22 octobre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du 20ème anniversaire de "L'Expansion", sur les relations économiques et monétaires internationales, la construction de l'Europe, le rôle des entreprises, Paris, Palais des Congrès, jeudi 22 octobre 1987.

Je m'adresse à ceux qui viennent de m'accueillir, au nom de "L'Expansion", pour commencer car vous êtes nombreux mesdames et messieurs dans ce groupe : Bon Anniversaire pour vos 20 ans ! Moi, c'est dans 4 jours .... mais ce n'est pas 20 ans !
- Vous avez beaucoup travaillé, vous avez engagé des centaines de femmes et d'hommes dans une action qui, j'imagine, a dû les enthousiasmer, puisqu'il s'agissait de réussir en informant, dans un domaine vivant, changeant, incertain. Je suis heureux de me retrouver parmi vous. Cela n'a pas été si facile, puisque j'arrive d'Allemagne et que le temps, là-bas, ne se prête guère aux voyages aériens. Mais enfin ! Je suis arrivé au moment où il fallait. Réjouissons-nous, cela marche quand même mieux qu'on ne le croit.
- Je n'ai pas pu prendre connaissance, autant que j'aurais voulu, du contenu des exposés qui vous ont été présentés, notamment par les grands responsables d'entreprises que vous avez entendus. Je le regrette £ mais je me suis fait communiquer cependant les thèmes autour desquels ils ont rapporté leur propre expérience, exprimé leur opinion et leurs avis, incité non pas à faire comme eux, - je sais qu'ils n'ont pas pêché par immodestie -, mais à faire comme eux ou autrement, mais faire en tout cas de telle sorte, que l'économie de la France et la leur soit capable d'affronter les années qui viennent, les années et les décennies.\
J'ai donc pensé que je pourrais commencer cette sorte de monologue, que je voudrais intimement rendre dans vos esprits, rendre un dialogue. Je voudrais dire aussi ce que je pense sur quelques points essentiels et d'abord sur votre environnement : comment vous demander de mener vos affaires, et de les réussir, de mobiliser les membres de vos entreprises, petites, moyennes ou grandes, de mobiliser les consommateurs, d'utiliser la publicité, de vendre vos produits, dans un environnement incertain ? C'est la vie - et c'est l'histoire - que l'incertitude, à condition de ne pas exagérer.
- Il y a des périodes où les hommes sont tout de même capables d'imaginer, de concevoir, d'organiser, sans prétendre se substituer à tout et à n'importe quoi. Il y a eu et il y a des périodes dans notre histoire où une certaine stabilité a été rendue possible. Or, nous sommes et vous êtes dans un monde instable, où prévalent les aléas, l'imprévisibilité £ et ce monde instable vous êtes contraints de vivre avec lui au centre de certains de ses circuits, sans que vous soyez en mesure de vous fier à autre chose qu'à votre impulsion, ou à votre expérience. Ce n'est pas mal déjà. Encore auriez-vous besoin, c'est du moins ce que j'ai cru comprendre, de certaines interventions £ au moins auriez-vous besoin d'un certain ordre international. Or, c'est le désordre !
- C'est le désordre d'un non-système £ il n'y a pas de système £ il a été cassé. Celui qui existait a fait ses preuves pendant 25 ans £ je ne dis pas que ce serait celui qu'il faut aujourd'hui proposer. Mais alors il en faut un autre.
- Je n'aime pas l'esprit de système. Quand je dis qu'il faut un ordre, il faut l'organiser. Il faut que les responsables, à tous les niveaux et, particulièrement, ceux qui ont la charge des Etats et des politiques générales, soient en mesure de créer pour les entrepreneurs et pour les autres - les citoyens qui vivent le moment où nous sommes - un environnement suffisamment stable afin qu'ils puissent créer, prévoir, travailler. J'attirerai votre attention sur des points que vous connaissez puisque vous les pratiquez quotidiennement, mesdames et messieurs, vous qui êtes à la tête des entreprises £ mais essayons de rassembler, par une brève synthèse, les éléments principaux de notre réflexion.
- Ce non-système aboutit (vous le savez, vous en souffrez) à la valse des taux de change et à la valse des taux d'intérêts. Et vous vous trouvez affrontés, vous, responsables d'entreprises françaises ou internationales - mais à partir de la France - à un monde qui constamment glisse le tapis sous vos pas, le retire ou risque de vous faire trébucher.
- Taux de change £ taux d'intérêts : la réponse vient d'elle-même £ il faut donc inventer un système économique international et particulièrement monétaire où les taux de change se trouveront contenus dans des fluctuations raisonnables et non plus excessives..... autour de quoi ? Autour de monnaies reconnues et qui exercent un rôle de pôle dominant. J'y viendrai dans un moment.\
Vous avez besoin de savoir où vous êtes, où vous allez £ comment le faire lorsque vous vous trouvez devant une dérégulation sans véritable coopération internationale. Chacun pour soi : les Etats, les entités, les organismes, les institutions qui ont la charge de montrer la direction £ le tout avec, pour résultat, des masses monétaires, des masses financières extrêmement mobiles quand elles ne sont pas excessives elles aussi.
- On assiste en même temps à la perte du sens des proportions entre l'économie réelle telle qu'elle est et l'économie financière. Parfois, il y a aussi une certaine préférence donnée aux placements spéculatifs sur l'investissement productif. Ce monde, ce n'est pas vous qui l'avez fait £ c'est le monde qu'on vous offre, dans lequel il faut que vous évoluiez.
- Or, comme nombreux vous êtes ici à devoir organiser vos plans de fabrication pour vendre sur deux ans, cinq ans, dix ans, selon le type d'entreprise qui est vôtre, comment survivre à cette bourrasque permanente ?
- On a dit cent fois, et j'hésite à le répéter, qu'il existe cependant quelques moyens : les monnaies, les monnaies dites fortes, ou qui commandent les grands flux économiques et financiers, le dollar, le yen, pourquoi pas l'écu, la monnaie de l'Europe, qui représente quelques 320 millions qui produisent, qui consomment ou qui produiront et qui consommeront, qui comptent dans le rang autant de savants, d'experts, de techniciens, d'ingénieurs, de cadres, d'artistes, dont la valeur peut être comparée à celle qui nous vient du Japon et des Etats-Unis d'Amérique ... autour de quelques idées simples, bien connues sans doute, mais dont on ne tient pas compte dans les réunions internationales, tout juste pour concéder au bon sens quelque aumône, sans jamais décider, c'est-à-dire sans jamais exprimer une volonté politique afin d'harmoniser la coopération nécessaire dans la résorption des déficits budgétaires, commerciaux, extérieurs, dans la cohérence des politiques économiques.
