21 juin 1988 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le bilan du sommet des pays industrialisés, notamment sur les relations Est-Ouest et l'économie internationale, Toronto, mardi 21 juin 1988.
Mesdames,
- messieurs,
- Le Sommet des grands pays industrialisés qui s'est tenu à Toronto s'achève. Dès ce soir nous serons nombreux à rentrer dans notre pays. Vous avez certainement suivi de très près, de jour en jour, et sans doute d'heure en heure, l'évolution des discussions. Aussi ne pourrais-je vous apprendre grand chose. Quand je vous aurai dit que nous avons parlé des relations Est-Ouest dans le domaine politique £ que nous avons parlé de terrorisme, stupéfiants, trafic de drogue £ que certains problèmes ont été approchés : Moyen-Orient, Afrique du Sud, Cambodge £ que sur le plan économique nous avons traité d'une part le problème de la dette £ et d'autre part, la coordination des politiques économiques, notamment dans le domaine des taux de change, du système monétaire international, sujet qui revient d'année en année, mais qui enregistre quelques progrès même s'ils ne sont pas très sensibles. Enfin, du commerce international et de l'agriculture.
- Je pense que le plus sage est que vous me posiez maintenant et directement les questions de votre choix pour éviter des redites et me permettre de préciser les rares points qui pourraient vous paraître mériter une explication.\
QUESTION.- (Dominique Bromberger - TF1) Monsieur le Président, une question générale d'abord. Dans le passé, vous vous étiez interrogé sur l'utilité des Sommets ... rend hommage aux résultats obtenus par ces Sommets, aux renforcements des liens. Vous avez donc souscrit à ce dernier point, bien évidemment. Qu'est-ce qui vous a amené donc à changer d'avis et pouvez-vous nous donner un jugement général sur ce Sommet ?
- LE PRESIDENT.- Ce qui m'étonne de vous, c'est que vous soyez en retard de trois ans, parce que nous avons déjà eu cette conversation. J'avais demandé en effet que les Sommets puissent changer un peu de contenu et de méthode. Et, il faut reconnaître, à travers les derniers Sommets, notamment Londres, et puis ce qui a suivi, jusqu'à Venise l'année dernière, que l'on a pu en revenir - pas assez - mais quand même très sensiblement, à ce qui était le point de vue initial. C'est-à-dire davantage de conversations directes entre les sept ou plutôt les huit participants, puisque comme vous le savez, la Commission européenne siège parmi nous. Donc le tournant est pris depuis longtemps. L'officialité, le protocole, les cérémonies publiques avaient trop pris le pas sur le reste. Il y avait peut-être aussi, mais c'est d'une autre nature, une tendance à considérer comme acquises des propositions élaborées par tel ou tel grand pays. Ce qui n'était pas de bonnes méthodes. Mais ce défaut a été corrigé, même s'il ne l'a pas été entièrement, ce qui fait que des observations restent utiles. Cela rend utiles et acceptables les Sommets créés en 1974.
- Voilà pourquoi j'ai approuvé qu'un troisième cycle pût commencer. Vous me demandez une opinion de caractère général. C'est peut-être un peu inutile. Ce Sommet s'est passé dans un bon climat. Je crois que tout ce que l'on peut appeler les alentours de ce Sommet ont été bien organisés. Je pense que la presse a dû le sentir. Il y a eu plus que jamais des relations directes entre les huit, d'un caractère vraiment très informel, autour de quelques sujets qui avaient été demandés à tel ou tel d'entre nous qui lançaient des discussions sans qu'aucun de ces exposés initiaux dépassât dix minutes, de sorte qu'il n'y avait pas de trop longs monologues.
- Voilà ce que l'on peut noter. Quant au contenu, nous allons en parler. Il y a eu quelques avancées. J'ai l'impression que l'avancée la plus intéressante est celle qui touche au problème de l'endettement des pays les plus pauvres. Enfin, il n'était pas sans intérêt de parler du reste, notamment du terrorisme.
- Si vous voulez bien on va peut-être entrer dans le détail maintenant, monsieur Bromberger ? Je suis à votre disposition pour continuer cette conversation avec vous et avec les autres personnes qui sont ici.\
QUESTION.- (Paul Nahon - Antenne 2) Est-ce que vous êtes satisfait de la façon dont le problème de la dette a été réglé ici concrètement ?
- LE PRESIDENT.- Chaque pays a fait des propositions, enfin pas tous, mais plusieurs, notamment la France. Vous avez pu remarquer les trois propositions françaises qui ont été elles-mêmes liées par, à la fois, un choix global et un choix particulier. Chacun choisira le thème qu'il préférera avec la nécessité d'harmoniser l'effort de chacun par rapport aux autres. Les trois propositions françaises ont été retenues. Certains problèmes, de caractère constitutionnel, par exemple, se posaient au Japon. Une autre façon de voir se posait pour les Etats-Unis d'Amérique. J'avais indiqué la préférence de la France en faveur d'une réduction - j'avais même chiffré au tiers, d'ailleurs je continue à le chiffrer en ce qui concerne pour notre pays - de la dette des pays les plus pauvres. On va dire une vingtaine d'entre eux. Ce qui n'est pas exclusif des autres mesures d'allègement, d'allongement dans le temps notamment. Je peux donc penser que ce qui marquera l'importance de ce Sommet, même si à l'heure où je m'exprime d'autres questions peuvent venir, c'est le progrès réalisé sur ce terrain. J'en suis donc satisfait tout en pensant qu'il s'agit d'une longue marche.
- QUESTION.- Est-ce que ces mesures sont contraignantes, par exemple contre certains pays qui ont traîné les pieds ou qui ne sont pas d'accord avec l'initiative ? Est-ce qu'ils peuvent de retour dans leur pays, dire "ce n'est pas comme cela que cela va se passer, on va faire autre chose" ?
- LE PRESIDENT.- Votre observation pourrait s'appliquer alors à toute les dispositions prises par tous les Sommets depuis quatorze ans ! Est-ce que c'est contraignant ? C'est une parole donnée entre les pays qui siègent et qui discutent ensemble et qui publient un certain nombre de décisions prises. Alors, il faut faire foi. C'est contraignant moralement. Politiquement, légalement, c'est difficile à dire. Il n'y a pas lieu de penser que les accords qui ont été réalisés sur ce terrain-là soient démentis par les faits. Si tel était le cas, nous aurions de quoi parler l'année prochaine.\
QUESTION.- (Philippe Sassier - Antenne 2) Monsieur le Président, justement, à Paris, l'année prochaine, vous serez l'hôte du prochain Sommet. Comment aimeriez-vous voir se prolonger le Sommet de Toronto ? Quels objectifs aimeriez-vous pour le Sommet de Paris ?
- LE PRESIDENT.- Vous me demandez cela un peu tôt quand même. Je préside le Sommet des sept ou huit depuis un quart d'heure et je pense qu'il faudrait laisser un peu les représentants des différents chefs d'Etat ou de gouvernement se rencontrer. J'ajoute que c'est l'actualité qui propose le plus souvent. J'ai, en tout cas, certainement l'intention de persévérer sur le terrain qui vient d'être cité par M. Nahon, car je ne considère pas la mesure prise - aussi importante qu'elle soit, le progrès est réel - comme suffisante. Donc voilà une direction que j'entreprendrai de nouveau certainement pour la réunion de Paris. Quant aux autres questions, que puis-je vous dire ? J'ai l'impression qu'il y a des questions abordées pour une fois avec beaucoup de précision comme celles de l'environnement qui devrait prendre plus d'importance l'année prochaine. On est maintenant engagés sur ce plan, c'est bien, il faut faire davantage. Seulement, l'actualité, vous savez bien, est toujours dévoreuse des questions. Qu'est-ce qu'elle nous proposera d'ici l'année prochaine ? Nous aurons l'occasion de nous en entretenir certainement.
- Le rôle du Sommet ce n'est pas d'avoir des programmes préconçus un an à l'avance. On traitera les sujets que nous imposeront les événements et on essaiera de continuer de prévoir là où c'est nécessaire. Rappelez-vous à Versailles, l'ordre monétaire international, ici même, le problème de l'endettement et du développement. Et puis, sans aucun doute, au travers des conférences qui se tiennent concomitamment ici et là, le problème de l'organisation commerciale qui continue d'être l'objet de débats assez tendus, sans qu'on puisse vraiment dire qu'on ait abouti. Puisque comme vous le savez, à la question posée par la France et par d'autres, notamment du côté de la Communauté européenne, tout doit marcher de pair. La délibération est globale, elle ne peut pas être appliquée, comme on nous le demande, spécialement à l'agriculture. Il est vrai qu'on en parlera encore pendant quelques temps.\
QUESTION.- (Georges Bortoli) Monsieur le Président, le communiqué politique d'hier marquait une sorte de tournant dans les relations Est-Ouest et ouvrait une possibilité de renforcer les relations économiques et le commerce avec les pays de l'Est. S'agit-il d'une perspective d'avenir ? S'agit-il dans ce domaine, justement, de nouvelles relations économiques avec l'Est, d'un tournant ?
- LE PRESIDENT.- Les relations politiques et militaires avec l'Union soviétique ont connu les évolutions que vous savez au cours de ces derniers mois. Indiscutablement le Sommet après avoir reconnu l'importance de cette décision et son utilité, a souhaité qu'il fût possible de continuer, c'est-à-dire de toucher à d'autres terrains que les forces nucléaires intermédiaires et les forces stratégiques. J'ai insisté une fois de plus, mais avec l'accord de tous, sur la diminution ou leur rééquilibrage des forces dites "conventionnelles" en Europe, sans oublier naturellement les armes chimiques. L'accent a été mis sur les priorités à faire prévaloir à la conférence de Vienne `CSCE`. Donc, sur le plan politique et militaire cette direction est prise et bien prise. Les Français savent que je m'en suis toujours réjoui. Je n'ai jamais bien compris pourquoi il y avait tant de freins au désarmement alors que nous avons tant souffert du surarmement à la condition bien entendu que ce désarmement fût contrôlé et simultané.
- Sur le plan commercial, j'ai observé la même évolution, par rapport à l'Union soviétique, on le sait. Mais on a parlé d'une manière plus explicite des pays d'Europe orientale et chacun a marqué que l'on devait davantage considérer l'identité propre de chacun de ces pays qui sont autant que nous inscrits dans l'histoire de l'Europe. Voilà encore un pas qui commence d'être esquissé, il n'est pas vraiment encore franchi, plusieurs des pays européens n'ont pas pris de retard sur ce terrain-là. Moi, je pense que c'est en effet capital que de considérer qu'en quelques années nous pourrions restituer au continent européen les échanges et les relations qui lui sont nécessaires, même dans le cadre des séparations qui existent.
