29 janvier 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du sommet franco-britannique, sur la préparation du Conseil européen de Bruxelles et la coopération en matière de défense, Londres, vendredi 29 janvier 1988.

LE PRESIDENT.- On vient de vous l'indiquer, les deux grands domaines qui étaient au centre de nos conversations d'aujourd'hui étaient, d'une part, la défense et, d'autre part, la préparation du sommet européen de Bruxelles, je veux dire le Sommet de la communauté.
- Sur le -plan de la défense, nous avons, une fois de plus, comme il vient d'être dit, approfondi notre approche des négociations sur le désarmement, qu'il s'agisse des armes nucléaires à portée intermédiaire qui ont été l'objet déjà de deux accords entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique, qu'il s'agisse des armes stratégiques, des armes conventionnelles ou des armes chimiques, et nous avons rappelé également une fois de plus que cette négociation engage les deux grands pays, Union soviétique - Etats-Unis d'Amérique, et que cela intéresse au plus haut degré les autres pays, notamment les pays d'Europe. Nous avons approuvé l'accord de Washington, nous resterons très intéressés et nous approuverons toute démarche de désarmement, dès lors que ces deux pays avanceront en bon ordre, dans le bon sens.
- L'armement britannique, l'armement français, vous le savez, ne sont pas concernés au point où nous en sommes. Il y aura les accords de Washington et ils ne le seront pas davantage, tant que, dans un futur encore incertain, le désarmement nucléaire russe et américain n'aura pas franchi des étapes considérables. Il suffit de connaître les chiffres, le nombre des charges nucléaires de part et d'autre pour savoir que, même la réduction à 50 % maintiendrait une telle différence dans le potentiel militaire que cela ne suffirait pas. Mais nous encourageons vivement ces deux puissances à agir de la sorte. Cela dit, nous avons approuvé, nous continuerons d'approuver tout en pensant qu'une discussion sur les armements conventionnels présenterait le plus haut intérêt, car c'est là que des déséquilibres peuvent également s'accentuer.\
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- Et puis nous avons préparé le Sommet communautaire de Bruxelles qui aura lieu, vous le savez, les 11 et 12 février, dans peu de jours. Autour de trois débats, l'un qui touche au budget de la Communauté et, en particulier, aux ressources de ce budget, dans le langage habituel dans ce genre d'institution on parle de la "quatrième ressource", parce qu'il y en a déjà trois autres et cette quatrième ressource est le résultat d'un calcul entre la TVA et le produit intérieur brut de chacun des pays. Difficultés : mais pas entre la Grande-Bretagne et la France. Difficultés, plusieurs pays étant en désaccord avec la méthode proposée par la commission, notamment l'Italie, mais la Grande-Bretagne et la France, de ce point de vue, souhaitent aller dans ce sens.
- Sur les fonds structurels ou aides régionales, des propositions ont été faites par la commission tendant à accroître de 100 % les sommes allouées actuellement aux pays dotés de fonds structurels. La Grande-Bretagne et la France sont d'accord pour augmenter ces ressources mais ne souhaitent pas entrer dans une série de procédures, notamment par le biais européen, et voudraient un taux raisonnable d'augmentation dont il sera débattu au cours de la semaine prochaine. Vous savez que les positions : commission, 100 %, les pays intéressés par les fonds structurels, les plus intéressés, souhaitent également ce pourcentage. Une idée a pris corps, tendant à établir une certaine différence dans la redistribution de ces fonds, selon le degré de pénurie et le développement des pays en question. C'est le débat, il n'y a pas de difficultés entre nos deux pays.\
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- Il en va différemment sur le -plan de l'agriculture. Les approches sont vraiment encore très différentes. Nous n'avons pas constaté, dans la journée d'aujourd'hui, les bases d'un accord possible. Mais enfin ce Sommet de Bruxelles aura lieu à l'initiative de la République fédérale allemande, qui l'a demandé lorsque nous étions réunis la dernière fois devant l'échec des conclusions de Copenhague. C'est encore la RFA qui en assurera la présidence, qui assure la présidence de la communauté pour les six premiers mois de l'année 1988. Il appartient donc essentiellement à l'Allemagne d'aménager les négociations de telle sorte qu'on puisse aboutir à un accord à Bruxelles. Mais, en fait, ce que nous savons de la position allemande, ce que nos amis britanniques connaissent maintenant de la position française, laisse augurer que la discussion sera rude, qu'il s'agisse de la co-responsabilité, qu'il s'agisse de ce qu'on appelle les "stabilisateurs", c'est-à-dire les moyens d'éviter la création constante de nouveaux excédents, qu'il s'agisse des quantités maximales garanties pour les céréales, par exemple, pour les produits oléagineux,- là la marge est encore trop grande entre la position britannique et la position française, celle-ci étant plus proche de la position allemande -. Il y a un problème particulier qui se pose, quant aux stabilisateurs, c'est la notion des prix. Le maniement des prix peut servir de stabilisateur mais certains pays s'y refusent. On peut donc estimer que nous avons bien avancé sur deux points capitaux, deux sur trois, que le troisième reste en suspens.
