28 octobre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les travaux du Conseil économique et social et le dialogue social, Paris, mercredi 28 octobre 1987.

Monsieur le président,
- Mesdames,
- Messieurs,
- Voici venu le jour, un peu tardif sans doute, où il m'est donné de vous faire la visite, dite traditionnelle qui veut que le Président de la République soit reçu par vous-mêmes, dans cette enceinte, pour dire au Conseil économique et social l'estime dans laquelle on doit le tenir, mais aussi pour rencontrer, approcher, les membres qui le composent. Je m'en réjouis, et je vous remercie, monsieur le président, de vos propos, du très intéressant exposé à la fois historique, et aussi pratique, sur vos méthodes de travail et le contenu de vos débats. Vous l'avez fait selon votre tempérament, avec clarté, courtoisie, le sens de l'hospitalité £ cela ne m'a pas étonné, puisque j'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de vous connaître £ mais je tiens à vous remercier pour l'intérêt de ce propos.
- Mesdames et messieurs, le Président Matteoli, voulant épargner le temps qui nous est donné a commencé de rapporter l'historique des événements qui ont conduit jusqu'à la création du Conseil économique et social, et il a eu raison de souligner qu'il s'agissait là d'une préoccupation constante d'abord des milieux en question - de la production, des échanges...-, mais aussi de la puissance publique. S'il l'avait voulu, il serait remonté plus loin encore. Indépendamment des débats fameux inscrits dans les mémoires du Moyen Age, où l'on a vu le pouvoir balancer entre les différentes formes d'expression des différents intérêts - pouvoir politique, pouvoir économique, déjà la présence populaire, l'affirmation des communes -, dès le début du XVIème siècle, au début et à la fin du siècle suivant, toute une série d'approximations qui aboutiront à la création des Conseils du commerce du Roi Henri IV, seront reprises en 1700 par un Arrêt du 1er juin 1700, selon les anciennes instructions de Richelieu, qui permettront de désigner treize députés des places de commerce et des corps de villes, des négociants, des commerçants, conseil que le Roi Louis XIV est venu présider une fois tous les quinze jours, ce qui montre l'intérêt qu'il portait à ce type de débat, mais peut-être plus encore la nécessité où il se trouvait de tenir compte de l'expression et de la représentation de cette partie de notre peuple.\
`Suite sur l'historique de la création du Conseil économique et social`
- Il est dommage que la Révolution française en ses débuts, portée sans doute qu'elle était à repousser les corporations, ait tenu, dans ses premiers actes, à les supprimer, emportée aussi plus qu'il ne convenait par son élan.. Déjà le rendez-vous avait été manqué lors de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, où l'on ignorait les droits économiques et sociaux, se contentant d'exprimer des droits politiques, ce qui n'était pas si mal si l'on pense au rayonnement de cette très belle déclaration £ mais en fait il a fallu attendre encore quelques années, en particulier, les démarches de Sieyès, qui réclamait avec beaucoup de ténacité que l'on fît pénétrer dans nos institutions cette idée neuve, reprise de la monarchie mais complétée par de véritables institutions, de véritables représentations, idée reprise par Benjamin Constant, certes, pendant quelques jours : il s'agissait de l'acte additionnel aux constitutions de l'Empire, en 1815. C'était bien tard - du moins pour ce régime - avec l'institution de l'amorce d'un embryon, en quelque sorte, de Conseil économique et social.
- Et vous avez fort bien rappelé l'importance de la Commission consultative du travail, dont l'instigateur fut Louis Blanc, en 1848, et la suite, sans oublier ce très important meeting de la CGT, en 1919, qui avait été froissée par la façon dont Clémenceau - lequel, au demeurant, mérite tant d'autres éloges - avait, selon le principe qu'il avait lui-même émis, renvoyé à des commissions le soin de remettre à plus tard un problème qu'il ne trouvait pas urgent, mais que les représentants de la classe ouvrière, eux, retenaient comme essentiel. C'est ce fameux meeting du Cirque d'hiver, en 1919, qui a vu l'expression "création d'un Conseil économique" apparaître de façon littérale et claire. Et, puisque les pouvoirs publics n'en ont pas voulu à l'époque, la CGT l'a créé en son sein.
- C'est en effet Edouard Herriot qui a ensuite pu légiférer sur ce terrain, ou plus exactement a préparé le terrain à la législation qui a suivi, au temps du Front populaire, en 1936.