- QUESTION.- Donc, ils ne doivent pas prendre de retard dans ce domaine?
- LE PRESIDENT.- Absolument, monsieur Bortoli. Vous comprenez vite, mais je le savais déjà.\
QUESTION.- (Alain de Chalvron) Monsieur le Président, on a eu l'impression, sur un certain nombre de sujets, la drogue, les Philippines, l'agriculture, la dette, qu'il y a eu affrontement entre la France et les Etats-Unis. L'affrontement, le mot est peut-être un peu fort, alors je voulais savoir si vous confirmiez cette impression et d'autre part, si vous souscriviez à l'hommage que M. Mulroney a rendu au Président Reagan ?
- LE PRESIDENT.- Quand quelqu'un institutionnellement est appelé à partir après avoir joué un grand rôle dans l'histoire contemporaine, il est normal qu'on lui adresse un salut pour que cette retraite soit heureuse et longue. Cela fait partie de la courtoisie, à quoi s'ajoute le fait que les hommes et les femmes qui se trouvent là ont été appelés à débattre des affaires du monde depuis de longues années, enfin, pour certains d'entre eux. Je ne suis aucunement étonné et surpris - pourquoi le serais-je ? - des hommages ou des politesses qui ont été faites à l'égard de M. Reagan. Simplement, il ne faut pas confondre, c'est comme cela, c'est bien. Nous sommes entre gens qui observent de bonnes règles de convivialité. Tout cela n'a rien à voir, je suppose, avec la politique.
- QUESTION.- Alors, un conflit franco-américain, ce n'est pas exact ?
- LE PRESIDENT.- Non, sur la drogue et sur les Philippines, sur la manière dont les choses ont été présentées, oui £ sur les deux autres, pas spécifiquement. Sur l'agriculture, il y avait en effet deux camps. Mais c'était le camp de la Communauté `européenne` qui était exprimé par d'autres que par moi. Par moi aussi et aussi par le Chancelier Kohl, aussi par M. Declerc qui assistait M. Delors, ou bien par M. Delors, ou bien par M. De Mita etc... Donc, on ne peut pas dire que c'était un affrontement franco-américain, ce ne serait pas juste de dire cela. Simplement, la France épousait la cause de la Communauté `européenne`, surtout dans les discussions autour des problèmes agricoles et des subventions.\
La France souhaite combattre la drogue avec autant de vigueur que ceux qui ont le ton le plus élevé dans ces affaires. Et moi, j'ai toujours pensé qu'on ne règlerait pas le problème de la drogue sans traquer les trafiquants là où ils sont, au plus près de la production de la drogue. Et j'estime qu'une alliance internationale contre les trafiquants de drogue est une guerre nécessaire à mener, sans désemparer. Donc, il ne faut pas qu'il y ait de confusion dans votre esprit.
- Le problème de la drogue est venu dans des conditions et sous une forme qui ne me convenait pas. Pourquoi ? Parce que la tendance de chaque Sommet - et M. Bromberger s'en souviendra, lui qui me posait la première question - ou la tendance des Etats-Unis d'Amérique est de tenter de transformer ces Sommets, ces conférences en institutions permanentes, en laissant chaque fois des organismes qui dureront après la tenue de chaque conférence. Et à cela, je me refuse. Il y a assez d'institutions et d'organismes internationaux qui sont en charge de ces problèmes. Et au nom de quoi est-ce que ces sept pays, plus la Communauté `européenne` décideraient pour le reste du monde ? Je pense en particulier aux autres pays de l'Europe, comme je pense aux pays du tiers monde. C'est un point de vue que j'ai maintenu depuis 1981. Chaque fois qu'un problème se pose sous cet aspect-là, c'était le cas, il y a une initiative américaine, on se réunit à sept, on délibère et quasiment on décide. Ce n'est pas une bonne méthode. Mais que les sept alertent le monde et prennent des initiatives qu'ils communiqueront aux instances qualifiées - et très prochainement on va en débattre à l'Organisation des Nations unies - alors oui. Voilà la façon de poser les problèmes. On retrouvera à peu près la même note d'ambiance sur les Philippines.\
Le cas des Philippines n'a été à aucun moment débattu dans les travaux préparatoires. A aucun moment, il n'en a même pas été question, tout juste la veille du Sommet. Cela arrive trop souvent. Tout à coup le problème des Philippines est présenté, non pas sous le seul aspect économique, mais sous l'aspect stratégique, économique, politique, s'il s'agit d'aider un pays à préserver sa démocratie retrouvée, par l'aide à son développement et au pouvoir d'achat de ses habitants. Mais alors pourquoi spécialement les Philippines ? C'est ce que j'ai fait valoir d'abord sur la méthode. Un pays comme la France n'entend pas se trouver précipité dans un débat dont les conséquences sont multiples, sans discussion préalable. L'Alliance atlantique ne recouvre pas cette partie du monde. S'il s'agit d'avoir un débat stratégique sur la situation des Philippines, je ne m'y refuse pas, mais alors il doit avoir lieu. S'il n'a pas lieu, si on fait comme s'il avait eu lieu, je n'accepte pas. Voilà ce que j'ai fait valoir. Comme vous le savez c'est un amendement français qui a été accepté finalement, dans lequel il est dit, - je ne le connais pas par coeur, mais vous le retrouverez - que la question se pose dans diverses régions du monde, comme l'Afrique, l'Amérique latine, certaines régions d'Asie et du Pacifique, comme les Philippines. Ce qui peut englober dans le raisonnement bien d'autres pays qui n'ont pas été cités nominalement, parce que tel ou tel pays ne trouvait pas cela opportun. Moi, j'ai par exemple parlé de l'Argentine. Si l'on parle de dictature, de démocratie, de démocratie constamment menacée, de pays très endetté, de situation économique très rude qui a besoin d'être aidée par les Nations que nous sommes, pourquoi ne pas parler de l'Argentine ? Je pourrais continuer mon explication. Finalement le compromis a été celui que le ministre des affaires étrangères français `Roland Dumas` a proposé au Sommet.
- QUESTION.- (Elie Vannier) Monsieur le Président, vous avez mis l'accent sur l'endettement des pays les plus pauvres. Il y a deux types de créanciers, public et privé. En ce qui concerne les créanciers privés, un grand nombre de banquiers internationaux ont déjà fait savoir qu'il ne fallait plus leur demander d'effort. Parmi eux, il y a le Président d'une banque nationalisée française `Jean-Maxime Leveque, président du Crédit Lyonnais`. Est-ce qu'il est concevable que l'Etat actionnaire demande sérieusement avec insistance à cette banque de faire des efforts ?
- LE PRESIDENT.- Le Président de banque dont vous me parlez, visiblement a parlé un peu vite, parce qu'il a raisonné sur une question qui n'était pas posée. Ce qui pourrait marquer un préjugé dont je ne comprendrais pas l'origine. Il a été question des aides publiques au développement et des crédits commerciaux garantis par l'Etat, c'est-à-dire aucunement le type de crédit dont ce Président a parlé. La prochaine fois, s'il y a une prochaine fois, il faudrait qu'il réfléchisse davantage.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez mis en valeur la qualité des relations personnelles que vous avez eu entre les huit, est-ce que le rapport que vous a fait M. Reagan, de sa visite à Moscou, vous a éclairé sur un nouvel aspect de la personnalité de Mikhail Gorbatchev que vous ignoriez ? Est-ce que cela vous a ouvert des perspectives nouvelles ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez, au lendemain de ma première rencontre sérieuse, durable avec M. Gorbatchev, j'avais moi-même tiré des conclusions que j'avais communiquées à nos partenaires en prévenant M. Gorbatchev. Nous avions eu quelques sept à huit heures d'entretien en tête à tête, sans parler naturellement des rencontres qui s'étaient déroulées en présence de nos collaborateurs. J'ai rencontré quatre fois M. Gorbatchev, je m'étais fait une idée qui me paraît s'être vérifiée par la suite.
- Est-ce que le Président Reagan a apporté des éclairages complémentaires, oui, sûrement, puisque c'est très récent, et qu'après tout une rencontre entre les deux plus puissants pays du monde présente une singularité que n'ont pas beaucoup d'autres relations. Tous les débats se sont déroulés entre eux sur des problèmes de désarmement qui concernaient leur propre force armée et leur force nucléaire. Donc, cet aspect-là était quand même inédit. J'espère en avoir tiré profit.
- QUESTION.- Vous espérez en tirer profit ?
- LE PRESIDENT.- En comprenant mieux de jour en jour, ayant mis un piquant à la manière de parvenir à imposer les règles, les relations pacifiques plutôt que celles des conflits armés. Faire que la dissuasion nucléaire soit une réalité et qu'elle ne repose pas uniquement sur la quantité et la puissance des armes, qu'elle repose aussi sur bon consentement diplomatique et politique, sur un progrès économique. Si vous voulez que je vous en dise davantage, une fois que ce sera terminé, bien que je sois assez pressé de prendre mon avion, nous pourrons parler tous les deux.\
QUESTION (Jean-Marc Sylvestre - La Cinq).- Est-ce qu'au cours de vos conversations, vous avez abordé le "krach" financier d'octobre 1987, et est-ce que, selon vous, les sept ont la même analyse des raisons et des effets de ce "krach" ? Par ailleurs, est-ce que le Japon vous a semblé sincèrement décidé à ouvrir son marché intérieur ?
- LE PRESIDENT.- On l'a évoqué ce "krach" boursier financier, naturellement, ce qui était d'ailleurs très intéressant pour moi, pour se réjouir d'avoir vu que les institutions, initiatives internationales, notamment entre les sept - cinq, sept - aient pu finalement juguler la crise ou du moins en limiter les effets. Ce qui est quand même nouveau. Or, comme c'était la France qui en 1982 avait obtenu l'institution d'un comité, que présidait déjà Jacques Delors, pour tenter d'harmoniser les positions des uns et des autres en cas de crise afin de réguler le système monétaire international, nous ne pouvons, nous, que nous réjouir d'avoir vu, en effet, les effets limites du grave choc boursier. Au point qu'on peut commencer ou recommencer de parler de croissance, de meilleure distribution, tandis que les monnaies commencent à s'organiser mieux entre elles. Donc, c'est un progrès, cela a été salutaire, et on avait commencé avant. Vous vous rappelez des rencontres qui ont eu lieu au Plazza, les initiatives de M. Baker, les initiatives des uns, des autres, la rencontre du Louvre. Tout cela a montré que l'organisation internationale spécifique aux sept, qui s'appelle Sommet économique avait rempli son office. Je ne peux que m'en réjouir.
