23 avril 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. François Mitterrand, Président de la République, avec les journalistes, à l'issue de sa visite à Marrakech, notamment sur le Proche-Orient et le désarmement Est-Ouest, jeudi 23 avril 1987.

Mesdames, messieurs,
- Avant le repas, nous allons pouvoir échanger quelques propos, du moins je l'espère, il vous appartient de poser les questions qui vous intéressent. Vous avez, comme moi, accompli ce rapide voyage, ces quelques étapes. Après la mise en eau du barrage `d'Aïr-Chouarit`, nous sommes là, maintenant, pour un moment de détente et d'agrément, avec nos hôtes dont vous avez pu voir de quelle façon amicale et chaleureuse, ils nous recevaient. Mais je suppose que vous qui êtes venus jusqu'ici, que vous avez d'autres soucis en tête que l'agrément de ce bon voyage. Je vous laisse donc le soin de préciser votre pensée.
- QUESTION.- Monsieur le Président, quel est le premier problème que vous avez abordé avec Sa Majesté au cours de votre entretien ?
- LE PRESIDENT.- C'est une question un peu trop vaste.. Si vous me posiez une question précise, je pourrais vous répondre. Enfin, de quoi peut-on parler sinon des difficultés que le monde nous propose aujourd'hui, à la fois dans cette région - je ne parle pas spécialement du Maroc, je parle de l'ensemble africain et européen - ainsi que pour la projection sur la Méditerranée orientale, sur les pays du Proche et du Moyen-Orient £ ainsi que de quelques problèmes économiques.. Voilà, si vous voulez bien préciser, on va poursuivre et approfondir cette conversation.\
QUESTION.- ... prochaine conférence internationale sur le Moyen-Orient ?
- LE PRESIDENT.- On en a parlé. Prochaine, je ne sais pas ... souhaitable, oui. Nous en avons parlé pour observer que mieux valait réunir autour d'une table tous ceux qui ont un intérêt réel et démontré dans la région qui nous intéresse. Il s'agit pour l'instant, je me reporte à votre question, du problème palestinien, des relations d'Israël et du monde arabe, avec toutes les projections que cela suppose autour. Notre pensée est que mieux vaut réunir l'ensemble des partenaires réels. Les diplomates sauront toujours aménager cette proposition pour régler les difficultés qui aujourd'hui ne sont pas résolues.
- Vous savez que la proposition française, à partir de propositions diverses émanant de plusieurs pays, notamment de plusieurs pays arabes, était de concevoir une démarche de procédure, de préparation avec un certain nombre de pays intéressés dont les cinq pays membres permanents du Conseil de Sécurité pour l'organisation de la conférence et cette démarche est acceptée par beaucoup de pays. Elle n'est pas encore explicitement acceptée par d'autres. C'est en train. En tout cas, Sa Majesté le Roi du Maroc et moi-même, le Maroc et la France sont tout à fait d'accords sur cette démarche quitte à ce que l'on précise les procédures.\
QUESTION.- Il semble que le pays ait retrouvé le chemin d'une certaine unité. Est-ce que du point de vue de la France, l'OLP réunifiée, donc, est un atout pour la paix ?
- LE PRESIDENT.- Je le souhaite. C'est un partenaire qui existe. Son existence internationale est diversement appréciée par les différents Etats en cause du Proche et du Moyen-Orient. Il existe une antenne de l'OLP à Paris, d'un caractère spécifique. Ces relations existent, elles sont maintenues. Et mieux vaut avoir à faire à un mouvement cohérent et homogène qu'à un mouvement dans lequel les surenchères pourraient s'exercer indéfiniment.
- Il existe des dirigeants qui sont en mesure de s'exprimer au nom - disons les choses - des combattants du peuple palestinien. Mais, je n'ai pas, moi, à entrer à l'intérieur de ces débats. Cela concerne essentiellement les Palestiniens et si l'on veut bien élargir cette notion, cela concerne surtout les pays arabes. Vous me demandez une appréciation, je vous la donne, mais je n'ai absolument pas à dicter ou même à tracer un chemin pour le compte de ces personnes qui défendent ce qu'ils estiment être leur terre et leur pays, et auquel il appartient de définir les moyens de leur action.\
QUESTION.- Monsieur le Président, en ce moment, vous avez traité avec le Roi Hassan II la question de Melilla.
