15 avril 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle de 1988, sur la construction européenne et l'égalité des chances, Lyon, vendredi 15 avril 1988.

Mesdames,
- messieurs,
- chers amis,
- Je suis heureux de vous rencontrer ce soir ici et je suis heureux de pouvoir vous dire mes raisons, qui sont peut-être les vôtres aussi, de croire en la France.
- Pourquoi ?
- Parce que nous sommes là et dans toute la France assez nombreux pour imprimer à notre pays la direction qui lui convient, pour faire entendre partout aux autres, comme aux nôtres, que tout est possible quand on le veut et si l'on réunit les moyens de l'action. Tout est possible si on le veut, alors est-ce que vous le voulez ?
- Nous avons encore une semaine avant le premier tour de scrutin et on peut penser que le deuxième tour de scrutin nous intéresse aussi.
- Quelques semaines seulement et le destin sera fixé. Pourquoi suis-je venu avec vous, encore une fois ? Parce que j'ai le sentiment qu'il le fallait.
- Pourquoi ?
- Pour gagner.
- Il y avait sans doute d'autres chances mais puisque celle-là, que je pouvais incarner, représenter, porter plus loin, puisque je le sentais en moi-même, grâce à vous, et à ce long combat pour la République, pour la démocratie, pour la liberté, pour le progrès, pour la justice, puisque tout cela était en nos mains, alors pourquoi ne pas le faire £ et nous nous retrouvons avec devant nous quelques obstacles qu'il ne faut pas dissimuler - et je suis prêt à les affronter -. Je ne les redoute pas outre mesure, sans mésestimer la difficulté de la tâche, et il faut que vous vous en convainquiez vous-même. Rien, rien n'est acquis jusqu'au moment où le peuple lui-même se prononce et votre devoir comme le mien, il est dans chaque village, dans chaque quartier, dans chaque ville, partout, de mobiliser l'énergie pour la République, telle que nous l'aimons.\
Je voudrais vous dire en cette circonstance mes raisons de croire en la France, de plusieurs manières, lorsqu'il s'agit de savoir si nous serons capables - et nous en serons capables, - de créer les dynamiques nécessaires. La dynamique de l'union des Français, c'est un terme qui peut être employé par n'importe qui et qui peut signifier tant de choses diverses. Je n'ignore pas, notre histoire est là pour nous l'apprendre, qu'on ne réunit jamais tout le monde à la fois, que d'autres préfèrent suivre des chemins de traverse £ mais au moins que toutes celles et tous ceux qui peuvent se joindre à nous le fassent, et que les compagnons des premières luttes politiques, et que ceux qui sont venus peu à peu rassembler ces foules comme celle de ce soir, que vous toutes et vous tous, vous cherchiez à comprendre non seulement nos raisons mais les raisons des autres, du moins de celles et de ceux qui seraient prêts - je vais m'en expliquer - à prendre le même chemin.
- Je crois qu'à l'heure où nous sommes, avec cinq années devant nous, qui nous conduiront à l'époque du grand marché `marché communautaire`, plus de frontières, ni pour les personnes, ni pour les biens, ni pour les marchandises, ni pour les capitaux... plus de frontières et voilà un pays, le nôtre, ouvert aux autres, et les autres ouverts à nous.
- C'est ce que j'ai voulu en 1985 puisque c'est à cette époque, dans la ville de Luxembourg, qu'avec quelques Européens convaincus, nous avons arraché la décision à ceux qui n'en voulaient pas et qui n'ont pas pu résister à la dynamique de l'Europe £ mais pendant ces 5 ans, il va falloir rassembler nos moyens, il faudra être les meilleurs. On ne sera pas les meilleurs partout à la fois et partout en même temps, mais il faut l'être assez pour que la France notre patrie, et son histoire, et ses talents, et son imagination créatrice, ses arts et sa culture, et son travail, soit en mesure, grâce à l'Europe et par l'Europe mais aussi par elle-même de jouer sur la scène du monde le rôle qui lui revient.
- Je crois à la dynamique de l'union des Français dans la perspective d'une autre dynamique qui est celle de l'Europe et je continuerai dans un instant pour vous dire que je crois à la dynamique de la paix, à la dynamique de la modernité, à la dynamique de l'égalité, de la justice sociale, enfin et par dessus tout à la dynamique de la liberté.
- Quand nous n'aurions que cela à dire ce ne serait pas si mal d'autant plus que nous, quand on dit, "on fait". J'entends dire beaucoup de choses chaque soir et chaque matin. Ces tombereaux qui se déversent sur ma tête, je n'ai pas dit "tombereaux" de quoi, parce que moi, je suis poli. Cette façon de parler alors que nous sommes dans un grand acte solennel, l'acte majeur de notre peuple, l'élection d'un Président de la République, la magistrature suprême, et qu'il s'agit du Président de la République élu par le peuple, il y aura bientôt 7 ans.. Moi, je veux respecter les autres. Je ne dévierai pas de mon chemin malgré la manière dont on veut nous pousser.
- Souvent, j'observe qu'il ne suffit pas de parler très fort, pour dire quelque chose, qu'il ne suffit pas de répéter. Quand on ne répète rien, ce n'est rien. Et qu'il ne suffit pas d'affirmer des tissus de contre-vérités. Qu'en reste-t-il ? De la poussière.
- J'entends avec vous, ce soir en particulier, définir des chemins, des dynamiques, que j'ai nommés il y a un instant.\
La dynamique de l'Europe. D'abord, une question indiscrète peut-être. Tout le monde parle de l'Europe. Tout le monde ou presque est pour. Mais qui croire ? Ceux qui ont voulu la faire ou ceux qui ont tenté de la défaire ? Première question qui mérite réponse.
- Ceux qui ont voulu la faire, c'est nous. Mais il n'y a pas que nous. D'autres Françaises, d'autres Français, venus d'autres horizons, ont compris la nécessité de construire l'histoire contemporaine autour de la réconciliation, autour de l'amitié des pays qui nous entourent, mus par les mêmes formes de civilisation qui s'étaient déchirées, qui s'étaient meurtries, qui se sont entretuées et qui se sont aperçu soudain dans l'abîme, le désastre, le sang et la haine, qu'il s'agissait d'une guerre civile comme toutes les guerres civiles, celle de l'Europe inexpiable.
- Et pourtant nous les avons expiées. Je m'en souviens bien puisque en 1948 - eh oui j'ai des souvenirs, on me les reproche - c'était le temps de ma jeunesse, en 1948 j'étais l'un des Européens qui se retrouvaient à La Haye et qui décidaient de fonder l'Europe avec les Allemands, les Italiens, les Anglais, les Belges, les Luxembourgeois, les Hollandais, plus tard les Espagnols, les Portugais, les Grecs, les Irlandais, et les Danois. L'Europe, oui, c'était à notre mesure, nous en étions capables.
- Mais à l'époque - et je m'adresse ici aux plus jeunes - il faut bien qu'ils sachent - et ils le savent quand même - que nous vivions encore dans le chagrin, dans la douleur. Quelle était la famille qui n'avait pas connu la mort, ou la torture, ou la captivité, la destruction de l'être, face à des théories et des doctrines meurtrières qui vous ruinaient le coeur et l'âme avant de vous détruire le corps ? Et ceux qui ont su traverser cette période, songez-y, nos héros de l'époque, nos camarades des camps de concentration, nos combattants sur tous les terrains, comme il a fallu qu'ils y croient, sinon pour survivre - combien sont tombés au moins pour préserver l'unité de leur être et témoigner non seulement pour la France, mais pour les valeurs éternelles sans quoi un homme n'est pas un homme !
- Eh bien ! C'est au sortir de cela, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, que quelques hommes et quelques femmes, épars dans cette Europe, ont décidé de surmonter l'histoire pour en créer une autre ! C'est pour cela que je vous en parle avec quelque passion.
- Il y a donc ceux qui ont voulu la faire, et il y a ceux qui tout le long de ce chemin de quarante ans, n'ont pensé qu'à la défaire ! Oh pas pour des motifs qui mériteraient le dédain ou le mépris, simplement, c'était une autre conception. Ils regardaient en arrière, ils regardaient le 19ème siècle, ils ne pensaient pas au 21ème, ils ne tiraient pas la leçon de l'événement, ils n'avaient pas mesuré l'ampleur du massacre, ils n'avaient pas compris que nos patries étaient destinées à se fondre pour une patrie commune dans laquelle chacun, chacune des nôtres apportera ce qu'elle est. Et ainsi, nous, Français, nous serons à la fin de ce siècle, présents là où aucun peuple d'Europe ne se trouve aujourd'hui, car c'est la loi des deux Empires.\
Alors, il nous reste à faire beaucoup de choses pour construire l'Europe.
- Portés par la dynamique de l'Europe, nous en serons les bons ouvriers, nous la ferons comprendre, nous irons plus loin, nous donnerons aux institutions de l'Europe plus de force.
- Il existe un Conseil européen : ce sont les chefs d'Etats ou les Premiers ministres des Douze pays de la Communauté. On change - comment dirais-je - à tour de rôle - d'autres diraient au tour de bête - selon les lois de l'alphabet £ on change de présidence une fois tous les six mois. C'est une bonne idée que d'avoir proposé d'en changer moins souvent, d'avoir une continuité dans la pensée directrice. Il faut qu'il y ait une direction à l'Europe.
