15 avril 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du dîner offert en l'honneur du Roi Fahd d'Arabie Saoudite, notamment sur les relations franco-saoudiennes et le projet de conférence de paix sur le Proche-Orient, Paris, Palais de l'Élysée, mercredi 15 avril 1987.

Sire,
- C'est un honneur pour moi-même et pour la France que d'accueillir aujourd'hui à Paris, en votre personne, le souverain d'Arabie saoudite et le Gardien des deux Lieux saints. Ce titre dont vous avez voulu qu'il fût accolé à celui que vous portez traditionnellement exprime la responsabilité spirituelle échue à la dynastie qui est la vôtre.
- Compte tenu du rôle qu'il joue dans le monde, c'est dans votre pays que j'ai tenu à faire, en septembre 1981, à l'invitation du Roi Khaled votre prédécesseur, ma première visite d'Etat, comme Président de la République. Nous nous étions rencontrés déjà auparavant à Paris, au mois de juin de la même année. Vous étiez alors Prince héritier, aujourd'hui vous êtes Roi de votre pays, Roi d'Arabie, et vous êtes revenu nous voir.
- Nous avons poursuivi la tradition, la forte tradition des relations entre l'Arabie saoudite et la France établie au cours des temps, particulièrement par le général de Gaulle et le Roi Faycal, tout cela s'est accompli au moyen d'échanges multiples, étroits et soutenus dans tous les domaines de la vie culturelle, économique, industrielle et couronnés, je puis le dire, par un dialogue politique qui n'a pas cessé de gagner en intensité et en bonne entente personnelle. Ce faisant, nous sommes fidèles à une inclination séculaire qui a poussé le monde arabe et la France à s'intéresser l'un à l'autre et à mieux se connaître. Récemment encore, des dizaines de milliers de Français ont démontré leur vive curiosité pour l'exposition consacrée à Riyad que j'ai moi-même visitée, et qui illustrait les vieilles traditions comme les modernes ambitions de votre pays.
- Je n'évoquerai pas dans le détail, cela sortirait du -cadre de cette allocution, nos relations bilatérales. Dans bien des domaines, elles sont aisées et fécondes. Dans d'autres, elles pourraient se renforcer encore. Et c'est à quoi les responsables des gouvernements veillent. La coopération entre nos deux pays se vit bien, et lorsqu'elle atteint le niveau qui existe entre l'Arabie saoudite et la France, on peut dire qu'elle est riche de perspectives. Vous êtes accompagné, Sire, de membres du gouvernement qui emploient utilement les moments passés à Paris pour travailler dans ce sens et il est opportun, je le crois, de marquer notre volonté d'avancer, cette volonté existe, je crois qu'elle nous est commune, je crois qu'elle est profonde et vous aurez l'occasion, demain, d'en débattre, notamment avec M. le Premier ministre, de telle sorte que nous aurons autant qu'il aura été possible utilisé le temps que vous nous accordez pour tirer le meilleur de cette relation vivante.\
Placés où nous sommes, vous et nous, nous avons beaucoup à nous apporter mutuellement. Je dis que cela avait été accompli déjà dans le passé, nous avons maintenant à accroître le développement de nos économies pour faire face à tous les problèmes intérieurs et aux échanges extérieurs, nous avons à prendre part à la recherche des solutions pacifiques pour les drames nombreux qui se déroulent dans de nombreuses régions du monde et particulièrement dans la vôtre où vous exercez un rôle de sagesse.
