24 septembre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien accordé par M. François Mitterrand, Président de la République, à la télévision israélienne le 24 septembre 1987, sur l'affaire de l'Exodus.

QUESTION.- Monsieur le Président, l'été 47, vous étiez ministre de la République, quels sont vos souvenirs de cet été bien tourmenté de 47 `1947` ?
- LE PRESIDENT.- Le gouvernement de la République, j'étais, je crois, ministre des anciens combattants et victimes de la guerre, a été saisi de l'affaire de l'Exodus qui s'appelait à l'époque "Président Warfield", je crois. Cet événement fut, vous le savez, des plus importants, une prise de conscience, au moment de la création d'Israël, de son aspect universel et humanitaire. L'Exodus est inscrit dans l'histoire. Lorsque ce navire a approché les côtes françaises, devions-nous refuser toute aide aux immigrants, quelques 4500, je crois, qui se trouvaient sur ce navire et dont l'objectif évident était de rejoindre la Palestine pour Israël ?
- Il y eut de grands débats. Car, c'est vrai que la France, en principe, était engagée à ne pas faciliter ce genre de choses. Les immigrants avaient des passeports colombiens, il me semble £ ils venaient des zones d'occupation en Allemagne. Mais, par-delà tous ces aspects juridiques, le gouvernement et moi, en particulier, nous avons considéré que la France avait un devoir moral à respecter. Ce devoir c'était de laisser des hommes, des femmes enfin libres, aller là où les portaient leurs désirs, leurs volontés, leur traditions, leur histoire. Au nom de quoi aurions-nous empêché, sur le -plan strictement humain, moral, fraternel, des gens qui avaient tant souffert de retrouver une terre, celle qu'ils voulaient en tout cas ?
- Nous leur avons proposé deux issues, dont l'hébergement en France, s'ils le voulaient. Ils auraient été reçus d'une façon tout à fait correcte. Mais ils ont exprimé la volonté de continuer leur route. La France a parfaitement compris, à l'époque, cette volonté-là. Je dois dire, puisque vous m'interrogez, qu'en l'occurence je n'ai pas été simplement le porte-parole d'un gouvernement, j'ai tenu avec quelques autres ministres à emporter la décision du gouvernement. Ce qui a été fait conformément aux plus beaux usages français.
- QUESTION.- Y compris au -prix des confrontations diplomatiques avec la Grande-Bretagne ?
- LE PRESIDENT.- Il y a eu quand même, on l'appellera en termes discrets, difficultés £ puisque la volonté de ce pays que vous citez, était d'empêcher, d'ailleurs elle l'a empêché finalement dans un premier temps, les immigrants de l'Exodus de poursuivre leur route, ils ont dû revenir par l'Allemagne, Hambourg. Mais telle n'était pas mon opinion et telle n'était pas la position du gouvernement de la République française. Alors, on a fait ce que l'on a pu, on a fait des propositions, vous venez en France, vous serez bien reçus. Vous voulez continuer, oui. Eh bien, la France ne fera rien qui puisse contrarier cette volonté-là.
- Là s'arrête mon rôle. Ce que je veux dire simplement, c'est que en une époque si proche de souvenirs tragiques, d'événements incommensurables dans la douleur, le chagrin, les ruptures, je pense que la France devait s'honorer. Elle l'a fait en agissant de la sorte.\
QUESTION.- Aujourd'hui, monsieur le Président, les anciens de l'Exodus se réunissent ce soir en Israël, que désiriez-vous leur dire, vous, aujourd'hui, Président de la République française, en 1987 ?
- LE PRESIDENT.- Je leur dirai ceci, bien que ces événements se situent maintenant dans un passé vieux de 40 ans : Je me réjouis de savoir qu'après les drames que vous avez connus, vous ayez pu enfin rejoindre la terre de votre espoir, la terre de votre vie, la terre aussi de votre histoire. Et pour ceux qui survivent, qui sont là, qui se réunissent, bonne chance encore, bonne chance pour la liberté et le droit du pays que vous avez choisi.\