3 mars 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du sommet de l'OTAN, sur le statut particulier de la France dans l'Alliance atlantique et la position de l'OTAN sur le désarmement conventionnel, Bruxelles, jeudi 3 mars 1988.

Le Sommet de Bruxelles est donc terminé. Il a pu travailler dans de bonnes conditions, surtout parce que les documents préparatoires avaient été mis au point dans les journées précédentes et pendant la nuit, document si bien contrôlé sur le -plan de sa rédaction qu'il a été adopté sans difficulté particulière, à l'unanimité.
- Quel est son contenu ? On peut dire que c'est un pas de plus dans la voie du désarmement, bien entendu avec toutes les précautions nécessaires. Cela explique aussi pour une part la raison de la présence de la France autour de la table. Je dis pour une part seulement, car déjà le Président de la République française a participé à des réunions de ce type, moins assidûment, de façon moins permanente mais réellement, de même que le Premier ministre, à deux reprises, en 1975 et en 1982.
- Membre à part entière de l'Alliance, il nous paraissait nécessaire de dire ce que nous avions à dire et d'apporter aussi la force symbolique, en même temps que réelle, d'une présence lorsqu'il s'agit de définir et de préciser la stratégie pour le désarmement. C'est la première fois que l'OTAN consacre un sommet tout entier à une question d'une telle importance : une stratégie pour le désarmement. Eh bien la France veut naturellement, parce qu'elle est intéressée au premier chef, parce qu'elle est membre de l'Alliance et parce qu'elle dispose aussi d'une stratégie autonome de dissuasion dont elle doit protéger les intérêts, pouvoir à tout moment exprimer ce qu'elle en pense.
- C'est ce qui a été fait au cours de l'après-midi d'hier de la matinée d'aujourd'hui. Cela a été fait comme cela devait l'être. La France doit ignorer les personnes qui la représente, en l'occurence le Président de la République, le Premier ministre et comme vous le voyez le ministre des affaires étrangères. Elles ont une unique mission, servir les intérêts du peuple qui leur a fait confiance. Cela a été fait de la façon la plus claire et la plus constante.
- Le texte en question, le texte principal car il y en a un deuxième dont je dirai un mot dans un instant, la "déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de l'Atlantique Nord à Bruxelles", a reçu notre accord entier. Lorsqu'est arrivée l'heure des explications, j'ai au nom de la France indiqué, à la fois notre accord, c'est-à-dire notre solidarité et rappelé que la stratégie autonome de dissuasion nucléaire de la France lui créé une situation particulière au sein de cette Alliance et la tient à l'écart, de sa propre volonté, des organes militaires intégrés de l'OTAN et que cette situation particulière n'avait en rien changé et que tout en restant bien entendu en relations étroites avec nos partenaires, nous entendions continuer d'observer la même démarche.
- S'agissant des textes, je relèverai que sur les débats les plus sensibles, les expressions choisies montrent une grande disponibilité. Le désarmement conventionnel apparaît comme une nécessité prioritaire puisque c'est justement à ce désarmement-là qu'est consacré l'autre document important, prévoyant dans le détail un certain nombre de procédures.
- Cette forme de désarmement n'est naturellement pas exclusive des autres. En ce qui concerne l'article 5, il indique quant à la stratégie de l'Alliance : "il s'agit d'une stratégie de dissuasion fondée sur une combinaison appropriée de forces nucléaires et conventionnelles, adéquates et efficaces qui seront maintenues à niveau là où ce sera nécessaire". Là où ce sera nécessaire : il y aura donc chaque fois une décision propre qui sera délibérée.
- Je n'ai rien d'autre à vous dire pour présenter ce texte qui est à la fois une réaffirmation de principes connus, mais aussi un engagement dans la voix du désarmement contrôlé, équilibré et sous des garanties sérieuses tel que l'ensemble des participants de cette réunion ont estimé devoir le faire.
- Voilà, mesdames et messieurs, ce que je vous dirai pour présenter le compte-rendu de nos travaux.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous venez de tirer le bilan de ce sommet de Bruxelles. Est-ce que nous pourrions connaître la position du Premier ministre ?
- LE PRESIDENT.- Bien volontiers.
- LE PREMIER MINISTRE.- Il va de soi d'abord que je souscris sans réserve à la présentation du bilan fait par le Président de la République.
- Je voudrais faire d'abord une observation sur la signification qu'a à mes yeux la présence, à la fois du Président de la République et du Premier ministre à un sommet de l'Alliance atlantique. Ce n'est pas un fait exceptionnel. Il a des précédents. Mais il est important et j'y vois pour ma part la preuve que la position de la France dans l'Alliance telle que l'a voulue le général de Gaulle est aujourd'hui pleinement reconnue par tous nos partenaires et c'est important. Cela ressort bien des textes. Plus que jamais la France est déterminée à assumer les engagements qu'elle a souscrits mais elle le fait et elle continuera de le faire dans le -cadre d'une politique de défense qu'elle définit elle-même, en effet, en toute indépendance.