- Je dis donc qu'il faut qu'on en revienne à un ordre suffisamment souple, autour des zones de référence qui, elles-mêmes, seraient supportées par les trois monnaies dont je parle. Et il faut qu'entre ces monnaies soient déterminées les marges de fluctuations et que les banques puissent intervenir de façon cohérente, tout cela correspond à de multiples démarches qui, malheureusement, ne se rencontrent pas.\
Je me souviens qu'en 1982 `5 - 6 juin 1982 à Versailles`, avec le ministre de l'économie, Jacques Delors, j'avais demandé au sommet des sept pays industrialisés de bien vouloir s'entendre pour dessiner, sur les années suivantes une amorce, un embryon de système £ et nous avons obtenu le vote d'un communiqué.
- Je lis dans ce communiqué : "premièrement, nous acceptons la responsabilité conjointe qui est la nôtre de travailler à une plus grande stabilité du système monétaire mondial". Excellentes dispositions £ c'était en 1982. Nous sommes en 1987.
- "Deuxièmement, nous attachons une importance majeure au rôle du Fonds monétaire international en tant qu'institution monétaire. Nous lui apporterons notre plein appui dans ses efforts pour promouvoir la stabilité". La stabilité c'était en 1982, nous en sommes en 1987.
- "Tertio, nous sommes prêts à développer la surveillance de nos économies sur une base multilatérale harmonisée en prenant particulièrement en compte les monnaies qui composent les droits de tirage spéciaux".
- Il n'y a pas besoin d'ajouter quoi que ce soit à d'excellentes idées dont l'encre a été rapidement séchée puisqu'à peine le communiqué était-il publié que quelques-uns des principaux responsables des pays en question allaient devant la presse, devant leurs journalistes pour dire : "Ne vous inquiétez pas, il fallait le faire, il fallait bien faire plaisir aux Français qui nous recevaient".
- Alors, on a créé un groupe de travail dont Jacques Delors a été chargé d'assurer la présidence et obscurément, un an, deux ans, trois ans, ces idées-là ont fait quelques progrès, jusqu'au moment où les plus grandes puissances financières ont dû reconnaître que le moment était venu, mais ce fut sans véritable détermination politique, parce qu'elles n'avaient pas une volonté suffisante pour s'imposer à soi-même les règles, les efforts, les sacrifices qui auraient pu accompagner cette démarche.
- Mais enfin, tout de même, nous avons eu, après des conversations, Tokyo, Washington, les accords du Plaza, du Louvre et finalement des progrès réels qu'il faut savoir reconnaître £ en tout cas la reconnaissance des définitions nécessaires des règles qui permettraient d'éviter ces fluctuations excessives, un débat intéressant sur les taux d'intérêt, une certaine pause dans les variations des taux de change et un soutien par les banques centrales, ce qui est une innovation intéressante.
- En vérité, on est quand même resté très loin du compte. La France, au-delà de ses avatars - je veux dire les transformations de politique intérieure - a maintenu le cap au cours de ces dix dernières années pour obtenir de ses partenaires les quelques décisions dont je viens de parler.
- Cela reste d'actualité, mesdames et messieurs, et je le répète ce que j'ai déjà dit, vous avez besoin de savoir où vous en ête, où vous allez. Je ne vais pas m'attarder exagérément sur ces points.\
On pourrait tenir le même raisonnement sur les problèmes de financement dans les relations des pays du Nord et des pays du Sud. Car après avoir parlé du système économique mondial, du système monétaire international, autour des trois monnaies - on parlera tout à l'heure de la troisième, ce n'est encore qu'une esquisse - il faut penser financement.
- Se pose tout de suite à nous et à vous un problème : pour élargir vos marchés vous avez besoin de consommateurs, vous avez aussi besoin de producteurs auxquels vous vous adresserez puisqu'en principe, le système commercial international doit s'ouvrir plus largement. Quelques deux milliards d'êtres humains sont aujourd'hui écrasés par leur endettement, souvent démunis d'autosuffisance alimentaire et dont les matières premières sont bousculées de semaine en semaine par des événements qui se passent au loin de leur pays.
- Il est bien toute une série de plans de financements soit pour l'assainissement, soit pour le développement, c'est la Banque mondiale, soit pour l'octroi de l'argent frais, cela peut être les AID, mais il y a toute une organisation qu'il faut mettre en place.
- C'est dans l'intérêt des pays du Nord que de trouver et de proposer des réponses aux problèmes de l'endettement et du développement. Ce n'est pas si facile, encore faut-il le vouloir. Nous avons assez de techniciens, nous avons assez de grands esprits et d'admirables praticiens pour être capables de répondre à ces questions.
- Je citerai simplement l'effort de l'Europe autour, par exemple, des accords de Lomé qui ont su apporter leur concours à presque l'ensemble des pays d'Afrique, à quelques pays d'Océanie et à quelques pays des Caraïbes. Voyez l'effort du Club de Paris qui depuis 1983 a pu disposer d'environ 65 milliards de dollars pour parvenir à abaisser ou échelonner des dettes publiques.
- On le peut donc, mais on ne le peut que dans une corrélation étroite entre les déterminations américaines, européennes, et japonaises. C'est ce dont je vous parlerai dans un moment.\
Ces remarques que je fais sur le système monétaire sont également valables pour le système commercial. Vous entendez presque chaque semaine, les invectives que l'on adresse à travers les terres et les océans pour dire : "Le protectionnisme, c'est vous " On organise des procès £ c'est la Communauté européenne qui se trouve aujourd'hui contrainte à présenter sa défense. Alors que l'on sait bien, puisqu'il s'agit en l'occurence, d'agriculture, que l'aide apportée à l'exploitation ou à l'individu producteur aux Etats-Unis d'Amérique est beaucoup plus importante que l'aide que représente la simple addition des mesures consécutives au Traité de Rome de 1957. A protectionnisme de l'autre, protectionnisme et demi...
- Je ne vous parlerai pas - cela m'est déjà arrivé devant un certain nombre d'entre vous - de toutes les petites guerres que se livrent les pays de l'Europe entre eux, à travers des normes, des obligations sanitaires, qui apparaissent soudain parce que l'on redoute de voir ses frontières enfoncées par l'excellence des produits du pays voisin. Certains présentent des exemples comiques, comme je l'ai déjà rapporté.. Je ne voudrais pas avoir l'air de me complaire dans ce récit.. La bière allemande, les poulets français au moment de Noël, en Angleterre.. Passons sur ces choses, la liste est très longue.
