5 janvier 1987 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la présentation des voeux du corps diplomatique, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 5 janvier 1987.

Monsieur le Nonce,
- Comment ne pas être sensible aux paroles d'amitié que vous avez prononcées et à vos souhaits à l'intention de mon pays et de moi-même. Je vous en remercie. Je vous prie, à mon tour, de bien vouloir transmettre à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II les voeux que nous formons pour sa personne. Son récent voyage en France nous a permis de mesurer, une fois encore, l'élévation de sa pensée et de son action. Je souhaite que le message de paix et de réconciliation qu'il a délivré le 27 octobre soit entendu partout où il doit l'être. Vous serez donc l'interprète, monsieur le Nonce, des sentiments de respect et d'estime que nous lui portons.
- Cette cérémonie, avez-vous dit, n'est pas une formalité. C'est en tout cas une tradition puisque je retrouve certains d'entre vous pour la sixième fois. Il est des traditions agréables, utiles en tout cas. J'ai plaisir à vous rencontrer, mesdames et messieurs, à vous écouter, vous qui êtes, par goût et par fonction, un trait d'union entre tant de peuples et de pays divers, et qui percevez, sans doute, mieux que d'autres, les espoirs de la communauté internationale et les menaces qui pèsent sur elle.
- Cette cérémonie annuelle comporte, sans doute, des risques de répétitions. L'ampleur des problèmes qui nous assaillent n'a, souvent, d'égale que l'impuissance des hommes à les résoudre. Nous nous retrouvons, comme cela, d'année en année devant un certain nombre de problèmes qui ont tendance à s'aggraver. Combien de fois n'ai-je pas évoqué, devant vous, dans d'autres circonstances, ces conflits qu'on voudrait voir résolus et qui s'éternisent ? Ces projets de développement dont on attend toujours la réalisation ? Bref, l'histoire n'avance pas assez vite au gré de nos impatiences. Que sont, me dira-t-on, six ans dans la vie d'une nation ? Peu de choses. Mais pour ceux qui, jour après jour, subissent la guerre, l'oppression, la misère, la faim, qui aspirent à une bouffée de liberté, à une trêve des combats, à un peu de temps consacré à l'éducation de leurs enfants, à leur propre culture, tout cela représente un tunnel sans fin. C'est avec ces urgences-là, mesdames et messieurs, qu'il faut compter, c'est en fonction d'elles qu'il faut agir.\
Je ne dirai pas que tout a été négatif ou figé en 1986. Par exemple le dialogue amorcé à Genève l'an dernier entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique s'est poursuivi, heureusement. Un ton nouveau, une volonté réelle de négocier, dont j'avais perçu les prémisses lors de mes entretiens avec le Président Reagan à New York, avec M. Gorbatchev à Moscou, ont présidé à ces échanges. Le sommet de Reykjavik n'a déçu que dans la mesure où l'on plaçait en lui des espérances excessives ou si l'on pensait que là pouvaient être résolues les questions en suspens. S'il n'a pas produit de résultats immédiats, et cela ne nous a pas étonné, une certaine percée a été opérée, le dialogue s'est ouvert et il devrait pouvoir s'approfondir.
- En tout cas on ne pourrait que se féliciter de voir abandonner ou relâcher la course aux armements, les deux plus grandes puissances avoir une approche plus raisonnable des questions de sécurité. Elles cherchent, sans doute, une forme de sagesse qui dépasse le simple calcul de puissance. Je ne sais si je confonds mes espoirs avec la réalité. Mais je ne le pense pas. Je crois les plus grands dirigeants du monde tout à fait responsables et conscients de ces responsabilités.
- Longtemps encore, la sécurité, faute d'être assise sur la confiance mutuelle, reposera sur l'équilibre des forces, de toutes les forces, qu'elles soient nucléaires, conventionnelles, chimiques. La France ne pourra qu'applaudir à tout ce qui permettra, par le biais d'accords équilibrés, réalistes et vérifiables, d'abaisser le niveau des armements. La responsabilité en incombe d'abord aux deux plus grandes puissances. La France n'est pas partie à ces négociations. Mais elle est solidaire de ses alliés, elle est concernée par la sécurité de l'Europe. Elle entend entretenir des relations fécondes avec tous les pays du continent sur lequel nous vivons et notamment avec l'Union soviétique.