- LE PRESIDENT.- On en a parlé, mais là encore, j'étais en Espagne il n'y a pas si longtemps et j'ai fait la même réponse à un journaliste espagnol. Ce sont vraiment des problèmes qui touchent à la souveraineté de ces deux pays, l'Espagne et le Maroc. La France est un pays ami des deux, l'Espagne et le Maroc. Nous ne pouvons que désirer un arrangement amiable, mais pour le reste, ce n'est absolument pas de notre compétence.
- QUESTION.- Puisque la France connaît très bien ce dossier et les particularités de ce dossier, pour des raisons ... pour la Méditerranée, est-ce que la France peut dépasser le stade du ...
- LE PRESIDENT.- En l'occurence non. Le droit de souveraineté s'exerce entièrement. Nous sommes des conseils .. Ce n'est pas inutile, je l'espère, mais c'est tout ce que je puis dire. Le droit international c'est le droit international, nous n'avons pas l'intention d'y manquer.\
QUESTION.- Pour revenir .... à la région, la crise... semble s'être créée entre l'Europe et l'OLP du côté d'Alger, est-ce qu'elle ne risque pas finalement au bout du compte... la conférence internationale, ... le Maroc... et l'OLP avec son unité retrouvée, semble...(inaudible)
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas vous dire. Je ne veux pas me substituer aux responsable de ces pays ou de ces organisations. J'ai bien lu les journaux et les dépêches, observé qu'à la suite de la séance inaugurale de l'OLP qui s'est tenue à Alger, le Maroc avait marqué son refus de s'associer à une démarche qui lui paraissait contraire au bon déroulement de la conférence `Conseil national palestinien à Alger le 20 avril`. Voilà, je constate. De quelle façon puis-je apprécier ? Ce que je remarque, c'est que dans son mécontentement le Maroc n'en a pas moins avec beaucoup de clairvoyance politique, affirmé que son attitude n'était pas changée au regard des droits et des compétences de l'OLP.\
QUESTION.- Monsieur le Président, une initiative de M. Gorbatchev concernant les euromissiles semble déranger la France ?
- LE PRESIDENT.- Non, pourquoi dites-vous cela, semble déranger la France ?
- QUESTION.- ... ce sentiment ?
- LE PRESIDENT.- J'ai l'impression oui, alors, non on n'en est pas là, la France n'est pas partie au débat. C'est un débat bilatéral entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique. Bien entendu, je comprends très bien votre question, c'est un sujet qui nous intéresse et qui intéresse tous les pays d'Europe, puisqu'il s'agit pour l'instant de la présence d'armes sur le sol de l'Europe, comme cela intéresse tous les peuples du monde, puisque la paix et la guerre peuvent en dépendre. Donc, je reçois tout à fait bien votre question. Mais, pour ce qui touche à l'option zéro, telle qu'elle a été comprise, définie dès 1979, par l'OTAN, telle qu'elle a été expliquée, exprimée à nouveau par le Président Reagan en 1981, telle qu'elle a été rappelée dans des résolutions de l'OTAN qui datent simplement d'il y a pas trois mois, l'option zéro touchant les forces nucléaires intermédiaires à longue portée `LRINF` - pour bien se faire comprendre et simplifier peut-être, exagérons les choses : SS 20 d'un côté, Pershing II de l'autre, sans oublier les missiles de croisière -, la France est tout à fait d'accord pour que ce désarmement soit effectué.
- Une deuxième option zéro est entrée dans la négociation - entre Américains et Soviétiques, je le répète toujours - c'est celle qui vise les forces nucléaires intermédiaires à courte portée `SRINF` : les premières c'est 1000 à 4500 kilomètres, les deuxièmes, c'est 500 à 1000 kilomètres. La France n'est pas non plus concernée, elle est d'ailleurs en rien concernée directement quant aux procédures de désarmement.
- Comme toujours, puisque vous me demandez mon avis, je l'exprime. C'est encore une démarche qui peut-être appréciée, nous avons été saisis de propositions ou de contre-propositions américaines par la voie de M. Schultz qui en a débattu avec notre ministre des affaires étrangères, M. Raimond qui est d'ailleurs ici. Il y a trois solutions : ils acceptent, ils refusent. Ces deux solutions me paraissent trop simples, peut-être faudrait-il pour rétablir un équilibre qui manque aujourd'hui, car les soviétiques disposent de sept fois plus d'armes à moyenne et à courte portée que les Occidentaux, peut-être faudrait-il arriver à un chiffre minimum d'un commun accord de part et d'autre, c'est ce que l'on recherche.