- Je me permettrai de noter au passage qu'il y a eu plusieurs tentatives d'hymne au libéralisme intégral, à la loi souveraine du marché. Et je me suis permis plusieurs fois d'interrompre ces hymnes au risque d'y introduire une fausse note, en indiquant qu'il était assez curieux de célébrer à ce point la souveraineté du marché, alors que précisément on venait de se réjouir entre nous d'y avoir mis un terme en organisant, en limitant les effets de cette fausse liberté. Bon alors, vous savez, la vérité elle est comme cela, un peu de cela, un peu de tout. Il faut naturellement qu'il y ait une grande liberté d'initiatives. On ne va pas juguler le marché, cela serait absurde de dire cela. Mais, il faut aussi que des décisions - le cas échéant nationales ou internationales - viennent corriger les effets sauvages des intérêts qui s'affrontent. Voilà ce que je voulais vous dire.
- QUESTION.- Et du Japon, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Alors le Japon, est-ce qu'il s'ouvrira davantage ? Je n'en sais rien. Que les dispositions soient affirmées dans ce sens, oui, plutôt. Ce qui est vrai, c'est qu'il n'y a pas de véritable réglementation protectionniste. Mais que dire des usages, des traditions, des moeurs ? Il y a certainement quelques livres à écrire à ce sujet, ils l'ont sans doute été, il faudra que je les lise, pour montrer que c'est un marché qui est resté peu pénétrable. Cependant le Premier ministre du Japon a fait valoir, en calculant par milliards de yens, de dollars plutôt, que finalement, ils achetaient de plus en plus, ils importaient de plus en plus, ce qui semblait montrer qu'ils s'ouvraient davantage, pardonnez cette logique de La Palice. Mais, est-ce que c'est suffisant ? Je ne pense pas. Voilà pourquoi ce sera certainement un sujet dont on aura l'occasion de reparler.
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QUESTION.- Monsieur le Président, puis-je vous féliciter d'avoir fait coïncider le prochain Sommet avec le bicentenaire de la démocratie et de vous demander si vous avez l'intention d'inviter l'Espagne de prendre part, un autre pays démocratique qui, d'ailleurs, n'est pas anglo-saxon ?
- LE PRESIDENT.- Oui, cela aura une force symbolique indéniable que les partenaires de ces Sommets se retrouvent le 14 juillet 1989. Il y a là une série de coïncidences qui sont celles de l'alphabet ou du tour fixé il y a déjà de longues années qui voudra que, lors du deuxième semestre de 1989, j'aurai à présider l'achèvement de mon mandat de Président du Sommet des pays industrialisés, en même temps que j'aurai à présider la Communauté européenne. Je répète que c'est simplement le calendrier qui a voulu nous faire plaisir.
- Mais enfin, nos partenaires, très gentiment je dois dire, et aussi parce qu'ils attachent beaucoup d'importance aux événements de 1789 en France, ont trouvé excellente l'idée de se trouver à Paris ce jour-là, dans la liesse du peuple français, pour la célébration d'un des grands événements de notre histoire qui est aussi la leur. Bon alors, j'en suis très satisfait et les Français en seront très contents, j'en suis sûr.
- Vous me parlez de l'Espagne. Nous avons d'excellentes relations avec l'Espagne, nous Français. Je succèderai le premier juillet à la présidence de la Communauté `européenne`, à M. Felipe Gonzalez et nous avons déjà l'intention d'organiser l'année 1989 dans une étroite collaboration hispano-française de façon que l'année ait une grande continuité. Nous débattrons déjà, d'ailleurs M. Felipe Gonzalez vient me voir, dans la semaine à Paris, pour beaucoup afin de parler de cela, afin de dessiner, dès le début sous son initiative, sous sa présidence, les grandes lignes de force de l'année 1989, que j'aurai moi à continuer pour le deuxième semestre.
- Quant au deuxième centenaire, je compte bien, naturellement, demander à l'Espagne, et spécialement à mon ami Felipe Gonzalez de se joindre à nous. Le bicentenaire ce n'est pas la fête du Sommet, c'est le Sommet qui veut bien se joindre à toute l'humanité démocratique pour célébrer cet événement. Et l'Espagne sera certainement une des invités les plus proches de nos sentiments.\
QUESTION.- Monsieur le Président, en marge de ce Sommet, vous avez rencontré plusieurs fois M. Mulroney, notamment ce matin en tête-à-tête, comment évaluez-vous, appréciez-vous les chances de la France de remporter le fameux contrat des sous-marins ?
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, si je savais, je ne vous le dirais pas. J'en sais un peu quelque chose, mais vraiment la décision du gouvernement canadien n'est pas prise. On en est au stade des préparatoires ou bien des intentions. Alors, ce serait tout à fait imprudent de dire quoi que ce soit sur ce sujet. C'est un sujet d'actualité, c'est pourquoi vous me posez la question et vous avez bien raison de le faire, mais je ne peux pas vous répondre.
- Nous avons également évoqué d'autres aspects de nos relations bilatérales, notamment ce qui touche à la pêche, vous vous en doutez bien.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que les contacts que vous avez eus avec les autres Européens pendant ce Sommet, ou bien les rencontres en tête-à-tête vous font augurer du bien du prochain Sommet de Hanovre la semaine prochaine ?
- LE PRESIDENT.- J'avais eu l'occasion monsieur Sassier de rencontrer plusieurs des dirigeants européens au cours de la semaine précédente, puisque j'ai reçu successivement, MM. de Mita, Takeshita qui ne seront pas naturellement à Hanovre, qui n'y sera pas, mais qui avait pu au cours de cette rencontre être informé de l'harmonisation de certaines décisions qui intéressent l'un et l'autre des Sommets. Puis j'avais reçu également M. Mulroney et j'ai reçu Mme Thatcher. Certains sujets ont été traités dont on n'a pas parlé, par exemple, j'ai demandé et obtenu sans la moindre difficulté que les sept ou huit, avant les douze - mais les douze aussi interviennent de façon solennelle et à la face du monde - des mesures de clémence du gouvernement d'Afrique du Sud, notamment par rapport aux condamnés de Sharpeville. Mais beaucoup d'autres sujets ont été traités en commun. Le Sommet de Hanovre sauf événement que je ne prévois pas à l'heure où je m'exprime, prend bonne tournure. La grande question qui est celle de la libéralisation des capitaux a été abordée par les négociateurs, Conseil des ministres et les techniciens ou spécialistes, dans des conditions qui me laissent penser qu'il ne pourrait pas y avoir de graves débats, de malentendus au Sommet de Hanovre.
- Il y a la question pendante qui devrait avancer - si l'on voulait bien nous écouter - mais qui rencontre encore des difficultés : c'est celle de la Banque centrale européenne : quid du comité dit "des Sages" ? ou de la réunion d'experts ? Par rapport à ces réunions d'experts, quel sera le rôle du gouverneur ? Tout cela a besoin d'être ajusté. Mais la grande majorité des pays qui se trouveront rassemblés à Hanovre souhaitent avancer. C'est encore la Présidence allemande et l'Allemagne fédérale est très engagée dans ce sens et la France l'appuie entièrement. J'ai eu l'occasion d'en parler au Chancelier Kohl, entretien récent que je n'ai pas cité parmi les visites, c'était d'un autre ordre lorsque nous nous sommes vus à Evian, mais enfin nous en avons parlé et nous avons des intentions semblables. La question reste posée, vous savez, d'autres pays n'ont pas la même position, donc je ne crois pas qu'il puisse y avoir sur la libéralisation des capitaux de difficultés nouvelles. Tout au plus des pays, notamment la France, ont souhaité que progressivement s'harmonisent les dispositions fiscales et les dispositions sociales pour que les capitaux ne soient pas indûment ou injustement attirés seulement vers les pays qui disposeraient de lois fiscales exagérément avantageuses. Tout cela est sur le tapis, mais la France n'en a pas fait un préalable, la France est européenne, elle veut que l'Europe avance.
- D'abord la monnaie, ensuite le dossier banque, même si cela ne paraît pas très logique, mais c'est comme cela que les choses se posent, exigera sans doute plus d'attention encore. Voilà je crois qu'on a dit l'essentiel.\
QUESTION.- Dans le texte du communiqué, il y a une phrase qui dit "Les réductions de toutes les subventions de l'agriculture", quel est le but de cette phrase ? L'élimination éventuelle des subventions ou quelles sortes de réductions est-ce que la France permettra ?
- LE PRESIDENT.- C'est-à-dire que le débat a été posé surtout du côté américain sous la forme de suppression, même à terme, et finalement vous pouvez voir que le terme retenu c'est "réduction". Ici, tout le monde est d'accord, d'ailleurs nous l'avons fait nous-même en Europe, on a pris des dispositions budgétaires relativement sévères et quand on a décidé les quotas laitiers, c'était déjà des réductions de production. Mais ce qui ne serait pas facilement acceptable, c'est de penser que l'Europe pourrait être accusée de protectionnisme sur ce plan et accusée précisément par ceux qui nous battraient sur le "livre des records". Je veux dire sur le livre où l'on aurait inscrit les subventions à l'agriculture. Si chacun - Communauté `européenne`, Etats-Unis d'Amérique - consacre environ des sommes à peu près comparables, 25 milliards de dollars, il y a deux millions et demi d'agriculteurs aux Etats-Unis d'Amérique et 10 millions en Europe. Ce qui veut dire que les propriétaires, les exploitants, producteurs des Etats-Unis d'Amérique sont beaucoup plus subventionnés mais d'une façon peut-être plus astucieuse, c'est-à-dire plus indirecte que les producteurs européens. Que chacun regarde la poutre qu'il a dans l'oeil avant de regarder la paille qui se trouve dans l'oeil du voisin.