- Je dois remarquer qu'ailleurs, dans d'autres pays comme l'Allemagne, la Roumanie, la Hongrie, l'Espagne, l'Italie, le Portugal, la Grèce, la Grande-Bretagne, existaient déjà des assemblées de ce type, ce qui montre que nous n'avons pas toujours été à la pointe de ce que l'on pourrait appeler la démocratie économique et sociale. Heureusement, vous avez, mesdames et messieurs, rattrapé le temps perdu. Cela est entré dans les faits par la loi, à l'image de ce qui avait été entendu au sein des associations et des institutions internationales. Certains d'entre vous se souviendront certainement des grands débats de la Société des nations.
- Et puis le général de Gaulle, dans un message déjà de 1943, à l'époque du début du Comité de Libération nationale, - c'est le 1er mai 1943 pour saluer la fête du travail, vous imaginez dans quelles conditions - appelle à la réunion et à la concertation des intérêts économiques. Et nous en arrivons à la Constitution de 1946, puis à celle de 1958, je n'y reviens pas. Ou plutôt j'y reviendrai dans un moment, par l'un de ses aspects.\
Je voudrais saluer maintenant la mémoire des hommes d'envergure et de dévouement qui ont présidé cette assemblée. Il se trouve, grâce au temps de vie et d'action politique qui m'a été donné, que j'ai pu les connaître et les rencontrer, depuis Léon Jouhaux jusqu'à Gabriel Ventejol en passant par Emile Roche.
- Léon Jouhaux, puissante personnalité dont on a pu dire qu'il savait construire comme il savait revendiquer.
- Emile Roche qui a su, par son intelligence aigüe et son acharnement, son pouvoir de réflexion liée au travail, définir et mettre en oeuvre ce qu'il appelait lui-même les Etats généraux du travail.
- Gabriel Ventejol, il y a si peu de temps £ comment parler d'un disparu qui, il y a seulement quelques mois, continuait de présider votre assemblée et qui avait marqué de son empreinte - ancien ouvrier porcelainier, avec son caractère de ténacité limousine et son sens du dialogue - qui avait su donner à vos travaux un cours et un ton dont je sais, monsieur le président `M. Matteoli`, qu'avec votre personnalité différente, vous avez voulu vous faire le continuateur.
- Ces trois noms qui viennent ainsi s'aligner dans notre mémoire historique marquent bien l'importance que votre assemblée a prise - ou aurait pu prendre davantage, mais non point de votre fait, du fait que les combats politiques attirent davantage l'intérêt de ceux qui les rapportent -. Mais, si l'on voulait bien aller davantage au fond des choses, examiner et analyser la manière dont les avis se prennent, dont l'étude se fait, dont le débat s'organise, on verrait que le Conseil économique et social représente vraiment un type d'institution dont on doit dire qu'elle répond aux besoins de la démocratie et qu'elle est l'école de la démocratie plus qu'un banc d'essai, car la démocratie n'est pas née d'hier : c'est un exemple vivant et constant que je me dois de saluer - Jouhaux, Roche, Ventejol, et celles et ceux, mesdames et messieurs, qui vous ont précédés sur ces bancs et qui, dans les domaines de leurs activités, dans leurs disciplines intellectuelles ou dans leurs choix politiques, ont très souvent illustré la République depuis le premier jour où fut institué ce Conseil économique et social -.\
Vous avez dit, monsieur le Président, que le Conseil économique et social était une assemblée constitutionnelle, et vous avez eu raison £ un lieu constitutionnel, c'est important de le dire, parce qu'une certaine confusion s'est créée. Ce qui est assemblée constitutionnelle, c'est l'assemblée que prévoit la Constitution. La définition est simple et l'explication encore plus simple. Il ne faut pas confondre les institutions de la République avec les institutions publiques, qui sont multiples, diverses, nécessaires, qui dépendent de la loi, qui viennent avec la loi, qui se retirent parfois avec la loi, tandis que ce processus constitutionnel - on pourrait dire la majesté constitutionnelle - s'applique à vos travaux. La Constitution vous consacre son article 10. Vous avez donc un droit à l'existence, à la permanence, garanti par le vote populaire, le plus solennel, le plus majestueux, le plus définitif, qui ne peut être modifié que dans les conditions que vous savez.