- Mais, pour l'instant, nous n'apercevons pas encore - Mme Thatcher me le disait, elle a rendu souvent ses propos publics - comment la communauté à douze parviendrait à s'entendre sur les propositions actuelles, celles que l'Allemagne fédérale propose et dont Helmut Kohl et Mme Thatcher, notamment, discuteront au cours de cette semaine.
- Puis il y a eu des accords, si j'ose dire, tout à fait de détail, mais qui ne sont pas moins importants. C'est ainsi que la France souhaitait très vivement que l'importation de rhum venant de nos départements d'Outre-mer et qui bénéficient de dérogations fiscales puisse être avalisée par nos partenaires et euro-partenaires. Pour des raisons qui sont les siennes, l'unanimité étant requise, la Grande-Bretagne avait fait objection. Cette objection sera levée en échange d'un certain nombre de décisions qui seront prises dans ce domaine particulier.\
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- Enfin, cet accord sur la jeunesse, c'est-à-dire sur la multiplication des échanges de jeunes, sous toutes les formes. Cela existe déjà entre la France et la RFA mais il n'y a absolument pas de raison de réserver à deux pays ces échanges,- apprentissage de la langue, vie dans le pays, réception par les familles, coopération dans les écoles, notamment dans les écoles d'art, il n'y a aucune raison de limiter ce développement de la jeunesse au sein de l'Europe entre deux pays, en l'occurrence l'Allemagne et la France. Et nous sommes tout à fait heureux de pouvoir l'élargir, avec l'accord de la Grande-Bretagne, dans les échanges de jeunes et leurs activités variées : cet accord esquisse l'avenir.
- Bref, partout où l'on peut développer l'esprit européen - et on le peut d'abord chez les jeunes - par la connaissance des langues, par les amitiés qui se créent sur les bancs de l'école ou de l'université, eh bien ! cela doit être fait et l'on peut estimer qu'il y a un net progrès dans ce domaine.
- Je résume, naturellement, et maintenant nous allons vous écouter, connaître les questions qui vous intéressent. Je pense que nous ne sommes pas au bout de nos peines pour le sommet européen des 11 et 12 février, et de quelle façon aborder le problème des excédents agricoles, et de quelle façon le régler ? Il y a, pour l'instant, querelle d'école, on n'a pas du tout la même philosophie et, cependant, il faut bien, d'abord, économiser et, deuxièmement il faut bien (le deuxièmement pourrait être le premièrement, c'est simplement pour la commodité du langage), il faut bien respecter l'esprit et la lettre du Traité de Rome. On en est là et j'espère que l'on pourra faire des progrès rapidement. En tout cas je tiens à remercier et Mme le Premier ministre et les membres du gouvernement britannique qui nous ont très agréablement reçus et qui ont abordé avec une grande franchise et le souci d'avancer les problèmes que je viens d'évoquer devant vous.\
QUESTION.- Avez-vous eu la possibilité de discuter comment coopérer dans les problèmes de terrorisme et est-ce que vous avez répété votre conviction qu'il ne fallait faire aucune concession, de façon à assurer le retour des otages ? Peut-être monsieur le Président voudra-t-il répondre également au nom de la France ?