- Ces choses saines ayant été dites, sous cette forme ou sous une autre, un deuxième problème se pose, c'est celui de la globalité de la discussion. Nous ne voulons pas que l'on discute, au sein du GATT, que d'agriculture. Nous voulons bien discuter d'agriculture, notamment à Montréal, dans quelques semaines, mais à la condition que les autres dossiers industrie et services avancent en même temps, pour que l'on arrive à des règlements équitables entre les pays membres du GATT. Le Canada a une situation particulière aussi au regard de l'agriculture, vous le savez, très franchement le Canada reconnaît qu'il subventionne lui aussi, si bien que si effort il y a, réduction et non pas suppression, il faut analyser un peu plus loin. A quoi servent ces subventions ? J'ai noté qu'en Europe elles servent à s'aligner sur le prix mondial. J'ai observé que d'un autre côté elles servaient à vendre au-dessous du prix mondial. Ce n'est pas du tout la même chose, si l'on devait donner un ordre de classement entre ces deux formes de subventions, quelles sont les plus nocives, qui s'éloignent le plus des règles commerciales ? C'est de cette manière que nous avons vu les marchés du Maroc et de l'Egypte s'effondrer. Parce que, naturellement, quand on offre des céréales très au-dessous du prix mondial, on a quelques chances de vendre plus facilement que si on s'efforce, comme nous le faisons nous, simplement de nous aligner sur le prix mondial. Enfin je passerai sur tout ce que je n'oserais appeler des détails. Je veux dire que dans cette discussion, il faut vraiment parler franc, mettre les choses sur la table. Constater que tout le monde fait du protectionnisme sous cette forme de subvention, qu'il faut la réduire, mais qu'il faut la réduire simultanément entre pays qui débattent de l'agriculture et simultanément avec les autres pays qui discutent au sein du GATT de l'ensemble des données commerciales dont font partie l'industrie, les normes industrielles, ou bien les services. Bref, personne ne peut être mis en accusation ou bien tout le monde.\
QUESTION (François Feron - Libération).- Monsieur le Président, sur trois sujets de politique étrangère importants, le Moyen-Orient, l'Afrique du Sud et le Cambodge, les chefs d'Etat ont, excusez l'expression, refilé le bébé aux ministres des affaires étrangères. Alors, première question, pourquoi ? Et deuxième question, est-ce que ce n'est pas dommageable à la résolution de ces conflits ?
- LE PRESIDENT.- Vous auriez voulu qu'on soit encore là demain. Remarquez, par rapport à l'importance de ces conflits, cela l'aurait mérité. Je n'ai pas l'impression que le point d'évolution des pensées et des positions politiques des uns et des autres soit suffisamment harmonieux pour aboutir à des textes communs. Il y a ceux qui veulent que des sanctions sévères soient prises à l'égard de l'Afrique du Sud et ceux qui y répugnent. Il y a une appréciation peut-être un peu différente du problème du Cambodge. Faut-il soutenir la position de ceux qui cherchent un compromis ? Enfin, vous connaissez la question. Par rapport au Proche-Orient, il y a quand même une position admise par presque tous, et par tous au sein de la Communauté européenne, celle qui donne la préférence à une conférence internationale de l'ensemble des pays intéressés - ce ne sont pas forcément que les pays de la région - à l'intérieur de laquelle pourrait se dérouler les conversations bilatérales, qui seront un jour ou l'autre nécessaires.
- Je crois que ce sont des dossiers qui ne sont pas assez mûrs entre les participants du Sommet pour que des positions extrêmement claires soient prises. Je crois qu'il fallait dire franchement ces choses.\
QUESTION.- Hier soir, vous avez fait, je crois, un long exposé à propos des questions d'éducation. Quel était votre objectif au travers de cet exposé, et d'autre part, comment peut-on intéresser certains des pays ici présents à ces questions d'éducation, alors qu'ils se sont retirés d'eux-mêmes de l'UNESCO qui s'occupe de ce sujet justement dans le cadre des organisations internationales ?
- LE PRESIDENT.- Mais monsieur, moi j'ai parlé de l'éducation, parce qu'on me l'a demandé. Je n'ai pas cherché tout d'un coup à faire dériver les débats du Sommet sur les problèmes d'éducation. C'est parce que dans l'organisation du Sommet de Toronto, il avait été prévu que le Président français traiterait ou lancerait le débat sur les problèmes d'éducation et le Chancelier allemand `Helmut Kohl` lancerait le débat sur les problèmes d'environnement. Et puis, quelques autres sujets de ce type avec le Président du Conseil des ministres italien `Ciriaco de Mita` et le Premier ministre japonais `Noboru Takeshita`. C'était comme on dit des figures imposées, mais très intéressantes à traiter. Et j'ai trouvé cela comme une des meilleures initiatives de ces dernières années. Que l'on amène les participants sur la base d'une sorte de petit exposé introductif, confié à tel ou tel, à parler d'autre chose que du court terme ou du moyen terme politique. Personnellement, j'ai trouvé que c'était un moyen très heureusement trouvé par M. Mulroney pour engager la discussion entre les personnes qui se trouvent là dans la même salle, qui se connaissent, qui s'entendent ou qui s'opposent sur beaucoup de sujets, mais qui sont des alliés, des amis. C'est un aspect très humain que d'avoir à discuter de problèmes de fond touchant le devenir de l'humanité, en commun.
- Alors, moi, j'ai parlé de l'éducation, du problème du savoir ou de la connaissance, parce que M. Mulroney me l'avait demandé.\
`Suite sur l'éducation`
- Comment ai-je envisagé cela ? Vous le savez, je considère pour la France que rien n'est plus important que d'accorder la priorité, notamment dans le domaine des crédits, du budget, à l'éducation nationale sous ses diverses formes. La pluridisciplinarité, la multiplication des disciplines, le temps de scolarité très jeune depuis la maternelle jusqu'à la fin des études secondaires, le cas échéant supérieures, sans oublier l'éducation permanente de telle sorte que désormais, un long temps de vie de chaque individu, chaque personne humaine, est consacré à l'éducation. De quelle manière peut-on parfaire ce système, surtout à une époque où les techniques changent vite, où beaucoup de gens changent de métier, car l'un des aspects nécessaires de la priorité à l'éducation c'est de permettre à chacun de changer de métier sans trop de souffrance, sans un trop long chômage et même sans chômage du tout, par le fait de la diversité et des qualifications de son savoir.
- J'ai fait -état naturellement des rapports internationaux sur l'analphabétisme et l'illettrisme, pour constater que l'illettrisme faisait des progrès dangereux dans les sociétés dites évolutées. Jusqu'à un sur dix des citoyens de nos pays qui ne pratiquent plus les connaissances élémentaires que sont la lecture, l'écriture ou le calcul numérique. A partir de là, naturellement, on peut extrapoler, c'est-à-dire qu'il faut établir une relation directe, c'est le sens même de notre démarche, entre l'éducation et la formation professionnelle, pour que le débouché de l'école ou de l'université sur le métier, la profession, soit naturel presque instantané. C'est par cette haute qualification qui devrait atteindre au moins 80 % de la population scolaire que l'on créera toutes les conditions du progrès technologique et d'adaptation de chacun de nos pays à une technologie de pointe. Ce qui donnera un élan formidable à nos économies. C'est autour donc de ces idées que le débat a eu lieu, et chacun considérait que si l'éducation et le savoir étaient des éléments indispensables à la libération de l'homme, ce n'était pas un élément suffisant, qu'il y avait beaucoup d'autres données. Le plus savant n'est pas forcément le plus heureux, et le plus savant n'est pas forcément le plus raisonnable. J'ai naturellement évoqué la grande science du berger de l'antiquité qui passait ses nuits à considérer le ciel et qui en savait beaucoup plus que moi aujourd'hui qui m'exprime devant vous à Toronto, sur l'astronomie. D'humbles bergers qui ne savaient rien d'autre, que conduire leur troupeau. Enfin, cela c'est un débat philosophique constant que l'on retrouvera toujours. Il faut bien ajouter quelques données de morale et de règles de vie en commun, si l'on veut que l'éducation serve à quelque chose.
- Cependant, ne poussons pas trop loin ce raisonnement, je suis de ceux qui pensent que ceux qui vivent dans l'ignorance sont voués à devenir esclaves. C'est donc une forme de libération de l'homme que de s'initier au savoir et ensuite d'aller plus loin.
- Voilà, je viens de vous dire à peu près ce que j'ai dit hier. Je n'ai pas parlé plus longtemps. Ce qui veut dire que cela n'a pas été véritablement une matière à conférence, mais cela, je crois, était l'objet d'une discussion intéressante pendant 1 h 30.\
QUESTION.- Une question un peu plus locale. Est-ce que vous avez fait quelques progrès sur la vente de sous-marins "Améthiste" avec M. Mulroney, ou sur la résolution de la dispute sur les îles Saint-Pierre-et-Miquelon et les droits de pêche ?
- LE PRESIDENT.- M. Nahon m'a déjà posé la question. M. Nahon, journaliste français et j'ai répondu peut-être un peu vite puisque vous ne l'aviez pas remarqué, il est exact que M. Mulroney et moi nous nous sommes entretenus de ces sujets, et ce n'est pas la première fois, mais pour les histoires de sous-marins, je suis hors d'-état de vous informer utilement aujourd'hui sur ce que sera la décision canadienne. C'est un pays souverain, il s'exprimera quand il voudra. Quant à la pêche, oui, nous avons eu un dialogue avec M. Mulroney, une rencontre consacrée à nos problèmes bilatéraux, et celui-là se situe en première ligne, et nous avons donné mandat aux négociateurs que nous avons choisis. Un négociateur du côté canadien, un négociateur du côté français qui nous ont déjà soumis des propositions intéressantes. Nous avons précisé nos instructions dans la journée même, et nous connaîtrons le point de leurs ultimes conversations dans les jours qui viennent, afin de régler cette affaire pénible.\
QUESTION.- J'ai une dernière question à vous poser monsieur le Président.
- LE PRESIDENT.- D'accord, et on arrêtera là après.
- QUESTION.- Pensez-vous que dans un prochain Sommet, celui de Paris, ou dans les autres, il soit envisageable d'ouvrir ce Sommet des pays industrialisés, à des pays qui comptent de plus en plus, je veux parler des nouveaux pays industrialisés du Pacifique.