- Des discussions et des documents qui ont été adoptés, je tire pour ma part quatre enseignements. L'Alliance atlantique d'abord c'est une Alliance de défense £ nous ne devons jamais l'oublier et sa force repose donc sur la volonté et la capacité de défense de chacun des pays qui la composent. Et si la France est aujourd'hui écoutée, - on l'a vu pendant toute cette discussion - et respectée, c'est parce qu'elle a montré sa détermination à poursuivre un effort de défense courageux et un effort de modernisation de ses forces à la fois conventionnelles et nucléaires.
- Cette action qui est la condition même du maintien de leur crédibilité a été réaffirmée régulièrement et notamment à l'occasion de la dernière loi de programmation militaire qui a été votée récemment, vous le savez, par la quasi-totalité des forces politiques de notre pays, ce qui marque bien ce consentement général en matière de défense.
- Comme le Président de la République par ailleurs l'a bien montré à nos alliés, l'arme nucléaire demeure la clé de voûte de la dissuasion. C'est la dissuasion qui a garanti la paix en Europe depuis quarante ans, c'est pourquoi les pays de l'Alliance ont tenu à souligner, dans la déclaration finale, la nécessité de maintenir des forces nucléaires et conventionnelles qui soient à la fois adéquates et efficaces, et maintenues au niveau qui sera effectivement nécessaire. Et la France pour ce qui la concerne a toujours appliqué ce principe qui est en réalité celui du bon sens.\
`LE PREMIER MINISTRE ` Suite`
- C'est sur ces bases essentielles de notre sécurité que nous avons abordé les grandes affaires du désarmement qui était le point fondamendal de cette discussion. Il convenait en effet de faire le point après l'accord sur les forces nucléaires intermédiaires et aussi débattre de l'avenir. Et la leçon tirée par tous nos alliés, que la France partage sans réserve, c'est que la fermeté et la solidarité des Occidentaux ont été la clé du succès puisqu'elles ont conduit l'Union soviétique à admettre que le désarmement soit véritablement équilibré. Car en effet le désarmement n'a de sens que s'il accroît la sécurité de tous et nous avons rappelé ce qu'étaient à nos yeux les prochaines étapes de ce désarmement nécessaire, les priorités étant claires. Il s'agit de parvenir à des réductions des arsenaux stratégiques à la fois soviétiques et américains. Il s'agit également, et c'est aussi important, du désarmement conventionnel pour lequel la France entend continuer à jouer pleinement son rôle et ce rôle est important. La déclaration que vient d'évoquer le Président de la République et qui vient d'être rendue publique doit - il faut que vous le sachiez - beaucoup à l'inspiration de notre pays.
- Enfin, j'ai été heureux de constater l'écho rencontré aujourd'hui par un thème qui m'est cher depuis longtemps : l'Alliance atlantique ne peut être forte que si l'Europe elle-même est forte. Cette idée, qui a fait longtemps l'objet de réserves ou même de craintes de la part de certains, est aujourd'hui reconnue par tous. Non seulement en Europe mais aussi en Amérique, et je me félicite que le Président Reagan l'ai très clairement souligné. C'est une évolution importante, et toute notre action va dans ce sens. Je pense naturellement au développement récent que nous avons donné à la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense. Je pense à ce que nous faisons avec les autres pays européens. Je pense enfin à la charte de l'Union de l'Europe occidentale qui a été adoptée à La Haye le 27 octobre 1987 à l'initiative de la France. Il faut poursuivre sur cette lancée, et je suis pour ma part plus que jamais convaincu que la tâche de la France au cours des prochaines années c'est de faire en sorte que l'Europe soit à la fois plus forte et plus unie pour sa défense.\
LE PRESIDENT.- M. Bortoli, je vous en prie.
- QUESTION.- Il semble que ce sommet de l'OTAN se soit beaucoup situé dans sa recherche du désarmement par -rapport à ce que fait l'URSS. Or, beaucoup expriment des doutes sur la réalité même de la démarche pacifique actuelle des soviétiques, alors aux yeux du sommet et aux yeux de la délégation française, qu'est-ce qui l'emporte actuellement dans la démarche soviétique ? Est-ce la paille des mots, le grain des choses, quel a été le sentiment à ce sujet ?
