5 janvier 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la présentation des voeux des corps constitués, notamment sur la lutte contre l'inflation et le dialogue social, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 5 janvier 1987.

Monsieur le Premier ministre,
- Monsieur le Vice-Président du Conseil d'Etat,
- Mesdames et messieurs,
- Je commencerai par vous, monsieur le Vice-Président. Vous venez de m'exprimer vos voeux et ceux des corps constitués. Je vous adresse à mon tour les miens. C'est la règle, et je pense que c'est nécessaire : nous représentons une société qui a besoin de ces rendez-vous pour vivre harmonieusement. C'est à l'ensemble des fonctionnaires de France, dont vous êtes le porte-parole, dont vous êtes les représentants, comme vous l'avez dit vous même, en tant que corps constitués, que je veux dire ces mots.
- Je reçois d'abord vos voeux, monsieur le Vice-Président, pour les sentiments qu'ils expriment à l'égard du Président de la République, du chef de l'Etat. Je les reçois aussi pour ce qu'ils contiennent de plus personnel, comme un témoignage de nos relations anciennes et amicales. Vous l'avez rappelé, quarante ans, c'est un bail £ le temps a passé mais il n'a altéré en rien l'authenticité de nos relations. Après un demi-siècle de service public, vous allez quitter vos fonctions. Qu'il me soit permis aujourd'hui, avant même que cette perspective ne se réalise, de dire à mon tour les sentiments que je vous porte. Oui, cinquante années de service public, quel plus beau témoignage peut-on trouver de cette continuité de l'Etat qui permet la stabilité de notre vie démocratique !...\
Mais je ferai avec vous, mesdames et messieurs, comme je l'ai fait il y a une demi-heure avec le gouvernement, avec M. le Premier ministre qui me présentait ses voeux.
- J'adresserai d'abord mes souhaits à la France. Il y a seulement quelques jours, m'adressant aux Français, je les appelais à se rassembler autour de quelques grandes causes nationales. Oui, à se rassembler. Quand l'essentiel est là, il le faut bien : c'est la vie de la nation qui est en jeu, non seulement dans son présent, mais aussi dans sa continuité, à travers les siècles et les siècles, ceux du passé et ceux qu'il s'agit maintenant d'édifier, dans l'avenir. Alors on pense d'abord à l'unité. Je ne crois pas cette unité menacée. Il existe la réalité d'un peuple vivant et fort £ il existe aussi les règles de notre société, les règles de la démocratie. Ces règles supposent confrontation, débat, antagonisme et leur expression est toujours légitime mais elle oblige aussi, elle oblige chaque fois que c'est nécessaire, chacun à se soumettre à quelques données de bases sans lesquelles aucune vie collective durable n'est possible : le respect de l'autre, le souci de demeurer à l'intérieur d'une certaine forme de civilisation, celle qui nous réunit.
- Cette unité nationale, certains à l'intérieur - mais ils sont rares - davantage à l'extérieur - et on comprend pourquoi - aimeraient la mettre à mal. L'une des données du monde actuel s'appelle, vous l'avez dit, le terrorisme. Il s'agit là de notre sécurité intérieure et parfois extérieure de notre vie, de la vie des nôtres. Le terrorisme exige de notre part la plus grande fermeté et la manière dont les choses sont conduites m'incite à penser que cette voie-là est celle qu'il faut choisir. La plus grande fermeté, avez-vous dit, dans le respect du droit, cela va de soi : nous n'allons pas, par contagion, par faiblesse de l'esprit, répondre à la barbarie par une autre forme de barbarie. Mais cela est compatible : la plus grande fermeté dans le respect du droit. Voilà ce que la France doit attendre de nous, les pouvoirs publics, pour que la sécurité des citoyens soit garantie, autant qu'il est possible, en sachant fort bien l'immense difficulté de la tâche : apporter, offrir, opposer sa résolution au fanatisme qui meurtrit et qui tue.