- LE PRESIDENT.- Par exemple, il a été dit que serait communiqués un certain nombre d'informations, d'échanges de vue avec certains de ces nouveaux pays industrialisés. On pense en particulier à l'Extrême-Orient. C'est vrai, des questions se posent, on ne peut pas continuer de travailler en les ignorant. Mais enfin, il n'est pas question - dans la mesure de mes connaissances - d'élargir pour l'instant les sept ou huit à d'autres pays. Mais les relations entre ce Sommet et d'autres pays, oui.\
- messieurs,
- Le Sommet des grands pays industrialisés qui s'est tenu à Toronto s'achève. Dès ce soir nous serons nombreux à rentrer dans notre pays. Vous avez certainement suivi de très près, de jour en jour, et sans doute d'heure en heure, l'évolution des discussions. Aussi ne pourrais-je vous apprendre grand chose. Quand je vous aurai dit que nous avons parlé des relations Est-Ouest dans le domaine politique £ que nous avons parlé de terrorisme, stupéfiants, trafic de drogue £ que certains problèmes ont été approchés : Moyen-Orient, Afrique du Sud, Cambodge £ que sur le plan économique nous avons traité d'une part le problème de la dette £ et d'autre part, la coordination des politiques économiques, notamment dans le domaine des taux de change, du système monétaire international, sujet qui revient d'année en année, mais qui enregistre quelques progrès même s'ils ne sont pas très sensibles. Enfin, du commerce international et de l'agriculture.
- Je pense que le plus sage est que vous me posiez maintenant et directement les questions de votre choix pour éviter des redites et me permettre de préciser les rares points qui pourraient vous paraître mériter une explication.\
QUESTION.- (Dominique Bromberger - TF1) Monsieur le Président, une question générale d'abord. Dans le passé, vous vous étiez interrogé sur l'utilité des Sommets ... rend hommage aux résultats obtenus par ces Sommets, aux renforcements des liens. Vous avez donc souscrit à ce dernier point, bien évidemment. Qu'est-ce qui vous a amené donc à changer d'avis et pouvez-vous nous donner un jugement général sur ce Sommet ?
- LE PRESIDENT.- Ce qui m'étonne de vous, c'est que vous soyez en retard de trois ans, parce que nous avons déjà eu cette conversation. J'avais demandé en effet que les Sommets puissent changer un peu de contenu et de méthode. Et, il faut reconnaître, à travers les derniers Sommets, notamment Londres, et puis ce qui a suivi, jusqu'à Venise l'année dernière, que l'on a pu en revenir - pas assez - mais quand même très sensiblement, à ce qui était le point de vue initial. C'est-à-dire davantage de conversations directes entre les sept ou plutôt les huit participants, puisque comme vous le savez, la Commission européenne siège parmi nous. Donc le tournant est pris depuis longtemps. L'officialité, le protocole, les cérémonies publiques avaient trop pris le pas sur le reste. Il y avait peut-être aussi, mais c'est d'une autre nature, une tendance à considérer comme acquises des propositions élaborées par tel ou tel grand pays. Ce qui n'était pas de bonnes méthodes. Mais ce défaut a été corrigé, même s'il ne l'a pas été entièrement, ce qui fait que des observations restent utiles. Cela rend utiles et acceptables les Sommets créés en 1974.
- Voilà pourquoi j'ai approuvé qu'un troisième cycle pût commencer. Vous me demandez une opinion de caractère général. C'est peut-être un peu inutile. Ce Sommet s'est passé dans un bon climat. Je crois que tout ce que l'on peut appeler les alentours de ce Sommet ont été bien organisés. Je pense que la presse a dû le sentir. Il y a eu plus que jamais des relations directes entre les huit, d'un caractère vraiment très informel, autour de quelques sujets qui avaient été demandés à tel ou tel d'entre nous qui lançaient des discussions sans qu'aucun de ces exposés initiaux dépassât dix minutes, de sorte qu'il n'y avait pas de trop longs monologues.
- Voilà ce que l'on peut noter. Quant au contenu, nous allons en parler. Il y a eu quelques avancées. J'ai l'impression que l'avancée la plus intéressante est celle qui touche au problème de l'endettement des pays les plus pauvres. Enfin, il n'était pas sans intérêt de parler du reste, notamment du terrorisme.
- Si vous voulez bien on va peut-être entrer dans le détail maintenant, monsieur Bromberger ? Je suis à votre disposition pour continuer cette conversation avec vous et avec les autres personnes qui sont ici.\
QUESTION.- (Paul Nahon - Antenne 2) Est-ce que vous êtes satisfait de la façon dont le problème de la dette a été réglé ici concrètement ?
- LE PRESIDENT.- Chaque pays a fait des propositions, enfin pas tous, mais plusieurs, notamment la France. Vous avez pu remarquer les trois propositions françaises qui ont été elles-mêmes liées par, à la fois, un choix global et un choix particulier. Chacun choisira le thème qu'il préférera avec la nécessité d'harmoniser l'effort de chacun par rapport aux autres. Les trois propositions françaises ont été retenues. Certains problèmes, de caractère constitutionnel, par exemple, se posaient au Japon. Une autre façon de voir se posait pour les Etats-Unis d'Amérique. J'avais indiqué la préférence de la France en faveur d'une réduction - j'avais même chiffré au tiers, d'ailleurs je continue à le chiffrer en ce qui concerne pour notre pays - de la dette des pays les plus pauvres. On va dire une vingtaine d'entre eux. Ce qui n'est pas exclusif des autres mesures d'allègement, d'allongement dans le temps notamment. Je peux donc penser que ce qui marquera l'importance de ce Sommet, même si à l'heure où je m'exprime d'autres questions peuvent venir, c'est le progrès réalisé sur ce terrain. J'en suis donc satisfait tout en pensant qu'il s'agit d'une longue marche.
- QUESTION.- Est-ce que ces mesures sont contraignantes, par exemple contre certains pays qui ont traîné les pieds ou qui ne sont pas d'accord avec l'initiative ? Est-ce qu'ils peuvent de retour dans leur pays, dire "ce n'est pas comme cela que cela va se passer, on va faire autre chose" ?
- LE PRESIDENT.- Votre observation pourrait s'appliquer alors à toute les dispositions prises par tous les Sommets depuis quatorze ans ! Est-ce que c'est contraignant ? C'est une parole donnée entre les pays qui siègent et qui discutent ensemble et qui publient un certain nombre de décisions prises. Alors, il faut faire foi. C'est contraignant moralement. Politiquement, légalement, c'est difficile à dire. Il n'y a pas lieu de penser que les accords qui ont été réalisés sur ce terrain-là soient démentis par les faits. Si tel était le cas, nous aurions de quoi parler l'année prochaine.\
QUESTION.- (Philippe Sassier - Antenne 2) Monsieur le Président, justement, à Paris, l'année prochaine, vous serez l'hôte du prochain Sommet. Comment aimeriez-vous voir se prolonger le Sommet de Toronto ? Quels objectifs aimeriez-vous pour le Sommet de Paris ?
- LE PRESIDENT.- Vous me demandez cela un peu tôt quand même. Je préside le Sommet des sept ou huit depuis un quart d'heure et je pense qu'il faudrait laisser un peu les représentants des différents chefs d'Etat ou de gouvernement se rencontrer. J'ajoute que c'est l'actualité qui propose le plus souvent. J'ai, en tout cas, certainement l'intention de persévérer sur le terrain qui vient d'être cité par M. Nahon, car je ne considère pas la mesure prise - aussi importante qu'elle soit, le progrès est réel - comme suffisante. Donc voilà une direction que j'entreprendrai de nouveau certainement pour la réunion de Paris. Quant aux autres questions, que puis-je vous dire ? J'ai l'impression qu'il y a des questions abordées pour une fois avec beaucoup de précision comme celles de l'environnement qui devrait prendre plus d'importance l'année prochaine. On est maintenant engagés sur ce plan, c'est bien, il faut faire davantage. Seulement, l'actualité, vous savez bien, est toujours dévoreuse des questions. Qu'est-ce qu'elle nous proposera d'ici l'année prochaine ? Nous aurons l'occasion de nous en entretenir certainement.
- Le rôle du Sommet ce n'est pas d'avoir des programmes préconçus un an à l'avance. On traitera les sujets que nous imposeront les événements et on essaiera de continuer de prévoir là où c'est nécessaire. Rappelez-vous à Versailles, l'ordre monétaire international, ici même, le problème de l'endettement et du développement. Et puis, sans aucun doute, au travers des conférences qui se tiennent concomitamment ici et là, le problème de l'organisation commerciale qui continue d'être l'objet de débats assez tendus, sans qu'on puisse vraiment dire qu'on ait abouti. Puisque comme vous le savez, à la question posée par la France et par d'autres, notamment du côté de la Communauté européenne, tout doit marcher de pair. La délibération est globale, elle ne peut pas être appliquée, comme on nous le demande, spécialement à l'agriculture. Il est vrai qu'on en parlera encore pendant quelques temps.\
QUESTION.- (Georges Bortoli) Monsieur le Président, le communiqué politique d'hier marquait une sorte de tournant dans les relations Est-Ouest et ouvrait une possibilité de renforcer les relations économiques et le commerce avec les pays de l'Est. S'agit-il d'une perspective d'avenir ? S'agit-il dans ce domaine, justement, de nouvelles relations économiques avec l'Est, d'un tournant ?
- LE PRESIDENT.- Les relations politiques et militaires avec l'Union soviétique ont connu les évolutions que vous savez au cours de ces derniers mois. Indiscutablement le Sommet après avoir reconnu l'importance de cette décision et son utilité, a souhaité qu'il fût possible de continuer, c'est-à-dire de toucher à d'autres terrains que les forces nucléaires intermédiaires et les forces stratégiques. J'ai insisté une fois de plus, mais avec l'accord de tous, sur la diminution ou leur rééquilibrage des forces dites "conventionnelles" en Europe, sans oublier naturellement les armes chimiques. L'accent a été mis sur les priorités à faire prévaloir à la conférence de Vienne `CSCE`. Donc, sur le plan politique et militaire cette direction est prise et bien prise. Les Français savent que je m'en suis toujours réjoui. Je n'ai jamais bien compris pourquoi il y avait tant de freins au désarmement alors que nous avons tant souffert du surarmement à la condition bien entendu que ce désarmement fût contrôlé et simultané.
- Sur le plan commercial, j'ai observé la même évolution, par rapport à l'Union soviétique, on le sait. Mais on a parlé d'une manière plus explicite des pays d'Europe orientale et chacun a marqué que l'on devait davantage considérer l'identité propre de chacun de ces pays qui sont autant que nous inscrits dans l'histoire de l'Europe. Voilà encore un pas qui commence d'être esquissé, il n'est pas vraiment encore franchi, plusieurs des pays européens n'ont pas pris de retard sur ce terrain-là. Moi, je pense que c'est en effet capital que de considérer qu'en quelques années nous pourrions restituer au continent européen les échanges et les relations qui lui sont nécessaires, même dans le cadre des séparations qui existent.