- Bref, nous savons fort bien que pour connaître le terrain, pour démêler l'écheveau, il faudra du temps. Personne n'aurait, en tout cas, à gagner à compliquer encore les choses en transgressant ou en remettant en cause les accords conclus dans les années soixante-dix, je pense en particulier au traité ABM, ou en préparant la militarisation de l'espace.
- Je le répète, vous le savez, la France est pour le désarmement, dès lors qu'il accroît la sécurité de tous. Elle ne rejette pas l'idée de participer à une limitation générale des armes stratégiques dès lors que les conditions que j'ai énoncées à l'Assemblée générale des Nations unies seraient satisfaites.
- Ces principes, que j'ai moi-même définis à New York, ils ont été repris à diverses reprises, notamment par la voix du Premier ministre de la France. Il y a là une continuité sur laquelle je me permets d'insister, elle touche aux intérêts les plus réels de la paix dans le monde.
- Nous avons voulu que notre pays - je parle du gouvernement de la République, je parle de mes propres voeux - joue pleinement son rôle dans la Conférence sur le désarmement en Europe, due à une initiative de mon prédécesseur, qui a abouti à Stockholm à l'adoption de mesures de confiance. J'ai moi-même lancé, en septembre 1983, l'idée d'une conférence sur le lien entre le désarmement et le développement, soutenue activement par de nombreux pays du tiers monde, au premier rang desquels, vous le savez, l'Inde. J'espère qu'elle ouvrira ses travaux utilement.\
Je ne vous citerai pas, ce serait lassant, tous les points du globe sur lesquels se déroulent des conflits. Je ne pourrais apporter ici, par le seul verbe, les réponses aux questions que l'on se pose.
- Nous sommes préoccupés, bien entendu, de la situation du Proche-Orient. Les chemins de la paix n'ont pas encore été découverts. Il y a une sorte de banalisation de l'-état de guerre. Il faudrait un véritable sursaut des consciences, une mobilisation du courage et de l'intelligence politique. J'ai eu maintes fois l'occasion d'en parler avec mes interlocuteurs des pays arabes, d'Israël, que je rencontre souvent - ainsi que M. le Premier ministre et M. le ministre des affaires étrangères. On a le sentiment qu'il existe une volonté de progresser. Mais elle n'est pas suffisamment partagée puisque les conflits demeurent. Il faudra bien finir par s'asseoir autour de la même table, passer des compromis, rechercher les indispensables garanties internationales. Nous avons, avec d'autres, relancé la réflexion sur les possibilités de rencontres préparatoires à une conférence internationale. Toute formule qui permettra d'enregistrer un progrès sera la bienvenue.
- Il faut bien que vous sachiez, mesdames et messieurs, que la France présente de longue date dans cette région, n'y a d'autres intérêts que ceux que lui dictent ses amitiés, d'autre aspiration que de voir les Libanais de toute origine enfin réconciliés, les Palestiniens accéder enfin à une existence digne et libre, les Etats garantis dans des frontières sûres et stables, et, si l'on va plus loin vers le Moyen-Orient, comment ne pas penser à la guerre qui oppose les peuples d'Irak et d'Iran qui ne souhaitent sans doute qu'a être libérés d'un drame qui leur apporte deuils et destructions. Mais ce n'est pas à la France d'apporter une solution, c'est aux intéressés eux-mêmes. J'exprime un souhait, j'espère qu'il sera entendu.