- Et il faut, puisqu'il s'agit de démocratie, que le Parlement, que les élus du peuple rassemblés à Strasbourg, puissent vraiment contrôler et parfois décider, parce que l'Europe existera quand un exécutif fort et durable pourra dessiner l'avenir, tandis qu'un Parlement et les élus du peuple pourront - comme peuvent le faire tous les Parlements de toutes les démocraties du monde - contrôler et inspirer. Il faut le faire, cela.\
Il faut que nous allions vers une certaine agriculture.
- Le marché commun a été fondé en 1957 par le Traité de Rome, mais autour d'une certaine conception de l'agriculture, celle qui est fondée sur l'exploitation directe du sol par des hommes et des femmes, sur l'exploitation familiale, l'exploitation agricole qui représente un type de civilisation, qui n'est pas dépassée, et non point pour développer, comme on le fait dans certains pays, uniquement une sorte d'industrie de l'agriculture qui nous conduirait finalement à produire la viande, le lait, et pourquoi pas le blé, sur la place de la Concorde.
- Il faut bien comprendre que c'est un certain type de civilisation qui a été déterminé à Rome il y a un peu plus de trente ans.\
De même, il faut bâtir une économie. La dynamique de l'Europe passe par l'économie : moderniser, échanger, travailler ensemble, laisser les travailleurs pouvoir aller ici ou là. La dernière Commission de l'Europe vient de publier un rapport dans lequel il est dit que, dès que les frontières se seront abattues, en même temps que tous les empêchements et toutes les entraves, on pourra créer, dans les cinq années qui viennent, 2 à 5 millions d'emplois nouveaux. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les commissaires européens ! Ils sont 17 £ ils se sont rassemblés pour nous dire cette bonne nouvelle-là qui, comme toutes les bonnes nouvelles, ne sera un jour obtenue que par la ténacité, l'énergie, la volonté des hommes.
- Il faut créer la dynamique de l'Europe qui n'existe pas assez.\
Il nous faut une monnaie.
- Oui, elle existe, en principe, elle s'appelle l'Ecu. Un beau nom, puisqu'il remonte aux origines de notre histoire. Mais il faut une monnaie qui circule, capable de supporter elle aussi la compétition avec la monnaie japonaise ou la monnaie américaine. Il faut être supporté, quand on veut un pays fort, par une monnaie forte, et il faut que cette monnaie soit gérée par une banque centrale.
- Bref, il faut que les organismes adéquats soient mis en place pour que l'Europe existe et ne soit pas simplement un conglomérat de faiblesses ajoutées, à la disposition des influences de l'un ou de l'autre, déchirée, coupée comme elle l'est depuis plus de quarante ans, à la disposition de plus puissants qu'elle, alors qu'elle est déjà la première puissance commerciale du monde, qu'il ne dépend que d'elle d'être la première puissance agricole du monde, qu'elle peut être, qu'elle doit être la première puissance industrielle du monde, qu'elle peut être et qu'elle doit être la première puissance technologique du monde, avec ce dont nous disposons sur le -plan des cultures, de la richesse profonde qui émane de chacun de nos pays. Rappelez-vous les légendes et les mythologies, et toute l'histoire parcourue à travers plus de vingt siècles ! C'est là, la richesse répandue sur toute la surface de la terre, dont nos ancêtres ont été les créateurs et dont nous sommes aujourd'hui les messagers, que nous sommes capables de transformer pour un nouveau message, une culture que je n'appellerai pas dominante - il en est d'autres - mais l'une des cultures dominantes de la terre.\
Il nous faut aussi une technologie. On invente un peu partout des choses, on fabrique des machines, comme on dit, performantes, sans trop s'occuper du français, mauvais ou bon. Le Japon, lui, est capable de fabriquer des produits, des marchandises, plus vite, meilleurs, et à meilleur marché. Comment voulez-vous qu'on tienne le choc ?
- Nous consacrons, Italiens, Anglais, Allemands et Français - à nous quatre, par exemple - plus de crédits pour notre recherche scientifique et technologique que le Japon. Mais nous sommes douze pays éclatés, il n'y a pas de volonté politique entre ces douze ! Alors c'est le Japon qui nous enfonce, et tandis que le dollar subit ses crises, tandis que le déficit budgétaire américain continue de faire des ravages, avec des taux d'intérêts de l'argent trop élevés pour attirer l'argent des autres et financer les progrès américains avec l'argent de l'Europe ou bien l'argent du tiers monde, nous sommes là à regarder ! Et il est des dirigeants politiques d'aujourd'hui et d'hier qui, depuis quarante ans, s'obstinent à empêcher la construction de l'Europe, qui aujourd'hui encore - ou qui très récemment - chaque fois qu'il était nécessaire de prendre une décision, traînaient la patte, enrayaient le mouvement, discutaillaient, ne comprenaient rien à rien à l'évolution de notre monde ! J'ai proposé, sous la dénomination - pardonnez - d'EUREKA, j'ai proposé que toutes les plus hautes technologies fissent l'objet d'ententes, d'accords, d'alliances industrielles entre tous les pays d'Europe qui le voudraient. Douze pays - ceux de la Communauté - ont dit oui, et six autres encore - c'est-à-dire qu'il y en a dix-huit - dans cette force nouvelle qui est aujourd'hui à la pointe du progrès, qui invente et crée tout ce qui dominera le monde dans dix ans et même peut-être avant. Des pays comme l'Union soviétique, comme le Brésil, comme l'Argentine, comme le Canada et bien d'autres, demandent à y prendre part.
- Alors, faisons-le ! Parachevons-le ! Cela existe depuis le jour où je l'ai proposé, au nom de la France, et il a fallu batailler pour y parvenir, pour obtenir l'accord de formations politiques qui sont aujourd'hui devenues la majorité - pas toutes, mais certaines - qui ont, comme on dit, tiré au renard parce qu'elles n'étaient pas engagées dans l'Europe et qu'elles n'en voulaient pas !\
Un jour, c'était en 1981 - comme je l'ai écrit dans une lettre, je tombais d'une planète étrange (aux yeux des autres, pas des miens), l'union de la gauche en France et il faut l'admettre, cela détonnait quelque peu et l'on me regardait avec un drôle d'air, quand j'ai prononcé des mots : "il faudrait que l'Europe prenne une dimension sociale, qu'elle se donne un espace social". Un froid s'est répandu qui avait sans doute pour objet d'anéantir le feu d'où je venais ! A peine un Danois secourable - parce que social-démocratie ! a-t-il jugé bon de venir à la rescousse de cet imprudent Français, mais j'ai bien senti que l'Europe de cette époque n'étaient pas faite pour cela.
- Eh bien ! Aujourd'hui, sept ans après, c'est entré dans toutes les conversations et je ne serais pas surpris d'entendre des candidats que j'appellerai très conservateurs, pour ne pas dire réactionnaires, dont la caractéristique est toujours d'être contre tout, bientôt s'en flatter, proclamer : "Il nous faut un espace social " alors que si on leur en parle en France, çà, ils n'aiment pas !\
Et comment voulez-vous faire avec l'Europe, si l'Europe n'est pas capable un jour d'assurer sa sécurité elle-même ? Un grand ensemble économique, industriel, agricole, technologique, d'environnement, de monnaie, qui n'est pas capable de se défendre tout seul, vous croyez que cela résistera ? Il existait là, dans un coin, ce qu'on appelait le Traité de l'Elysée, j'ai dû le trouver dans un tiroir, puisque j'habite là présentement ! Et ce Traité avait été signé vingt ans plus tôt, en 1963, par le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer. L'une de ces dispositions prévoyait un certain accord militaire, une concertation militaire entre l'Allemagne et la France, et cela faisait vingt ans que c'était en jachère.
- Alors, avec le Chancelier allemand, on s'est dit : pourquoi est-ce qu'on ne donnerait pas vie à cela, comme une sorte d'embryon, d'amorce d'une défense commune ? Nous ne prétendons pas assurer la défense commune entre l'Allemagne et la France, bien entendu, d'autant que nous avons des statuts très différents en raison des conséquences de la dernière guerre mondiale, mais quand même, montrons le chemin !
- Et récemment je pouvais annoncer à l'Europe la naissance d'un Conseil franco-allemand qui ne demande qu'à s'ouvrir à ceux qui le voudront. J'en parlais encore récemment en Espagne à Felipe Gonzales, qui me disait à quel point il désirait lui aussi donner à l'Europe cette signification et ce contenu.
- J'en ai terminé sur ce point, ou presque. Comment voulez-vous avoir des armées pour assurer votre sécurité - il ne s'agit que de cela - comment voulez-vous parvenir à dominer les statuts particuliers ? Un des 12 pays, l'Irlande, est neutre, il y en a d'autres qui ne regardent que du côté de l'Atlantique, et au-delà, il y en d'autres que cela n'intéresse pas, ils ne regardaient que les puissances de l'Est. Il faut faire un drôle d'effort pour parvenir à l'unisson. Cela veut dire qu'il est impossible de disposer de forces militaires capables, elles-mêmes, d'assurer la sécurité de l'Europe, s'il n'y a pas par-dessus un pouvoir politique suffisamment uni, et suffisamment fort.\
Et je pose la question à toutes les Françaises et à tous les Français qui, au-delà de cette salle, m'entendront, et je leur dis : êtes-vous prêts à prendre non pas le pari, mais à prendre l'engagement de faire l'Europe avec nous, de faire une Europe capable de se doter d'un pouvoir politique, de ne pas s'arrêter en chemin ?