- LE PRESIDENT.- Sur ce -plan, je n'ai pas cité les conversations entre les ministres de l'intérieur ou de la sécurité, parce que cette conversation n'a pas abouti à des accords nouveaux, et d'autre part la relation est bonne et constructive. Donc, pas de fait nouveau spécial, sinon le resserrement continu de notre travail en commun pour lutter contre le terrorisme. Nous avons aussi parlé commerce extérieur, on a parlé d'autre chose. Je suis allé tout à l'heure à l'essentiel. Sur les otages j'ai toujours dit, moi aussi, ce que j'en pensais. Je ne pense pas que l'on puisse négocier avec ceux qui s'adonnent à ce crime, c'est un problème extrêmement délicat puisqu'il s'agit de vies humaines, de la liberté de nos concitoyens très injustement frappés dans leur vie, dans leurs affections. C'est certainement un des domaines où la barbarie a repris le dessus dans la société internationale, mais j'ai toujours dit que j'étais hostile à des négociations avec les terroristes et que, s'il est des pays qui les protègent, il vaut mieux le savoir.\
QUESTION.- Est-ce que le projet de développement d'un missile tiré à partir d'un avion d'un projet franco-britannique, est-ce que ce projet progresse ou est-ce que vous sentez, monsieur le Président, une certaine réticence des Britanniques, qui seraient plutôt tentés par une coopération plus traditionnelle avec les Américains dans ce domaine ?
- LE PRESIDENT.- Je ne sais pas si la réticence est ici ou là. Je ne suis pas là pour dénoncer mes hôtes, mais je n'ai pas l'impression que cela ait vraiment avancé.
- QUESTION.- Je voudrais demander au Président la question suivante : il y a une coopération accrue entre la France et l'Allemagne fédérale. Il y a également coopération avec la Grande-Bretagne en matière de défense. Est-il envisageable que la France, un jour ou l'autre, rejoigne les rangs de l'OTAN et, si ce n'est pas le cas, où voyez-vous aboutir cette coopération, qu'est-ce que vous envisagez à l'avenir dans le cas de cette coopération accrue ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons une très grande coopération dans le domaine de la défense puisque nous sommes de la même alliance. Nous sommes l'un et l'autre membres de l'Alliance atlantique. Nous sommes l'un et l'autres présents par nos soldats en Allemagne, à Berlin. Nous avons de nombreux intérêts communs et nous sommes les deux puissances nucléaires européennes en plus de l'Union soviétique. Beaucoup de choses nous rapprochent et nous avons le plus grand intérêt à en discuter, ce que nous faisons. Là-dessus vous greffez la question : est-ce que la France est prête à entrer dans l'OTAN ? La question ne se pose pas exactement comme ça. Nous sommes dans l'Alliance et cette alliance entraîne des dispositions militaires, notre sort est lié, nous sommes solidaires mais nous ne retournerons certainement pas dans le commandement intégré de l'OTAN. Notre stratégie de dissuasion nucléaire est une stratégie autonome et il n'est pas question d'en changer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pensez-vous que l'OTAN doit continuer à maintenir des armes nucléaires de courte portée en Europe, particulièremement en Allemagne, si oui, comment le conciliez-vous avec le fait que vous ne croyez pas du tout à la théorie de la risposte graduée ?
- LE PRESIDENT.- La question n'a pas été posée. On en a naturellement beaucoup débattu dans les couloirs des conférences. La discussion est devenue publique au travers de tribunes de presse. On sent bien que cette question est là, qu'elle rôde et qu'un jour elle fera l'objet d'un débat. Mais tel n'est pas le cas aujourd'hui. Personne ne nous a demandé, de puissance à puissance, de nous engager dans cette discussion. Nous Français, en tout cas. Je ne suis pas sûr que cette discussion ait été vraiment engagée entre les Soviétiques et les Américains.
