9 février 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le bilan de son voyage à La Réunion, à l'aéroport de Gillot, mardi 9 février 1988.

QUESTION.- Tout au long de ces deux jours à La Réunion, vous avez souvent utilisé deux mots : égalité et liberté. Croyez-vous que ces deux mots puissent s'appliquer à une autre île française lointaine, je veux parler de la Nouvelle-Calédonie.
- LE PRESIDENT.- Ce sont les mots qui s'imposent toujours sur l'ensemble du territoire français et plus encore là où ils ne sont pas respectés.
- QUESTION.- Il n'y avait pas de membre du gouvernement pour vous accompagner dans ce voyage. Le ministre des DOM-TOM a déclaré la semaine dernière qu'il ne venait pas parce qu'il estimait que vous étiez un candidat en campagne `électorale`. Je voudrais savoir, au terme de ce voyage, si finalement vous auriez préféré que M. Pons soit là ou pas ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas le premier voyage que je fais sans la présence d'un membre du gouvernement. Je n'étais donc pas étonné. Je n'attendais personne et je pense que je ne l'aurais pas remarqué.
- QUESTION.- Et sur le commentaire par lequel il exprimait.....
- LE PRESIDENT.- J'ai bien compris que c'était celui-là qui vous intéressait.
- QUESTION.- Est-ce que vous n'êtes pas un petit peu agacé par les accueils que vous réservent les maires de droite, d'abord Dunkerque il y a quelques semaines et hier le maire de Saint-Denis ?
- LE PRESIDENT.- L'accueil du maire de Dunkerque a été un très bon accueil. Il a dit ce qu'il pensait et moi aussi. L'amabilité personnelle du maire de Dunkerque n'est pas à mettre en cause.\
QUESTION.- Monsieur le Président, c'est vous qui avez libéré l'information en France. A l'échelon réunionnais, Freedom essaie de se battre pour son existence et de se battre en même temps pour son pluralisme en dehors du -cadre légal. Que pensez-vous à la fois de ce combat et de cette situation ?
- LE PRESIDENT.- Tout combat pour la liberté est un beau combat. Mais bien entendu dans une société il faut des règles. La liberté existe d'autant mieux qu'elle est définie dans des règles acceptées par l'ensemble de la nation. En ce domaine, une loi a voulu qu'une commission spéciale ait autorité compétente dans ce domaine. J'ai l'impression qu'elle s'est posé le problème, - enfin on m'a dit cela parce que je ne suis pas présent - qu'elle s'est posée ce problème spécialement à propos de cette télé.
- QUESTION.- Pour l'instant, il y a un statut-quo total.
- LE PRESIDENT.- Vous attendez une réponse ? Souhaitons qu'elle soit bonne.\
QUESTION.- Que pensez-vous, monsieur le Président, de la décision du gouvernement de faire coïncider les élections régionales en Nouvelle-Calédonie avec le premier tour de la Présidentielle ?
- LE PRESIDENT.- Je ne me suis pas exprimé là-dessus. C'est un texte qui a été l'objet d'un décret simple qui ne m'a donc pas été soumis, et que l'on n'avait pas à me soumettre d'après les termes de la loi. Si j'avais eu à donner mon sentiment et en même temps ma signature, il est probable que j'aurais posé quelques questions.
- QUESTION.- Monsieur le Président, Jacques Chirac est venu il y a quelques semaines à La Réunion et il a promis de revenir dans quelques semaines. Envisagez-vous de revenir vous-même avant les élections présidentielles ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas. Je ne cherche à encadrer personne.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pour l'échéance de 1992, pensez-vous que les départements d'outre-mer doivent suivre le mouvement ou protéger leur particularité ?
