28 mars 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de sa rencontre avec M. Helmut Kohl, Chancelier de la République fédérale allemande, sur la coopération militaire franco-allemande et les négociations sur le désarmement en Europe, à Chambord le 28 mars 1987.

Bonjour, mesdames et messieurs,
- J'espère que vous avez pu prendre l'air, vous aussi, un peu. Nous venons de terminer nos entretiens, le Chancelier et moi-même. C'est une rencontre qui s'inscrit dans la suite de celles que nous avons commencées il y a déjà plusieurs années et qui, en dehors des sommets franco-allemands, en dehors des sommets europréens, en dehors des sommets des pays industrialisés, nous permet d'échanger des propos hors protocole, seul à seul avec nos interprètes, sans être tenus par un ordre du jour, bref une conversation qui permet d'aller plus aisément au fond des choses.
- Le Chancelier a bien voulu me convier à lui faire une visite dans le courant de l'automne £ j'irai donc cette fois-ci à mon tour en Allemagne fédérale. Je pense qu'il procèdera comme je l'ai fait ici, c'est-à-dire qu'il choisira un endroit, ville ou campagne, d'une belle région allemande.
- Nous sommes convenus d'un certain nombre de rencontres, dont la plupart s'imposent naturellement à l'esprit, vous allez pouvoir le constater, mais pour montrer à quel point le tissu des relations entre l'Allemagne fédérale et la France est serré. Le 11 mai prochain, je serai à Berlin pour le 750ème anniversaire de cette ville. Je précèderai la reine Elisabeth et M. Reagan, qui, dans le courant de ce mois ou du mois de juin effectueront le même voyage et pour les mêmes raisons.
- Les 21 et 22 mai aura lieu en France le sommet franco-allemand. Au mois de juin, du 8 au 10 juin, nous serons à Venise, vous le savez bien, au titre du sommet des pays industrialisés, les 29 et 30 juin nous serons à Bruxelles pour le Conseil européen. Ensuite, aura lieu cette rencontre privée dont je viens de vous parler. Le 24 septembre, le Chancelier et moi, nous serons près d'Ingolstadt en Allemagne et nous participerons, l'un et l'autre, aux manoeuvres franco-allemandes qui prendront de ce fait une ampleur et une signification particulières. Est projetée une visite d'Etat, qui me donnera l'occasion d'être reçu par le Président von Weizsaecker à une date qui reste à choisir dans le dernier trimestre de l'année. Enfin, les autres réunions classiques franco-allemandes et européennes se dérouleront comme prévu à la fin du deuxième semestre. Vous voyez que le programme est chargé. Je m'en réjouis. Nous aurons toujours beaucoup de choses à nous dire, à mettre au point dans nos relations bilatérales certes, mais aussi pour que nous fixions notre regard sur les affaires du monde.\
A cet égard ce matin nous avons surtout parlé, cela s'imposait, de l'Europe £ nous en mesurons les obstacles soit dans la façon dont fonctionne la Communauté elle-même, soit dans la relation strictement bilatérale et notre disposition évidente est de parvenir à surmonter les difficultés qui se proposeront comme elles se proposent toujours et comme elles ont été toujours dominées.
- Et puis, les affaires du monde axées autour des propositions de M. Gorbatchev et du dialogue entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique sur le désarmement. Nous sommes partis du même point de vue autour de ce que l'on appelle "l'option zéro", nous en avons tiré les mêmes conclusions à savoir les conditions qui rendraient possibles cette décision £ conditions de contrôle, conditions touchant aux autres formes d'armement nucléaire pour des armes à moins longue portée que celles qui sont actuellement visées par la définition des fusées nucléaires intermédiaires à longue portée.
- Nous avons fait également le tour des circonstances diplomatiques, envisagé certains problèmes touchant à l'Alliance elle-même `Alliance atlantique`, nous avons constaté la concordance de nos vues au cours de ces dernières rencontres, Mme Thatcher, le Chancelier Kohl et moi-même. Nous avons l'intention de continuer. Mais le Chancelier va vous dire lui-même ce qu'il en pense.