- J'entends déjà les arguments : mais un pouvoir politique... alors qu'est-ce qu'on va faire à Paris, à quoi va servir notre gouvernement ? Il sert à quelque chose notre gouvernement, bien entendu. A quoi va servir le Président de la République ? Je vous garantis, selon les résultats du 8 mai, qu'il servira à quelque chose !
- Mais, ou bien nous serons de gabarit des cités grecques, en attendant Philippe de Macédoine, et puis les autres, venus de plus loin, c'est-à-dire voués à l'éclatement, à la dispersion, et finalement à un certain effacement d'une haute civilisation, ou bien nous unirons nos cités, nous la doterons d'un pouvoir, nous lui donnerons les moyens, nous bâtirons l'Europe, et les plus jeunes d'entre nous, dans pas longtemps, parce que cela passe vite, dans pas longtemps, lorsqu'ils auront vingt ou trente ans, leur chantier, ce sera un chantier de 320 millions d'habitants, et ils pourront regarder en face les 250 des Etats-Unis d'Amérique, ou les 220 de l'Union soviétique, ou les 110 du Japon. Et ils seront fiers d'eux-mêmes. Et la responsabilité des adultes que nous sommes, plus ou moins jeunes, ceux qui peuvent agir aujourd'hui, dont je suis, est de bâtir la construction dans laquelle les plus jeunes d'entre nous, un jour, vivront, dans laquelle ils habiteront, et qu'ils porteront plus loin.\
J'en ai fini avec ce chapitre, parce que si je crois à la dynamique de l'Europe, je crois aussi - il faut le dire, si l'on veut que les esprits aillent vers le travail, vers la production, aillent vers le développement des familles, vers la naissance des enfants, c'est-à-dire s'ils croient en eux, s'ils ont de l'espérance - en une dynamique de la paix.
- Si les femmes et les hommes ne vivent qu'avec la hantise de la bombe atomique, de la catastrophe finale - tous ces films de science-fiction qui risquent de ne pas être seulement des fictions, et qui nous montrent une planète explosant - abandonneront la tâche des milliers et des milliers d'années qui ont vu l'homme parvenir au point où il se trouve, en attendant la suite. Une dynamique de la paix, il faut y croire, il faut aimer le bonheur de vivre, il faut aimer la vie, il faut que l'amour ne soit pas déchiré par autre chose que les lois puissantes et souvent cruelles de la nature elle-même. Pourquoi ajouter la querelle des hommes aux souffrances déjà qui viennent d'un monde tel qu'il s'est fait, pourquoi l'homme ne serait-il pas capable de se donner la paix ?
- Je ne rêve pas, je vois bien, tout à côté de nous, sur le même continent, une puissante Union soviétique qui possède quelque 11000 charges nucléaires stratégiques, et quelque 40 à 50000 charges d'autres sortes. Je vois bien de l'autre côté, plus loin, nos alliés des Etats-Unis d'Amérique qui en possèdent encore plus. Je sais bien qu'il existe en Europe la Grande-Bretagne et la France qui, pour se prémunir contre le risque que cela signifie, se sont elles-mêmes armées, et puis plus loin, la Chine. Mais enfin si l'on ne prend pas un jour la route du désarmement, où ira-t-on ? Sinon vers la course perpétuelle, des armes, et plus d'armes, encore plus d'armes. Et les armes, cela sert à quoi ? Cela sert parfois à enrichir quelques-uns, mais cela sert surtout à tuer tous les autres !\
Eh bien, moi je ne laisserai jamais la France à la disposition de ceux qui voudraient l'agresser. Et je défendrai toujours l'existence d'une force française tant que les deux plus grandes puissances du monde ne seront pas parvenues à accélérer leur marche vers le désarmement. Mais ils ont commencé. L'accord de Washington, c'est déjà un point important. Il existe en Europe des fusées qui vont de 500 à 5500 kilomètres, c'est-à-dire qu'elles peuvent atteindre tous les points du continent européen et détruire tous les dispositifs militaires qui sont sur ce continent. Elles ne traversent pas l'Atlantique, vous le remarquerez, de telle sorte qu'elles ne menacent que nous. Moi, quand je les vois partir, je suis plutôt content.
- Surprise, lorsque j'ai dit "oui" à l'accord entre Reagan et Gorbatchev, deux fois oui, lorsque j'ai dit cela, j'ai vu des mines effarées, une sorte de réticence £ "il faut prendre les précautions". Mais bien entendu, il faut prendre les précautions !
- Faut-il faire confiance ? Il ne faut pas faire confiance, il faut avoir confiance en soi. Il ne faut pas s'interroger sur les pensées et arrière-pensées de celui qui se trouve de l'autre côté de la table, il faut s'organiser pour que tout se passe comme s'il était sincère, c'est-à-dire qu'il soit obligé de respecter ses engagements. Voilà la démarche qui va vers la paix. Voilà pourquoi j'ai dit "oui" à ce qu'on a appelé l'option zéro, la destruction des premières fusées de 1000 à 5500 kilomètres. Oui à la destruction des autres fusées, celles qui font de 500 à 1000. Voilà pourquoi j'ai dit qu'il ne fallait pas, au moment où s'amorçait le processus du désarmement, se lancer tout aussitôt dans un surarmement, dans un renforcement des armes à plus courte portée, celles qui font moins de 500 kilomètres, comme il était demandé, comme il m'était demandé, comme il nous était demandé.\
A peine avait-on esquissé quelques pas pour la première fois dans l'histoire du monde, depuis l'existence de la bombe atomique, à peine était-ce esquissé que déjà, de toutes parts, de l'Europe, et de France, on voulait, on déclarait, on pontifiait que c'était la perte de l'Europe, la perte de la France que d'encourager, que d'aider ce mouvement vers le désarmement.
- Et je disais : bien entendu, la France ne pourra le faire, elle-même, que lorsque les deux empires auront fait encore beaucoup de chemin. Qu'est-ce qu'ils ont désarmé ? 10 % ? même pas, 8 % de leur arsenal. Il faut qu'ils aillent plus loin, 10, 30, 50, plus que 50 % avant que nous ne bougions, parce que je suis obligé de faire la comparaison des forces. Mais c'est cela la bonne direction.
- Et je dois dire - je prends les Français à témoin - que je ne peux pas comprendre l'attitude des hommes politiques français qui, emportés sans doute par des habitudes de pensée, par une sorte d'installation sur cette poudrière, se refusent à imaginer que le monde puisse marcher autrement que par la menace permanente d'une terrible destruction, qui peuvent même imaginer qu'il soit possible, non pas - comme c'est ma conviction - d'empêcher la guerre parce que nous sommes forts, mais de la faire pour la gagner.
- Quoi, les bombes atomiques au milieu de l'Europe ! Le plus petit Pluton français cela fait deux Hiroshima ! Nous en avons 75. Fallait-il faire 150 Hiroshima sur l'Allemagne fédérale, notre amie ? Je veux dire que l'on s'engage dans la voie de la paix par un désarmement contrôlé, équilibré, concomitant, consistant à ne rien faire chez nous qui ne soit fait ailleurs. Quand je parle aux Américains, aux Soviétiques, je leur dis : quand vous en serez au point donné qui permettra aux autres puissances, dont la nôtre, de nous associer à la négociation, alors nous le ferons mais nous ne le ferons qu'après avoir obtenu toutes les garanties nécessaires.\
Et maintenant, qu'est-ce que je propose ?
- Je propose que l'on mette enfin en oeuvre une négociation qui, elle, nous intéresse directement. Parce qu'après tout, celle des Russes et des Américains pour l'instant, c'est notre affaire indirectement ou à retardement, mais ce n'est pas encore notre affaire sur le -plan de la diplomatie.
- Je dis : où sont nos points faibles ? Le point faible, en Europe, c'est dans la comparaison des armes classiques conventionnelles : les canons, les avions, les chars - comme on faisait les guerres de 1914 - 1918 et de 1939 - 1945 - mais, comme on dit aujourd'hui modernisées, perfectionnées, sophistiquées. C'est vrai que, sur ce -plan-là, nous sommes, par -rapport au monde soviétique, extrêmement inférieurs. Eh bien, il faut se tourner vers les Soviétiques. Je l'ai dit à M. Gorbatchev : puisque vous voulez désarmer, faisons cela aussi. Pourquoi ne pas désarmer les armes classiques ? Pourquoi ne pas conduire à un désarmement qui ramènera l'Union soviétique au niveau de nos forces à nous ? Il y a là des conditions à remplir. Tout cela est lié, tout cela se discute à Vienne avec d'autres acquis nécessaires, en particulier ce qui a été décidé à Helsinki, il y a déjà longtemps, sur la liberté des personnes, sur la liberté de circulation des personnes entre le monde de l'Est et le monde de l'Ouest. Mais il n'empêche que la prochaine étape, c'est la négociation sur la réduction des armes conventionnelles ou des armes classiques. Il faut dire aux Soviétiques : "eh bien, voilà, si vous n'acceptez pas, dans les deux ans par exemple, de négocier ce rapport de forces en armes classiques, nous serons contraints de renforcer nos autres armes. La responsabilité maintenant vous appartient".