- QUESTION.- Donc, ils ne doivent pas prendre de retard dans ce domaine?
- LE PRESIDENT.- Absolument, monsieur Bortoli. Vous comprenez vite, mais je le savais déjà.\
QUESTION.- (Alain de Chalvron) Monsieur le Président, on a eu l'impression, sur un certain nombre de sujets, la drogue, les Philippines, l'agriculture, la dette, qu'il y a eu affrontement entre la France et les Etats-Unis. L'affrontement, le mot est peut-être un peu fort, alors je voulais savoir si vous confirmiez cette impression et d'autre part, si vous souscriviez à l'hommage que M. Mulroney a rendu au Président Reagan ?
- LE PRESIDENT.- Quand quelqu'un institutionnellement est appelé à partir après avoir joué un grand rôle dans l'histoire contemporaine, il est normal qu'on lui adresse un salut pour que cette retraite soit heureuse et longue. Cela fait partie de la courtoisie, à quoi s'ajoute le fait que les hommes et les femmes qui se trouvent là ont été appelés à débattre des affaires du monde depuis de longues années, enfin, pour certains d'entre eux. Je ne suis aucunement étonné et surpris - pourquoi le serais-je ? - des hommages ou des politesses qui ont été faites à l'égard de M. Reagan. Simplement, il ne faut pas confondre, c'est comme cela, c'est bien. Nous sommes entre gens qui observent de bonnes règles de convivialité. Tout cela n'a rien à voir, je suppose, avec la politique.
- QUESTION.- Alors, un conflit franco-américain, ce n'est pas exact ?
- LE PRESIDENT.- Non, sur la drogue et sur les Philippines, sur la manière dont les choses ont été présentées, oui £ sur les deux autres, pas spécifiquement. Sur l'agriculture, il y avait en effet deux camps. Mais c'était le camp de la Communauté `européenne` qui était exprimé par d'autres que par moi. Par moi aussi et aussi par le Chancelier Kohl, aussi par M. Declerc qui assistait M. Delors, ou bien par M. Delors, ou bien par M. De Mita etc... Donc, on ne peut pas dire que c'était un affrontement franco-américain, ce ne serait pas juste de dire cela. Simplement, la France épousait la cause de la Communauté `européenne`, surtout dans les discussions autour des problèmes agricoles et des subventions.\
La France souhaite combattre la drogue avec autant de vigueur que ceux qui ont le ton le plus élevé dans ces affaires. Et moi, j'ai toujours pensé qu'on ne règlerait pas le problème de la drogue sans traquer les trafiquants là où ils sont, au plus près de la production de la drogue. Et j'estime qu'une alliance internationale contre les trafiquants de drogue est une guerre nécessaire à mener, sans désemparer. Donc, il ne faut pas qu'il y ait de confusion dans votre esprit.
- Le problème de la drogue est venu dans des conditions et sous une forme qui ne me convenait pas. Pourquoi ? Parce que la tendance de chaque Sommet - et M. Bromberger s'en souviendra, lui qui me posait la première question - ou la tendance des Etats-Unis d'Amérique est de tenter de transformer ces Sommets, ces conférences en institutions permanentes, en laissant chaque fois des organismes qui dureront après la tenue de chaque conférence. Et à cela, je me refuse. Il y a assez d'institutions et d'organismes internationaux qui sont en charge de ces problèmes. Et au nom de quoi est-ce que ces sept pays, plus la Communauté `européenne` décideraient pour le reste du monde ? Je pense en particulier aux autres pays de l'Europe, comme je pense aux pays du tiers monde. C'est un point de vue que j'ai maintenu depuis 1981. Chaque fois qu'un problème se pose sous cet aspect-là, c'était le cas, il y a une initiative américaine, on se réunit à sept, on délibère et quasiment on décide. Ce n'est pas une bonne méthode. Mais que les sept alertent le monde et prennent des initiatives qu'ils communiqueront aux instances qualifiées - et très prochainement on va en débattre à l'Organisation des Nations unies - alors oui. Voilà la façon de poser les problèmes. On retrouvera à peu près la même note d'ambiance sur les Philippines.\
Le cas des Philippines n'a été à aucun moment débattu dans les travaux préparatoires. A aucun moment, il n'en a même pas été question, tout juste la veille du Sommet. Cela arrive trop souvent. Tout à coup le problème des Philippines est présenté, non pas sous le seul aspect économique, mais sous l'aspect stratégique, économique, politique, s'il s'agit d'aider un pays à préserver sa démocratie retrouvée, par l'aide à son développement et au pouvoir d'achat de ses habitants. Mais alors pourquoi spécialement les Philippines ? C'est ce que j'ai fait valoir d'abord sur la méthode. Un pays comme la France n'entend pas se trouver précipité dans un débat dont les conséquences sont multiples, sans discussion préalable. L'Alliance atlantique ne recouvre pas cette partie du monde. S'il s'agit d'avoir un débat stratégique sur la situation des Philippines, je ne m'y refuse pas, mais alors il doit avoir lieu. S'il n'a pas lieu, si on fait comme s'il avait eu lieu, je n'accepte pas. Voilà ce que j'ai fait valoir. Comme vous le savez c'est un amendement français qui a été accepté finalement, dans lequel il est dit, - je ne le connais pas par coeur, mais vous le retrouverez - que la question se pose dans diverses régions du monde, comme l'Afrique, l'Amérique latine, certaines régions d'Asie et du Pacifique, comme les Philippines. Ce qui peut englober dans le raisonnement bien d'autres pays qui n'ont pas été cités nominalement, parce que tel ou tel pays ne trouvait pas cela opportun. Moi, j'ai par exemple parlé de l'Argentine. Si l'on parle de dictature, de démocratie, de démocratie constamment menacée, de pays très endetté, de situation économique très rude qui a besoin d'être aidée par les Nations que nous sommes, pourquoi ne pas parler de l'Argentine ? Je pourrais continuer mon explication. Finalement le compromis a été celui que le ministre des affaires étrangères français `Roland Dumas` a proposé au Sommet.
- QUESTION.- (Elie Vannier) Monsieur le Président, vous avez mis l'accent sur l'endettement des pays les plus pauvres. Il y a deux types de créanciers, public et privé. En ce qui concerne les créanciers privés, un grand nombre de banquiers internationaux ont déjà fait savoir qu'il ne fallait plus leur demander d'effort. Parmi eux, il y a le Président d'une banque nationalisée française `Jean-Maxime Leveque, président du Crédit Lyonnais`. Est-ce qu'il est concevable que l'Etat actionnaire demande sérieusement avec insistance à cette banque de faire des efforts ?
- LE PRESIDENT.- Le Président de banque dont vous me parlez, visiblement a parlé un peu vite, parce qu'il a raisonné sur une question qui n'était pas posée. Ce qui pourrait marquer un préjugé dont je ne comprendrais pas l'origine. Il a été question des aides publiques au développement et des crédits commerciaux garantis par l'Etat, c'est-à-dire aucunement le type de crédit dont ce Président a parlé. La prochaine fois, s'il y a une prochaine fois, il faudrait qu'il réfléchisse davantage.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez mis en valeur la qualité des relations personnelles que vous avez eu entre les huit, est-ce que le rapport que vous a fait M. Reagan, de sa visite à Moscou, vous a éclairé sur un nouvel aspect de la personnalité de Mikhail Gorbatchev que vous ignoriez ? Est-ce que cela vous a ouvert des perspectives nouvelles ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez, au lendemain de ma première rencontre sérieuse, durable avec M. Gorbatchev, j'avais moi-même tiré des conclusions que j'avais communiquées à nos partenaires en prévenant M. Gorbatchev. Nous avions eu quelques sept à huit heures d'entretien en tête à tête, sans parler naturellement des rencontres qui s'étaient déroulées en présence de nos collaborateurs. J'ai rencontré quatre fois M. Gorbatchev, je m'étais fait une idée qui me paraît s'être vérifiée par la suite.
- Est-ce que le Président Reagan a apporté des éclairages complémentaires, oui, sûrement, puisque c'est très récent, et qu'après tout une rencontre entre les deux plus puissants pays du monde présente une singularité que n'ont pas beaucoup d'autres relations. Tous les débats se sont déroulés entre eux sur des problèmes de désarmement qui concernaient leur propre force armée et leur force nucléaire. Donc, cet aspect-là était quand même inédit. J'espère en avoir tiré profit.
- QUESTION.- Vous espérez en tirer profit ?
- LE PRESIDENT.- En comprenant mieux de jour en jour, ayant mis un piquant à la manière de parvenir à imposer les règles, les relations pacifiques plutôt que celles des conflits armés. Faire que la dissuasion nucléaire soit une réalité et qu'elle ne repose pas uniquement sur la quantité et la puissance des armes, qu'elle repose aussi sur bon consentement diplomatique et politique, sur un progrès économique. Si vous voulez que je vous en dise davantage, une fois que ce sera terminé, bien que je sois assez pressé de prendre mon avion, nous pourrons parler tous les deux.\
QUESTION (Jean-Marc Sylvestre - La Cinq).- Est-ce qu'au cours de vos conversations, vous avez abordé le "krach" financier d'octobre 1987, et est-ce que, selon vous, les sept ont la même analyse des raisons et des effets de ce "krach" ? Par ailleurs, est-ce que le Japon vous a semblé sincèrement décidé à ouvrir son marché intérieur ?
- LE PRESIDENT.- On l'a évoqué ce "krach" boursier financier, naturellement, ce qui était d'ailleurs très intéressant pour moi, pour se réjouir d'avoir vu que les institutions, initiatives internationales, notamment entre les sept - cinq, sept - aient pu finalement juguler la crise ou du moins en limiter les effets. Ce qui est quand même nouveau. Or, comme c'était la France qui en 1982 avait obtenu l'institution d'un comité, que présidait déjà Jacques Delors, pour tenter d'harmoniser les positions des uns et des autres en cas de crise afin de réguler le système monétaire international, nous ne pouvons, nous, que nous réjouir d'avoir vu, en effet, les effets limites du grave choc boursier. Au point qu'on peut commencer ou recommencer de parler de croissance, de meilleure distribution, tandis que les monnaies commencent à s'organiser mieux entre elles. Donc, c'est un progrès, cela a été salutaire, et on avait commencé avant. Vous vous rappelez des rencontres qui ont eu lieu au Plazza, les initiatives de M. Baker, les initiatives des uns, des autres, la rencontre du Louvre. Tout cela a montré que l'organisation internationale spécifique aux sept, qui s'appelle Sommet économique avait rempli son office. Je ne peux que m'en réjouir.