- Quant à la troisième option zéro, elle n'est pas encore sur le tapis diplomatique. On en parle dans la presse, certains hommes politiques estiment que cette question devrait être un jour posé par les Soviétiques, ce n'est pas aujourd'hui le cas. Donc, il n'y a pas à prendre position sur une question qui n'est pas posée, je veux dire sur ce qui touche aux missiles à courte portée, moins de 500 kilomètres `SNF`.
- Mais il n'y a pas de gêne de la France. La France exprime tout à fait librement ce qu'elle pense, très clairement. Mieux vaudrait trouver l'équilibre entre l'Est et l'Ouest au plus bas niveau possible. Pour ce qui touche la courte portée, ce n'est pas encore un sujet abordé.\
`Suite sur les négociations de désarmement Etats-Unis - URSS`
- QUESTION.- Et quelles seront les répercussions sur l'Europe et... (inaudible).
- LE PRESIDENT.- La France appartient bien entendu à l'OTAN mais pas au commandement intégré de l'OTAN. C'est-à-dire qu'elle n'est pas partie prenante dans la discussion qui aboutit aux délibérations de 1979 et la suite. Si elle est consultée, elle donne son opinion. Nous avons de bonnes relations avec nos alliés. Cela va de soi. On peut donner notre opinion également à M. Gorbatchev, qui m'a envoyé à diverses reprises un certain nombre d'émissaires qui m'ont expliqué sa position.
- Une difficulté que j'ai exposée souvent aux journalistes français, c'est que le problème du vocabulaire est loin d'être négligeable : la distinction du nucléaire en trois parties stratégiques, intermédiaires, tactiques, est un vocabulaire propre aux Américains et aux Russes, qui pour nous n'a pas beaucoup de sens. Car ce qui est stratégique dans l'esprit des grands négociateurs c'est ce qui traverse l'Atlantique. Nous, nous n'avons pas à traverser l'Atlantique pour aborder un certain nombre de problèmes à caractère militaire touchant à notre sécurité, spécialement à notre sécurité nucléaire. Donc ce vocabulaire, je ne le connais pas, je veux bien l'écouter. Mais cette distinction est tout à fait irréelle.
- La totalité, ai-je dit bien souvent, de l'armement soviétique, peut atteindre l'ouest de l'Europe et particulièrement la France. A mes yeux donc, la totalité de l'armement soviétique est composée d'euromissiles. Si on veut détruire les euromissiles, est-ce que cela conduirait les Soviétiques à se défaire de tout armement nucléaire tandis que les américains ne le feraient pas ? Ce serait absurde. Donc vous voyez comme le vocabulaire peut égarer quand on vient analyser sérieusement cette question.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un mois presque jour pour jour, vous étiez à Alger, aujourd'hui vous êtes au Maroc, est-ce qu'il est simple de conserver un équilibre entre l'Algérie et le Maroc quand on sait que ...(inaudible) et d'autre part est-ce que les hommes parlent des autres et réciproquement ?
- LE PRESIDENT.- Oh oui, absolument. Pour la France c'est ça, nous sommes amis avec les uns et avec les autres. A partir de là, ce que nous souhaitons c'est que la concorde règne. C'est peut-être moins simple entre eux, mais ça ce sont les problèmes qui relèvent de leur souveraineté. Je souhaite que le droit et que le bon sens l'emportent finalement.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez reçu récemment ... (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Oui, je suis au courant naturellement. Le 6ème mur `mur de défense marocain au Sahara occidental`.
- QUESTION.- Est-ce que vous avez évoqué ce sujet avec Sa Majesté ?