- LE PRESIDENT.- On peut interpréter autant qu'on le voudra et il est difficile de se reconnaître dans les méandres psychologiques. Comment pourrait-on engager une diplomatie fondée sur les arrières-pensées ? On peut les supposer. Et soi-même en est-on vraiment dépourvu ? De telle sorte qu'on ne peut débattre que de ce qui est connu, à quoi s'ajoute ce qui est dit, et surtout ce qui se fait et pour ce qui est à faire, alors il incombe à chacun des pays de poser en termes clairs les garanties dont il a besoin. Il faut donc que tout se passe comme s'il n'y avait pas d'arrières pensées. D'où l'importance de la méthode et de la procédure.
- M. Reagan et M. Gorbatchev ont déjà signé un accord qui vise les forces nucléaires intermédiaires, il faut qu'ils continuent. C'est vrai que certains s'inquiètent de ce qui leur apparaît comme une faiblesse pour les Européens à la suite de cet accord. Ce n'est pas du tout mon sentiment, mais je comprends qu'il faille répondre à cette question. D'où l'importance de la réduction des armements conventionnels, par le bas. C'est-à-dire que l'Union soviétique doit consentir à négocier puis consentir ensuite à réduire le potentiel de ses forces. Si l'on n'y parvenait pas, c'est-à-dire si elle s'y refusait, si ensuite cette négociation que l'on espère, traînait ou n'aboutissait pas, alors bien entendu les autres formes d'armement redeviendraient plus que jamais d'actualité pour maintenir les équilibres. Voilà comment se pose le problème.
- J'ai parlé des faits. Ce qui est vrai, c'est qu'une négociation a eu lieu et qu'elle a abouti, sur des bases que j'ai estimées, au nom de la France, sérieuses. Je répète donc que nous les avons approuvées. Avant d'approuver d'autres accords, nous les examinerons de même.\
QUESTION.- Monsieur le Président, malgré les paroles très encourageantes de M. Reagan sur le fait que l'Amérique continuerait à défendre l'Europe en cas de conflit, nous savons que de plus en plus, et vous l'avez rappelé vous-même, que l'Europe devra y apporter sa contribution. Je ne suis pas Français, je suis Belge, et vous qui avez un bouton sur lequel vous pouvez pousser, s'il y avait un conflit en Centre-Europe qui pourrait se poursuivre à mon pays, prendriez-vous, le cas échéant, la décision d'utiliser l'arme atomique française ?
- LE PRESIDENT.- Mais monsieur, l'Europe contribue déjà beaucoup à sa défense. Sans doute n'est-ce pas suffisant dans l'-état actuel de l'Europe, ce qui rend nécessaire l'Alliance `atlantique`, objet de notre réunion de ce jour. Mais la France apporte la contribution d'une force nucléaire qui exige beaucoup d'elle, afin qu'elle reste au-dessus du seuil comme on dit dans les termes habituels, de crédibilité. La Grande-Bretagne agit de même. D'autres pays, dont la France encore, et comme l'Allemagne, fournissent un effort très réel sur le -plan des forces conventionnelles. Nous ne sommes pas absents. Nos forces ne sont cependant pas suffisantes pour assurer la dissuasion stratégique globale. D'où l'importance de la présence américaine, présence dans le -cadre d'un armement général, mais aussi présence physique sur le sol européen. Nous en sommes là.
- Vous voulez que je vous réponde par -rapport à une hypothèse que je récuse. La démarche vers le désarmement complète une série de démarches qui toutes ont tendu à éviter la guerre. D'ailleurs, le sens même de la dissuasion, c'est d'empêcher la guerre, et non pas de la gagner. Pour le cas où l'ensemble de ces hypothèses se réaliseraient et où nos précautions - j'insiste surtout sur nos précautions - n'auraient pas suffi malgré la force considérable de l'Alliance atlantique, si par malheur l'on devait franchir tous ces stades, alors le Président de la République ferait son devoir. Mais combien de conditions devraient être réunies pour vous apporter une réponse qui anticiperait sur un événement qui parait encore et heureusement, fort improbable.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République, vous avez déclaré il y a quelque temps, dans la doctrine française de dissuasion l'ultime avertissement n'est pas le propre des armes à courte portée que nous possédons, j'en conclus qu'il peut être délivré par des armes françaises à très longue portée, en URSS même. Alors dans ces conditions, à quoi peuvent servir les futures Hadès de 300 à 400 kilomètres de portée ?