- Peut-être aurions-nous l'occasion nous-mêmes de nous frapper la poitrine, mais ce qui est vrai, c'est que tant que l'on n'aura pas vaincu cette course au protectionnisme, et tout cela sous la complainte... - que dis-je, sous la complainte... l'hymne, le cantique à la liberté des échanges -, vous ne serez pas en mesure d'emporter librement, pris que vous êtes par les tours et les détours d'une absence de système monétaire international et désormais coincés par des règlementations nationales qui peuvent vous être opposées à tout moment et s'opposer à la libre concurrence de vos produits : vous les avez préparés, vous voulez les vendre, vous y avez apporté beaucoup de soin, vous avez l'habitude de suivre tel et tel itinéraire, de vous consacrer à tel et tel marchés, et soudain, ç'en est fini... quand les conditions ne sont pas plus constantes.. Je pense à certains marchés, au Japon, par exemple : je sais de quelle manière l'un de ceux qui se sont exprimés tout à l'heure, a réussi à pénétrer. Il a fallu sept ans pour y vendre un pot de yaourt, je crois ? Combien de temps faut-il pour pénétrer ce marché ? On ne vous opposera pas de règlement, on vous opposera des usages, des coutumes, des comportements individuels. L'Etat, la puissance publique est innocente £ elle n'aime pas cela, elle adore conquérir les marchés extérieurs, elle n'aime pas que l'on puisse prétendre - c'est question de réputation - que l'on ne peut pas rentrer chez elle. Mais en fait, il faut avoir les reins solides £ beaucoup de patience et d'imagination pour parvenir à entrer sur ce marché.\
J'ai participé à de nombreuses internationales. J'ai déjà épuisé mon compte de sommets des pays industriels.. Il y en a un par an et j'ai fait le septième, il n'y a pas longtemps à Venise. J'ai des relations vraiment très agréables avec les premiers ministres. Mais traiter le problème que je suis en train d'approcher avec vous, ce n'est pas commode. Non pas qu'il y ait des querelles ou des disputes, mais parce qu'au moment où l'on commence à parler de ces choses avec quelques égards, de peur de choquer ce grand partenaires... ce grand partenaire, ou bien il s'absorbe dans une songerie dont il serait malséant de le tirer, ou bien il répond en philosophant sur les inconvénients de la situation... enfin, comme je le fais pour l'instant.. Insaisissable !
- Les Etats-Unis d'Amérique sont plus facilement accusateurs.
- Je me souviens de l'extrême difficulté devant laquelle je me suis trouvé à Bonn. C'était en 1985, lorsque M. Reagan a posé, en termes assez impérieux, la nécessité de réunir le GATT, la grande négociation commerciale que l'on appelle aujourd'hui "l'Uruguay round".. Nous avions interrogé, le gouvernement et moi, la direction du GATT qui nous avait répondu que le seul dossier prêt à être discuté, c'était le dossier agricole, de telle sorte que la France se serait trouvée exposée à débattre de ce dossier sans être assurée de la solidarité entière de tous ses partenaires du Marché commun, assurée d'être combattue par plusieurs grand pays du tiers monde, assurée d'être dénoncée par les Etats-Unis d'Amérique, sans qu'il eût été possible de mettre le reste aussi sur la table, les normes industrielles, les services, tous les secteurs où s'exerce l'activité humaine, où nous ne sommes pas toujours les meilleurs, en tout cas pas les plus nombreux mais où, impunément, on nous oppose des impossibilités de toutes sortes : on ne franchit pas la frontière.
- Eh bien, il faut s'attaquer à cela dans l'Uruguay Round. Il faut être en mesure d'abord de décréter une trêve du protectionnisme. On ne peut pas demander à la France d'exposer quelques-unes de ses meilleures productions pour ouvrir largement ses portes, et d'autre part fermer les autres portes devant ce qu'elle est capable de produire dans les autres disciplines.
- Tout doit être sur la table. C'est le slogan, pour employer une expression que je n'aime pas, c'est le refrain que je redis à chaque occasion internationale. Je suis, moi aussi, contre le protectionnisme, même s'il m'arrive, comme à vous sans doute, de penser qu'il est des domaines, parfois, qui doivent être protégés ou qui mériteraient de l'être : lorsque dans un secteur, naît un produit dont on sait bien ou dont on devine qu'il envahira le marché mais qu'il est encore en situation de faiblesse et qu'il vaudrait mieux ne pas l'abattre, les coalitions qui se produisent un peu partout doivent étouffer dans l'oeuf l'initiative. Oui, discutons-en.. Tout sur la table £ plus de protectionnisme. Ce sera la position, c'est la position de la France, et si l'on veut restreindre ici ou là cette libre compétition, entendons-nous sur la façon de faire.\
J'ai parlé du système monétaire international, et de tous les problèmes de croissance et des problèmes de financement, de l'organisation d'une politique internationale autour des taux d'intérêt, alors qu'on observe une hausse de ces taux d'intérêt pour peut-être... c'est difficile à dire.. J'ai lu beaucoup d'analyses à ce sujet.
- La politique des taux d'intérêt, dont on peut analyser les raisons tant que l'on voudra, est et reste pour moi la raison principale même si elle n'est pas la seule, des drames financiers, boursiers et donc industriels de ces dernières semaines. Eh bien, il faut un accord international £ et pour cela, la France peut parler haut, mais rien ne vaudra, mesdames et messieurs, le relais de l'Europe.
- Juste une observation en passant, avant de passer à ce sujet-là : la construction européenne £ on ne peut pas tenir ce discours - celui que je tiens pour l'instant - et ignorer les tensions, la multiplication des tensions internationales autour des problèmes de la paix ou de la guerre, qui ne sont pas faites non plus pour faciliter votre tâche. Elles existent. Cela provoque, pour la démographie, le fait suivant : pourquoi bâtir, pourquoi créer ? Cela freine l'élan de ceux d'entre vous qui se demandent s'ils peuvent tout risquer, si l'aventure vaut la peine pour peu qu'au bout de quelque temps un nouveau drame international - ce serait le moindre mal - ne vienne fermer les marchés, mais peut-être aussi ne vienne fermer tout simplement l'avenir. Donc, travailler à l'apaisement des tensions fait partie de ce dont vous avez besoin. Et pour les responsables politiques, les responsables de l'Etat - j'en suis - c'est de cette interrogation, de ce besoin-là comme d'autres besoins, tout simplement ceux de la vie que nous devons entretenir les puissants de ce monde.
- De ce point de vue, c'est vrai, je me réjouis que pour la première fois depuis plus de 40 ans, on commence à envisager une perspective encore bien imprécise d'un début d'esquisse de désarmement. Encore faut-il, bien entendu, que des armes assurent une sécurité pour le moins égale ou supérieure à l'-état antérieur et non pas le contraire £ mais cela c'est de l'ordre des politiques, c'est de l'ordre des diplomates, des militaires.