- C'est pourquoi j'étais allé en 1983 à Bonn, capitale de la République fédérale d'Allemagne, pour dire au Parlement allemand : "Vous devez accepter l'installation sur votre sol d'armes nucléaires à portée intermédiaire parce qu'on n'a pas voulu nous entendre. Les armes de même portée ou même de portée plus grande du côté soviétique sont dressées du côté de la France et du côté du Sud de l'Europe. Il faut arrêter cela".
- C'est pourquoi j'ai dit de la même manière, mais en sens inverse : "dès lors que chacun retire ses armes, alors là, il faut dire oui £ il faut qu'un immense mouvement de la France et de l'Europe vienne encourager les hommes de bonne volonté qui se sont engagés dans la dynamique de la paix".\
Dynamique de l'Europe, dynamique de la paix, et maintenant dynamique de la modernité... vous et moi nous sommes représentatifs des foules que je rencontrerai dans d'autres villes, bientôt à Montpellier, puis à Paris, puis à Lille, puis à Toulouse ou ailleurs. Nous sommes au fond les mêmes foules animées du même idéal.
- Nous sommes capables, nous qui ne proposons rien paraît-il, de proposer l'Europe et de dire comment, parce que nous savons faire, parce que nous l'avons fait. Comment faire le désarmement parce que nous avons été parmi les rares à le concevoir, à l'accepter et à poser des conditions correspondant à la gravité du problème. Et, de même, nous sommes capables de concevoir et de mettre en oeuvre la dynamique de la modernité : qu'est-ce que c'est que ce langage ? Cela veut dire qu'il faut vite, vite, moderniser notre appareil industriel, et, quand nous l'aurons modernisé, alors il y aura la croissance, et s'il y a croissance, alors il y aura moins de chômage. Mais il faut commencer par le commencement, car la modernité s'apprend à l'école £ il faut former. Vous voulez un instrument moderne, vous voulez un instrument capable de supporter la concurrence des autres et vous n'avez pas les filles et les garçons capables de tenir cet instrument-là parce qu'on ne les a pas formés pour cela £ les filles qu'on forme encore aux travaux de couture ou bien pour devenir des caissières de grands magasins. Les femmes qui sont destinées à former le gros des chômeurs, les femmes qui fournissent 75 % des lots voués à la détresse ou à la misère, les femmes qui n'ont pas l'égalité professionnelle avec les hommes, les femmes qui n'ont pas vraiment le choix de vivre chez elles, parce qu'elles ont des enfants, ou travailler, eh bien elles doivent avoir des droits égaux, selon leur liberté, selon leur choix à faire, ces femmes vouées à être abandonnées en cours de route par une société d'injustice.
- Il faut former et il faut former aux métiers qu'on fera dans les années qui viennent et non pas aux métiers qu'on ne fait déjà plus. Cela paraît presque tellement des vérités de La Palice que j'ai de la peine à les dire et, pourtant, il faut les répéter puisqu'il semble qu'un certain nombre de gens qui gouvernent ne l'ont pas encore compris !
- Ils l'ont si peu compris. Là, je n'invente rien pas plus que je n'ai rien inventé depuis le début de cet exposé, mais enfin voyons : je dis au gouvernement de Pierre Mauroy, puis au gouvernement de Laurent Fabius, je leur dis : "écoutez, il faut mettre l'accent à tout -prix, avant toute chose, sur l'Education nationale et sur la Recherche scientifique et technologique". Et ils le font. Ils le font. Pas assez, que peut-on faire en cinq ans ? C'est une oeuvre de longue haleine, c'est peut-être pour cela que j'ai besoin encore d'un peu de temps. Alors, appliquant cette directive, voilà deux Premiers ministres qui augmentent de façon importante les crédits de la recherche. On va pouvoir disposer de savants qui ne partiront pas, demain, parce qu'ils trouveront des laboratoires, comme j'en ai vu plusieurs, en particulier deux qui sont devenus Prix Nobel, filer en Californie parce que là, on les reçoit, parce qu'ils ont un instrument de travail. Eh bien non, il faut le faire chez nous ! Nous augmentons les crédits.
- 1986, mars, premier acte : on les supprime ! On les réduit. Pour quelle raison ? Je n'en sais rien - je pense que c'était plutôt par distraction ! - ou parce que d'autres ont dit : la République n'a pas besoin de savants !\
La formation : je dis aujourd'hui, ce sont des propositions très claires, il nous faut au moins - je ne suis pas le seul à le dire - 15 à 16 milliards de plus d'ici à 1992 pour développer, diversifier les enseignements, les enseignements techniques, les enseignements professionnels, pour que les plus jeunes soient en mesure de choisir leur filière, qu'ils fassent ce qu'ils ont envie de faire, qu'ils se sentent à l'aise avec leur métier et qu'ils soient capables, pour, ensuite, à la sortie de leurs études, déboucher sur l'entreprise, avoir un travail, avoir un emploi. Au moins 15 milliards d'ici à 1992.
- Que les autres répondent ! Ils répondront : "oui, mais comment financer ?" Si 15 milliards doivent être mis là, il faudra les prendre ailleurs, et si on les prend ailleurs, on les prendra dans les autres budgets. Je vois très bien le piège : "alors ? Vous allez les prendre sur tel budget ou sur tel autre ?"
- Le gouvernement de l'époque décidera ! Ce sera un gouvernement qui voudra développer l'enseignement, la formation et la recherche et ce sera un gouvernement patriote qui veillera à préserver les intérêts de la France £ la synthèse sera possible.\
Mais, en même temps, il faut pouvoir investir. Investir, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire mettre de l'argent dans les machines, dans des productions qui, demain, accroîtront la richesse du pays £ mais il est important qu'une entreprise qui gagne de l'argent, plutôt que cet argent aille dans les poches des individus, le réinvestisse sur place parce qu'il produira plus de richesse et qu'il y aura plus à partager.
- Nous disons qu'il faut faciliter cet investissement et nous ne sommes pas les seuls à le dire £ mais il y en a encore qui résistent, qui ne veulent pas de crédits d'impôts, qui ne veulent pas d'exemptions d'impôts chaque fois qu'un industriel mettra dans son entreprise l'argent qui permettra de nouveaux emplois, de nouveaux produits, de nouveaux marchés.
- Voilà ce qu'il faut faire pour avoir la croissance : la formation, l'éducation, la recherche, l'investissement productif. Il faudrait ajouter un certain nombre d'autres qualités qui devraient s'apprendre à l'école, mieux que je ne les ai apprises moi-même : la connaissance des langues, par exemple. Si les Français ne sont pas capables de comprendre et de parler les langues principales d'abord de leur Europe, alors ils seront une fois de plus handicapés et c'est trop souvent notre cas.
- Alors, on aura la croissance, une certaine croissance £ on tourne autour de 2 %, un peu moins, un peu plus £ il faut davantage. Mais, ce ne sera possible que si toutes nos énergies, toutes nos valeurs, toutes nos capacités sont servies par une politique gouvernementale qui ne pense, si j'ose dire, qu'à cela : qui ne pense qu'à sa jeunesse, qui ne pense qu'à ses emplois, qui ne pense qu'à ses investissements, qui ne pense qu'à ses recherches, qu'à la conquête de tous les secrets de la matière à partir desquels on sera en mesure de construire ou de reconstruire le monde.\
Mesdames, messieurs, chers amis, malheureusement ce que je viens de dire, d'énoncer, rencontre quelque démenti tout aussitôt. Car il y a simplement trois jours, tournant le bouton de ma radio - j'ai le tort de dire "de ma", parce que moi, je devrais dire souvent de la radio des autres - cette réflexion me rappelle une réflexion de mon père qui, peu avant de mourir me disait - il était cheminot, employé des chemins de fer, et, à l'époque des Compagnies, ce n'était pas encore la SNCF, ce n'était pas la nationalisée, cela n'a été fait qu'en 1937, après le Front Populaire, à la fin du Front Populaire - donc mon père, déjà très malade, me disait : "c'est bizarre, j'ai vécu toute ma vie avec l'impression que la Compagnie m'appartenait" £ c'était le réflexe d'un bon travailleur, il avait l'impression que la Compagnie lui appartenait £ il a dû se rendre compte qu'elle appartenait quand même à quelques autres £ mais s'il avait cette mentalité, bravo £ mais la radio ne m'appartient pas ! - Eh bien, tournant le bouton de ma radio, j'entendais : "dernière statistique de ce mois, officielle : plus de 5 milliards de déficit de notre commerce extérieur".