- Il n'est d'ailleurs pas question, lorsque l'on parle de ces choses, de revenir sur un acquis que je considère comme très important, celui, tout simplement, de la démocratie économique et sociale, représentée par une institution fortement représentative des milieux en question et capable de débattre et du fait et du droit.\
Que s'est-il passé depuis que le Conseil économique et social existe ?
- Je crois que l'on peut traduire cela, comme vous l'avez fait, monsieur le président, en rappelant nombre de rapports. C'est un apport considérable £ un apport considérable à travers le temps. Je me souviens de la consécration de la loi du 27 juin 1984, que vous avez vous-même citée, et la suite de lois, de textes qui ont motivé des avis extrêmement importants, dont je prends régulièrement et très sérieusement connaissance, comme l'ont fait, j'imagine mes prédécesseurs.
- Je citerai votre rapport sur les lois Auroux, votre étude semestrielle de conjoncture - qui est un document de référence -, vos analyses sur les importations sauvages... Je prends absolument au hasard, en piochant dans cette masse de dossiers que vous avez examinés, qui vous ont pris beaucoup de temps, beaucoup de débats, qui n'ont souvent pas traversé vos murs, du moins en dehors des lieux politiques responsables auxquels j'appartiens par définition, mais qui n'ont pas toujours été ressentis comme il aurait fallu par l'opinion publique. De ce point de vue, il faut que nous nous unissions pour réaliser quelques progrès si cela est possible. Le travail clandestin, la recherche et le développement technique et technologique, l'enseignement supérieur, la démocratisation du secteur public, la création française audiovisuelle, les sports et l'économie, l'urbanisme commercial....., vous voyez que j'ai choisi les sujets sur le plus grand éventail possible de types de préoccupations qui peuvent rassembler les intelligences et occuper l'effort de femmes et d'hommes aussi divers que vous.. La planification et sa réforme, l'économie sociale, plus récemment encore les problèmes de pauvreté et de précarité, et j'en passe évidemment, d'autant plus que les références les plus sûres sont celles que vous retrouverez dans le texte de l'exposé qui vous a été fait par M. le Président du Conseil économique et social.
- Donc, un acquis considérable - et je tiens à le dire à cette tribune -, un acquis sans lequel la République ne serait pas ce qu'elle est, sans lequel les assemblées parlementaires ne trouveraient pas la substance ou la nourriture dont elles ont besoin pour leur type de débat.\
`Suite sur les activités du Conseil économique et sociale`
- Mais en même temps, vous avez tenu à préparer l'avenir £ je pense en particulier - vous l'avez aussi observé, monsieur le président - à vos réflexions sur l'Europe. Vous avez émis une trentaine d'avis sur les sujets les plus variés. Ce qui m'a le plus frappé, c'est que vous avez abordé ces sujets en ouvrant bien le regard, car vous avez une vision concrète. Dans combien de lieux - et c'est aussi nécessaire -, les débats de principe - et vous ne les avez pas vous-mêmes évités - prennent-ils le dessus !
- Comment développer le concret sans que l'esprit s'applique à dessiner un objectif ? Bien entendu - mais souvent, c'est un péché mignon français -, on s'arrête là, avant les définitions tout à fait concrètes des moyens d'atteindre l'objectif. C'est ce que vous avez fait. C'est cette vision concrète qui m'a le plus frappé, surtout dans la manière d'approcher le prochain rendez-vous, celui de l'espace unique européen.
- Je me permets de vous rappeler que cela a fait l'objet de grands débats au sein des organisations européennes, des organismes et des institutions, qu'il a fallu plusieurs sommets, comme on dit, ou conférences intergouvernementales pour parvenir à définir exactement ou à rassembler l'unanimité nécessaire des douze pays de l'Europe qui, à l'époque, n'étaient que dix, les autres siègaient déjà, ne votaient pas, mais leur avis n'était pas indifférent, pour aboutir à Milan, puis à Luxembourg, à donner un contenu le plus large possible à l'Acte unique que vous connaissez. Et vous avez pu mesurer la somme d'efforts qui seront nécessaires pour que notre pays soit mis en mesure d'affronter les concurrences et de les vaincre, du moins, dans suffisamment de domaines pour qu'il se sente plus fort de s'être ouvert à l'Europe et, d'une certaine manière, au monde, plus qu'il ne l'a jamais fait jusqu'ici.\
`Suite sur les activités du Conseil économique et social`
- Mais un aspect particulier est celui de l'Europe de l'éducation et de la culture et ce souci, vous l'avez marqué à diverses reprises. Il est trop souvent absent de nos débats. Il a fallu rappeler la carence où risquait de se trouver notre production audiovisuelle. Quand je dis "notre", la France, mais aussi l'Allemagne fédérale, mais aussi la Grande-Bretagne, mais aussi l'Italie, aussi les autres £ un chiffre doit être sans cesse répété : avec quelques vingt cinq, même pas trente mille heures d'émissions produites par an, comment serions-nous en mesure de répondre au besoin qui, lui, se chiffre à cent vingt mille heures aujourd'hui ? Ce serait naturellement cent trente à cent cinquante mille heures bientôt. Ce qui veut dire qu'au nom de l'Europe, nous ouvrirons très largement aux productions plus nombreuses, plus rapidement établies des Etats-Unis d'Amérique et du Japon, grandes nos portes, au point de parler de l'Europe, tout en formant les intelligences et les sensibilités de nos enfants à d'autres formes de culture.