- Je n'insisterai pas davantage. Je veux dire que système monétaire, système commercial, problèmes de financement et de développement, apaisement des tensions, voilà un environnement auquel il faudrait sans doute s'attaquer si on veut ensuite faire que l'entrepreneur qui se trouve lui dans son coin - ou bien au contraire un entrepreneur qui a une vue sur le monde entier, peu importe, ils sont dans le même cas, ce sont les mêmes problèmes psychologiques, moraux, les mêmes ressorts qui jouent - puisse tenir... Il faut que sur ces quatre points - et c'est le rôle de la France parmi d'autres - nous soyons des bons ouvriers d'un retour à l'ordre monétaire, taux d'intérêts et taux de change, fluctuations, que nous soyons les bons artisans d'un équilibre commercial.\
La Conférence internationale du GATT, les frontières protectionnistes qui s'abattent - pas toutes -, lesquelles ? Comment ? Où se trouve l'intérêt mutuel ? Cherchons la voie qui permettra à l'esprit d'entreprise, à la concurrence et à l'excellence - c'est bien le mot - de s'imposer normalement, de ne pas se trouver évincée par des mesures parallèles.
- L'un des instruments majeurs, mesdames et messieurs, de la politique que je suggère pour en finir avec cet -état d'imprévisibilité, c'est tout de même la construction européenne £ ce n'est pas l'alpha et l'oméga, on ne trouvera pas dans ces mots, réponse à tout £ là encore, il y aura lutte, compétition, lutte impitoyable £ et il faudra beaucoup de sang froid aux politiques et aux maîtres de l'économie, aux entrepreneurs, à ceux qui la font et qui savent bien que l'Europe, existerait-elle d'une façon plus homogène qu'aujourd'hui, nous ne serions pas indemnes de la réalité de la vie.
- Enfin quand même, comment ne pas espérer du futur marché unique de 1992 - 1993, comment ne pas espérer organiser toute une série de politiques communes qui permettront non plus seulement d'atteindre 55 millions de Français, mais 320 millions d'Européens, plus que les Etats-Unis d'Amérique, plus que l'Union soviétique, plus que le Japon £ et parmi ces 320 millions, je vous le disais tout à l'heure, je le répète aussi, une capacité, une qualité d'invention et de création, une technicité, un esprit d'entreprise et d'allant pour le moins égal à ceux qui apparaissent aujourd'hui comme les vainqueurs de la compétition. 320 millions d'êtres humains, 320 millions parmi lesquels, producteurs et consommateurs pourront bénéficier d'un esprit de conquête. S'ils n'agissent pas avec un esprit de conquête, s'ils se contentent de se mettre en situation de défense, ils seront vaincus. On connaît bien de quelle façon les choses se passent sur les champs de bataille militaires. Il ne faut pas vivre dans sa tranchée, en tout cas ce n'est plus le moment.
- Alors, les politiques communes auxquelles nous travaillons beaucoup, croyez-moi, j'y consacre beaucoup de temps - c'est bien le moins, c'est ce que je dois à la nation, je ne m'en flatte pas mais je ne suis pas le seul au demeurant - je m'y attarderai un moment, mais je cite : politique monétaire, agricole, politique technologique, l'Europe des transports,l'Europe de l'environnement, l'Europe sociale, l'Europe régionale, fonds structurels, tous ces termes un peu occultés par la technicité des vocabulaires £ politique commune de défense, du moins entre les pays de la Communauté : ils sont tous libres de leur détermination dans ce domaine. Certains sont neutres, d'autres ne sont pas intéressés, mais des pays comme l'Allemagne, la France, l'Espagne, l'Italie - l'énumération est toujours fâcheuse parce que si l'on omet un seul pays, on l'offense - mais enfin la Grande-Bretagne, pourquoi pas ? - je n'ai aucun dédain pour la Grande-Bretagne que j'admire très souvent, mais je veux dire qu'elle n'est pas la mieux préparée à attaquer ce type de conversation -, sont prêts. Il y a un élément tout à fait prometteur, c'est que lorsque l'Allemagne et la France sont dans le même train, on peut être sûr que la Grande-Bretagne sautera en marche dans le train.\
`Suite sur la construction européenne`
- La défense : je viens de passer quelques jours à en parler avec les autorités allemandes.
- La monnaie : la question m'était posée ce matin dans une conférence de presse à Hanovre, par des journalistes allemands et français. Eh bien, oui, tout simplement je crois qu'il faut aller vers une monnaie commune. Assurément, c'est très difficile, mais il faut aller vers une monnaie commune.
- Il y a déjà l'écu, c'est une monnaie abstraite. Il y a l'écu privé, il y a l'écu public. Cet écu privé et cet écu public n'ont pas de relations entre eux, cela peut être un libellé pour un emprunt, mais ce n'est pas une réalité saisissable. Il y a des progrès à faire. Et cette monnaie européenne, il faut qu'elle dispose de tous les attributs des monnaies. Il faut qu'il y ait un organisme central : je ne tranche pas le problème comme cela, ex cathedra, pour dire, est-ce qu'il y aura une banque européenne centrale, est-ce que les monnaies nationales de chacun des pays participants à cette monnaie, et ils devraient être plus nombreux que ceux qui s'y trouvent aujourd'hui - je pense aux Espagnols en particulier, pourquoi pas, ou à la livre britannique, on doit être plus nombreux - et cette monnaie-là devrait disposer de tous les attributs d'une monnaie, avec des pouvoirs, des institutions, et je ne dis pas une banque centrale, je dis, en tout cas, un organisme central capable de redistribuer, de diffuser, de disposer des disponibilités, de débattre avec les partenaires américains et japonais, bref, de prendre place dans le grand jeu des monnaies. La monnaie sera une façon de mettre en commun les éléments essentiels de nos économies.
- Déjà, on pourrait imaginer un système monétaire européen plus ferme. Quand on va un peu à son secours, on s'aperçoit que c'est toujours un peu bref, qu'il n'y a pas, à la fois assez de marge quand on a besoin d'une marge, et une règle assez forte quand on a besoin qu'elle soit forte. Cela vient tout simplement du fait qu'il ne peut pas y avoir de politique militaire, qu'il ne peut pas y avoir de politique monétaire, s'il n'y a pas au moins un pouvoir politique capable d'indiquer la direction, et c'est sur ce pouvoir politique qu'on achoppe ordinairement.
