime beaucoup, qu'elle puisse avoir en dépôt les objets en question.
- QUESTION.- Je suppose que vous aimez l'art brut, que vous aimez beaucoup l'art, la peinture. J'ai vu qu'il y avait une pièce au musée qui était donc faite de bric et de broc, de petits cadeaux qui donne un aspect de l'"art brut" à côté de l'art officiel, enfin des cadeaux officiels que vous recevez. Est-ce que vous êtes sensible à cette différence de cadeaux ?
- LE PRESIDENT.- Oui, il y a ce que j'aime et ce que je n'aime pas. Je n'aime pas tout de ce que je reçois. Souvent, en effet, des objets de grand prix ne sont pas toujours les plus beaux. Leur matière est riche, leur valeur marchande sans doute. Ce n'est pas mon affaire. Lorsque les deux qualités s'allient : très bien, c'est encore mieux. C'est vrai qu'il y a beaucoup de petits objets, quand je vais dans une province de France où un sculpteur, où un artisan, quelquefois font des objets utiles décorés avec un très grand goût, avec des matériaux du pays, cela j'aime beaucoup, je le reconnais, le côté "artisanat d'art".
- QUESTION.- Est-ce que vous pensez que les cadeaux officiels que vous recevez quand vous recevez des chefs d'Etat, sont le reflet de la culture des...
- LE PRESIDENT.- Oui, quand-même, rares sont ceux - il y en a - qui, au fond, se procurent les cadeaux qu'ils m'offrent dans les grandes capitales occidentales - cela arrive - à Paris, par exemple. C'est vrai qu'un grand joaillier ... la couleur locale n'est pas celle que l'on pourrait attendre. L'objet a de la valeur, son esthétique est souvent réussie, mais la couleur locale, comme vous dites, est asbente. Dans la plupart des cas, tout de même, les chefs d'Etat cherchent à faire plaisir en offrant des objets qui me transmettent un peu certaines impressions de leur histoire ou de leur esthétique particulière. C'est pourquoi cela fait peut-être un peu bric à brac, car il y a de tout dans ce musée, c'est sa nature.
- QUESTION.- Je trouve que le travail qui a été fait sur les salles de l'Afrique, sont des salles absolument splendides et on sent toute l'Afrique, enfin tout ce qu'aime l'Afrique, avec...
- LE PRESIDENT.- Oui, je crois, c'est bien fait. J'ai admiré ce qui a été fait. Je n'y ai pris aucune part. Je ne suis même pas allé à l'inauguration du musée. Cela me paraissait un petit peu ridicule que j'aille à l'inauguration. Mais j'y suis allé comme visiteur déjà, plusieurs fois, et j'ai admiré. Je suis très content que mon initiative ait été aussi bien servie.\
QUESTION.- Une dernière question, monsieur le Président, qu'allez-vous faire de tous les prochains cadeaux, ceux du deuxième septennat ?
- LE PRESIDENT.- Je continue. Ce matin encore, j'ai reçu un magnifique échiquier avec des pièces de porcelaine "biscuit" vraiment belles, et j'ai déjà demandé à mes collaborateurs que cet échiquier prenne la direction du musée.
- QUESTION.- Vous pensez que vous aurez assez de place ?
- LE PRESIDENT.- J'étais à Toronto il y a quelques jours, le gouvernement canadien a bien voulu m'offrir différents cadeaux précieux. Ils sont partis pour Château-Chinon.
- QUESTION.- Quand on voit déjà la place occupée par tous les cadeaux que vous avez reçus..
- LE PRESIDENT.- Ils auront de la peine là-bas. Ils sont obligés d'acheter déjà des vieilles maisons qui se trouvent tout à côté, ils sont boligés de créer un ensemble. Et puis ils sont obligés aussi d'avoir des réserves. Cela leur permettra de modifier leur présentation d'objets. Tant mieux, je crois que tout musée à besoin de réserves, il ne peut pas exposer tout en même temps.
- QUESTION.- Est-ce que je peux vous demander de lire la phrase que vous avez écrite ?
- LE PRESIDENT.- Je ne la connais pas par coeur.
- QUESTION.- Je l'ai là. Parce que je voudrais faire un plan avec votre écriture et puis j'aurai votre voix "off" que je mettrai dans le musée.
- LE PRESIDENT.- "Il m'a paru naturel que les cadeaux reçus dans mes fonctions de Président de la République fussent accessibles à tous. J'ai souhaité que fût crée ce musée du septennat dans le département de la Nièvre qui m'a élu pendant trente-cinq ans, pour le représenter, et, particulièrement à Château-Chinon dont j'ai été le maire de 1959 à 1981".\