- Je le remercie de sa présence parmi nous. Cela me fait toujours beaucoup de plaisir que de le rencontrer et je pense que cela sert nos deux pays en même temps que l'Europe et la paix dans le monde.\
LE CHANCELIER.- Monsieur le Président de la République, mesdames, messieurs, la première chose que je voudrais faire ici c'est d'abord vous remercier de la possibilité d'avoir des discours ouverts, des discussions ouvertes et vous remercier également de l'accueil amical que j'ai reçu ici.
- C'était une discussion dans un endroit historique, chargé d'histoire et c'est avec bonne raison que vous avez cité toute la série de réunions que nous allons encore avoir cette année. Je suis content de ces possibilités. Ces possibilités de nous rencontrer sont particulièrement importantes en ce moment. La semaine dernière, j'ai fait ma déclaration gouvernementale après mon élection en tant que Chancelier et après les élections du Bundestag et j'ai dit que nous, la République fédérale d'Allemagne, nous avions une relation privilégiée avec la France. Je sais que, quelquefois, en dehors de l'Allemagne, de la République fédérale, en dehors de la France, ceci n'est pas compris. Il faut comprendre que nos relations cordiales, amicales ne sont dirigées contre personne. Elles sont le résultat de l'histoire de ce siècle. Des hommes et des femmes de grande qualité ont travaillé à cela avant nous et chacun sait que celui qui avance dans une liaison étroite avec l'Allemagne et la France fait également avancer l'Europe. Je ne voudrais pas tourner dans le (inaudible) mais nous savons qu'en cette fin de siècle certaines décisions seront prises en Europe, en 1992, par exemple, il y aura le marché intérieur européen. Bien sûr, le marché intérieur nous le voulons tous mais, comme ont dit en allemand, c'est dans le détail que se trouve le diable. Il y a encore beaucoup à faire, il y a beaucoup d'obstacles à supprimer et nous deux nous avons encore beaucoup de choses à faire pour contribuer à cela. Et nous voulons faire avancer les choses dans ce sens aussi entre les deux gouvernements, République fédérale et la France. Et pour nous Allemands, je voudrais dire cela encore de manière très précise, devant le public français : il n'y a pas d'autre solution que l'amitié franco-allemande et il n'y pas d'autre solution que la construction de l'Europe car les problèmes de mon pays ne peuvent être résolus que sous le toit de l'Europe et les Allemands n'ont pas l'intention d'aller se promener comme des promeneurs entre deux mondes. Et nous allons bien le voir ces jours-ci, en cette période, où justement des décisions très importantes au niveau mondial doivent être prises.\
`suite de l'intervention du Chancelier Kohl`
- Le Président vient de parler des négociations de désarmement, négociations qui ont lieu entre les deux puissances mondiales : les Etats-Unis et l'Union soviétique. Or il est justement très important dans cette situation que la voix de l'Europe se fasse entendre et il nous faut être les interprètes de l'Europe. Mais nous avons des intérêts importants à présenter. C'est pourquoi je trouve très important que Mme Thatcher, Premier ministre de Grande-Bretagne, ait rencontré le Président cette semaine et que, moi également, j'aie parlé avec Mme Thatcher lundi et aujourd'hui avec le Président. Cela fait donc trois prises de position qui sont communes aussi vis-à-vis d'autres et qui également sont soutenues par beaucoup d'autres pays européens. Dans cette heure difficile pour l'Europe, il est important que l'Europe fasse entendre sa voix. Nous voulons le désarmement et la détente et comme le Président l'a souligné et l'a fait remarquer à juste titre, nous voulons un désarmement et une défense contrôlés. Le but doit être qu'après la détente et le désarmement, la sécurité n'ait pas diminué mais au contraire de faire en sorte qu'à l'avenir les guerres ne soient pas possibles à mener. C'est pourquoi nous nous sommes mis d'accord cette année pour faire en sorte que nos réflexions, nos observations et nos échanges d'opinion soient menés de façon encore plus intensive. Et c'est exactement dans cet esprit qu'il faut voir notre rencontre d'aujourd'hui. C'est la réalité vécue de la relation franco-allemande.