- Je recevais ce matin un document, qui était communiqué à partir de minuit, émanant de l'INSEE - l'Institut National des Statistiques - document officiel dans lequel il est dit exactement, et je lis le titre du document : "les Comptes annuels de la nation" £ c'est un document capital, écrit par des fonctionnaires irréprochables, incorruptibles et insensibles, j'en suis sûr, aux fluctuations de la politique, en tout cas. Vous allez voir que ce doit être vrai car ils ont écrit ceci et je cite :
- "L'excédent agro-alimentaire..." - tiens, l'excédent agro-alimentaire ! "et la réduction du déficit énergétique..." - c'est-à-dire qu'on a 100 milliards de moins de pétrole à payer depuis 1986, 100 milliards de moins ! : nous, on avait à les payer, et pourtant, en 1987, on a battu le record absolu de notre commerce extérieur en matière de produits manufacturés, c'est-à-dire de produits industriels, ceux qui sont véritablement la noblesse du commerce, ceux qui, vraiment, supportent l'armature d'un pays vivant et actif, donc, je cite, "l'excédent agro-alimentaire et la réduction du déficit énergétique..." - et voilà deux facteurs favorables, très favorables comme on n'en a pas connu, nous !... "...ne compensent plus la détérioration des échanges industriels" et je continue, autre citation quatre lignes plus loin du même document : "la dégradation du commerce extérieur en produits manufacturés, industriels, se poursuit : plus de 40 milliards de francs d'une année sur l'autre, cette année". Pour la première fois depuis 1969 nous aboutissons à un déficit chiffré global total de 11 milliards de francs, c'est-à-dire qu'on vient de battre - nous le savons depuis ce matin - le record du déficit en vente de produits industriels, on vient de battre un record qui n'avait pas été atteint depuis 1969, cela va faire vingt ans.
- Je ne veux accabler personne, mais je veux bien qu'on comprenne qu'il est difficile d'accepter qu'on accable les autres.\
Le même document `de l'INSEE` nous enseigne, lui et quelques autres que, par exemple, il n'y a pas eu de réduction des charges sociales et des impôts, sauf pour 120000 Français naturellement. Il y a eu 25 milliards de charges supplémentaires et, cependant, il y a eu quelques avantages fiscaux réservés à ceux dont je viens de parler. C'est pourquoi cela ne me choque pas énormément lorsque je propose, avec quelques autres, la création d'un impôt sur les grandes fortunes qui frapperait précisément les mêmes 100000 personnes, pas davantage.
- De même, tous ces documents qui s'accumulent aujourd'hui nous apprennent qu'il n'y a pas eu de véritable réduction du déficit budgétaire. Pourtant, cela nous a valu un grand rassemblement gouvernemental, avec le maximum de solennité, les télévisions là tout autour, pour recueillir pieusement des lèvres officielles la bonne nouvelle : "On a réduit le budget". Oui, et finalement on ne l'a pas réduit et, dans la mesure où l'on peut dire qu'on l'a réduit, eh bien c'est en vendant le patrimoine, c'est-à-dire en vendant des sociétés qui appartenaient à la Nation !
-On s'engage ainsi dans une série de discussions qui montrent bien que la politique présente va contre la dynamique de la modernité et nous, nous sommes pour. Nous sommes pour la priorité à la formation, la priorité à l'éducation, la priorité à la recherche, pour l'investissement productif avec des exemptions, des aides fiscales nécessaires, pour l'accélération de la croissance, et c'est en unissant nos efforts dans ce sens, par la modernisation de l'appareil industriel dans l'Europe, du grand marché de 1992, que nous réduirons à la fois le chômage chez nous, que nous créerons de nouvelles richesses et qu'en même temps, les Françaises et les Français se prendront au jeu merveilleux du progrès £ ils se sentiront bien en Europe, ils se sentiront rassurés par la dynamique de la paix et du désarmement et ils se sentiront en même temps rassurés par le fait qu'ils verront de leurs yeux qu'ils seront les ouvriers eux-mêmes, de leurs mains et de leur intelligence, de la modernité française.
- Enfin ce grand pays qui se réveille, que nous avons pourtant secoué, réveillé dans les années passées et qu'il faut constamment inviter au progrès économique et bien entendu au progrès social si l'on veut réussir. C'est un autre point à traiter, vous me pardonnerez.\
C'est ce que j'appelle la dynamique de l'égalité et de la justice sociale. Vous aurez beau faire tout ce que vous voudrez avec d'admirables réalisations industrielles, vous pourrez enrichir le pays pendant un certain temps avec une belle politique économique, mais vous n'associez pas spécialement les travailleurs, les producteurs, à quelque niveau qu'ils soient, si vous ne leur donnez pas le droit à la parole, au dialogue, au partage, au partage des responsabilités dans l'entreprise, au partage du profit, si vous ne leur donnez pas la formation pour connaître l'-état de l'entreprise, sa politique économique, vous n'y parviendrez pas.
- Les lois Auroux - notre ami Auroux est parmi nous maintenant - les lois Auroux ont permis d'organiser le dialogue au sein de l'entreprise, peuvent dire à la direction : "eh bien, voilà, discutons. Discutons de nos conditions de travail, discutons de l'aménagement de notre temps de travail, discutons de tout, discutons de la protection mais aussi - et c'est ce qui est tout à fait nouveau - discutons de la signification économique de nos entreprises. Et même, permettons aux membres des Comités d'entreprises d'apprendre leur métier d'économistes, d'orienter l'entreprise.
- Donc il faut que nous nous organisions pour former les travailleurs et leurs représentants dans chaque entreprise. Cela a été dur au début mais cela commence à se faire et à se répandre.
- Je parle de la politique contractuelle. Il convient que les organisations syndicales s'organisent avec leurs partenaires pour que tous les domaines - vous entendez, tous les domaines de l'activité d'une entreprise, des entreprises par branche, ou dans l'entreprise - soient en mesure de débattre, de discuter et de décider.
- Tenez, lorsqu'on parle de la liberté d'entreprendre, moi, je suis pour la liberté de créer et je suis pour la liberté d'entreprendre. On avait déjà engagé la France dans cette voie, largement, en 1986. Il ne faudrait pas que cela se résume à ceci. Nous, nous disons : "il faut avoir la liberté d'entreprendre" et ils vont dire : "il faut avoir la liberté de licencier"... c'est ce qu'on va nous répondre.
- De même, il n'y aura pas de politique économique sans politique sociale et la politique sociale, elle commence au début, avec l'égalité des chances.\
Il faut créer les conditions de l'égalité des chances, et les chances, elles commencent à la maternelle. L'égalité des chances à l'école, et par l'école, l'égalité des chances... un sérieux accroc a failli la déchirer encore un peu plus, lorsqu'en 1986 - cela vous rappelle quelque chose ? - lorsqu'en 1986, il a été question d'inventer un examen supplémentaire qui viendrait s'ajouter au Bac, pour créer un écran qu'il faudra franchir encore si on le peut, parce qu'après tout, on s'essouffle dans les familles modestes, on s'essouffle, avec les enfants à entretenir £ ça n'est pas toujours commode d'atteindre le bac, c'est comme une sorte d'inquiétude permanente. C'est ce qu'on réussira. Et on dit aujourd'hui : "il faut qu'il y ait 80 % des jeunes d'ici l'an 2000 qui aient leur Bac et il faudra des milliers et des milliers de jeunes qui atteignent l'échelon supérieur £ et déjà on ferme la porte des universités, on crée des empêchements supplémentaires.
- Je ne suis pas contre la sélection mais il faut, si on a envie de se diriger vers une grande école, passer des examens difficiles. Mais qu'à cela ne tienne, le jeune s'y prépare. Mais l'entrée à l'université... peut-on dire qu'à 18 ans l'on sait toujours ce que l'on veut faire pour le reste de sa vie ?
- Moi, je n'en savais rien et je voudrais vous confier, comme cela, au passage, qu'en dépit de ce que je savais, je ne me doutais pas de la suite. Il y a simplement trois ou quatre mois, je ne me doutais pas encore de la nouvelle suite.
- On ne sait pas quand on a 18 ans, 20 ans. On l'horizon large. On voudrait faire un tas de choses. On est attiré non pas par tout ce qui brille, mais souvent par tout ce qui est difficile tant les disciplines intellectuelles sont différentes. On ne sait pas et voilà qu'on va s'enfermer perce qu'on vous oblige. L'université ne s'ouvrira pas parce qu'il y aura des universités nobles ou pas, parce qu'on vous imposera des droits d'entrée sévères ici et plus coulants ailleurs.
- L'égalité des chances. Certes, il y aura toujours l'échec scolaire pour certains mais on peut créer des conditions pour qu'il y ait moins d'échec scolaire. Car très souvent l'échec scolaire est lié aux conditions culturelles de la famille, de l'environnement, ou aux conditions sociales de parents qui ne peuvent pas de permettre d'être trop longtemps absents du terrain du travail, pour rapporter le minimum d'argent qui sera nécessaire pour faire vivre la famille, pour faire vivre le foyer.