- La France n'est, en tout cas, dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, à la remorque de personne. Elle ne se connaît pas d'ennemis. En tout cas, elle ne considère aucun de ces pays comme pays ennemis. Elle a ses amitiés traditionnelles avec les accords qu'elle a passés, et cela ne va pas au-delà de ce qu'il est raisonnable de penser. Nous pensons que la France mérite d'être respectée sans que l'on prétende ici ou là la faire plier, la faire changer de cap quant à ses choix fondamentaux. Vous êtes, mesdames et messieurs, des observateurs avisés, vous connaissez les tentatives d'intimidation du terrorisme auxquelles vous avez bien voulu faire allusion. Elles se briseront contre le sang-froid de la population et la détermination de nos dirigeants. Moi-même, j'ai toujours dit qu'on ne pouvait opposer d'autres manières de faire que la fermeté, le refus de céder, la solidarité avec les Etats visés par le terrorisme, la condamnation absolue des prises d'otages. Pas d'accusation sans preuve, mais pas de crime avéré sans sanction. Je me réjouis des progrès enregistrés en matière de coopération internationale contre le terrorisme. Le temps n'est plus aux voeux pieux, aux démonstrations inopportunes ou insuffisantes. Il est à l'élaboration et à l'exécution de mesures réalistes, cohérentes et mises en oeuvre solidairement. Y participera qui voudra.\
Je vous l'ai dit, mon propos n'est pas de parcourir l'ensemble de la planète, ce discours n'y suffirait pas, ni la soirée sans doute, ni la nuit. On peut dire cela avec une sorte de sourire mais en réalité on ne peut qu'en éprouver la douleur pour tant de peuples qui souffrent. C'est vrai qu'il y a à côté de cela des motifs d'espoir, de renouveau de la démocratie dans des terres dont elle avait été bannie, où elle était très souvent bafouée. Il y a des peuples courageux, il y a des dirigeants volontaires et la contagion gagne. Après avoir reconquis les institutions, cette démocratie s'installe dans les esprits. Les prisons s'ouvrent, les idées circulent, les hommes retrouvent le goût de vivre et la fierté de travailler pour leur pays. Je serai toujours très heureux, et le gouvernement avec moi, de recevoir, ici, à Paris, et en particulier dans le courant de cette année, les chefs d'Etat représentant ces pays que nous serons très honorés de rencontrer.
- Mon esprit va aussi vers l'Amérique centrale qui reste encore suspendue entre les guerres civiles, les oppositions étrangères. Il faut préférer le dialogue, mesdames et messieurs, rejeter les menaces d'intervention extérieure, les tentations d'alignement idéologique, tout cela n'est pas dans l'intérêt de ces peuples. Notre solidarité à nous Français est acquise à ceux qui, dans le groupe de Contadora, par exemple, ou ailleurs, ne se résignent pas à laisser le champ libre aux adeptes du fait accompli.
- La liste en est longue : de l'Afghanistan au Cambodge, de Chypre à la Namibie, la plupart des conflits d'aujourd'hui sont le résultat de la transgression des règles élémentaires de la vie internationale : souveraineté des Etats, non-ingérence, droit à l'autodétermination, respect des droits de la personne. Et, sans vouloir offenser personne, mais j'édicte ici des principes qui sont les nôtres, je tiendrai exactement le même raisonnement à l'égard de tout pays, afin que cela soit bien compris de tous, où subsiste la ségrégation.\
Vous savez tous, mesdames et messieurs, et particulièrement ceux d'entre vous qui vivent dans ce monde-là, monde difficile, je veux dire le tiers monde, que la France ne renonce pas, loin de là, à être un artisan actif du dialogue Nord-Sud. J'ai rappelé, il y a quelques instants, aux ambassadeurs qualifiés, les efforts de notre pays en faveur de l'Afrique, et de quelques autres dans le monde sur le -plan de la coopération. Nous sommes prêts à partager notre savoir-faire et, dans des domaines fort importants, notre technologie, avec les pays du Sud engagés dans un gigantesque effort de modernisation. J'ai dit cela aux hauts responsables de tant de pays dans le monde, soit que je sois allé chez eux, répondant à leur invitation, soit que je les ai reçus à Paris.
- Mais l'établissement d'un ordre économique plus stable et plus juste exige une vraie solidarité, un vrai dialogue entre pays riches et pays en développement. Et jamais nous ne nous rendons à un sommet, à une réunion, à une conférence internationale des pays industrialisés, par exemple, ou les sommets européens, sans avoir préalablement consulté ou rencontré sur les sujets qui les intéressent, les représentants des nations du Sud : Organisation de l'unité africaine, Mouvement des non-alignés, Groupe de Carthagène, auxquels je fais part, chaque fois, des conclusions des travaux et de nos observations.
- Face à l'étendue des problèmes à résoudre, je ne crois pas vraiment que la coopération internationale ait suffisamment progressé. Les boucliers protectionnistes se durcissent, le poids étouffant de la dette stérilise les capacités de développement, le rythme de la croissance est insuffisant pour que recule le chômage dans les pays industrialisés et pour que nous puissions montrer la solidarité qu'il conviendrait de développer à l'égard des pays du Sud.