- Merci beaucoup monsieur le Président, pour votre accueil très amical.\
LE PRESIDENT.- Vous avez pu observer que j'avais fait très attention à ne pas m'apesentir trop lourdement sur le fait que la dernière rencontre internationale qui s'est déroulée à Chambord a eu lieu en 1539 entre François 1er et Charles Quint. Vous comprendrez l'objet de cette discrétion et, pour ceux qui n'auraient pas remarqué, je me permets de vous dire que cela fait donc pas mal de siècles, d'une part que s'impose ce type de conversation, d'autre part que Chambord s'impose comme un lieu d'accueil particulièrement remarquable, enfin que dans l'histoire, il y a une continuité, que nous sommes heureux d'affirmer aujourd'hui. Cela dit, oubliez-le.\
QUESTION.- (TV Allemande - ZDF) Monsieur le Président, vous avez parlé, il y a quelques jours de la nécessité d'un pouvoir politique central en Europe, et vous avez ajouté "qui lui permettra de décider elle-même sa sécurité". Est-ce que vous avez parlé de ce sujet avec le Chancelier, et si vous permettez, monsieur le Chancelier...(langue allemande).
- LE PRESIDENT.- A partir du moment où l'on veut contruire l'Europe, il faut en connaître la finalité, sans brûler les étapes inutilement ou imprudemment, et ce n'est pas parce que j'ai employé le terme de pouvoir politique central que je prévois une Europe centralisée. Vous distinguez, je pense la différence de terme, mais il faut un pouvoir politique central, si l'on veut que les pays d'Europe, qui s'y intéressent et qui le veulent, puissent additionner leurs forces dans une organisation commune et pas simplement les juxtaposer au bénéfice de diplomaties ou de politiques différentes. Un pouvoir commun de caractère politique qui pourra parachever ce que nous avons déjà entrepris pour rapprocher nos moyens militaires : voilà l'objectif. L'analyse ne nous permet pas de décréter comme cela au mois de mars 1987, que nous avons les moyens d'agir ainsi. Mais cela montre le chemin à prendre. Nous serons le 24 septembre, le Chancelier et moi, près d'Ingolstadt pour des manoeuvres franco-allemandes, cela a un sens. Et nous ferons vraiment nos efforts pour réussir tout ce qui est dans nos moyens de faire : certains armements puissants communs £ une éducation, une formation commune de nombreux officiers de nos deux armées £ une information beaucoup plus serrée de tout ce qui touche en particulier aux forces nucléaires françaises £ une approche beaucoup plus constante de nos démarches dans le domaine classique ou chimique, s'il le faut £ et cessant de nous occuper des choses qui se passent à ras du sol, dans l'espace. Mais, pour parachever une telle démarche, il faut un pouvoir politique. Et si nous avons, le Chancelier et moi parlé en particulier, à Milan puis à Luxembourg pour faire aboutir l'Acte unique, d'une union particulière entre l'Allemagne et la France, cela avait pour objet, non pas de bâtir un axe franco-allemand à l'intérieur de l'Europe, mais de faire que nos deux pays qui comptent en Europe marquent bien leur entente, leur accord sur cet objectif. Je vous dis ce que je pense et je mesure très bien les obstacles qui se présenteront à nous. Mais quand on veut, on y arrive.\
LE CHANCELIER.- Je voudrais exprimer mon accord avec cette idée. Moi je fais partie de ceux qui avaient 18 ans en 1948, et qui étaient parmi les étudiants et les élèves pleins d'enthousiasme pour la création de l'Europe. Il y a justement quelques jours nous avons fêté l'anniversaire des Communautés européennes. Je pense qu'il faut être modeste devant l'histoire mais que l'on peut dire... Il y a des pays libres en Europe qui ne participent pas à la Communauté ne serait-ce que pour des raisons tenant à leur Constitution, je peux citer l'Autriche ou la Suisse parmi d'autres. Il y a des pays européens dans le centre et dans l'est de l'Europe qui, à cause de la division de l'Europe, ne peuvent pas participer au Marché commun. Mon propre pays en est un bon exemple, puisque Leipzig ou Dresde par exemple se trouvent de l'autre côté, en Europe. Mais, notre tâche historique, c'est de faire ce qui peut être fait. Et nous avons cependant, malgré toutes les difficultés, fait d'énormes progrès dans la construction de l'Europe. Bien sûr le Marché commun a de grandes faiblesses, mais il a également fait des progrès énormes. Mais je crois que les pères de la Communauté, et les pères également français et allemands de la Communauté, n'ont jamais pensé que la Communauté ne devrait être qu'une Communauté économique. Pour moi d'un point de vue économique bien sûr, la Communauté est d'un grand intérêt. Mais, cela n'est pas le but dernier de ma politique en Europe. En plus de l'union économique, il faut aussi l'union politique. Et là, à nouveau ce sont les Français et les Allemands qui doivent non pas former un axe, comme l'a dit à juste titre le Président, mais si vous voulez, former une espèce de groupe qui fait un projet pilote. Nous devons en fait grandir, au-delà des conditions économiques, dans le domaine militaire.
