29 mai 1987 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'aéroport de Moncton (Nouveau Brunswick), à la fin de son voyage au Canada, vendredi 29 mai 1987.

Monsieur le Lieutenant-Gouverneur,
- Monsieur le Premier ministre,
- Mesdames et messieurs,
- Cette halte en Acadie, représente pour les voyageurs que nous sommes un facteur d'émotions que j'exprimerai mal. Cette rencontre avec une part de notre histoire commune et quelle histoire !
- Peu de pays, et peu de populations ont été à ce point éprouvés, frappés, chassés, décimés £ et, pourtant, par la volonté de quelques-uns, d'une poignée de femmes et d'hommes, en dépit des plus grands périls et des plus cruelles séparations, ils sont toujours revenus. Quel amour avaient-ils pour cette terre et comme le dit Antonine Maillet, ce n'était peut-être pas la géographie, les lieux qui comptaient, c'était vous, vos ancêtres, vos parents, ceux qui tous ensemble représentaient une communauté, une communauté errante et chassée de partout et cependant revenue, enracinée dans sa terre et fidèle à celle d'autrefois, la France. Oui, c'est une qualité d'émotion assez rare. On vient de m'inviter à revenir mais si je le peux, et le si est un petit conditionnel, je reviendrai. D'autant plus qu'en effet, en septembre, je serai à Québec. On ne peut pas vraiment appeler cet arrêt d'une heure une visite en Acadie. Je ne m'abuse pas sur les termes, c'est simplement comme cela un petit salut en passant, vous êtes venus, je suis venu, on se rencontre et on aura je crois très envie de se retrouver. Le premier jour à Ottawa, c'était une Acadienne qui nous a accueillis, une grande artiste, Edith Butler, et plusieurs d'entre nous avaient dans leurs bagages bien entendu quelques ouvrages d'Antonine Maillet. Notre littérature et nos arts à nous, - quand je dis nous c'est vous, c'est moi, ce sont les autres Français d'origine ou vivant en France - puisent aux mêmes sources, et je vois ce que vous avez su faire à travers l'histoire, vous le disiez, presque quatre siècles, il me semble avoir lu quelque part que c'est en 1604 que Champlain est passé par ici -, depuis cette époque que de drames £ c'est l'attachement fidèle à un pays, le nôtre, à une foi, le refus d'être autre que soi-même sous la férule ou sous l'obligation et même sous la menace. Les plus belles qualités de l'homme sont dans cette fidélité. Cela est dû sans doute aussi aux liens culturels, à la force du langage qui je dois le reconnaître partout où je vais, je trouve des Français, ce peuple si facilement divisé, crée une unité profonde. J'admire le fait que quelques-uns d'entre vous se soient fait les mainteneurs, les historiens, les poètes, les écrivains qui ont exprimé pour tous la volonté ressentie par chacun. En effet, cette épopée a trouvé ces poètes capables d'une expression épique et lyrique, de telle sorte qu'il faut que vous sachiez qu'en France le mot Acadie, l'idée que l'on se fait de l'Acadie - idée qui vient à peine de se préciser pour moi lorsque j'ai vu votre terre et vos contours - représente une charge d'émotion, une sensibilité qui a besoin d'être éprouvée davantage par une volonté moderne et des moyens comme le demandait le Révérend Père Comeau pour être mise en oeuvre £ rien ne se fait avec rien.
- Nous sommes reçus, je suis reçu de la meilleure façon pour vous, monsieur le Lieutenant-Gouverneur, par vous, monsieur le Premier ministre, par vous, mesdames et messieurs les ministres. C'est dire à quel point à travers le temps de l'histoire se sont soudées les parties, à l'origine espaces, qui font qu'aujourd'hui, je me trouve devant une population amie, où tous les éléments si divers du début, pour ne pas dire antagonistes, ont su acquérir une démarche commune.\
Je suis venu au Canada, j'y ai passé quatre jours, je suis allé dans quatre provinces, j'ai entendu les sonorités et les accents de plusieurs langues. Je ne choquerai certainement pas mes amis canadiens anglophones en leur disant que mon oreille était quand même peut-être encore un peu plus sensible à chaque fois qu'elle percevait un accent français transformé par le temps d'une façon très particulière au point que j'arrive presque maintenant à reconnaître, à dire : "mais celui-ci c'est un Québécois, et mais celui-là c'est un Acadien". Bref, vous avez gardé votre personnalité authentique, réelle et populaire et c'est une grande victoire sur l'histoire. Je vous en remercie au nom de la France, mesdames et messieurs.
- Et puisque ce sont mes derniers mots publics avant de quitter ce pays, je veux dire à quel point j'ai été sensible aux façons d'être et à la qualité de l'accueil du Canada et de ses autorités responsables. J'ai cherché par ce voyage à resserrer des liens qui parfois en avaient besoin entre nos deux pays le Canada et la France. J'ai naturellement plaidé comme vous-même pour que tout ce qui fait le Canada soit respecté dans son authenticité dont vous faites partie vous, ce que le Père Comeau appelait le peuple acadien. C'est un enrichissement pour moi. J'en garderai le meilleur souvenir, j'espère que cela m'aidera et aidera le gouvernement de la République française à bien définir la politique qu'il doit conduire parce que maintenant nous connaissons les choses et nous connaissons les gens. C'est donc avec espoir que je vous quitte en vous exprimant de nouveau ma gratitude. Cette réunion presque improvisée dans ce hangar d'aéroport a beaucoup de significations pour moi.
- Nous avons encore la tête pleine des images que nous avons reçues de l'avion en voyant se dessiner les côtes, les fleuves, les champs, les collines. Ce pays fut appelé Acadie parce qu'il évoquait toute la poésie de la Grèce et d'un bonheur imaginé qui devenu l'Acadie pour signifier pour ses habitants, vous avez prononcé le mot Révérend Père, une autre forme de bonheur. Vous êtes comme les autres, vous avez vos chagrins, vous avez vos peines, vous menez une vie de femmes et d'hommes comme on la mène sur la terre, mais quand on a la chance d'avoir une terre que l'on aime, une petite patrie dans la grande, une fidélité à travers les siècles, une culture universelle, on se sent plus fort pour accomplir sa vie. Je vous remercie encore une fois.
- Vive votre pays, sous ses formes diverses, l'Acadie, le Nouveau Brunswick, la Nouvelle-Ecosse, l'Ile du Prince Edouard qui portait naguère quelques beaux noms français, vive, oui, le pays où nous sommes, le Canada. J'ai dit le peuple acadien, ce n'est pas si mal.
- Vive la République française, parce que j'y tiens aussi, et vive la France. On voudrait aussi que je dise vive l'Europe, enfin, il faudrait que la lithanie s'arrête, vive la paix dans le monde. Merci.\