- Eh bien, d'un terme familier, je vous dirai, monsieur le président, mesdames et messieurs, compte-tenu des travaux que vous avez déjà entrepris, eh bien, allez-y ! Continuez, on en a bien besoin, et si d'autres assemblées tardaient ou négligeaient, eh bien, remuez les choses, saisissez l'opinion, à votre façon, celle de la discrétion, mais avec la fermeté dont vous êtes capables. Allez-y ! C'est quand même cela qui signifiera le plus et le mieux l'Europe car, après tout, pourquoi est-ce que ces pays s'associent sinon parce qu'ils se savent nés des mêmes sources, participant d'une même histoire, vivant une même géographie, affirmant de plus en plus une même politique. Et tout commence - et vous le savez bien - et par l'esprit et par les structures du langage.
- Et si j'ai dit qu'on pouvait remarquer un apport considérable aux travaux du Conseil économique et social des dispositions tendant à préparer l'avenir, j'ajouterai que j'ai beaucoup apprécié la méthode, que j'appellerai "décloisonnée", qui vous a permis de décomposer puis de rassembler la thèse et l'antithèse - ce sont de vieilles méthodes très éprouvées - de parvenir à des synthèses, surtout. C'est, en tout cas, le terrain sur lequel je me suis appliqué lorsque j'ai réfléchi à cette rencontre, surtout sur les problèmes de l'éducation, de l'école, et de la relation entre école et monde économique. J'ai bien observé la méthode : la confrontation des points de vue. Quiconque sait, soit par l'étude, soit par l'étude et la pratique, est consulté. Ce sont les professionnels de toute sorte. Pour l'école, se sont les familles, les enseignants, ceux qui savent ou ceux qui vivent les problèmes qu'il s'agit de résoudre pour proposer ensuite, aux assemblées parlementaires, d'apporter à leurs lois, à leur approche législative, la connaissance nécessaire.\
Le quatrième point qui pourrait caractériser le travail et l'oeuvre du Conseil économique et social est celui qui tend à la recherche - que vous avez également soulignée, monsieur le président - de la cohésion sociale et nationale.
- D'ailleurs, après tout, c'est votre objet même, cette cohésion sociale au travers de l'étude et de la connaissance des problèmes économiques. Et qui recherche la cohésion sociale ne peut que contribuer à la cohésion nationale.
- Il est important de dépassionner certains sujets, ce qui n'ôte rien à la passion que vous mettez chacun séparément à la défense des idées ou à la représentation des justes intérêts pour lesquels vous êtes désignés. Mais quand on arrive à la confrontation, ce n'est pas la passion qui doit dominer, c'est le souci du dialogue et, finalement, de la concorde. J'aimerais, je vous le dirai tout de suite, voir ce souci que je viens d'exprimer mieux partagé en d'autre lieux.
- Mais j'ai noté spécialement, sur le -plan social, la manière extrêmement sensible dont vous vous êtes attachés à répondre aux préoccupations, aux objurgations du père Wrésinsky `ATD-Quart monde`, par exemple, sur les problèmes de la pauvreté. J'ai noté aussi vos travaux sur l'insertion des handicapés, sur la reconversion des adultes, sur les problèmes médicaux des personnes âgées, le logement des personnes à faibles ressources, et j'en passe. C'est toute une série d'approches qui tendent à faire que tout Français doit se savoir partie prenante à la fois sur le -plan social et national. Il n'y a pas, il ne doit pas y avoir d'exclus.