- Lorsque les dirigeants Saoudiens et Français se rencontrent, comment ne songeraient-ils pas en premier lieu à cette guerre sanglante, interminable et vaine ausi, qui se poursuit entre deux de vos grands voisins, l'Irak et l'Iran, sans que rien ne permette encore d'espérer une fin juste pour tous. La position de la France est connue, elle est claire. Mon pays n'a qu'un seul langage, assumant les engagements contractés depuis déjà longtemps avec l'Irak, mais nous ne nous sommes jamais voulus les ennemis de l'Iran. La France à deux reprises a pris l'initiative de propositions visant à favoriser la recherche de la paix. Ces propositions ont recueilli l'approbation unanime des membres permanents du Conseil de sécurité `ONU`. Nous ne souhaitons la défaite, ni de l'un, ni de l'autre. Voilà deux pays qui devraient pouvoir employer dans la paix retrouvée leurs ambitions et les moyens dont ils disposent non seulement à la reconstruction mais aussi à l'équilibre général. En tout cas, c'est l'intérêt évident de tous les pays de la région, et d'autres aussi qui aspirent tous à la liberté de circulation dans le Golfe, à la sécurité pour leurs populations. Soyez assuré, Sire, que la France comprend fort bien à cet égard les préoccupations de sécurité de l'Arabie saoudite et du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe. Oui, la France y est très sensible.\
Aujourd'hui, comme hélas depuis si longtemps, les conflits du Proche-Orient requièrent également notre attention. Nous n'avons pas oublié la déclaration dont vous avez pris l'initiative en 1981 et qui a été la base en 1982 des conclusions du Sommet arabe réuni à Fès, où s'est manifestée une volonté significative d'avancer dans la recherche d'une solution. Les grands principes auxquels se réfèrent la France, sont ceux-là. Hors du respect de ces principes, nous ne pensons pas qu'il puisse y avoir de réponse aux problèmes posés. Aucun progrès ne sera concevable à moins que tous les Etats de la région, y compris naturellement l'Etat d'Israël, soient mis en mesure de trouver les garanties de leur sécurité dans des frontières reconnues et sûres, selon la formule consacrée, et que tous les peuples de la région, à commencer par le peuple palestinien, voient satisfait ce droit élémentaire qui s'appelle l'autodétermination avec tout ce que ce droit implique.
- En fait ces questions essentielles sont sous-jacentes au projet de la conférence internationale pour la solution du problème au Proche-Orient. Au nom de mon pays je m'y suis déclaré favorable dès 1984. Longtemps ignorée, longtemps rejetée dans son principe même, cette conférence est maintenant examinée avec un certain intérêt, intérêt très réel de la part de nombreuses parties prenantes, intérêt encore timide pour employer un terme également réservé de la part de quelques autres. Mais je pense qu'il est possible de faire progresser ce projet, surtout si l'on pense que les membres permanents du Conseil de sécurité représentent précisément quelques uns des grands intérêts du monde qui trouvent dans ce conflit des occasions nouvelles de s'affronter, qui pourraient y trouver des occasions nouvelles d'établir la paix.\
Nous connaissons également vos préoccupations à l'égard du Liban, dont vous m'avez beaucoup parlé ce soir, rappelant les heures heureuses de votre jeunesse au Liban. Je ne peux que redire qu'il ne faut pas s'abandonner au découragement, que nous demeurons disponibles pour aider les Libanais, pour peu qu'ils le veuillent eux-mêmes, à se donner les moyens de reconstruire dans l'intérêt commun un Liban uni et indépendant.
- A une autre région du monde toujours importante à nos yeux, je veux dire le Maghreb, vous n'avez cessé, Sire, de manifester une attention soutenue et vous y recherchiez récemment les voies d'une solution, à la fois pacifique et équitable, à la situation qui prévaut au Sahara occidental. Nos pensées comme nos actions vont, je crois pouvoir le dire, dans le même sens. Nous-mêmes n'avons cessé de rappeler quelques principes fondamentaux de référence en particulier celui qui oblige à la consultation des populations intéressées par voie de référendum de consultation populaire. Nous souhaitons qu'un accord s'établisse entre tous les intéressés.\