- LE PRESIDENT.- Ils doivent suivre le mouvement. Mais il appartient au gouvernement français de négocier pour que le bon sens l'emporte sur une logique purement formelle. Il est difficile d'estimer que la situation de La Réunion, si loin de l'Europe, puisse être identifiée à la vie quotidienne de la Communauté européenne. Je le voyais lorsque j'étais à Londres récemment. Nous avons discuté avec Mme Thatcher d'une dérogation à apporter pour des mesures fiscales, dérogation touchant le rhum de La Réunion. Seule la Grande-Bretagne y faisait obstacle, cet obstacle a été levé. On peut donc, à force d'explications et d'insistance, finir par obtenir raison. Il faut traiter ce problème avec le plus grand sérieux. On devrait pouvoir y arriver.\
QUESTION.- Dès votre arrivée, vous avez beaucoup parlé d'égalité. Aujourd'hui on a eu l'impression peut-être que vous traitiez plus de la justice et de la fraternité que de l'égalité, même si vous en parlez encore. Sur les deux jours, il a semblé qu'il y avait une petite différence. Il y a beaucoup d'égalité dans tous les discours.
- LE PRESIDENT.- C'est tantôt l'un, tantôt l'autre. On ne peut pas faire chaque fois un discours sur l'universalité des mondes. Je choisis mes thèmes selon les circonstances, ceux qui me semblent s'appliquer le mieux à la situation du pays où je suis, de l'endroit où je me trouve. Laissez-moi cette liberté-là ! de ne pas être tenu dans le discours stérile typique que vous voudriez me fixer !
- QUESTION.- Dans votre discours d'arrivée à Saint-Denis, vous avez parlé de la conquête de l'égalité sociale que reconnaissent nos lois. Est-ce que vous pensez que la parité sociale totale entre la métropole et les DOM pourrait figurer dans un programme d'un candidat ?
- LE PRESIDENT.- Elle doit être en tous les cas recherchée, ce n'est pas la question d'être candidat. Il suffit d'être démocrate. Il suffit d'être fidèle à la plus grande et à la plus vraie tradition française. Candidat ou pas candidat, il faut que le combat pour la justice et pour l'égalité continue. Ce n'est pas lié aux circonstances.\
QUESTION.- Est-ce que les propos que vous avez entendus au cours de ce voyage, - de façon générale d'ailleurs tous ceux que vous entendez au cours de vos voyages - vous ont aidé à prendre votre décision d'être ou non candidat à l'élection présidentielle ?
- LE PRESIDENT.- Vous revenez souvent sur ce sujet !
- QUESTION.- C'est intéressant.
- LE PRESIDENT.- Je ne méconnais pas l'intérêt de cela, je m'intéresse beaucoup à l'élection présidentielle ! Chaque fois qu'un candidat s'annonce, explique pourquoi, cela m'intéresse aussi. Non, je ne méconnais pas du tout la raison qui vous inspire mais ce qui m'a été dit à La Réunion ressemblait beaucoup sur ce terrain-là à ce qui m'est souvent dit en métropole. Disons que si je le souhaitais, j'y trouverais un encouragement.
- QUESTION.- Le souhaitez-vous ?
- LE PRESIENT.- Je vous répondrai ultérieurement.
- QUESTION.- Est-ce que les candidatures à la Présidentielle vous intéressent ?
- LE PRESIDENT.- Oui, comme elles intéressent tout citoyen.
- QUESTION.- Alors est-ce que celle de Raymond Barre hier vous a intéressé ?
- LE PRESIDENT.- Oui, beaucoup.
- QUESTION.- Alors, pouvez-vous nous dire votre sentiment ou au moins ce que vous en avez pensé ?
- LE PRESIDENT.- Non, je n'ai aucun commentaire à faire. Vous me demandez si cette candidature m'intéressait £ elle m'a beaucoup intéressé, M. Barre est un homme qui compte dans la vie nationale.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ce matin à Saint-Benoît, vous avez beaucoup insisté sur la volonté. Est-ce à dire que l'exemple mauricien pourrait servir pour La Réunion ?
- LE PRESIDENT.- A quel point de vue ?
- QUESTION.- La volonté mauricienne, l'exemple qui est repris par certains chefs d'entreprise en particulier.
- LE PRESIDENT.- Il y a de bons exemples à prendre à l'Ile Maurice que je salue au passage.
- QUESTION.- Je m'excuse auprès de mes confrères d'être un peu régional mais...