- Il faut donc que l'égalité des chances permette aux jeunes d'aller au terme de leurs légitimes ambitions, de leur capacité, et ces capacités, on en connaît le tour que beaucoup plus tard. Eh bien, laissons leur leur chance et nous nous en porterons mieux.\
L'égalité des chances professionnelles. Il faut comme l'a dit le rapport du Collège de France que j'ai commandé. Il m'arrive souvent de faire cette plaisanterie que vous me pardonnerez. Le Collège qui peut fournir tant de compétence et tant de réflexions au gouvernement si le gouvernement n'oublie pas le Collège de France - eh bien, moi, bien conseillé, sans doute, j'ai pensé à demander - c'était en 1983 - au Collège de France un rapport sur l'enseignement et l'avenir. Savez-vous depuis quand cela ne s'était pas fait qu'un gouvernement commande un rapport au Collège de France ? Cela ne s'était pas fait depuis François 1er. Qu'est-ce que j'ai dit là ? Non, je suis un homme raisonnable. Je m'étonne que depuis donc François Ier, on n'ait pas demandé aux gens dont c'est la réflexion, le métier ou la compétence de conseils sur ce qu'ils connaissent.
- Ils disaient : "il ne faut pas qu'il y ait de distinction hiérarchique entre la science pure et la science appliquée. Cela, c'est noble et pur, et cela, c'est vulgaire et appliqué ! Il ne faut pas qu'il y ait la discipline de la culture générale, l'enseignement général, et le pauvre petit enseignement professionnel, un petit peu comme le prolétariat dans l'enseignement. Tout ceci se situe au même -plan. Ce que l'on fabrique avec ses mains, c'est un appel à l'intelligence et l'intelligence ne se passe pas du travail des mains. L'égalité des chances professionnelles, j'ai pris de l'avance sur ce que j'avais à vous dire en vous parlant tout à l'heure de l'égalité des chances professionnelles entre les hommes et les femmes. Je n'y reviendrai donc pas mais simplement pour faire remarquer que notre société à ce point de vue est une société arriérée.\
En 1983 encore, il y a eu la loi Roudy et cette loi Roudy ordonnait l'égalité professionnelle parmi beaucoup d'autres choses. La première chose qui a été faite en 1986 a été de supprimer le ministère des droits de la femme et d'amputer les crédits destinés précisément à cette oeuvre pour l'égalité des chances de la femme, tout de suite, du premier coup, de 25 %. Ils n'y croyaient pas, nous, nous y croyons.
- Nous croyons qu'une femme, elle a sa destinée et qu'il faut qu'elle la choisisse. Elle veut travailler à l'extérieur pour peu qu'elle ne soit pas frappée par le chômage ? Eh bien, qu'on lui en donne le moyen par l'éducation qu'elle reçoit, par la formation qu'on lui inculque, et par tous les moyens dont dispose un Etat pour faciliter l'éclosion d'une jeune intelligence. Oui, faisons-le !
- Mais en même temps, si elle préfère - parce qu'elle a envie d'avoir des enfants et s'occuper d'eux - rester chez elle, qu'elle le fasse. La liberté de la femme, cela doit être un objectif majeur de toute société évoluée.
- Quand j'entends dire qu'il faudrait augmenter l'allocation parentale d'éducation, je dis "bien entendu". Il faut le faire, et soyez assez aimables, pour vous rappeler que c'est quand même Laurent Fabius qui a créé cette allocation, ce qui veut dire que nous aussi, nous sommes prêts sur ce terrain-là, à tendre la main à qui voudra, pour ramener l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
- Pour affermir la liberté de la femme dans sa vie personnelle, la liberté, c'est facile à comprendre, tout être humain sans cela, en dedans de lui-même, et la société, ont pour devoir non pas de se substituer à cette liberté mais de la permettre et de veiller à ce qu'elle ne soit pas entravée, cette immense inspiration vers l'affirmation raisonnable de soi-même.\
J'ai parlé de la dynamique de l'Europe. Oui, il y a tellement à faire, on va le faire ! Il y a de quoi s'enthousiasmer. Nous, Français, et vous qui êtes là, puisque vous l'avez toujours voulu. J'ai dit la dynamique de la paix. Allons-y ! Encourageons et nous mettrons la main à la pâte quand il le faudra, quand on pourra contrôler ce qui se fait.
- J'ai dit la dynamique de l'égalité, et j'en arrive après l'égalité des chances humaines, l'égalité des chances professionnelles, à l'égalité devant les accidents, et les périls de la vie, les périls inévitables de la vieillesse. Il ne faut pas qu'on touche à la sécurité sociale. Il y aura des mesures à prendre pour équilibrer les régimes. Je rappelerai qu'en 1983, le ministre de l'époque, c'était Pierre Bérégovoy, dans le gouvernement Pierre Mauroy, avait atteint un excédent de 11 milliards, en 1984, l'excédent était de 16 milliards, en 1985, excédent de 13 milliards, s'il a laissé - comme c'est discuté, le chiffre le plus bas qui paraît le plus raisonnable - une vingtaine de milliards, en trésorerie, ça n'était pas pour que l'année suivante, en 1986, on se trouve avec 19 milliards de déficit.
- Alors, pour corriger l'inévitable, on parle de la pyramide des âges et c'est vrai qu'à partir - d'après les statisticiens - de l'année 2005, le poids des femmes et des hommes à la retraite, ayant quitté la production, pèsera trop lourd sur les autres âges si on ne prend pas les mesures nécessaires. 2005, ce n'est pas loin, il faut donc y penser maintenant et le prochain gouvernement devra lui-même s'y attaquer.
- Mais pour cela, il faudrait quand même qu'il sache où l'on en est, il faudra qu'il fasse le bilan de la gestion actuelle, il faudra qu'il prenne à son compte le rapport des Sages, puisque, comme vous l'avez sans doute remarqué, chaque fois qu'il y a des mesures importantes à prendre, les gouvernements, - qui ne s'estiment pas assez sages -, appellent un comité des sages pour leur suggérer les solutions à prendre. Mais il faut rendre les armes, c'est quand même une preuve de sagesse que de se savoir trop peu sages pour le faire soi-même ! à moins que ce ne soit la rigueur des faits qui me hâte la perception des évidences.
- En vérité, la Sécurité sociale, il faut savoir cette année, à partir du milieu de l'année - donc après mai ou juin et d'ici novembre ou décembre -, où nous en sommes et si on ne peut pas faire autrement, pour diverses raisons de gestion médiocre ou parce que nous sommes entraînés vers des difficultés nouvelles en raison du poids des choses, eh bien, on prend ses dispositions. Mais pourquoi tout de suite penser à l'augmentation des cotisations ? Pourquoi penser d'abord à alourdir, quoi donc ?, non pas la charge des entreprises, - il y a un contrat qui fait qu'on n'alourdit pas cette charge, mais les prélèvements, les charges obligatoires pour les personnes, ce qui fait que, d'un côté, on fait un peu semblant de diminuer les impôts et, de l'autre on augmente davantage les charges, si bien qu'au total, qui y perd ? Je vais vous le dire : sur 23 millions de foyers fiscaux, il y en a, comme je vous l'ai déjà esquissé tout à l'heure, 120000 qui gagnent et les autres qui perdent, - 23 millions -. Je ne veux pas exciter les colères, mais je voudrais exciter le bon sens.\
Alors, je demande, nous demandons l'égalité devant l'accident, l'égalité devant la maladie, l'égalité devant la vieillesse et, comment dire, l'égalité devant la mort. Il ne faut donc pas une sécurité sociale à deux vitesses - c'est un mot un peu savant employé par les techniciens -, qu'est-ce que cela veut dire à deux vitesses, cela veut dire celle du riche et celle du pauvre.
- Et déjà s'annoncent les candidats à la reprise de la sécurité sociale, avec les assurances privées £ c'est tout à fait normal qu'il y ait des retraites complémentaires, et d'ailleurs, il y a une loi pour cela, et nous l'avons encouragée £ mais si les assurances privées devaient se substituer à la sécurité sociale, cela voudrait dire que l'on ne recevrait plus, comme cela a été conçu à l'origine des temps des luttes ouvrières : chacun fournit selon ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins, ce qui est la marque de la solidarité nationale.
- Au lieu de cela, si vous accrochez la sécurité sociale à la fortune de chacun, si vous êtes obligés de contribuer d'après votre -état de fortune, cela voudra dire que les pauvres, ou les modestes, ou les moyens, et même des cadres d'un certain niveau, ne pourront pas suivre, seront dans l'incapacité de faire face à des maladies graves £ d'autant plus que les personnes âgées ou frappées de maladies particulièrement graves on vient de leur retirer, de leur réduire, le remboursement des médicaments dont elles avaient besoin.\
Mesdames, messieurs, chers amis, je n'ai plus qu'un dernier point ou, si vous voulez, une conclusion à vous donner.
- La dynamique de l'égalité et de la justice sociale suppose en même temps, thème que j'emploierai pendant toute cette campagne, thème majeur : le refus des exclusions : exclusion par la pauvreté, exclusion par la misère, exclusion par la maladie, exclusion par le handicap, exclusion par la solitude, exclusion à cause de l'origine de ses parents, exclusion de caractère colonial, là-bas, à l'autre bout de la terre, mais en terre française, exclusion par l'échec scolaire, une certaine forme d'exclusion, mais j'y reviens pour la troisième fois, l'exclusion de la femme dans le champ de notre société.