- Je dis tout de suite, mesdames et messieurs - et je sais que je m'adresse au-delà de vous à la presse, et aussi aux Français - je pense qu'il faut avoir le courage de franchir ce pas. Nous avons déjà, nous les pays de l'Europe, renoncé à bien des aspects de souveraineté qui eussent paru intangibles avant 1914. Je crois à la vertu des nations, je crois aussi aux identités nationales. Je crois, j'en vis, je l'exprime, nous nous sentons Français par notre histoire, notre culture, nos habitudes, nos affections, nos goûts, nos rêves, nos entreprises. Mais nous n'avons pas à fermer les yeux sur l'apport des pays voisins qui relèvent de la même civilisation que nous.\
L'Europe technologique : je me souviens quand j'ai proposé... - je parle de ce que je connais, mesdames et messieurs, beaucoup d'autres personnes ont proposé d'autres choses avant moi, d'autres en proposeront après, d'autres s'empressent d'en proposer pendant ... de telle sorte que nous sommes extrêmement nombreux, ce qui est excellent, à faire des propositions. C'est avant que je ne sois Président de la République qu'on a vu le progrès du système monétaire européen, qu'on a vu l'élection du Parlement européen au suffrage universel. Il faut rendre à chacun ce qui lui est dû -.
- Ensuite, on a élargi à l'Espagne et au Portugal. On a développé l'Europe technologique avec Eurêka qui réunit aujourd'hui dix-huit pays : ce sont des centaines de projets industriels à la disposition des entreprises, l'Etat n'intervenant pas, l'administration fournissant simplement l'élément de départ. La France l'a fait en premier, l'Allemagne ensuite, les autres sont venus nous rejoindre. Tandis que, puisqu'il s'agit de hautes technologies, des demandes sont faites : Japon, Canada, République argentine, Union soviétique. Combien d'autres encore qui souhaitent prendre part à ce formidable effort collectif des Européens pour être capables de situer leur technologie au plus haut niveau. Je dis, moi, Européen, je vous dis, - vous l'avez sûrement dit tout à l'heure, je n'ai pas pu le vérifier, le contrôler - que si dans peu d'années - je crois que M. Boissonnat pourrait me corriger si je disais cinq années, parce que cela lui paraîtra trop long -, si dans cinq années, nous n'avons pas réussi l'Europe technologique, qui n'est pas que celle d'Eurêka, qui est aussi celle du programme émis par la Communauté européenne, sous la proposition de Jacques Delors, nous aurons perdu, nous perdrons au moins un demi-siècle si ce n'est davantage, car les objets que vous produirez seront déjà dépassés par l'arrivée massive des produits étrangers plus sophistiqués ou plus simples, en tout cas, plus excellents et qui primeront sur le marché. Il y a, mesdames et messieurs, une extrême urgence pour cette Europe technologique. Elle passe au même rang à mes yeux que l'Europe monétaire, étant entendu que l'Europe de la défense est aussi nécessaire. Mais pour des raisons multiples que vous concevez parfaitement - l'-état du monde, l'-état de l'Europe, les guerres mondiales, les intérêts en présence, les alliances diverses, et les orientations parfois contradictoires ou contraires tout au moins - il faudra du temps pour parvenir à l'objectif désiré. Cela prendra du temps. Il faut commencer le plus tôt possible, cela a été dit avant moi.
- L'Europe des transports : c'est quand même intéressant de voir que tandis que je me trouvais à Bonn, le ministre compétent `Pierre Méhaignerie`, avec beaucoup d'assiduité, a débattu du TGV avec les Allemands. Nous avons voyagé sur un Airbus. Nous avons discuté pour arriver à séduire un peu les Allemands, qui renâclent pour l'instant pour des raisons financières et techniques sur Hermès qui, comme vous le savez, serait le complément naturel pour être lancé par Ariane 5. Ce serait dommage de retarder tous ces programmes. Et puis, quelle puissance, quelle chance pour vous, pour nous, pour nous les Français, pour vous les entrepreneurs qui êtes au surplus des entrepreneurs français et qui, au-delà de votre réussite, cherchez, je n'en doute pas, la réussite de votre pays.
- Je ne vais pas m'attarder maintenant sur les autres aspects que j'ai cités : l'environnement, l'Europe sociale, culturelle ou régionale. Vous avez compris, il faut construire l'Europe, et l'on ne construira l'Europe au point où nous en sommes que si la volonté politique s'affirme en vue d'un pouvoir politique dont il s'agit maintenant de dessiner les contours.\
Mesdames et messieurs, la perspective immédiate, maintenant, c'est le marché unique. Alors là, je pense que vous en avez tellement parlé que je suis un peu gêné d'insister, puisque vous savez que vos marchandises, vos objets fabriqués, les services que vous êtes capables de rendre et de vendre, s'échangent à l'intérieur des douze pays. Plus de frontières, ce qui entrâine tout un jeu d'assurance : plus de frontières non plus £ tout un jeu juridique : plus de frontières non plus £ tout un jeu fiscal : plus de frontières non plus £ tout un jeu social.. Tout cela ne se fera pas aisément : on peut s'interroger sur la capacité des responsables d'aujourd'hui à régler ces problèmes avant le 31 décembre 1992, mais on doit s'y appliquer de toutes ses forces.
- Je me réjouis de voir que l'ensemble des formations politiques de France avait fini par approuver et même par relancer ce projet du marché commun, du marché unique qui est, après tout, le point d'aboutissement du traité de Rome de 1957. Il fallait déjà le savoir à ce moment là, et on était resté en suspens. 1987 - 1992, nous avons commencé d'en parler sérieusement à Milan `juin 1985`, nous avons organisé une conférence inter-Etats à Luxembourg `décembre 1985`. Tout paraissait voué à l'échec. Deux pays s'entêtaient derrière un refus catégorique : la Grande-Bretagne et le Danemark. D'autres pays, l'Allemagne, la France, la Commission européenne, la Belgique, se sont associés. Arguments, pression de la raison, pression du sentiment, pressentiment de l'histoire, volonté politique, et cela a été décidé.
- Je considère que cette décision est l'une des plus importantes que j'aurai été amené à prendre au cours de cette année pour le compte de la France. Mais m'adressant aux responsables politiques, aux élus du peuple, à l'administration, mais à vous aussi, mesdames, messieurs, et je sais que vous y réfléchissez, c'est avec la plus grande gravité que je vous dis : soyons prêts, soyons les meilleurs. On ne sera pas partout les meilleurs ! Soyons les meilleurs dans un nombre de disciplines suffisant pour que l'économie générale du pays sorte victorieuse de cette compétition.\
J'en arrive au troisième et dernier point, c'est celui qui touche directement à l'entreprise, à vos entreprises. Vous êtes des connaisseurs, puisque vous êtes des praticiens, et je reconnais quelques visages, vous êtes aussi des théoriciens de l'entreprise.
- Je ne vais pas vous donner des conseils, bien qu'après tout, non pas dans cette salle, à ce moment précisément sur ce sujet, mais à l'Elysée, pour essayer pendant le temps qui m'est imparti, de dire aux Français ce que je pense, et pour essayer de donner les quelques conseils avec prudence, avec sagesse, en excluant les systèmes et le sentiment de l'absolu. Appliqués à la métaphysique, ce n'est déjà pas facile, alors appliqués au reste !... Modestie.. Et puis, vous remarquerez qu'à un système correspond toujours un autre système. On n'en sort plus !