- Je me permettrai de noter au passage qu'il y a eu plusieurs tentatives d'hymne au libéralisme intégral, à la loi souveraine du marché. Et je me suis permis plusieurs fois d'interrompre ces hymnes au risque d'y introduire une fausse note, en indiquant qu'il était assez curieux de célébrer à ce point la souveraineté du marché, alors que précisément on venait de se réjouir entre nous d'y avoir mis un terme en organisant, en limitant les effets de cette fausse liberté. Bon alors, vous savez, la vérité elle est comme cela, un peu de cela, un peu de tout. Il faut naturellement qu'il y ait une grande liberté d'initiatives. On ne va pas juguler le marché, cela serait absurde de dire cela. Mais, il faut aussi que des décisions - le cas échéant nationales ou internationales - viennent corriger les effets sauvages des intérêts qui s'affrontent. Voilà ce que je voulais vous dire.
- QUESTION.- Et du Japon, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Alors le Japon, est-ce qu'il s'ouvrira davantage ? Je n'en sais rien. Que les dispositions soient affirmées dans ce sens, oui, plutôt. Ce qui est vrai, c'est qu'il n'y a pas de véritable réglementation protectionniste. Mais que dire des usages, des traditions, des moeurs ? Il y a certainement quelques livres à écrire à ce sujet, ils l'ont sans doute été, il faudra que je les lise, pour montrer que c'est un marché qui est resté peu pénétrable. Cependant le Premier ministre du Japon a fait valoir, en calculant par milliards de yens, de dollars plutôt, que finalement, ils achetaient de plus en plus, ils importaient de plus en plus, ce qui semblait montrer qu'ils s'ouvraient davantage, pardonnez cette logique de La Palice. Mais, est-ce que c'est suffisant ? Je ne pense pas. Voilà pourquoi ce sera certainement un sujet dont on aura l'occasion de reparler.
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QUESTION.- Monsieur le Président, puis-je vous féliciter d'avoir fait coïncider le prochain Sommet avec le bicentenaire de la démocratie et de vous demander si vous avez l'intention d'inviter l'Espagne de prendre part, un autre pays démocratique qui, d'ailleurs, n'est pas anglo-saxon ?
- LE PRESIDENT.- Oui, cela aura une force symbolique indéniable que les partenaires de ces Sommets se retrouvent le 14 juillet 1989. Il y a là une série de coïncidences qui sont celles de l'alphabet ou du tour fixé il y a déjà de longues années qui voudra que, lors du deuxième semestre de 1989, j'aurai à présider l'achèvement de mon mandat de Président du Sommet des pays industrialisés, en même temps que j'aurai à présider la Communauté européenne. Je répète que c'est simplement le calendrier qui a voulu nous faire plaisir.
- Mais enfin, nos partenaires, très gentiment je dois dire, et aussi parce qu'ils attachent beaucoup d'importance aux événements de 1789 en France, ont trouvé excellente l'idée de se trouver à Paris ce jour-là, dans la liesse du peuple français, pour la célébration d'un des grands événements de notre histoire qui est aussi la leur. Bon alors, j'en suis très satisfait et les Français en seront très contents, j'en suis sûr.
- Vous me parlez de l'Espagne. Nous avons d'excellentes relations avec l'Espagne, nous Français. Je succèderai le premier juillet à la présidence de la Communauté `européenne`, à M. Felipe Gonzalez et nous avons déjà l'intention d'organiser l'année 1989 dans une étroite collaboration hispano-française de façon que l'année ait une grande continuité. Nous débattrons déjà, d'ailleurs M. Felipe Gonzalez vient me voir, dans la semaine à Paris, pour beaucoup afin de parler de cela, afin de dessiner, dès le début sous son initiative, sous sa présidence, les grandes lignes de force de l'année 1989, que j'aurai moi à continuer pour le deuxième semestre.
- Quant au deuxième centenaire, je compte bien, naturellement, demander à l'Espagne, et spécialement à mon ami Felipe Gonzalez de se joindre à nous. Le bicentenaire ce n'est pas la fête du Sommet, c'est le Sommet qui veut bien se joindre à toute l'humanité démocratique pour célébrer cet événement. Et l'Espagne sera certainement une des invités les plus proches de nos sentiments.\
QUESTION.- Monsieur le Président, en marge de ce Sommet, vous avez rencontré plusieurs fois M. Mulroney, notamment ce matin en tête-à-tête, comment évaluez-vous, appréciez-vous les chances de la France de remporter le fameux contrat des sous-marins ?
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, si je savais, je ne vous le dirais pas. J'en sais un peu quelque chose, mais vraiment la décision du gouvernement canadien n'est pas prise. On en est au stade des préparatoires ou bien des intentions. Alors, ce serait tout à fait imprudent de dire quoi que ce soit sur ce sujet. C'est un sujet d'actualité, c'est pourquoi vous me posez la question et vous avez bien raison de le faire, mais je ne peux pas vous répondre.
- Nous avons également évoqué d'autres aspects de nos relations bilatérales, notamment ce qui touche à la pêche, vous vous en doutez bien.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que les contacts que vous avez eus avec les autres Européens pendant ce Sommet, ou bien les rencontres en tête-à-tête vous font augurer du bien du prochain Sommet de Hanovre la semaine prochaine ?
- LE PRESIDENT.- J'avais eu l'occasion monsieur Sassier de rencontrer plusieurs des dirigeants européens au cours de la semaine précédente, puisque j'ai reçu successivement, MM. de Mita, Takeshita qui ne seront pas naturellement à Hanovre, qui n'y sera pas, mais qui avait pu au cours de cette rencontre être informé de l'harmonisation de certaines décisions qui intéressent l'un et l'autre des Sommets. Puis j'avais reçu également M. Mulroney et j'ai reçu Mme Thatcher. Certains sujets ont été traités dont on n'a pas parlé, par exemple, j'ai demandé et obtenu sans la moindre difficulté que les sept ou huit, avant les douze - mais les douze aussi interviennent de façon solennelle et à la face du monde - des mesures de clémence du gouvernement d'Afrique du Sud, notamment par rapport aux condamnés de Sharpeville. Mais beaucoup d'autres sujets ont été traités en commun. Le Sommet de Hanovre sauf événement que je ne prévois pas à l'heure où je m'exprime, prend bonne tournure. La grande question qui est celle de la libéralisation des capitaux a été abordée par les négociateurs, Conseil des ministres et les techniciens ou spécialistes, dans des conditions qui me laissent penser qu'il ne pourrait pas y avoir de graves débats, de malentendus au Sommet de Hanovre.
- Il y a la question pendante qui devrait avancer - si l'on voulait bien nous écouter - mais qui rencontre encore des difficultés : c'est celle de la Banque centrale européenne : quid du comité dit "des Sages" ? ou de la réunion d'experts ? Par rapport à ces réunions d'experts, quel sera le rôle du gouverneur ? Tout cela a besoin d'être ajusté. Mais la grande majorité des pays qui se trouveront rassemblés à Hanovre souhaitent avancer. C'est encore la Présidence allemande et l'Allemagne fédérale est très engagée dans ce sens et la France l'appuie entièrement. J'ai eu l'occasion d'en parler au Chancelier Kohl, entretien récent que je n'ai pas cité parmi les visites, c'était d'un autre ordre lorsque nous nous sommes vus à Evian, mais enfin nous en avons parlé et nous avons des intentions semblables. La question reste posée, vous savez, d'autres pays n'ont pas la même position, donc je ne crois pas qu'il puisse y avoir sur la libéralisation des capitaux de difficultés nouvelles. Tout au plus des pays, notamment la France, ont souhaité que progressivement s'harmonisent les dispositions fiscales et les dispositions sociales pour que les capitaux ne soient pas indûment ou injustement attirés seulement vers les pays qui disposeraient de lois fiscales exagérément avantageuses. Tout cela est sur le tapis, mais la France n'en a pas fait un préalable, la France est européenne, elle veut que l'Europe avance.
- D'abord la monnaie, ensuite le dossier banque, même si cela ne paraît pas très logique, mais c'est comme cela que les choses se posent, exigera sans doute plus d'attention encore. Voilà je crois qu'on a dit l'essentiel.\
QUESTION.- Dans le texte du communiqué, il y a une phrase qui dit "Les réductions de toutes les subventions de l'agriculture", quel est le but de cette phrase ? L'élimination éventuelle des subventions ou quelles sortes de réductions est-ce que la France permettra ?
- LE PRESIDENT.- C'est-à-dire que le débat a été posé surtout du côté américain sous la forme de suppression, même à terme, et finalement vous pouvez voir que le terme retenu c'est "réduction". Ici, tout le monde est d'accord, d'ailleurs nous l'avons fait nous-même en Europe, on a pris des dispositions budgétaires relativement sévères et quand on a décidé les quotas laitiers, c'était déjà des réductions de production. Mais ce qui ne serait pas facilement acceptable, c'est de penser que l'Europe pourrait être accusée de protectionnisme sur ce plan et accusée précisément par ceux qui nous battraient sur le "livre des records". Je veux dire sur le livre où l'on aurait inscrit les subventions à l'agriculture. Si chacun - Communauté `européenne`, Etats-Unis d'Amérique - consacre environ des sommes à peu près comparables, 25 milliards de dollars, il y a deux millions et demi d'agriculteurs aux Etats-Unis d'Amérique et 10 millions en Europe. Ce qui veut dire que les propriétaires, les exploitants, producteurs des Etats-Unis d'Amérique sont beaucoup plus subventionnés mais d'une façon peut-être plus astucieuse, c'est-à-dire plus indirecte que les producteurs européens. Que chacun regarde la poutre qu'il a dans l'oeil avant de regarder la paille qui se trouve dans l'oeil du voisin.