- LE PRESIDENT.- Je regrette beaucoup de n'avoir pu m'y arrêter. Quand j'avais conçu le projet de venir à La Réunion, j'avais pensé faire un voyage qui m'aurait permis de faire escale aux Seychelles, à Maurice et peut-être faire un saut à Madagascar, dans un voyage circulaire dans la région. Mais vraiment, le moment s'y prêtait peu et j'y ai renoncé au bénéfice de la seule Réunion. Je n'ai donc pas été à même de faire des comparaisons trop strictes. Je sais quand même un peu ce qui se passe à Maurice. Je connais bien ses dirigeants. Il y a certainement des exemples à prendre mais enfin la comparaison, je ne peux pas la résumer en deux mots. Il y a sans doute à Maurice, de bons exemples à prendre. C'est vrai que Maurice connaît actuellement un développement actuellement très intéressant.
- QUESTION.- A la suite d'appels d'offre internationaux, le gouvernement mauricien a accordé un contrat à une firme japonaise pour l'installation de notre réseau téléphonique, au détriment d'une firme française. Le représentant français à Maurice s'en est ému et a tenu des propos assez menaçant concernant les représailles qui pouvaient être prises contre l'Ile Maurice, pour l'écoulement de nos produits auprès de la CEE. Est-ce que de tels propos vous choquent en tant que tiers-mondiste ?
- LE PRESIDENT.- Le dernier point là... c'est une rivalité commerciale sur lequel je n'ai pas à me prononcer. Simplement, je crois qu'il faut éviter les mots excessifs de part et d'autre. Quant aux lois de commerce, il est vraiment difficile de dire s'il fallait agir ainsi ou agir autrement £ ce n'est pas mon rayon.
- QUESTION.- Monsieur le Président, permettez-moi de revenir sur la candidature de M. Barre. En la présentant, il a vivement critiqué l'ensemble du septennat et le déclin qui, selon lui, a consisté ces sept années. Qu'est-ce que vous en pensez ?
- LE PRESIDENT.- C'est une discussion dans lequelle je n'entre pas.\
QUESTION.- Je voudrais vous poser une question sur RFO. A Saint-Benoît, il y a une banderole "RFO, télé de la droite, ras-le-bol", vous-même, vous avez refusé d'intervenir à l'entretien à la station RFO, comme c'est de coutume. Est-ce que vous pouvez nous donner une explication sur cette décision ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez, quand existe une situation de monopole ou de quasi monopole - c'est le cas de RFO - le devoir de ceux qui en disposent au nom de la nation, c'est de servir le pluralisme dans tous les domaines de la pensée et de l'action. Dans une République démocratique comme la nôtre, on ne peut pas accepter que l'information, elle, ne le soit pas. Je considère que le comportement de RFO n'est pas digne de la mission qui lui a été dévolue et je n'ai aucune raison de le cautionner.
- QUESTION.- D'une manière générale, vous pensez donc que RFO n'est pas pluraliste ?
- LE PRESIDENT.- Si vous m'aviez écouté, vous sauriez ce que je pense. D'ailleurs votre question est le prototype de la fausse naïveté.
- QUESTION.- C'est un sujet dont vous parlerez au Premier ministre ?
- LE PRESIDENT.- C'est un peu tard peut-être.
- QUESTION.- Alors, que faire pour qu'il y ait pluralisme justement dans les médias dans les DOM-TOM ?
- LE PRESIDENT.- Ou bien il doit y avoir plusieurs moyens d'information £ ou bien si, par nécessité, il ne peut y en avoir qu'un, il faut qu'il se fasse lui-même pluraliste. C'est-à-dire qu'il respecte ceux qui l'écoute. Rien de pire que la tentation totalitaire. Ce n'est pas acceptable en France.\
QUESTION.- Quelles sont les premières impressions à chaud d'un voyage de deux jours, donc éclair, à La Réunion ?
- LE PRESIDENT.- Tous les voyages sont éclairs, madame.. Enfin... il y a peut-être des gens qui s'installent. Cela ne pouvait pas être mon cas.
- QUESTION.- Quelles sont les premières conclusions que vous pouvez tirer ?
- LE PRESIDENT.- J'ai rencontré beaucoup de gens, j'ai écouté, j'ai vu des foules, des questions sérieuses ont été traitées devant moi et pour moi. J'ai pu constater, à la fois les progrès, parfois les reculs, d'autres fois l'immobilisme dans des domaines où il vaudrait mieux qu'il y ait dynamisme et action. J'ai quand même le sentiment d'une population qui, en dépit de son hétérogénéité d'origine, est arrivée à se souder. Et on a le droit d'être fier d'être réunionnais. On souffre - c'est visible - de ce que j'ai appelé les "hiérarchies vermoulues". Il n'y a rien de pire que les hiérarchies vermoulues pour ne pas s'en rendre compte.