- J'ai donc relevé les lignes de force, mesdames, messieurs, les lignes d'excellence qui ont été tracées par ceux qui se sont exprimés ici même dans ce colloque, ceux qui fêtaient l'anniversaire de "L'Expansion".
- J'y ajouterai quelques réflexions de mon crû, que j'essaierai de résumer, sur ce que j'appellerai les cinq savoirs de l'entreprise.
- Ces cinq savoirs de l'entreprise, je pourrais les appeler les cinq commandements, pour faire une comparaison qui pourrait être délirante £ encore pourrais-je dire qu'ils sont divisés par deux ! Je montre que je garde un certain sens des proportions. Ces cinq savoirs de l'entreprise, tels que je les vois, tels que vous les avez vus.
- Le premier, me semble-t-il - j'ajouterai que ces savoirs sont en même temps des obligations - c'est savoir apprendre, et dans le mot "apprendre", on pourra trouver des synonymes ou bien des verbes qui se rapprocheront. Apprendre à former, à se former, parce qu'il convient, mesdames, messieurs, n'y voyez pas d'outrecuidance si j'insiste sur ce point, non seulement que vous ayez des travailleurs de tous niveaux, formés pour répondre aux besoins les plus exigeants et, particulièrement, de la haute technologie, mais surtout des cadres naturellement et c'est là, après toutes ces précautions, permettez-moi de vous le dire, que les chefs d'entreprise doivent apprendre aussi à se former, si ce n'est déjà fait, oui, à se former, pour le grand jeu des concurrences dont je viens de dessiner à l'instant l'environnement et le caractère. Former les autres, former ceux qui viennent dans votre entreprise, et se former soi-même, savoir former.\
`Suite sur les "cinq savoirs de l'entreprise"`
- Deuxièmement : savoir innover. Cela fait longtemps qu'on le dit. Et cette fois, je me suis interrogé, approuvant ou regrettant tout ce qui a été dit par tant et tant de responsables dont je suis, pour essayer de déterminer l'analyse la plus juste des causes de ce que l'on appelle, je crois, d'un mot mal approprié, mais c'est comme cela, le vocabulaire, cela compte "la crise". Pour essayer de comprendre à partir de la crise comment s'est développé continuement de 1974 jusqu'à aujourd'hui le chômage, avec quelques ralentis. On dit qu'il en existe un pour l'instant, j'en ai vu, constaté, et apprécié un autre en 1985 et, au début de 1986, mais, d'une façon générale, avec une perspective constante vers l'augmentation du chômage.
- Vous avez vous-mêmes expliqué, vous vous êtes expliqués à vous-mêmes, la crise. L'explication est des plus simples : la crise, c'est le temps que l'on met à passer d'un ordre, industriel notamment, à l'autre. On a des machines adaptées pour fabriquer tel produit, elles sont insuffisantes, elles sont dépassées par la perfection des machines concurrentes. Les hommes et les femmes qui travaillent sur ces machines sont, eux-mêmes, non adaptés aux progrès constatés dans d'autres pays quelquefois très lointains.
- Le temps de la crise, c'est le temps de l'adaptation et ce temps est naturellement long car, d'abord, il faut que chacun comprenne où se trouve la voie, la réponse £ ensuite, il faut être capable de faire bouger l'entreprise, de faire bouger une société, et c'est souvent lent, c'est souvent lourd. Bref, avant que l'ensemble de l'appareil national se soit mis en branle pour aborder la nouvelle époque, après avoir innové et formé, ce temps-là, c'est la crise. Ce temps, c'est un temps de malheur, surtout pour ceux qui cessent de disposer d'un emploi, qui, non seulement souffrent matériellement, mais aussi psychologiquement et moralement. Un homme, une femme dans notre société, démuni de travail, c'est quelqu'un qui souffre, vous le savez. C'est quelqu'un qui se trouve déchiré, et parfois abandonné. C'est une atteinte à la dignité. On doit donc hâter ce moment, surtout si c'est, je le pense, une souffrance pour la nation.
- Il faut donc hâter le moment où, ayant innové, la société industrielle française et les services aussi, seront en mesure de passer à l'étape suivante. Qu'on ne dise pas que ce sont les sociétés les plus automatisées qui disposent du plus grand nombre de chômeurs, c'est le contraire ! Les Etats-Unis d'Amérique ou le Japon, par exemple, ont franchi cette étape, ont réduit les deux bords de la plaie, ont réussi à franchir cette étape. Ils ont souffert eux aussi, surtout les Etats-Unis d'Amérique, mais ayant franchi l'étape, on s'aperçoit qu'ils sont mieux outillés que nous. Ils ont moins de chômeurs, ils ont donc réussi sur les deux plans. Il ne faut pas croire que c'est en maintenant des systèmes et des procédés dépassés que nous parviendrons à réduire le chômage. Donc, savoir apprendre, savoir former, c'est le premier point £ savoir innover sur tous les plans, donc choisir ses investissements, parce que l'on connaît l'innovation qui vient de l'extérieur, parce que l'on a rencontré des techniciens, des savants qui vous ont informés de ce qui se passe dans les laboratoires. Bref, il vous faut des produits de haute valeur ajoutée, toujours plus haute, toujours mieux produits quand il s'agit de quantité, toujours davantage, quand il s'agit de qualité, mais je ne crois pas que la qualité puisse être dissociée de la quantité £ toujours plus et toujours mieux.
- Mais cela n'est possible que si vous regardez devant vous, que si vous regardez à côté de vous, que si l'information vient jusqu'à vous, d'où l'intérêt de réunions comme celle-ci autour d'un journal comme celui-ci, parmi d'autres.\
`Suite sur les "cinq savoirs de l'entreprise"`
- Savoir apprendre, savoir innover, savoir prévoir, et mon troisième savoir est directement relié au deuxième et vous comprendrez tout de suite : savoir chercher. Savoir chercher et savoir trouver !