- LE PRESIDENT.- L'ultime avertissement peut être délivré, là où nous le décidons, dès lors qu'il vise des sites caractéristiques pour bien marquer notre intention et notre volonté. Peu importe le moyen, ou le vecteur dont nous nous servons. Lorsque j'ai dit cela, je répondais à une interrogation angoissée. L'ultime avertissement, c'est la pensée allemande, serait-il seulement le fait des armes à courte portée ou à très courte portée, ce qui reviendrait à dire que le territoire allemand serait l'objectif désigné ? Eh bien non, il faut que les Allemands sachent que telle n'est pas notre volonté. Que je dirai même que tout sera fait pour que cela n'ait pas lieu, l'ultime avertissement doit par principe et chacun le comprend, frapper celui qui se déclarerait comme l'agresseur et non pas celui qui est l'allié. Je ne répondrai pas au-delà à votre question, la stratégie française ne se discute pas à l'avance et dans une situation hypothétique, même dans une conférence de presse.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la France n'avait pas pu s'associer complètement aux documents de l'OTAN de juin 1987, en particulier à cause du fameux paragraphe 7 qui définissait les quatre négociations futures sur le désarmement. Or, aujourd'hui je vois que dans ce document, ce paragraphe est pratiquement repris tel quel, en particulier la question des missiles à courte portée basés à terre ou les négociations devraient avoir lieu parallèlement aux autres. Qu'est-ce qui a changé entre 1987 et aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- C'est à vous de me le dire. Où voyez-vous un changement ?
- QUESTION.- Le point est sur la question d'ouvrir des négociations sur les armes nucléaires tactiques américaines en Europe en parallèle avec les négociations sur le chimique et le conventionnel et les négociations stratégiques.
- LE PRESIDENT.- Les Américains, puisqu'il s'agit d'eux, et le commandement intégré de l'OTAN, sont naturellement libres de choisir les voies qui ont leurs préférences. Nous sommes là et nous donnons notre avis, mais dès lors qu'il y a décision de désarmement dans le -cadre du commandement intégré, alors on retrouve - c'est bien dans le texte - les quinze alliés. Le seizième c'est nous, ce qui veut dire que la France dans ce domaine garde sa liberté d'appréciation.\
QUESTION.- Monsieur le Président est-ce que dans le paragraphe 10 où il est dit : "nous sommes déterminés à élargir notre coopération pratique dans le secteur de l'acquisition d'armements et dans d'autres secteurs" ne risque pas de représenter un pas vers l'OTAN en tant que association intégrée ?
- LE PRESIDENT.- Je passe mon temps à répéter que la stratégie de dissuasion nucléaire reste ce qu'elle a toujours été, autonome. Est-ce que vous voulez que je me répète une fois de plus ? La coopération existe entre les forces autonomes françaises et les forces alliées. Nous ne sommes pas exclus du mouvement général. Simplement, tout ce qui touche à cet armement nucléaire reste le propre de la décision française. Voilà, mais la coopération elle existe, il ne faut donc pas pousser le raisonnement jusqu'à sembler dire que la France dans l'Alliance s'isole au point de rester à l'écart des grands choix stratégiques. Mais le commandement, la décision, donc l'appréciation de l'opportunité et de l'intérêt même du pays dans le -cadre de sa souveraineté, est préservé en raison même de ce que j'ai rappelé être la stratégie autonome. Je ne l'ai pas rappelé qu'à vous madame, je l'ai rappelé au nom de la France hier et encore ce matin à nos partenaires.
- QUESTION.- Je voix que l'expression : "doctrine des ripostes graduées" ne figure pas dans le document de la déclaration générale alors qu'il figurait dans beaucoup de documents antérieurs. C'est un acquis ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'avons pas à organiser la guerre civile sur les termes employés que chacun des journalistes ici présents, dans son autonomie de décision, interprête à sa guise.\
QUESTION.- Monsieur le Président ...... la combinaison ....... traduit dans le texte français par "maintenu à niveau" ?
- LE PRESIDENT.- Les organes militaires intégrés de l'OTAN n'ont pas soudain changé de stratégie. Il ne faut pas à propos d'un changement de terme dans les différentes élaborations du document final, en tirer la conclusion que les données fondamentales sont changées. Je ne relève que la dernière phrase de cet article 5, il s'agit d'une "stratégie de dissuasion fondée sur une combinaison appropriée de forces nucléaires et conventionnelles, adéquates et efficaces qui seront maintenues à niveau là où ce sera nécessaire". J'ai complété ce mot à mot tout à l'heure en indiquant, puisque la discussion a eu lieu sur ce point, que "là où ce sera nécessaire" signifie que chaque fois qu'il sera nécessaire de mettre en oeuvre une combinaison appropriée et de décider la mise à niveau, cela fera l'objet d'une décision particulière. En ce sens, les différents intérêts en présence, les thèses exposées ont trouvé un point commun qui permet si on le désire de mettre à niveau, mais après délibérations et décisions, point par point, cas par cas.\