- QUESTION.- Monsieur le Président, ce matin à Saint-Benoît, vous avez déclaré que la devise républicaine "Egalité, Liberté, Fraternité" était le devoir et le programme permanent de tout républicain et démocrate. En cette période, le mot programme prend une résonnance, une connotation tout à fait particulière. Alors, doit-on voir dans ce triptyque l'esquisse de ce qui pourrait être votre programme ?
- LE PRESIDENT.- C'est l'esquisse du programme de tous les républicains depuis bientôt deux cents ans. Non, pas tout à fait, pour "Fraternité", j'ai précisé depuis cent-cinquante ans, pour les deux autres, cela fait deux cents ans. On continue. Ce n'est vraiment pas lié à l'épisode avril-mai 1988. La Liberté, l'égalité, la fraternité ont d'autres racines. Et le mode un peu artificiel qui conduit votre question pour m'obliger à vous répondre a peu de chance d'être entendu.\
QUESTION.- La date du 24 avril `premier tour de l'élection présidentielle` a été choisie pour les élections en Nouvelle-Calédonie. La Constitution vous donne le droit, je crois, de saisir le Conseil Constitutionnel, le ferez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Oui, il faut réfléchir à cette question.
- QUESTION.- Vous avez déjà réfléchi ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas aujourd'hui que j'ai décidé de m'exprimer à ce sujet, mais c'est vrai que cela pose la question. C'est vrai que ce n'est pas tout à fait habituel, vous pourrez me dire que la vie est remplie de choses inhabituelles, mais enfin, celle-ci a un côté pour le moins saugrenu. Mais, c'est ainsi, c'est ainsi, de toute manière. Moi je ne suis pas dans le circuit de la loi et du décret, s'il reste des voies de droit, elles sont à étudier.\
QUESTION.- Dans quel -état d'esprit vous rendez-vous au sommet de Bruxelles, est-ce que vous pensez qu'un accord est possible ? Ce sera très dur ? Quel est votre commentaire ?
- LE PRESIDENT.- J'y vais avec le souhait et la volonté de voir réussir l'Europe. C'est l'intérêt de tous les pays qui composent la Communauté. Et chacun de ces pays doit consentir à quelques concessions pour réussit l'ensemble. La construction est plus importante que les accidents de terrain. J'y vais donc avec l'espérance et la volonté de servir la réussite de ce sommet.
- Que les questions soient difficiles, c'est évident, puisque la Communauté européenne a déjà plusieurs fois bronché devant l'obstacle et de façon sérieuse, récemment encore à Bruxelles, je ne ferai donc pas de pronostics. Je connais bien les oppositions qui y sont faites, qui sont toujours présentées par les pays qui les expriment, d'une façon absolument intransigeante. L'intransigeance cède parfois en cours de discussion et je désire vivement que la France soit un élément de bonne entente et de compréhension. C'est dans cet -état d'esprit que je vais à Bruxelles.\
QUESTION.- Monsieur le Président, l'ensemble de la presse a souligné la présence massive des sympathisants du PCR dans les rassemblements que vous avez pu avoir avec la population réunionnaise. Est-ce que c'est pour vous un soutien actif, agréable, ou est-ce que cela représente plus une pression ?
- LE PRESIDENT.- Vous êtes un spécialiste merveilleux de tous les arcanes réunionnais. Moi, quand je vois des Réunionnais, j'ai beaucoup de peine à les distinguer. Ceux qui portent des pancartes, j'y arrive. Mais ceux qui n'en ont pas, c'est très difficile.
- QUESTION.- Les pancartes étaient nombreuses.
- LE PRESIDENT.- Oui, c'était pas mal du tout. Non, je suis ravi. J'étais ravi de les avoir là. Pression ? Je n'ai pas senti de pression. J'étais ravi de les avoir là, cela m'a fait grand plaisir. Plus y en aura, mieux cela vaudra.\