16 décembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la politique de la recherche et la culture scientifique, à la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette, mardi 16 décembre 1986.

Mesdames et messieurs,
- C'est avec un grand plaisir que je me retrouve parmi vous de nouveau, ici dans cette Cité des sciences et de l'industrie. Seconde naissance pourrait-on dire, quelque neuf mois après le lancement et qui méritait d'être célébrée avec éclat. Au mois de mars 1986, on sortait du chantier, seuls quelques espaces étaient ouverts. Aujourd'hui, la mise en place s'achève, une activité anime cet immense volume, la Cité a pris sa vitesse de croisière.
- Je remercie les organisateurs de cette manifestation à la mémoire d'Ampère. Ils me donnent l'occasion de voir comment le projet évolue et comment il s'adapte à l'épreuve des foules qui viennent ici chaque jour.
- Le Président de la Cité et le Président de l'Académie des sciences ont rappelé l'oeuvre et la personnalité d'Ampère. J'ai apprécié, et je ne suis pas le seul sans doute, le récit de cette vie ardente. La tentation est grande, sans solliciter l'histoire, d'établir un parallèle entre le projet pédagogique qui sous-tend la Cité et la formation même du jeune André-Marie Ampère, nourrie aux principes d'éducation positive qu'avait formulés Rousseau : instruire Emile par le spectacle de la nature, l'obliger à réfléchir et à résoudre les difficultés par un apport personnel. De même, la vision globale de l'-état des sciences et des techniques que la Cité veut présenter répond à l'ambition encyclopédique d'Ampère : en ce temps-là une âme bien née pouvait hésiter entre une vocation de poète, de philosophe, de mathématicien ou de physicien, produire des travaux remarquables et terminer sa vie sur un grand projet d'exposition de toutes les connaissances humaines. Ce fut le cas d'Ampère. C'est un beau parrainage que vous avez choisi pour marquer l'achèvement des travaux.\
Si je suis attaché à cette réalisation c'est non seulement pour ce qu'elle apporte à l'urbanisme et à l'architecture mais aussi parce qu'elle exprime une ambition scientifique pour le temps présent. Je crois que l'on peut dire que la beauté des volumes s'impose au visiteur lorsqu'il entre d'un côté ou de l'autre, et notamment par la façade qui donne sur la ville et je trouve très heureux que l'on marque ainsi par une réalisation monumentale, une certaine rupture avec un urbanisme qui n'affichait pas trop souvent son souci de la périphérie des villes. Il y a urgence vraiment pour que se multiplient les ponts, les passages, les équilibres entre les villes et leur banlieue, et la Cité est un signal : elle va amorcer la réhabilitation d'un quartier marqué à la fois par un beau paysage industriel du 19ème siècle et par les injures du 20ème. Et je me réjouis de voir que l'on se préoccupe beaucoup de l'insertion de la Cité dans son environnement immédiat, non sans crainte.
- L'architecte Adrien Fainsilber, auquel je tiens à rendre hommage, c'est bien normal quand on pense à l'oeuvre accomplie, a su réhabiliter avec le talent qu'on lui connaît ce bâtiment dont la vocation initiale a été assez vite contrariée. Il a dégagé des volumes, ménagé des espaces dont la configuration peut être adaptée à volonté, reconstruit l'enveloppe externe en allégeant les structures, en imaginant des murs-serres qui créent d'agréables perspectives. Les circulations ont été soigneusement pensées : et en particulier le président Paul Delouvrier me rappelait récemment l'effort fait pour rendre tous les espaces et les manifestations accessibles aux handicapés moteurs et sensoriels. Je crois que cela représente un effort exemplaire.\
La Cité est une oeuvre de longue haleine, on s'en doutait dès l'origine. On peut aussi imaginer l'impact qu'elle aura sur l'environnement urbain, je viens d'en dire un mot. Elle sera vue aussi par les générations futures comme le témoin d'un moment de l'histoire marqué par un extraordinaire foisonnement de découvertes d'une époque où auront commencé l'exploration planétaire et celle des grands fonds océaniques, d'une époque où les réseaux mondiaux de communication obligent à concevoir une autre forme de culture.
- Il existait des musées de l'industrie, des conservatoires, il n'existait pas de lieu comme celui-ci, rassemblant tant de savoirs éparpillés, multipliant les angles d'approche, faisant appel à tous les médias. Et le visiteur le moins informé peut s'approprier le savoir sans intermédiaire, ou du moins peut s'en approprier le goût, il peut entrer dans un domaine nouveau, s'y déplacer, revenir en arrière, l'approfondir dans un libre mouvement, selon son rythme propre.
- Chacun doit savoir que le maintien de la France parmi les grandes nations productrices de savoir dépend du développement des sciences et des techniques, banalité qu'il faut cependant rappeler sans cesse. Il nous faut conduire et maîtriser ce développement. La Cité doit être pour chacun un moyen d'apprivoiser le monde, d'échapper à la peur d'être dépassé ou écrasé par les avancées de la science. Elle nous permettra de prendre une plus juste mesure du monde qui nous entoure.