- Les exclusions, je les refuse, et l'un des grands mouvements qui doivent accompagner cette campagne présidentielle, c'est le mouvement des femmes et des hommes de tous les milieux, de toutes les conditions, et de toutes les opinions politiques. Nous ne sommes pas les seuls à le vouloir, nous ne sommes pas les seuls à le comprendre, il faut savoir aussi tendre la main, il faut aussi savoir comprendre les autres.
- Nous ne sommes pas les détenteurs, nous seuls, de la vérité £ d'autres peuvent nous l'apprendre, mais avec tous ces autres-là, il faut qu'un puissant mouvement se lève partout et s'empare de notre société pour le refus des injustices, pour le refus des exclusions.\
Pardonnez-moi si je me plais avec vous au point d'occuper cette tribune depuis déjà longtemps, mais si je me laissais aller - je ne me laisserai pas aller - j'y resterais encore un moment.
- Je crois à la dynamique de la liberté. Je crois que la liberté - que de fois mes amis socialistes m'ont entendu le leur dire - n'existe pas à l'-état naturel. Il faut des institutions pour garantir les libertés, c'est comme cela qu'on a inventé l'équilibre des pouvoirs, la séparation des pouvoirs, l'exécutif, le législatif, le judiciaire, je voudrais aujourd'hui ajouter le pouvoir de la presse.
- Oui, la liberté de la radio, la liberté de la télévision ! C'est moi qui ai demandé au gouvernement de décider de casser le monopole d'Etat, tout en gardant un puissant service public, qui, malheureusement, a été démantelé depuis lors.
- C'est moi qui ai demandé d'accepter les radios libres, puis d'accepter que ces radios libres, si elles le voulaient, puissent bénéficier de la publicité. C'est moi qui ai décidé que les radios libres aient autour d'elles des télés libres £ de vous à moi, ce n'est qu'à moitié réussi £ enfin, l'idée était bonne £ et, comme elle n'a été qu'à moitié bonne, il faut compléter l'autre moitié.\
Il faut donc des institutions. Nous avions créé avec Pierre Mauroy et Georges Fillioud la Haute Autorité, elle n'a pas mal marché, sans doute un peu trop bien, puisque l'un des premiers actes de 1986, a été de la renvoyer dans les oubliettes pour inventer cette merveilleuse Commission nationale de la.. Je le répète, Commission nationale de la communication et.. et ... je ne peux pas aller plus loin.. Les pauvres, ils étaient 9, ils ne sont plus que 8, les grands juges de la liberté et de la communication.
- La campagne est commencée il y a déjà quelque temps, c'était le 8 avril officiellement £ nous sommes le 15 £ et le 14 ou le 13, la Commission nationale de la communication et-de-je-ne-sais-plus-quoi, décide soudain, sous la pression politique du parti, ou d'un parti de la majorité parlementaire, de changer la règle du jeu, de permettre l'utilisation de documents que nous ne possédons pas, nous, de telle sorte que pour la dernière semaine de la campagne, il y a certains qui disposeront de documents pour tenter d'accabler leurs adversaires et les autres qui n'auront rien dans les mains.
- La Commission nationale de la communication ou de l'incommunication et... du reste... dites-moi, mesdames et messieurs, on ne l'aurait pas, on s'en passerait bien !
- Et comme on ne peut pas trop compter sur les autres, on s'en chargera. Mais pas pour inventer une troisième institution à la botte de quelqu'un, y compris à la nôtre, nous manquerions à notre mission au service des libertés. Il faut une institution. C'est pourquoi j'ai proposé une réforme constitutionnelle et la création d'un Conseil supérieur de l'audiovisuel qui, entré dans la Constitution, composé de professionnels, parviendrait, j'espère, à créer vraiment ce quatrième pouvoir, qui aura des faiblesses comme les autres mais aussi sa grandeur comme les autres, et qui, dans une démocratie, aura en charge la liberté.\
La dynamique de la liberté, c'est aussi, je le disais tout à l'heure, au bout de la planète, la possibilité pour chacun, dans l'archipel de Nouvelle-Calédonie, de vivre, selon ses traditions, de disposer là-bas aussi de l'égalité des chances, de ne pas voir les terres confisquées par les uns au bénéfice des autres, de ne pas voir ou assister à la destruction d'une culture et d'un peuple.
- Essayer de comprendre que les différentes ethnies qui se sont surajoutées au travers de plus d'un siècle doivent vivre ensemble, sans quoi tout finira par le drame, et c'est la République française qui doit se considérer aujourd'hui comme celle qui doit apaiser les passions et parvenir un jour à créer les conditions de la paix morale et de la paix civile entre des ethnies qui doivent s'aimer, qui doivent collaborer et non pas se détruire. Et, c'est l'honneur de la République française qui se trouve là, comme ailleurs, engagé.\
Encore une fois, la dynamique de la liberté.
- La liberté, mesdames et messieurs, chers amis, elle est assurée, dans un Etat de droit, par la justice. Je veux dire que nul ne peut être atteint dans ses droits, nul ne peut être opprimé, nul ne peut être privé de ses droits sans que ce soit la magistrature, la justice, et non pas une administration d'autorité, qui en ait la charge.
- Lorsqu'il y a des urgences, nous pouvons les comprendre, et je suis de ceux qui pensent que rien ne doit être négligé, que tout doit être fait pour réunir les Français chaque fois qu'il s'agit de lutter contre le terrorisme. Je pense que là-dessus, il n'y a pas de compromis possible. Mais un pays civilisé doit se garder de céder à la tentation d'employer les mêmes moyens que ceux qui tuent, que ceux qui oppriment, que ceux qui ensanglantent, que ceux qui nous séparent de nos frères, que ceux qui accroissent le chagrin et le deuil. Oui ! Nous avons à lutter contre ce terrorisme, mais nous ne devons pas choisir les mêmes moyens que lui ! Vous me direz : mais, la partie est inégale ! Je vous dirai : non, croyez-moi, la force, elle est dans la liberté, la force, elle est dans la démocratie !\
Comme je termine, quelqu'un dira - en tout cas demain matin - "Après tout, tout ce qu'il a dit, ce n'était pas mal - oh peut-être à part quelques détails - mais on dit tous la même chose". Et ce sera repris en choeur par toute une partie de la presse qui dit : "cette campagne n'est pas très intéressante, ils disent tous la même chose " Je vais vous faire une autre confidence : c'est assez vrai. Nous disons tous à peu près les mêmes mots.
- Chacun parle de recherche. Oui, dans la bouche. Recherche. Et puis, l'autre, il a dans la bouche : recherche. Moi, j'ai dans la bouche : recherche ... Oui ! Mais la différence, c'est que nous, on accorde des crédits, et qu'eux, ils les enlèvent !
- On dit : la culture. Qui est-ce qui est contre la culture ? Mais personne ! La culture, elle est dans celle de l'autre. La culture. Oui ! Mais nous, on augmente les crédits de la culture, et eux, ils les cassent !
- Nous, la musique, vive la musique ! La jeunesse, vive la jeunesse ! je l'ai sur ma bouche, l'autre, parle comme cela, on dit tous la même chose. Oui ! Mais nous, on crée une chaîne musicale, et les autres, ils la suppriment !\
La famille. Qui n'aime pas la famille ? La famille, bien entendu, on va aider la famille ! Mais il y en a qui - je les connais : c'est nous ! - il y en a qui augmentent les allocations familiales, lorsqu'ils arrivent au pouvoir, de 50 %, en 1981, de telle sorte que le pouvoir d'achat de l'allocation familiale s'élevera sur cinq ans de 46 %, tandis que pour les familles de trois enfants il s'élevera de 18 % - c'est un progrès. Et depuis deux ans, ils parlent comme nous. Ils aiment leur famille, eux aussi et même les familles des autres, comme nous - on aime tous nos familles ! - Oui ! Mais nous, on accroît leur pouvoir d'achat, les autres, ils n'en font rien !
- On dit la même chose avec le minimum vieillesse. Les personnes âgées, on les aime - moi, je les aime, vous pensez bien ! Les personnes âgées, le minimum vieillesse. Mais en 1981, on augmente le minimum vieillesse de 40 % et, au total en pouvoir d'achat - ce qui n'est pas tout à fait la même notion - sur cinq ans, on augmentera le pouvoir d'achat de 25 %. En 1986 - 1987, plus rien ! Cela stagne, si cela ne baisse pas ! Pourtant, on a dit "vieillesse" et on a dit "famille". C'étaient les mêmes mots, on dit la même chose, on ne fait pas la même chose !
- Les nouveaux pauvres. Tout le monde parle des nouveaux pauvres, et même certains ont dit que c'étaient les socialistes qui les avaient inventés, fabriqués. C'est un peu excessif lorsqu'on sait que le premier rapport sur les nouveaux pauvres est de 1980, ce qui pourrait signifier qu'ils existaient avant 1981. Les nouveaux pauvres, il y en a qui disent : on va leur donner une allocation minimum, un revenu minimum garanti d'insertion £ on l'appellera comme on voudra. On donne ce droit. C'est un droit. Chaque Française et chaque Français, dans notre société française, doit pouvoir au minimum vivre, se nourrir, se vêtir, préserver sa dignité. Nous créons un droit. Nous le proposons, nous le ferons. Et nous le finançons. Nous le financerons pour partie sur le bénéfice du nouvel impôt sur les grandes fortunes.