- Vous avez recherché l'insertion plutôt que l'assistance. C'est, je crois, la meilleure façon, d'abord pour l'esprit, de vouloir faire de chacun - dans le bon sens du terme, dans sa personne - l'égal de l'autre, et faire tout simplement que la solidarité nationale s'exerce sans que nul n'ait le sentiment ni la réalité d'être simplement assisté. Ce qui reviendrait alors à cristalliser de fâcheuses différences.
- Pourquoi tout cela, mesdames et messieurs ?
- Parce que cela tient à la -nature même du Conseil économique et social. Ce n'est pas un hasard si l'emploi, en raison même des ravages du chômage, a été depuis longtemps, depuis que nous en connaissons le grand mal, le souci principal et de vos présidents - vous l'avez rappelé - et de votre assemblée. C'est pour des problèmes d'emploi - et de son revers le chômage - que beaucoup de conceptions économiques doivent s'éprouver, que beaucoup de vues sur l'avenir doivent s'établir. Mais bien entendu, on ne répond pas directement à cette question sans poser de multiples autres problèmes qui exigent tout autant qu'une réponse préalable soit apportée.\
Pour conclure ce propos, je vois le Conseil économique et social comme le meilleur moyen dont nous disposions d'organiser le dialogue entre partenaires.
- Qui sont les partenaires ? C'est, selon le sujet que l'on traite, mais c'est toujours, en tout cas, des citoyens, d'autres citoyens appartenant à la même nation. Ce sont d'autres Français. Et ces autres, au point de départ, - ensuite cela va plus loin, on dépasse, et j'y viens... - ce sont d'abord des Français entre lesquels on organise le dialogue à travers des structures de dialogue £ car à quoi servirait-il de parler du dialogue si les structures n'existaient pas ? Et c'est à partir de là que l'on peut espérer donner, insuffler à notre corps national une vitalité, un esprit de rencontre, un esprit de conquête, dans le bon sens du terme, qui préparera mieux la France aux échéances qui viennent. On retrouve l'exemple que vous donnez entre vous, j'imagine aisément au -prix de quelles discussions, parfois même de confrontation des intérêts qu'il faut représenter, car nous n'allons pas dessiner un tableau idéal d'une nation qui serait dépourvue de contradictions.
- Votre raison d'être, comme d'ailleurs celle du Parlement, c'est précisément de faire que les contradictions d'intérêts puissent, en un lieu donné, trouver réponse, et si possible harmonie. Mais leur réalité ne peut être niée. Je dirai même que lorsqu'on les nie je suis inquiet £ j'ai le sentiment qu'il serait impossible d'aboutir à apporter quelque réponse que ce fût si l'on partait du point de vue qu'a priori les intérêts doivent, - par un mouvement naturel, qui en vérité ne le serait pas du tout - s'effacer devant l'intérêt collectif : au point d'arrivée, sans doute, mais pas au point de départ. Vous êtes là pour représenter toutes les catégories et toutes les disciplines, et si vous parvenez à adopter un certain nombre d'avis sur des sujets difficiles, c'est parce que vous faites l'effort de considérer que la nation a besoin d'une synthèse finale, mais dans la connaissance des réalités profondes du pays.
- Ce dialogue, vous en donnez l'exemple. Eh bien, que cet exemple aille donc un peu plus loin !\
`Suite sur la nécessité du dialogue social`
- Voyez ce qui se passe dans les régions. Vous voyez la façon dont plusieurs régions, précisément, s'occupent de l'emploi, la façon dont les administrateurs et les élus régionaux, proches des réalités, sont capables aujourd'hui, de faire avancer des problèmes que dans la centralisation, on pourrait ignorer ou bien délaisser.
- Regardez, dans les Départements et Territoires d'Outre-Mer, à quel point - je le remarquais encore ce matin `à propos des événements de Papeete` - il est nécessaire de préserver, d'instaurer ou de restaurer un dialogue social, sans oublier le dialogue tout simplement humain, le dialogue politique dans le bon sens du terme, celui qui permet, plutôt que de se tourner le dos, de s'affronter ou de se combattre, de réunir des responsables, ce qui n'est possible que dans une hypothèse d'ouverture de l'esprit et dans le respect de réalités différentes. Pourquoi faut-il qu'on s'oppose quand on pourrait s'entendre ?
- Mais ici le dialogue existe. Et si le dialogue cesse, le reste suivra, et le reste, qui suivra, sera un grand dommage pour la République, un grand dommage pour la France.