- L'accès aux hautes technologies ne se fera pas tout seul. Il faut des chercheurs £ il faut que ces chercheurs aient une rémunération. Il faut que l'ensemble des institutions publiques qui cherchent, qui sont organisées autour de la recherche, soient dotées de crédits suffisamment conséquents, pour que la priorité que je proclame partout où je vais pour la recherche, soit pratiquée dans les faits. Plus nous aurons de chercheurs et de chercheurs qualifiés, plus nous aurons de réponses aux questions que nous venons de poser. Et si - et c'est le cas - dans les entreprises où cela est possible, la recherche est poussée plus loin, je connais certains d'entre vous qui consacrent une part très importante de leurs moyens pour chercher, la réussite de certaines de vos entreprises considérées par vous comme les meilleurs, - vous avez dit les champions - elles le doivent à la qualité de leur recherche. Quand on sait que pour certaines entreprises, faut-il penser à l'aéronautique ou à l'automobile, il faut 10, 15, 20 ans de prévisions et pendant ces 10 ou 15 ans on risque aussi d'être distancé, de telle sorte que le laps de temps que l'on a consacré pour mettre en oeuvre la fabrication d'un produit longtemps imaginé, il faut encore être capable de changer le cours de sa conception, de modifier ses modèles, donc, une disponibilité intellectuelle, une disponibilité du regard, de l'attention, qui exigent beaucoup, vous le savez bien, mesdames et messieurs.\
`Suite sur les "cinq savoirs de l'entreprise"`
- Mais il est indispensable de savoir apprendre, former, savoir prévoir, savoir chercher, pour trouver. Encore faut-il savoir quand on a trouvé, savoir vendre.
- Mais je ne suis pas sûr que parmi les immenses qualités des entrepreneurs français - les Français ont beaucoup de qualités, pas simplement les entrepreneurs -, je ne suis pas sûr que leur qualité principale soit de savoir vendre ce qu'ils produisent ! Bon ! on me lancera à la figure bien des exemples démonstratifs. J'ai vu des photos tout à l'heure, sur cet écran, qui étaient judicieusement choisies, je le pense, qui montraient ceux qui savaient, par rapport à ceux qui n'avaient pas leur photo.
- Savoir vendre, et je pense que nous n'avons pas la structure des écoles pour cela. Nous avons réussi, je crois, vous avez réussi, un lien étroit désormais, avec l'université, avec les grandes écoles, mais je ne suis pas sûr que sur l'exportation vous disposiez de l'appareil indispensable. J'aurais voulu il y a déjà plusieurs années, et ce n'est pas un propos politique s'appliquant aux circonstances présentes, j'aurais voulu qu'il y eût des écoles plus spécialisées, capables de former 150 jeunes gens chaque année, qui se distribueraient sur le marché et seraient parfaitement informés de toutes les conditions de la concurrence, de toutes les techniques, parlant naturellement les langues de plusieurs pays, les grandes langues parlées dans le monde. Il en existe bien, c'est sûr, mais pas assez ! et nous n'avons pas les systèmes qui permettent d'assurer la suite, qui permettent de suivre la vie de l'objet fabriqué par un Français, à 10000 kms de chez nous.
- Il faut savoir vendre. J'ai l'air de distribuer des conseils. Si on me demandait, à moi, de vendre quelque chose, j'en serais parfaitement incapable. Donc, je dis cela, ce n'est pas mon métier non plus, sauf peut-être... non pas de vendre mais d'exposer, de convaincre, sur un certain nombre d'idées. C'est un autre domaine, je n'insiste pas ! Il faut savoir vendre nos marchandises. D'une façon générale, elles sont bonnes. Je crois que l'industriel a un grand amour pour ce qu'il fait. Il aime l'objet qu'il construit. Je me souviens devant "L'Expansion", il y a un certain nombre d'années d'avoir développé une thèse qui ne faisait pas plaisir à tout le monde. Qu'est-ce qui fait plaisir à tout le monde ? J'ai depuis longtemps cessé de m'intéresser à cette question !
- Le propriétaire d'industrie, à partir de la banque, n'avait pas la même mentalité que l'industriel pur et simple, parce que c'est une mentalité différente de celle qui consiste à fabriquer l'objet, parce que l'on aime fabriquer, et ce celle qui consiste à aimer une entreprise pour pouvoir l'échanger. J'ai vu dans l'évolution du XIXème siècle et du XXème siècle, comme une sorte de danger pour l'esprit d'entreprise proprement dit, autour des objets à fabriquer. Demain, ces objets fabriqués qu'il faut vendre, je pense que seuls des industriels, des chefs d'entreprises, ou bien des chefs d'entreprises de services, parce que le problème se pose dans les mêmes termes, il faut qu'ils se persuadent absolument, qu'ils peuvent toujours gagner. Ils le peuvent ! Encore faut-il qu'ils se soient initiés eux-mêmes aux règles de la compétition.\
`Suite sur les "cinq savoirs de l'entreprise"`
- Le cinquième savoir, dont je parlerai, que je tire même de vos propres propos, et j'y ajoute mes commentaires dont j'ai seul la responsabilité, le cinquième savoir donc, c'est celui de savoir partager, savoir concilier, savoir négocier, savoir vivre ensemble et donc, savoir informer à l'intérieur de l'entreprise.
- Je sais bien que tout le monde conjugue aujourd'hui cette nouvelle règle grammaticale : l'économie et le social se marient. Je sais bien, je m'y suis beaucoup échiné à répéter partout qu'il n'y avait pas de progrès économique sans justice sociale et je suis toujours très content quand je vois que cette évidence existe encore. Mais je voudrais que cette évidence-là soit comprise par les entrepreneurs. Beaucoup en ont tiré déjà des leçons suffisantes. Pas tous ! Des expériences d'autres industriels que vous avez dû certainement rapporter messieurs, alors vous me pardonnerez si je n'insiste pas !
- Je pense aux déclarations des plus célébres patrons japonais sur l'importance de l'harmonie sociale dans l'entreprise, sur l'importance de la cohésion. il ne s'agit pas de mélanger les rôles ! Il y a des oppositions naturelles, il y a des besoins différents. Mais quand on est dans l'entreprise, l'entreprise ce n'est pas une personne, c'est tout le monde et il faut que tout le monde soit appelé à y prendre part, partager et prendre part au conseil. Lorsqu'il s'agit de produire de nouvelles marchandises de haute technologie, c'est intéressant d'avoir l'avis de ceux qui mettent la main à la pâte, de ceux qui sont dans les laboratoires et pas simplement des grands dirigeants, mais de tout le monde, de ceux qui sont appelés à donner un avis normalement, sur ce qui se passe, parce qu'ils devinent, parce qu'ils pressentent, parce qu'ils connaissent, parce qu'ils ont l'expérience.
- Partager £ négocier £ on négocie les conflits sociaux. J'ai regretté longtemps - c'est un regret du passé - que l'on mette tant d'années à mettre en oeuvre ce que l'on a appelé les lois Auroux.
- Négocier, informer, concilier, concilier £ et lorsque le profit de l'entreprise est là, au -prix de sacrifices nombreux - et il y a des époques où ces sacrifices ont été rudes - je me souviens du moment où le gouvernement, un des gouvernements que j'ai formés, a dû bloquer l'ensemble des salaires et des revenus, casser, casser le lien étroit qui s'était établi à travers les décennies précédentes, entre les différents éléments de la vie économique nationale.