- Que 1987 nous voie réunis, comme nous l'avons été, pour faire front d'un seul coeur.\
Mais les grandes causes nationales, s'il s'agit bien d'organiser les conditions de la sécurité intérieure, supposent bien d'autres données que j'ai évoquées en cette fin d'année : l'idée que l'on doit se faire de la jeunesse, qui accède à la vie responsable et qui commence par l'apprentissage du savoir intellectuel, le savoir d'un métier, cette connaissance si précieuse sans laquelle il n'est pas possible à un homme, à une femme, de s'accomplir, d'aller vers sa propre plénitude. Cela, c'est un devoir qui est le nôtre, celui du gouvernement, celui des pouvoirs publics, celui de tout citoyen responsable : ouvrir grand les voies d'accès à la connaissance, à la responsabilité.\
Parmi les grandes causes nationales, j'ai cité les conditions de la réussite économique. On peut débattre et on débat des moyens, des voies et moyens comme l'on dit, de notre réussite économique. Je retiendrai un point auquel il me semble que nul ne peut se soustraire : c'est la lutte contre l'inflation. Cette lutte s'impose. Elle s'est imposée, elle s'imposera, à tout gouvernement. Et pourquoi ? Parce que le recul de l'inflation commande tout le reste. Il commande l'équilibre de notre commerce extérieur, c'est-à-dire les conditions-mêmes de notre compétitivité internationale, notre place dans le monde parce qu'il commande la baisse du chômage, la tenue de notre monnaie, et qui voudrait la mettre en cause ? Et même irai-je plus loin : de la réussite de cette lutte contre l'inflation - lutte menée depuis des années et des années, avec un succès progressif - dépend également la cohésion sociale.
- C'est un fantasme absurde qui conduit à opposer ces termes : d'une saine politique économique, autour de la lutte contre l'inflation, résultera une plus forte cohésion sociale. A quoi servirait-il d'avoir des traitements et des salaires nominaux importants s'ils étaient rongés par l'inflation qui dominait la société française il y a quelques années !... Expression bien souvent employée et qui est juste : l'inflation, c'est comme une sorte de subvention pour les plus riches et c'est certainement comme un impôt pour les plus pauvres. Il y a donc, dans cette ligne d'action économique, un moyen de préserver, sinon de renforcer, la cohésion sociale et cela doit être expliqué. Je suis sûr que cela est compris beaucoup plus qu'on ne le pense. Seulement voilà, cette lutte exige des efforts et, depuis ces mêmes années, que de sacrifices consentis ! On admettra que s'il y a sacrifice, il doit être justement réparti. C'est un élément de simple justice, c'est un élément psychologique et moral puissant : les Français acceptent l'effort s'ils ont le sentiment que la société civile les invite à apporter selon leurs propres moyens, la contribution qu'ils doivent.
- Alors, si chacun, individus et groupes sociaux, trouve les moyens de sa dignité dans ses conditions de travail, s'ouvrent déjà la compréhension mutuelle et, sans doute, les voies d'accès vers les accords auxquels il faut toujours penser, car le dialogue et l'apaisement sont l'objectif nécessaire de tous ceux qui gouvernent. Je vous dis cela £ je sais bien que ma fonction n'est pas celle qui consiste à règler un dossier en cours, elle est celle d'inviter à l'apaisement des esprits, mais autour de quelques données fermes : on ne peut pas abandonner la route sur laquelle on est engagé, dès lors qu'on a le sentiment que c'est le salut du pays et, finalement, le bien de tous, qui se trouvent entrepris.\
Si j'évoque ici les grandes causes nationales, je citerai, mais pour mémoire, - j'aurai l'occasion d'en parler à d'autres assemblées, d'ici la fin de la soirée - les grands objectifs de politique extérieure de la France, sa sécurité dans le monde, la défense de la paix, sa présence, les moyens de sa défense. Ces objectifs simples, cent fois répétés, sont dans tous les esprits. On peut les rappeler tout à fait aisément. Ils tendent à assurer la juste place de notre nation dans l'équilibre des puissances. Nous défendons, partout où cela est nécessaire, les conditions-mêmes d'une évolution pacifique qui commence par le désarmement des plus forts ou des plus puissants, qui continue par le développement des peuples démunis et qui se retrouve toujours lorsqu'on évoque les droits des peuples à disposer d'eux-mêmes.