- LE PRESIDENT.- J'en ai parlé un moment hier soir avec Sa Majesté puisque nous avons passé plusieurs heures ensemble et nous parlons comme nous avons l'habitude de le faire, très simplement et très amicalement. Je ne prête au Maroc absolument aucune intention agressive à l'égard de la Mauritanie, la question n'est même pas posée. Aucune intention agressive. La difficulté telle que la voient les Mauritaniens c'est que la proximité de ce 6ème mur par rapport à la frontière de la Mauritanie, peut amener les belligérants, s'il y a belligérance, et un certain nombre d'actions ..., à se produire sur le sol mauritanien. La Mauritanie s'inquiète d'une situation de ce type. Le Roi m'a rappelé qu'il n'a aucune intention d'empiéter sur les territoires mauritaniens et qu'il ne cherche pas non plus à faire que les gens d'en face, nient ou briment ou volent la souveraineté mauritanienne. Le problème peut se poser mais je suis sûr que la diplomatie marocaine est une diplomatie parfaitement capable d'en débattre avec ses voisins.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- J'avais proposé que tous les Etats riverains de la Méditerranée occidentale, on peut ajouter le Portugal, se réunissent pour débattre ensemble de leurs problèmes. Il y a quelques années, vous venez de le rappeler, et j'ai été bien reçu. Mais tous les accords nécessaires n'ont pas été obtenus au même moment, donc on pourrait dire on n'en parle plus.
- M. Bettino Craxi, récemment, en qualité de Président du Conseil des ministres italiens, il y a six sept mois, a repris ce projet en l'élargissant à quelques Etats de la Méditerranée orientale, qui n'ont pas de conflit avec leurs voisins. Il a nommément cité l'Egypte et la Yougoslavie. Je ne vois d'ailleurs aucun inconvénient à ce que ces deux pays se joignent à ceux que j'avais moi-même cités. Et cela a eu l'air d'intéresser vraiment les différents partenaires. Pour y parvenir il faut d'abord que ces pays riverains, s'ils ont des litiges, les règlent, car il leur sera difficile d'aller à une table de conférence s'ils n'ont pas rétabli entre eux un certain climat de confiance. Ce que moi je demande, c'est que ce climat revienne au plus tôt.\
QUESTION.- (Inaudible).
- LE PRESIDENT.- Oh, les démarches, elles sont très souvent exprimées par ma bouche. Elles sont surtout exprimées d'une façon très précise par les positions, les prises de position de la France au Conseil de sécurité puisque la France est un membre permanent du Conseil de sécurité. La France a eu à voter des textes, elle en a même proposés. Tous dans le même sens. La France souhaite que cette guerre cesse, sans qu'il y ait d'avantage acquis pour l'un ou pour l'autre et que l'amitié revienne entre le peuple iranien et le peuple irakien, que la paix revienne dans cette région capitale pour la paix du monde sans que ni l'un ni l'autre ait le sentiment d'avoir été soit humilié, soit diminué. C'est dans ce sens que nous votons toujours aux Nations unies.\
QUESTION.- (Inaudible).
- LE PRESIDENT.- Si l'ensemble des pays industrialisés et les pays en voie de développement atteignaient un stade de collaboration comparable au niveau franco-marocain dont nous venons d'avoir une preuve à l'instant devant le barrage qui vient d'être mis en eau, il n'y aurait pas à se plaindre, ce serait un très grand progrès. On pourrait faire mieux, mais enfin pour l'instant d'autres font plus mal puisque l'aide est plutôt en recul actuellement. C'est-à-dire que depuis Cancun, dont vous venez de parler, quelques grands pays industriels se sont plutôt retirés du jeu de l'aide multilatérale, ce que je regrette profondément. Ce qui me conduit à lancer des appels pour que le monde industriel prenne conscience de ses devoirs et de ses intérêts. Car son intérêt le plus réel c'est que les termes de l'échange se renouvellent et pour cela il faut naturellement que les pays en voie de développement connaissent une croissance de la production des échanges et de la consommation.\
QUESTION.- (inaudible) A propos des coopérants français enseignants.
- LE PRESIDENT.- Je me suis intéressé à la question bien entendu, M. le ministre des affaires étrangères suit cette affaire de très près. D'ailleurs il fait venir ici au Maroc de hauts fonctionnaires du ministère des affaires étrangères touchant aux relations culturelles et ces personnes vont être amenées sur le terrain à examiner les choses pour que la crise qui s'est produite, non pas dans les relations entre la France et le Maroc, mais tout de même ce sont des Français, soit surmontée. D'autre part, nous avons beaucoup de respect pour les paroles émises par le Roi du Maroc. Donc il faut que cela soit mis au net et que des personnes qualifiées du ministère des affaires étrangères, relations culturelles, viennent sur le terrain pour voir les Français et savoir plus exactement de quoi il retourne.\