Vous étiez, récemment, Sire, l'hôte de la Grande-Bretagne avant d'être celui de la France. Il vous arrive, nous en sommes heureux, de séjourner parfois à titre privé dans tel ou tel de nos pays d'Europe et nous nous réjouissons chaque fois que nous apprenons qu'il s'agit de la France. Donc cette Europe vous la connaissez. Vous la voyez aujourd'hui, tendue entièrement vers un objectif ambitieux, plus ambitieux que celui des dernières décennies. Il s'agit de l'-entreprise dite de la Communauté économique européenne qui, d'ici à 1992, a décidé de former un grand marché unique ou circuleront librement par définition les hommes et les biens permettant ainsi d'offrir à l'économie de l'Europe une puissance et une vitalité sans précédent. Nous savons bien qu'il nous reste un immense chemin à parcourir, que le temps presse, que ce sera difficile, qu'il faudra y veiller, mais nous pensons aussi que cette réussite est une condition pour nous nécessaire, parce que l'Europe ayant acquis ou reconquis une volonté politique, sera en mesure de disposer des moyens de sa sécurité et jouera le rôle qui lui revient dans la planète parmi les peuples ou les empires, porteurs que nous sommes de civilisations riches, diverses, mais complémentaires.\
D'ici là, et dès maintenant, nous avons à veiller à ce que les négociations entre les deux plus grandes puissances - surtout lorsque ces négociations ont pour objet le désarmement et la paix - puissent aboutir dans des conditions raisonnables, assurant réellement, non seulement leur propre sécurité, mais celle des autres. La France appartient à une alliance, l'Alliance atlantique, qu'elle respecte et qu'elle respectera dans toutes les obligations auxquelles elle a souscrit à l'égard de ses partenaires. Mais elle a, également, une politique propre et autonome de défense, notamment par la détention de l'arme nucléaire et sa stratégie de dissuasion. C'est sur ces deux fondements que repose la sécurité de la France. Nous entendons, bien entendu, les préserver. Ce qui ne nous empêche pas, loin de là, d'être très attentifs et très intéressés par les propositions qui sont faites, notamment il y a peu de temps par M. Gorbatchev au nom de l'Union soviétique. Cela mérite notre intérêt. Notre vie de tous les jours, notre sécurité, le sort et le destin de notre pays peuvent pour une part en dépendre. Mais ce que nous souhaitons, c'est que tout cela s'achève par des accords équilibrés et vérifiables. Chacun comprend, et le sait bien aussi, que la paix entre les plus grands n'est possible que si l'on cesse de part et d'autre de redouter la surprise fatale.
- La France, elle, tient à conserver sa liberté d'esprit, sa liberté de décision dans le respect des obligations loyales qui la conduisent à se sentir totalement solidaire de ses propres alliés. Mais lorsque nous travaillons à la construction européenne, nous avons le sentiment d'ajouter quelque chose de plus, d'être les ouvriers qui construisent un édifice utile à la stabilité générale, au développement de tous.\
Et je reviens aux liens qui nous unissent au monde arabe : cette Europe s'en préoccupe beaucoup et vous savez que les affinités que je viens d'évoquer permettent un langage aisé entre les pays de la Communauté, dont la France, et vous-même.
- J'ai voulu évoquer, Sire, quelques-unes des questions qui sont celles de votre vie de chaque jour à vous, là où l'histoire et la géographie vous placent et de notre histoire à nous, là où l'histoire et la géographie nous proposent depuis si longtemps objectifs, durée, permanence.
- Quelle joie de constater qu'entre ces deux régions du monde, se sont établis tant de liens qui permettent d'abord de se comprendre, ensuite d'agir, de telle sorte que rien n'a pu vraiment séparer à travers les siècles le monde arabe du monde européen, grâce à ce lien qu'est la Méditerranée qui a nourri la civilisation dont nous-mêmes, Français, sommes issus.
- J'ai donc voulu aborder brièvement quelques-unes de ces questions sachant bien que l'histoire du monde ne se résume pas à ces quelques problèmes aussi graves soient-ils. Nous avons vocation, vous et nous, à parler de tout. Nous avons notre mot à dire en toute chose vous comme nous. Nous le dirons d'autant mieux que nous aurons renforcé encore nos liens d'amitié, de coopération, que nous aurons posé de nouveaux jalons pour l'avenir qui nous attend.
- Mais enfin, Sire, je voudrais, me tournant vers vous, à la fin de ce toast, vous dire les voeux que nous formons, ma femme et moi, que forment tous les Français autour de ces tables, pour votre personne, pour votre famille, pour votre pays, pour votre peuple. Nous nous sentons naturellement et fortement amis. Ces voeux sont donc de santé, de bonheur et d'espoir, c'est la tradition, vous le savez, je lève mon verre, Majesté, et j'exprime le voeu que vos compagnons de voyage et vos amis qui se sont joints à nous reçoivent comme vous-même les voeux que nous formons.\