- La France y est engagée et depuis très longtemps. Cela n'est pas le fait d'un gouvernement donné, d'une équipe en place, de tel homme plutôt que tel autre : c'est vraiment une ligne continue, comme une sorte de mouvement naturel de notre grand peuple que de défendre ces principes en assurant son existence.\
Mesdames et messieurs, puisque j'ai fait des voeux pour la France, hâtivement résumés, comment pourrais-je les dissocier des voeux que je forme pour la République ? Vous avez abordé ce chapitre, monsieur le Vice-Président. La situation actuelle, on l'apprécie, on aime ou on n'aime pas £ je ne peux pas dire que je l'ai spécialement désirée : c'est le peuple qui l'a choisie. Et il a voulu changer de majorité £ cela lui arrive !.. J'ai même eu à assumer deux fois ce mouvement du peuple : changer de majorité. Mais il n'a pas voulu - j'en suis convaincu - de crise majeure £ il n'a pas voulu de crise institutionnelle, qui aurait entraîné ses différentes fractions, factions, partis, mouvements à s'affronter plus durement. Il a voulu que soient respectées les règles qu'il s'était donné. Il existe une Constitution : à chacun d'exercer sa fonction, dans l'intérêt du bien public, là où le choix du peuple l'a placé, dans les termes voulus par nos institutions. C'est simple à dire, ce n'est pas toujours aussi facile à faire. Mais il faut tenter, par la bonne volonté, la compréhension et surtout le sens de l'intérêt public, d'aligner ses actes sur cette conviction.
- Les divergences d'appréciation sur le fond et sur les moyens demeurent, mais l'intérêt du pays, mesdames et messieurs - et vous comprendrez mieux cela que quiconque - l'intérêt du pays doit l'emporter sur tout autre considération.\
Monsieur le Vice-Président, mesdames et messieurs, je vous réitère les voeux que je forme pour vous, pour vos familles, pour ceux qui vous sont proches, pour tout ce qui vous attache, qui vous plaît, qui représente vos aspirations intellectuelles, spirituelles, tout ce qui fait votre personne et va bien au-delà de vos personnes. Je souhaite que vous trouviez dans ce que nous apporte chaque année - l'on sait bien que le flot est mêlé - plus de joies : en tout cas c'est ce que notre espérance exprime.
- Mais vous, mesdames et messieurs, en qualité - pour ceux d'entre vous qui le sont - de fonctionnaires et d'agents publics, je tiens à vous dire que, connaissant votre dévouement, et la haute conscience qui est la vôtre de la mission qui vous est impartie, je souhaite que vous donniez l'exemple. On exagère la critique sur notre administration : elle a ses défauts, elle a ses vertus, et les vertus l'emportent sur les défauts. Et je sais, pour vous avoir depuis si longtemps approchés, que chacun considère comme un engagement personnel le service de l'Etat.
- Je vous souhaite, mesdames et messieurs, de pouvoir accomplir, dans les meilleures conditions, la tâche que vous avez choisie. C'est l'une des plus belles : c'est le service de la République, c'est le service de l'Etat.
- Voilà pourquoi il m'est très aisé de vous dire, pour conclure - comment dit-on dans nos provinces, dans nos quartiers ? - Bonne année et bonne santé !
- Bonne année 1987, bonne santé ! Cela veut dire, sans doute beaucoup d'autres choses que la prise du pouls ou l'examen d'un rhume ou d'autres choses plus graves : cela veut dire santé physique, santé morale, santé intellectuelle, l'être dans ce qu'il est.
- Je souhaite, mesdames et messieurs, que l'année 1987 vous soit la plus heureuse possible.\