- Voyez dans les entreprises £ vous voyez un certain nombre d'essais, depuis déjà longtemps, à travers toute l'histoire de la IIIème République, de la IVème République, de la Vème aussi, toute une série de travaux, de lois importantes, déterminantes, d'approches nouvelles. Je me souviens - je les ai déjà citées - des lois Auroux. Cela couvre à peu près, maintenant, les deux tiers du territoire des entreprises. C'est déjà bien. On peut penser à des solutions d'avenir.. Devant les réformes, ou le changement technologique, pourquoi n'irait-on pas vers une plus grande participation des salariés à l'examen de ces changements, dont ils ont la pratique intellectuelle et manuelle ? Comment faire entrer les salariés dans les conseils d'administration ?
- Je pense aussi d'une façon plus générale au dialogue dans la nation. Je pense à ce fameux débat autour du Plan, peut-être un peu éteint aujourd'hui, qui s'est un peu éloigné de cette formule employée par le général de Gaulle devant vous le 17 novembre 1961, lorsqu'il disait : "Il est nécessaire que le Plan soit large et vigoureux". Il faut aussi lui rendre un peu de cette largeur de vues et, sans aucun doute, beaucoup plus de vigueur si l'on veut répondre aux besoins du pays.\
Voyez l'Europe. Vous m'avez dit, monsieur le Président, que c'était l'une des préoccupations essentielles de votre assemblée. C'est la nôtre aussi. Quand on voit la crise qui frappe aujourd'hui la plupart des places financières du monde et qui atteint de ce fait des millions et des millions de femmes, d'hommes, de foyers, de familles partout où nous vivons, quand on voit les grands courants du monde moderne, un grand effort est nécessaire, que j'appelle de mes voeux - et pas simplement de mes voeux, auquel je participe - en suggérant, en répétant au risque de lasser : il faut que l'Europe se fasse. Et qu'elle se fasse sur le plan concret que j'évoquais il y a un instant, correspondant à cette vision à laquelle vous êtes tous restés fidèles. Il s'agit d'une vue concrète de l'Europe au travers du système monétaire, au travers des relations commerciales, au travers des relations technologiques, au travers de toute une série de dispositions touchant au transport, à l'environnement .. Bref, si l'Europe se fait plus vite qu'elle ne se fait, ce qui suppose, à la base, des ressources et une volonté politique, si nous pouvons hâter le pas comme je le souhaite, comme je le veux, comme vous le voulez, nous serons certainement en mesure de répondre plus vite aussi aux menaces, aux risques qui s'amoncellent, et de trouver des solutions, avec ces douze pays, et peut-être quelques autres.
- Il n'est pas nécessaire d'être membre de la Communauté économique européenne pour s'engager dans cette belle aventure. Je pense en particulier à l'Eurêka industriel : vous savez que six pays non membres de la Communauté participent à part entière, tandis que des demandes surgissent de tous côtés, y compris en dehors de l'Europe - le Japon, l'Argentine, le Canada -, tandis qu'en Europe même l'Union soviétique demande que s'établisse un lien direct avec cet Eurêka industriel qui permet que les entreprises, non pas spécialement les Etats, mais les entreprises entre elles, appuyées par les Etats quand il le faut, soient en mesure de sceller les contrats qui leur permettront d'atteindre le plus vite possible le plus haut niveau technologique.
- Cette Europe, mesdames et messieurs, il n'y a pas vraiment - pardonnez-moi l'expression si elle paraît un peu excessive - il n'y a pas une minute à perdre si nous voulons la faire, et vous devez y contribuer. Au mois d'octobre 1987, on comprendra mieux mon insistance qu'on ne l'aurait fait au cours des mois ou des années précédentes.\
`Suite sur la situation économique internationale`
- Je tiendrai le même raisonnement au-delà de l'Europe - disons-le : sur l'étendue de la planète. Sans un minimum d'ordre monétaire international, sans un ordre commercial, sans que recule le protectionnisme, comment voulez-vous répondre aux besoins qui apparaissent d'heure en heure, au travers des nouvelles difficiles qui nous parviennent au cours de ces journées, si la règle est celle du chacun pour soi ? -. Et moi, personnellement, je pense que la crise dont nous souffrons, la crise internationale, c'est d'abord celle du chacun pour soi.