- Au fond, vous l'avez compris, mesdames et messieurs, rien de tout ce qui touche à la planète ne nous est indifférent, et c'est assez normal dans un vieux pays comme le nôtre, qui a tout de même occupé certaines pages de l'histoire de la planète. La France est présente sur quatre continents, sur trois des grands océans. C'est une présence pacifique qui est vouée à assurer le bien-être de sa population et à concourir au développement des régions environnantes. Cent trente millions de personnes de par le monde parlent notre langue, le français, qui sera, de plus en plus, la langue des technologies de pointe comme elle fut - et reste - celle de la culture classique. Avec les représentants de quarante autres pays, je me rendrai, au mois de septembre, à l'invitation des gouvernements du Canada et du Québec qui organisent le deuxième sommet de la francophonie.\
Il faut vous dire, mesdames et messieurs, que la France est fidèle à ses amitiés. Nous avons des alliances, nous participons à une alliance militaire. Nous entretenons avec nos alliés des relations cordiales et confiantes, nous devons compter les uns sur les autres, et je tiens à l'affirmer ici. Mais nous n'entendons pas pour autant, et vous connaissez la position originale de la France au sein de cette alliance, ignorer ou contrecarrer systématiquement les intentions et les efforts des autres pays, y compris de ceux qui appartiennent à d'autres alliances qui parfois paraissent antagonistes. Nous sommes du vieux continent de l'Europe et tous les pays européens sont pour nous des partenaires avec lesquels nous entendons renforcer nos liens. Nous n'avons pas retenu comme une frontière définitive les différences idéologiques et économiques, sociales et politiques qui séparent les deux parties de l'Europe.
- Je salue, en particulier, vous me pardonnerez de le faire, les ambassadeurs des onze pays de l'Europe qui participent avec la France à la construction de la Communauté européenne. C'est notre horizon quotidien, c'est notre horizon familier. Nous avons besoin de l'Europe. L'Europe souffre d'un handicap : elle n'a pas encore l'ambition de ses moyens, et ses moyens sont immenses. L'année qui vient ne sera pas facile £ il y aura des choix à faire. Mais l'Europe a toujours trouvé en elle la force nécessaire pour surmonter ses crises, elle le fera, j'en suis sûr, une fois encore.\
Monsieur le Nonce, mesdames et messieurs, vous savez mieux que quiconque combien sont fragiles, complexes, les équilibres sur lesquels repose la communauté internationale. Notre première ressource, croyez-le, c'est la sagesse, c'est l'intelligence. Les technologies les plus avancées restent soumises aux lois du hasard £ les hommes sont désarmés devant le déchaînement des catastrophes naturelles £ leur savoir balbutie face aux maladies, aux contagions, aux épidémies nouvelles.
- Et pourtant, il serait consternant que faute de voir assez clair, de vouloir assez fort nous ne parvenions pas à déjouer les menaces et à conjurer les égoïsmes. La difficulté des temps nous oblige à être inventifs, à remettre en chantier beaucoup de certitudes. Il y a, aux quatre coins du monde, assez de peuples responsables, capables de contribuer aux équilibres indispensables et à la fondation durable de la paix.
- Mesdames et messieurs les ambassadeurs, vous monsieur le Nonce, vous êtes plus qualifiés que personne pour porter ces paroles, pour faire valoir cette nécessité partout où il convient. Les paroles que j'exprime ici, sont faites pour vous démontrer que la France entend se situer au premier -plan de tous les efforts du développement et de la paix.
- Mesdames et messieurs, nous sommes là pour exprimer des souhaits de Nouvel An. Je les formule bien volontiers. Mes voeux vont vers les chefs d'Etat et de gouvernement que vous représentez, chacun a sa part dans l'histoire du monde, le droit de souveraineté est égal partout £ il n'y a pas de peuples plus importants que d'autres, même si, bien entendu, il y a une hiérarchie et des moyens. Chaque culture est à recevoir et à comprendre. Je forme des voeux pour que cela soit un tout qui permette aux hommes de la planète de se comprendre mieux. Enfin, j'exprime mes voeux personnels, monsieur le Nonce, comme je l'ai fait tout à l'heure, à vous-même que j'ai plaisir à revoir, présenter au nom de vos collègues, les voeux que vous portez à la France, et à vous, mesdames et messieurs, dans vos vies personnelles. Je forme le souhait de paix, de santé et de prospérité. Merci.\