- C'est très difficile £ mais au moment du juste profit, où le juste profit est acquis, il faut savoir le partager. Bref, il faut une politique hardiment sociale. Vivre ensemble, c'est, je crois, un des secrets des entreprises qui réussissent.\
J'en ai fini. Une question me taraudait £ mais le temps a passé et je ne peux pas la traiter en quelques secondes. J'aurais aimé vous entendre sur le point suivant : que pensez-vous de la relation : l'Etat et vous ?
- Pendant longtemps, vous avez répété : l'Etat se mêle de tout, quand il ne veut pas tout diriger. Vous n'avez pas tout à fait tort, car la puissance publique a toujours voulu tout diriger. C'est dans sa -nature £ c'est dans la -nature d'une puissance publique, et comme c'est dans la -nature des Français, réunissez les deux et voyez le résultat !
- Les structures de décision ou de contrôle de l'Etat étaient pratiquement toutes en place il y a sept ans £ le champ s'est étendu avec les nationalisations. Mais les structures, elles, étaient en place, avec une société d'une -nature politique et sociale différente. Et cette mise en place avait commencé à travers les siècles : Louis XI n'avait pas été en reste avec nous £ Colbert n'était pas le plus timide d'entre nous £ bien entendu, Napoléon est venu £ puis la suite ... la suite est récente. Je sais bien que l'Etat s'occupait trop £ mais on pourrait faire attention à ce que l'Etat dise un jour : vous ne m'intéressez plus... Vous savez bien que dans les grandes bourrasques récentes, l'intervention de la puissance publique peut se révéler bien utile.\
`Suite sur les relations Etat entreprise`
- Moi, je crois au compromis. J'emploie cette expression qui faisait plaisir à certains, mais pas tellement ni d'un côté, ni de l'autre... économie mixte... il faut que l'Etat, la puissance publique, et maintenant l'Etat décentralisé, c'est-à-dire les régions, les départements, la puissance étatique, les entrepreneurs, l'industrie notamment, il faut qu'un compromis se fasse, que refusant tout esprit de système on n'en reste pas moins convaincu qu'il est un certain nombre de productions qui dépendent des achats de l'Etat et de lui seul £ qu'il est un certain nombre de productions qui intéressent la nation, qui ne peuvent vivre que par la nation et par elle seule et par les effets de la loi £ qu'il en est d'autres qui répondent à des besoins partagés également par toute femme et tout homme vivant sur notre sol, quel que soit son degré de fortune.
- Que des entreprises puissent avoir passagèrement des difficultés de trésorerie... je dirai qu'elles en ont d'autant plus souvent qu'elles ont rempli leur carnet de commandes £ les deux choses se tiennent. Faut-il qu'elles restent en rade ?
- Nous venons de vivre une grande difficulté `crise boursière` £ j'espère qu'elle s'apaisera £ mon premier réflexe, lorsque je l'ai appris a été - à Bonn, en Allemagne - de penser avec inquiétude aux actionnaires. Il ne faut pas d'abord songer à tirer avantage des opinions qu'on exprime £ il faut d'abord penser que les petits actionnaires sont des gens qui souvent vivent difficilement, qui n'ont pas tellement d'argent à disperser ici ou là, qui ont vécu un grand moment d'angoisse et qui n'en sont pas tout à fait tirés. Il faut les aider, les comprendre £ il faut, le cas échéant, faciliter le passage permettant au marché de ne pas être engorgé £ il faut chercher à vivre au mieux, dans un monde tourmenté.
- Mais si demain, la puissance publique, les puissances publiques au sein du système international, se désintéressent des entrepreneurs et disent : c'est votre affaire, débrouillez-vous... pour les bons cela marchera, pour les mauvais cela cassera et après tout, cela ne me regarde pas.. Cela nous regarde à condition de ne pas succomber à la tentation de toujours vouloir enfermer dans un système réglementé ce qui relève de l'imagination, de la création et de l'initiative. Et que personne ne jette la pierre £ les sociétés traditionnelles d'avant 1981 étaient essentiellement dirigistes £ les sociétés d'après, je ne les qualifierai pas, mais j'en suis aussi solidaire, je suis solidaire de mes propres actes.\
`Suite sur les relations Etat entreprise`
- Evitons qu'à l'avenir l'incompréhension s'empare des acteurs de la pièce que je commente £ les entrepreneurs sont indispensables à la France £ les entreprises doivent être considérées comme un tout : les travailleurs de ces entreprises ont droit au partage dans tous les domaines de leurs compétences et dans tous les domaines du profit acquis par le travail commun.
- Tout cela me paraît être la loi même d'une société civilisée £ mais que l'on s'entr'aide £ que les moyens détenus par la puissance politique permettent de traverser les mauvaises passes £ que les moyens de la recherche, par exemple, publique, viennent en concours de toutes les initiatives privées, que la formation soit facilitée par l'instruction publique, par l'enseignement supérieur, par les grandes écoles dont la plupart relèvent de l'Etat.. Bref, que l'on ne réponde pas toujours par une sorte de refus à ce qui exige une adhésion supplémentaire au dialogue, à la compréhension, au travail en commun.
- Ensuite, c'est la tâche des politiques. Je n'en ai pas parlé. On parle toujours politique quand on parle des choses, quand on parle de tout, mais j'ai des idées sur le dialogue, la diatribe politique, parce que c'est mon rôle. J'ai mes préférences, mesdames et messieurs, que je ne dissimule pas £ je sais très bien à qui je m'adresse, mais j'ai lu les sondages aussi : je veux dire les sondages particuliers, pas les autres £ je connais aussi les autres £ mais pas les sondages issus de vos milieux particuliers £ je sais très bien où j'en suis ... mais çà m'est égal... Ce qui m'intéresse, c'est que cela marche, vous et le reste, vous, la France, c'est que çà marche !
- L'initiative, le rôle nécessaire de la puissance publique pour le meilleur, pour l'excellence, la responsabilité et le partage, voilà, mesdames et messieurs, un certain nombre de réflexions que vous me pardonnerez d'avoir peut-être un peu prolongées, qui exprimaient vraiment ce que je pense.
- J'aurais envie de continuer encore toute la soirée, parce que j'aime convaincre, je n'ai pas la prétention de pouvoir le faire en trois quarts d'heure, je ne suis pas sûr non plus que la nuit suffirait, mais j'aime convaincre. J'aime faire partager moi aussi ma conviction et je vis comme tant d'entre vous la vie de la France. J'ai envie qu'elle gagne, je l'en crois capable, pour qu'elle gagne, il faut sa cohésion et d'abord sa cohésion sociale.
- Mesdames et messieurs, bonne chance. Bonne chance pour votre anniversaire, pour tous les autres, chaque jour vous fêtez vos réussites, votre effort, bonne chance mesdames et messieurs pour l'effort.\