- Mon raisonnement est simple. Nos armes nucléaires forment un tout, quelle que soit leur définition. C'est une définition arbitraire, qui provient uniquement des Russes et des Américains, que de définir un armement d'après sa portée, la longueur de son tir. Nous, nous sommes en Europe et même, nous Français, en Europe continentale, et qu'une fusée puisse atteindre 4500 km ou qu'elle fasse 1500, le danger est le même. La très courte portée, certes, cela signifie moins de 500 km, donc le problème se situe autrement puisque ces armes n'atteindraient pas directement le territoire ennemi. Mais le problème n'est pas posé et moi je n'ai pas l'habitude de répondre à des questions que d'autres pays ne me posent pas. En tout cas, comme je ne veux pas vous décevoir, si on me la posait, je dirais : écoutez, occupez-vous de vos affaires, désarmez, vous avez 13000 charges nucléaires d'un côté, plus de 11000 de l'autre, nous c'est de l'ordre de 300, avant de penser à nous, continuez ! Pourquoi se déferait-on d'une seule de nos charges nucléaires alors qu'il resterait des milliers et des milliers de charges nucléaires en plus dans les deux plus grands pays dont je vous ai parlé ?\
Alors vous posez une troisième question, celle de la risposte graduée. Je me contenterai de vous dire que vous avez raison, je veux dire que votre information est juste. Nous en discutons parfois avec Mme Thatcher, on ne peut pas dire, d'ailleurs, que de ce point de vue-là nous soyons bien d'accord. Je suis en effet hostile à la stratégie de la riposte graduée qui est la doctrine officielle de l'OTAN depuis bientôt 15 ans ou même un peu plus. Enfin l'OTAN c'est l'OTAN. Je respecte les vues des autres pays £ en tout cas nous n'appliquons pas à nous-même cette théorie, et la force de dissuasion française ne répond pas à ce concept de la dissuasion graduée. J'espère avoir été assez complet, vous voudriez savoir quoi encore ? non mais vraiment, qu'est-ce que vous auriez aimé savoir en plus ? Nous n'avons été saisis d'aucune demande, ni des Allemands ni des Soviétiques, de personne. Nous savons très bien - et vous êtes un journaliste bien informé - qu'on en parle un peu partout sauf là où il faudrait, et heureusement d'ailleurs, cela évitera des heurts inutiles. Moi je n'en ai jamais été saisi en tant que Président de la République française.
- QUESTION.- Bon. Alors allons plus loin, monsieur le Président. Est-ce que vous êtes pour les options sélectives, c'est-à-dire en fait les armes qui frappent le territoire de l'agresseur ?
- LE PRESIDENT.- Vous m'entraînez trop loin. Ce que je pense c'est que la vraie dissuasion c'est celle qui peut porter sur le territoire où se trouve l'agresseur. J'arrête là mon explication.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce qu'au cours de la réunion d'aujourd'hui avec Mme Thatcher vous avez parlé des résultats de la conversation avec le Président Moubarak lundi dernier et quel est votre avis en ce qui concerne l'initiative du Président Moubarak ?
- LE PRESIDENT.- Nous en avons parlé, Mme Thatcher a bien voulu me rapporter les conclusions qu'elle avait tirées de ces conversations. Je reçois moi-même M. Moubarak avec lequel je déjeune lundi prochain et je pourrai compléter votre information quand j'aurai complété la mienne. Cela dit, le projet de conférence internationale, il y a déjà longtemps que j'ai donné mon accord là-dessus.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que ce sommet franco-britannique a été l'occasion pour vous de régler tous les problèmes avec Mme Thatcher concernant la coopération franco-allemande ? Est-ce que vous avez l'impression que vous avez "levé le malentendu" ?
- LE PRESIDENT.- Quel malentendu ?
- QUESTION.- Un malentendu dont on nous a fait part à l'Elysée...
- LE PRESIDENT.- La politique de la France est déterminée à Paris et la politique de la RFA est établie à Bonn et non pas à Londres et jamais Mme Thatcher n'a exprimé le souhait de décider pour ses amis. Donc, j'ai l'impression que vous ne parlez pas tout à fait en l'air là, mais aucune observation ne nous a été faite, j'ai l'impression que Mme le Premier ministre, indépendamment de ses engagements qui sont toujours très fermes sur ses propres conceptions, pratique avec beaucoup de bonheur la politesse. Je n'ai pas eu l'occasion de répondre à cette question à Mme Thatcher, pourquoi voulez-vous que je vous réponde à vous ? Ce n'est pas un problème de hiérarchie, simplement ne compliquons pas notre vie aujourd'hui.\