- Vous savez que nous faisons en sorte que les officiers d'Etat-Major français et allemands puissent avoir une formation commune. A beaucoup, ceci peut paraître secondaire mais si vous réfléchissez que cela signifie que dans 13 ans, à la fin de ce siècle, cela peut nous conduire à ne nommer que des généraux français ou allemands qui aient eu une formation commune, c'est un progrès absolument énorme, à la fin d'un siècle aussi sanglant. Pour nous Allemands, ce chemin vers l'Europe est d'une importance existentielle. Et malgré toutes les difficultés, nous restons sur ce cours-là.\
LE PRESIDENT.- Avez-vous d'autres questions ? Il faut que le Chancelier parte maintenant. Alors une question.
- QUESTION.- La question est la suivante, adressée à M. le Président de la République et à M. le Chancelier Kohl, à savoir si vous demandez dans les mêmes termes les mêmes garanties - vous demandez ou vous souhaitez ou vous insistez - en France et en Allemagne, à la veille d'un accord entre Soviétiques et Américains sur les euromissiles ?
- LE PRESIDENT.- Ma réponse est simple, à ma connaissance, oui.
- LE CHANCELIER.- Oui, nous sommes d'accord.
- QUESTION.- Dans (inaudible) d'un accord sur les euromissiles, est-ce que l'Allemagne vous a demandé un petit coin sous notre parapluie nucléaire, si elle ne vous a pas encore posé la question et si elle vous la posait, quelle serait votre réponse ?
- LE PRESIDENT.- On ne va pas rebondir maintenant sur ce sujet éternellement repris de petites réunions en petites réunions. C'est un sujet de fond que nous examinerons à loisir, ultérieurement.
- QUESTION.- (inaudible) concerne à la fois le contrôle...
- LE PRESIDENT.- Il me semblait que c'était très clair. La question était claire, la réponse l'a été.
- QUESTION.- ... et la réduction des armements à courte portée ?
- LE PRESIDENT.- Quand j'ai expliqué les conditions, j'ai dit, le contrôle et les autres armes intermédiaires.
- QUESTION.- Monsieur le Président, si vous le permettez, sur un tout autre sujet, c'est le terrorisme qui concerne à la fois la France et l'Allemagne. Puisqu'il y a eu en Allemagne, au début de l'année une affaire, l'affaire Amade et en France, nous avons en ce moment une affaire de terrorisme, est-ce que vous pensez que cela devrait conduire à un changement dans les relations entre la France et l'Iran ?
- LE PRESIDENT.- Vous posez la question au Chancelier, je pense ?
- QUESTION.- A vous-même, monsieur le Président, puis au Chancelier.
- LE CHANCELIER.- Non, pas du tout dans ce domaine de la lutte contre le terrorisme, nous travaillons de manière très très étroite ensemble.
- LE PRESIDENT.- Ne faisons pas aujourd'hui une conférence de presse à caractère général. Nous parlions des relations franco-allemandes à l'intérieur de l'Europe, par-rapport au problème du désarmement. Nous en resterons là pour aujourd'hui. Nous aurons d'autres occasions de nous rencontrer. Merci.\