- Ne distribuons pas des conseils, en oubliant de penser à nous-mêmes. Mais enfin, on peut penser que les taux d'intérêt trop élevés, mais aussi les déficits américains, peut-être une politique trop restrictive de notre voisin et ami allemand.. On pourrait continuer longtemps la liste. Il ne faut pas seulement désigner des coupables - des responsables -, il faut aussi savoir que nous le sommes tous un peu : que nul n'accomplisse les gestes qui pourraient peut-être avec imprudence, aggraver la crise, je veux dire aggraver la situation de ceux - je pense aux actionnaires - qui se trouvent affrontés à un problème délicat, pour employer un terme bénin, quelquefois dramatique pour combien de familles !
- Mais il faut que cesse le "chacun pour soi" monétaire, le "chacun pour soi" commercial et le "chacun pour soi" au regard du développement, car il y a deux milliards d'êtres humains qui ont besoin de sortir de ce cycle infernal, pour retrouver, auprès des pays industriels, c'est-à-dire les pays du Nord, compréhension, non pas assistance, car les pays industriels ont intérêt à développer le niveau des échanges. Mais cessons ce "chacun pour soi", reprenons les accords internationaux sur le -plan monétaire, réussissons la nouvelle négociation commerciale internationale déjà engagée, inventons les plans qui conviennent. Finissons-en avec cette obsession du court terme qui fait que, privés de perspectives plus larges, nous n'arrivons pas à saisir l'objet que nous cherchons, c'est-à-dire une organisation nationale, européenne, mondiale, qui limite les effets des bouleversements, qui, en fin de compte, les élimine pour pénétrer dans un nouveau système ou dans un nouvel ordre dont beaucoup de gens parlent un peu partout, sans faire ce qu'il faut pour y parvenir.
- Mesdames et messieurs, je pense qu'il faut que le dialogue se renforce entre les différents partenaires internationaux. Nous allons être très occupés de ce point de vue, dans quelques jours, à Karlsruhe, avec les Allemands, un peu plus tard à Naples, avec les Italiens, sans doute à Londres, un peu plus tard, avec le rendez-vous de Copenhague, pour le sommet européen. Et puis, il y a les incessantes réunions internationales avec nos voisins d'Outre-Atlantique ou bien nos voisins du Pacifique.
- J'ai l'intention d'en parler de nouveau, ou en tout cas de presser un rendez-vous dans les jours qui viennent, avec M. Delors, avec le Président de la Commission, pour que décidément, conscience soit prise, avant Copenhague en tout cas, de l'urgence de certaines réponses.
- Si l'Europe traîne la patte, comment voulez-vous qu'elle apporte à ses grands partenaires internationaux le concours qu'elle suggère, les idées qu'elle précise, la méthode qui permettrait de rassurer les populations de notre planète ?\
`Suite sur la situation économique internationale`
- Tout cela semblerait tourner autour des problèmes d'argent, toujours des problèmes d'argent. Mais avouez que, s'ils sont liés aux problèmes des gens, ils ne peuvent pas se substituer aux réalités humaines, sans quoi la démocratie cesserait d'être économique et sociale £ ce qui veut dire qu'elle ne serait plus en réalité une démocratie politique. Les termes sont liés. On ne peut les séparer. Il n'y a pas la liberté : il y a les libertés. Et, si les libertés sont reconnues, sont les premières, celles qui s'identifient au droit de vivre, de travailler, d'établir sa famille, au droit de penser, au droit de se réunir, les droits les plus fondamentaux, je dirai presque les plus anciens, n'ont de sens que si les libertés sont non pas accordées mais proclamées pour ceux qui se trouvent en arrière, en retard, qui n'ont pas un véritable accès à l'usage des libertés, parce que leurs conditions de vie, de travail, d'évolution, d'éducation, ne leur permettent pas.
- Je pense qu'il est très bon qu'existe dans un pays comme la France une assemblée comme la vôtre. Une assemblée comme la vôtre rappelle sans cesse ces vérités, celles que vous venez d'énoncer, monsieur le Président, celles que je m'efforce moi-même de définir, celles qui font l'objet de vos réflexions et de vos travaux.
- Voilà pourquoi, mesdames et messieurs, en concluant, je vous dirai : bon courage, bon travail, notre nation peut avoir confiance en vous. Bon travail, cela veut dire que rien ne doit être relâché, que votre attention déjà tant sollicitée doit être plus encore pressée, vigilante. Bonne chance ! Et bonne chance pour le Conseil économique et social et ses membres. Cela veut dire aussi : bonne chance pour la France !\