- Mais les nouveaux pauvres, tout le monde les aime ! Ils sont sur ma bouche, ils sont sur la bouche des autres, de celui-ci, du 3ème, du 4ème, du 5ème - il y en a 9 `candidats à l'élection présidentielle` ! - de tous ! Oui, ! Mais nous créons un droit, nous le finançons. Quelles sont les autres propositions ? Un dispositif facultatif qui n'est pas financé. Bref, nous disons la même chose, mais nous ne faisons pas la même chose !\
J'ai parlé tout à l'heure de l'égalité entre les hommes et les femmes. Mais tout le monde est pour l'égalité ! Tout le monde est pour les femmes ! enfin, presque ! Oui, sur la bouche. Bon, qui cela ? Je ne sais pas qui copie l'autre £ à écouter les autres, j'ai l'impression que c'est moi qui copie ! Oui ! Mais moi, je le fais, les autres ne le font pas !
- Nous avions une loi, que j'ai évoquée tout à l'heure, celle d'Yvette Roudy. Eh bien ! Cette loi, elle est de moins en moins appliquée. Comme je vous le disais tout à l'heure, le ministère, il n'y en a plus. J'ai parlé de la justice fiscale. Qui est-ce qui n'est pas pour la justice ? Tout le monde n'est pas pour la fiscalité, bien entendu, mais enfin nous sommes pour la justice. J'ai déjà apporté la réponse tout à l'heure : il y en a qui le font, qui cherchent cette justice, et puis d'autres qui aggravent l'injustice ! Nous employons les mêmes mots, nous ne faisons pas les mêmes choses !\
Et l'aide au tiers monde ? Nous avons péniblement réussi à aller peu à peu vers l'objectif fixé par les institutions internationales dans l'aide au tiers monde, au développement du tiers monde : 0,7 % du produit intérieur brut de chaque grand pays industriel.
- Nous avons recueilli en 1981 cette aide à 0,36 %, nous l'avons montée à 0,54. Dès 1986, cela a replongé à 0,54. C'est-à-dire que depuis deux ans nous avons cessé de marcher vers l'objectif nécessaire. Car, si le fossé s'accroît entre les pays riches et les pays pauvres, vous préparez au monde entier, à l'humanité, une série de drames, de catastrophes en chaîne : la mort, la faim, la misère, le froid, le soleil, la pauvreté, toutes les misères du monde, des milliards d'êtres humains, des enfants qui meurent par centaines de milliers ! simplement parce qu'ils n'ont rien, ni pour boire, ni pour manger.
- L'aide au tiers monde, ce n'est pas aider seulement le tiers monde, c'est s'aider soi-même. Parce que si vous ne remaniez pas les termes de l'échange à travers les continents, si vous rendez 2 milliards d'être humains improductifs, incapables de produire, ou bien incapables de consommer et donc incapables d'échanger, vous réglez les affaires du commerce international entre quelques pays plus riches que les autres, qui se font concurrence sur tous les terrains et qui finiront pas se neutraliser mutuellement, fabriquant tous les mêmes choses, et n'ayant plus aucune raison de les acheter ailleurs, alors que l'humanité avance.
- Savez-vous - je l'ai écrit dans une lettre qui ne vous est pas parvenue à vous tous, parce que, pour qu'elle vous parvienne, il faudrait la mettre à la poste, cela représente 60 millions de francs, 6 milliards de centimes, et je ne les ai pas, de telle sorte qu'il faut recourir au service mutuel, à l'entraide, à la diffusion, à la distribution... aidez-moi à cela pour qu'au moins on sache partout en France le projet pour la France du candidat que je suis - que dans l'année 1987, on a beaucoup parlé d'aide au tiers monde, on s'est flatté d'avoir aidé ces pauvres gens, eh bien, ce n'est pas vrai ! Le transfert final des financements, après tous les calculs, démontre que ce transfert s'est réalisé pour 34 milliards de dollars en faveur des pays riches venant des pays pauvres : ce sont les pauvres qui nous aident !
- Alors, est-ce que ce n'est pas le moment, non seulement de saisir la France mais de saisir l'ensemble des pays riches, comme je n'ai pas manqué de le faire de toutes les tribunes où j'ai été appelé à me rendre, pour que les pays pauvres, plus pauvres que les autres, disposent d'un certain nombre de mesures aussi intelligentes que possible, que les pays endettés, qui n'ont rien, voient leur dette annulée, et que les pays endettés, qui ont quelque chose, voient des moratoires ou des délais accordés, que l'on puisse échanger autrement que par la restitution d'une créance, que l'on puisse, en vérité, aider ces pays. Je pense au Brésil et à d'autres, à certains pays d'Afrique : chaque fois qu'ils produisent quelque chose de plus, ils s'appauvrissent £ chaque fois qu'ils consacrent quelques heures de plus de leur journée à produire, ils ont ou ils reçoivent moins d'argent ! Toutes les conditions du malheur, de la révolte, de la colère brusque violente, toutes les conditions du retour à la dictature... et qui sait si ce n'est pas parfois un rêve qui visite l'esprit de certaines classes dirigeantes.\
Je l'ai dit : tout le monde parle de l'Europe. Je n'y ai pas manqué ce soir, mais les autres aussi ! Comme ils aiment l'Europe ! Ils l'aiment tellement ! C'est devenu une nécessité. Mais on oublie qu'on a cassé un moment le programme Erasmus qui consiste à permettre, naturellement en le finançant, à tous les jeunes étudiants d'Europe d'aller indifféremment, selon leurs goûts, étudier un jour à Montpellier, un autre jour à Heidelberg, une autre fois à Salamanque, une autre fois à Padoue ou à Bologne et, pourquoi pas à Oxford, là où on veut, selon l'idée que l'on se fait de ce nouveau chantier qui s'appelle l'Europe.
- On a réduit les crédits de l'Office franco-allemand pour la jeunesse.
- Il a fallu lutter pour obtenir l'élargissement de l'Europe à l'Espagne et au Portugal, et l'on a menacé, par référendum, de casser les traités. On a menacé le Roi d'Espagne de revenir sur les engagements de la France. On me disait : il ne faut pas élargir l'Europe pour sauver nos paysans. Mais nos paysans, ils sont plus intelligents que cela ! Et tous les Français aussi ! Ils savent qu'avec l'Espagne et le Portugal, là, nous sommes au centre de l'Europe, qu'avec le tunnel sous la Manche que j'ai signé et engagé pour la première fois après tant et tant d'espérance, avec Mme Thatcher - eh oui, avec Mme Thatcher - nous avons ouvert le tunnel sous la Manche ! Les grandes voies de communication ferroviaire, les canaux, les routes se dirigent vers les mêmes endroits, du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest. Si on le veut, tout passera par la France. Des villes comme Toulouse, comme Bayonne, comme Pau, comme Perpignan et d'autres encore, peut-être Narbonne ou Béziers, cesseront d'être un cul-de-sac de l'Europe £ elles sont au milieu, tout passera par chez nous. Si nous sommes capables de produire toujours mieux, nous vendrons toujours mieux et la France sera plus prospère dans une Europe de la géographie c'est aussi celle de la politique, c'est aussi celle de l'histoire, c'est aussi celle de la culture !
- Voilà pourquoi j'ai engagé la France - je terminerai comme j'ai commencé - en engageant les Français dans le fameux grand marché européen où maintenant il va falloir mettre toutes ses forces, tous ses moyens, toute son énergie, toutes ses compétences. Vous vous en sentez capables ?
- L'assemblée : oui !
- Est-ce que vous en avez envie ?
- L'assemblée : oui !
- Est-ce que vous y croyez ?
- L'assemblée : oui !
- Est-ce qu'en vous disant cela, vous n'avez pas le sentiment que nous proposons quelque chose ?
- L'assemblée : oui !
- Que nous construisons quelque chose ?
- L'assemblée : oui !
- Est-ce que vous avez l'impression que nous regardons du côté du passé ?
- L'assemblée : non !
- Vous n'avez pas le sentiment que l'on bâtit l'avenir là, tous ensemble ?
- L'assemblée : oui !\
Eh bien, je crois que toutes ces dynamiques se résument en une seule £ la dynamique de l'union des Français, de la France, et ce sera la France si la France est libre, si la France est juste, si la France est forte, et si la France est unie !
- Alors, je dis à tous ceux qui veulent m'entendre, bien au-delà de cette salle, bien au-delà de mes amis politiques que je suis fier d'avoir pour amis politiques, mais à tous les autres, ceux qui le veulent : "Françaises et Français allons-y, conquérons le monde avec les autres et pour la paix, pour la prospérité, pour l'égalité. On n'y arrivera pas, on n'arrive jamais au bout. Mais l'honneur de notre génération, de vos générations, l'honneur de celles et de ceux qui vivent aujourd'hui aura été de faire avancer le progrès et la paix dans le monde. Il n'y aura pas d'autre chemin que celui que je vous désigne ! Oui, allons-y !
- Vive Lyon !
- Vive la République !
- Vive la France !\