- Ces choses saines ayant été dites, sous cette forme ou sous une autre, un deuxième problème se pose, c'est celui de la globalité de la discussion. Nous ne voulons pas que l'on discute, au sein du GATT, que d'agriculture. Nous voulons bien discuter d'agriculture, notamment à Montréal, dans quelques semaines, mais à la condition que les autres dossiers industrie et services avancent en même temps, pour que l'on arrive à des règlements équitables entre les pays membres du GATT. Le Canada a une situation particulière aussi au regard de l'agriculture, vous le savez, très franchement le Canada reconnaît qu'il subventionne lui aussi, si bien que si effort il y a, réduction et non pas suppression, il faut analyser un peu plus loin. A quoi servent ces subventions ? J'ai noté qu'en Europe elles servent à s'aligner sur le prix mondial. J'ai observé que d'un autre côté elles servaient à vendre au-dessous du prix mondial. Ce n'est pas du tout la même chose, si l'on devait donner un ordre de classement entre ces deux formes de subventions, quelles sont les plus nocives, qui s'éloignent le plus des règles commerciales ? C'est de cette manière que nous avons vu les marchés du Maroc et de l'Egypte s'effondrer. Parce que, naturellement, quand on offre des céréales très au-dessous du prix mondial, on a quelques chances de vendre plus facilement que si on s'efforce, comme nous le faisons nous, simplement de nous aligner sur le prix mondial. Enfin je passerai sur tout ce que je n'oserais appeler des détails. Je veux dire que dans cette discussion, il faut vraiment parler franc, mettre les choses sur la table. Constater que tout le monde fait du protectionnisme sous cette forme de subvention, qu'il faut la réduire, mais qu'il faut la réduire simultanément entre pays qui débattent de l'agriculture et simultanément avec les autres pays qui discutent au sein du GATT de l'ensemble des données commerciales dont font partie l'industrie, les normes industrielles, ou bien les services. Bref, personne ne peut être mis en accusation ou bien tout le monde.\
QUESTION (François Feron - Libération).- Monsieur le Président, sur trois sujets de politique étrangère importants, le Moyen-Orient, l'Afrique du Sud et le Cambodge, les chefs d'Etat ont, excusez l'expression, refilé le bébé aux ministres des affaires étrangères. Alors, première question, pourquoi ? Et deuxième question, est-ce que ce n'est pas dommageable à la résolution de ces conflits ?
- LE PRESIDENT.- Vous auriez voulu qu'on soit encore là demain. Remarquez, par rapport à l'importance de ces conflits, cela l'aurait mérité. Je n'ai pas l'impression que le point d'évolution des pensées et des positions politiques des uns et des autres soit suffisamment harmonieux pour aboutir à des textes communs. Il y a ceux qui veulent que des sanctions sévères soient prises à l'égard de l'Afrique du Sud et ceux qui y répugnent. Il y a une appréciation peut-être un peu différente du problème du Cambodge. Faut-il soutenir la position de ceux qui cherchent un compromis ? Enfin, vous connaissez la question. Par rapport au Proche-Orient, il y a quand même une position admise par presque tous, et par tous au sein de la Communauté européenne, celle qui donne la préférence à une conférence internationale de l'ensemble des pays intéressés - ce ne sont pas forcément que les pays de la région - à l'intérieur de laquelle pourrait se dérouler les conversations bilatérales, qui seront un jour ou l'autre nécessaires.
- Je crois que ce sont des dossiers qui ne sont pas assez mûrs entre les participants du Sommet pour que des positions extrêmement claires soient prises. Je crois qu'il fallait dire franchement ces choses.\
QUESTION.- Hier soir, vous avez fait, je crois, un long exposé à propos des questions d'éducation. Quel était votre objectif au travers de cet exposé, et d'autre part, comment peut-on intéresser certains des pays ici présents à ces questions d'éducation, alors qu'ils se sont retirés d'eux-mêmes de l'UNESCO qui s'occupe de ce sujet justement dans le cadre des organisations internationales ?
- LE PRESIDENT.- Mais monsieur, moi j'ai parlé de l'éducation, parce qu'on me l'a demandé. Je n'ai pas cherché tout d'un coup à faire dériver les débats du Sommet sur les problèmes d'éducation. C'est parce que dans l'organisation du Sommet de Toronto, il avait été prévu que le Président français traiterait ou lancerait le débat sur les problèmes d'éducation et le Chancelier allemand `Helmut Kohl` lancerait le débat sur les problèmes d'environnement. Et puis, quelques autres sujets de ce type avec le Président du Conseil des ministres italien `Ciriaco de Mita` et le Premier ministre japonais `Noboru Takeshita`. C'était comme on dit des figures imposées, mais très intéressantes à traiter. Et j'ai trouvé cela comme une des meilleures initiatives de ces dernières années. Que l'on amène les participants sur la base d'une sorte de petit exposé introductif, confié à tel ou tel, à parler d'autre chose que du court terme ou du moyen terme politique. Personnellement, j'ai trouvé que c'était un moyen très heureusement trouvé par M. Mulroney pour engager la discussion entre les personnes qui se trouvent là dans la même salle, qui se connaissent, qui s'entendent ou qui s'opposent sur beaucoup de sujets, mais qui sont des alliés, des amis. C'est un aspect très humain que d'avoir à discuter de problèmes de fond touchant le devenir de l'humanité, en commun.
- Alors, moi, j'ai parlé de l'éducation, du problème du savoir ou de la connaissance, parce que M. Mulroney me l'avait demandé.\
`Suite sur l'éducation`
- Comment ai-je envisagé cela ? Vous le savez, je considère pour la France que rien n'est plus important que d'accorder la priorité, notamment dans le domaine des crédits, du budget, à l'éducation nationale sous ses diverses formes. La pluridisciplinarité, la multiplication des disciplines, le temps de scolarité très jeune depuis la maternelle jusqu'à la fin des études secondaires, le cas échéant supérieures, sans oublier l'éducation permanente de telle sorte que désormais, un long temps de vie de chaque individu, chaque personne humaine, est consacré à l'éducation. De quelle manière peut-on parfaire ce système, surtout à une époque où les techniques changent vite, où beaucoup de gens changent de métier, car l'un des aspects nécessaires de la priorité à l'éducation c'est de permettre à chacun de changer de métier sans trop de souffrance, sans un trop long chômage et même sans chômage du tout, par le fait de la diversité et des qualifications de son savoir.
- J'ai fait -état naturellement des rapports internationaux sur l'analphabétisme et l'illettrisme, pour constater que l'illettrisme faisait des progrès dangereux dans les sociétés dites évolutées. Jusqu'à un sur dix des citoyens de nos pays qui ne pratiquent plus les connaissances élémentaires que sont la lecture, l'écriture ou le calcul numérique. A partir de là, naturellement, on peut extrapoler, c'est-à-dire qu'il faut établir une relation directe, c'est le sens même de notre démarche, entre l'éducation et la formation professionnelle, pour que le débouché de l'école ou de l'université sur le métier, la profession, soit naturel presque instantané. C'est par cette haute qualification qui devrait atteindre au moins 80 % de la population scolaire que l'on créera toutes les conditions du progrès technologique et d'adaptation de chacun de nos pays à une technologie de pointe. Ce qui donnera un élan formidable à nos économies. C'est autour donc de ces idées que le débat a eu lieu, et chacun considérait que si l'éducation et le savoir étaient des éléments indispensables à la libération de l'homme, ce n'était pas un élément suffisant, qu'il y avait beaucoup d'autres données. Le plus savant n'est pas forcément le plus heureux, et le plus savant n'est pas forcément le plus raisonnable. J'ai naturellement évoqué la grande science du berger de l'antiquité qui passait ses nuits à considérer le ciel et qui en savait beaucoup plus que moi aujourd'hui qui m'exprime devant vous à Toronto, sur l'astronomie. D'humbles bergers qui ne savaient rien d'autre, que conduire leur troupeau. Enfin, cela c'est un débat philosophique constant que l'on retrouvera toujours. Il faut bien ajouter quelques données de morale et de règles de vie en commun, si l'on veut que l'éducation serve à quelque chose.
- Cependant, ne poussons pas trop loin ce raisonnement, je suis de ceux qui pensent que ceux qui vivent dans l'ignorance sont voués à devenir esclaves. C'est donc une forme de libération de l'homme que de s'initier au savoir et ensuite d'aller plus loin.
- Voilà, je viens de vous dire à peu près ce que j'ai dit hier. Je n'ai pas parlé plus longtemps. Ce qui veut dire que cela n'a pas été véritablement une matière à conférence, mais cela, je crois, était l'objet d'une discussion intéressante pendant 1 h 30.\
QUESTION.- Une question un peu plus locale. Est-ce que vous avez fait quelques progrès sur la vente de sous-marins "Améthiste" avec M. Mulroney, ou sur la résolution de la dispute sur les îles Saint-Pierre-et-Miquelon et les droits de pêche ?
- LE PRESIDENT.- M. Nahon m'a déjà posé la question. M. Nahon, journaliste français et j'ai répondu peut-être un peu vite puisque vous ne l'aviez pas remarqué, il est exact que M. Mulroney et moi nous nous sommes entretenus de ces sujets, et ce n'est pas la première fois, mais pour les histoires de sous-marins, je suis hors d'-état de vous informer utilement aujourd'hui sur ce que sera la décision canadienne. C'est un pays souverain, il s'exprimera quand il voudra. Quant à la pêche, oui, nous avons eu un dialogue avec M. Mulroney, une rencontre consacrée à nos problèmes bilatéraux, et celui-là se situe en première ligne, et nous avons donné mandat aux négociateurs que nous avons choisis. Un négociateur du côté canadien, un négociateur du côté français qui nous ont déjà soumis des propositions intéressantes. Nous avons précisé nos instructions dans la journée même, et nous connaîtrons le point de leurs ultimes conversations dans les jours qui viennent, afin de régler cette affaire pénible.\
QUESTION.- J'ai une dernière question à vous poser monsieur le Président.
- LE PRESIDENT.- D'accord, et on arrêtera là après.
- QUESTION.- Pensez-vous que dans un prochain Sommet, celui de Paris, ou dans les autres, il soit envisageable d'ouvrir ce Sommet des pays industrialisés, à des pays qui comptent de plus en plus, je veux parler des nouveaux pays industrialisés du Pacifique.
- LE PRESIDENT.- Par exemple, il a été dit que serait communiqués un certain nombre d'informations, d'échanges de vue avec certains de ces nouveaux pays industrialisés. On pense en particulier à l'Extrême-Orient. C'est vrai, des questions se posent, on ne peut pas continuer de travailler en les ignorant. Mais enfin, il n'est pas question - dans la mesure de mes connaissances - d'élargir pour l'instant les sept ou huit à d'autres pays. Mais les relations entre ce Sommet et d'autres pays, oui.\