- La Cité et pas simplement elle seule, mais aussi tout le réseau de centres de culture scientifique et technique dans lequel elle s'insère, représente un élément important d'une politique de la science. Cela n'a pas toujours été très bien compris, il a fallu veiller à ce que l'investissement consenti n'appauvrisse pas d'autres programmes. Je vois cette -entreprise comme un complément qui enrichit et valorise nos autres grandes réalisations scientifiques.
- Encore faut-il que la communauté scientifique et industrielle, fortement représentée dans ces lieux, adhère au projet, qu'elle fasse sien cet outil, pour transmettre les savoirs, pour éveiller les curiosités, et même les vocations, pour favoriser enfin ce changement de mentalité, clé de notre réussite. Bref, il faut que la Cité vive en symbiose avec le monde de la science et de l'industrie et non pas en une opposition qui serait stérile.\
Dans quelques décennies, on reconnaîtra sans doute que ce lieu grandiose était bien à la mesure du mouvement que nous avons engagé par la politique de recherche.
- Vous connaissez mon ambition, je la répète très souvent : assurer l'avenir de notre pays, nous donner les moyens de notre indépendance dans tous les domaines, nous permettre de rester dans la compétition mondiale. Et aux jeunes étudiants qui m'écoutent, je veux dire ma confiance dans l'avenir de la France, c'est-à-dire dans leur avenir. Car notre pays est une des grandes nations scientifiques, ses chercheurs sont parmi les mieux formés et parmi les plus créatifs. On me répondra, et on aura raison, que tout n'est pas parfait, et nous connaissons nos lacunes, que de scrupuleux observateurs de l'OCDE ont analysées récemment. Mais avec une volonté continue, nous devons dépasser les difficultés, éviter tout désengagement hâtif de l'Etat, resserrer les liens entre la recherche et l'industrie, faciliter les transferts d'innovation vers l'industrie, favoriser le relais par les industriels eux-mêmes du financement de la recherche industrielle. Et déjà les chercheurs et les universitaires se convainquent des vertus de la mobilité. Déjà, la liaison si nécessaire entre les grands organismes de recherche et les universités s'effectue sans affaiblir les uns pour renforcer les autres.
- Je souhaite que prévale une politique de l'emploi scientifique, comptable du long terme, capable de protéger la population des chercheurs des à-coups de la conjoncture et de répondre à la formidable aspiration des jeunes qui se pressent aux portes de l'université et qui recherchent, n'en doutons pas, un haut niveau de qualification.
- Avec les grandes écoles, les universités, les établissements publics de recherche, la France est dotée d'un système diversifié de formation et de recherche. Chacune de ces institutions s'enracine dans une histoire et bénéficie d'une expérience particulière. Apprenons donc à mieux utiliser cette diversité pour en faire une source d'émulation et de progrès et, plutôt que d'oeuvrer pour une identification réductrice des missions de ces institutions, cultivons au contraire leurs différences, leur complémentarité, j'ajouterai leur synergie.\
Dans bien des domaines, celui de la conquête spatiale, celui de la recherche médicale, celui de l'informatique, celui du nucléaire, la France a, je vous l'assure, et vous le savez bien, de quoi figurer en bonne place, dans la compétition mondiale. Et pas simplement là. Les rapprochements entre les institutions publiques ou entre les institutions et les industriels constituent, il faut y insister, l'un des ressorts d'un dynamisme accru.
- On a vu par exemple se nouer, ces dernières années, des alliances de ce type, avec la création d'un certain nombre de centres de formation des ingénieurs par la recherche. Nos atouts dépendent pour une large part de notre capacité de mobilisation nationale sur un terrain pareil, et le relais européen est là pour démultiplier nos efforts nationaux, leur donner pleine efficacité.
- L'économie de la recherche exige de plus en plus de partager la dépense. Voyez comme cela se passe, les efforts déployés par les Etats-Unis d'Amérique ou le Japon. Il est vraiment urgent que l'Europe fasse appel aux ressources qui sont les siennes et au premier rang à ce que l'on appelle ses gisements d'intelligence et de savoir. Il faut plaider, je plaide inlassablement, je demande à être entendu, pour faire de la coopération en matière de recherche un des moteurs de la construction européenne. Les succès de cette coopération sont déjà présents dans la physique des particules, dans la fusion nucléaire, dans l'astronomie, dans la recherche biologique, dans l'espace, dans les technologies de l'information. La Communauté européenne a fait l'apprentissage des grands programmes de coopération qu'elle sait maintenant gérer avec une certaine efficacité. Forts de ces succès dans des domaines fondamentaux, nous avons même engagé des coopérations en recherche-développement dans des domaines plus proches du marché, le cas d'Eureka est significatif. Et vous connaissez le succès de cette initiative : demain à Stockholm, une conférence ministérielle Eureka approuvera une quarantaine de nouveaux projets, traduisant une montée en puissance extraordinairement rapide de ce programme. Il faut croire que cette initiative répondait à une situation d'urgence et à une sourde inquiétude des Européens : son succès témoigne de notre capacité commune à affronter la concurrence.
- Mais on s'en doute, il reste à faire beaucoup. Des réseaux commencent à s'organiser entre laboratoires ou organismes de recherche à travers l'Europe, ils devraient être naturellement les supports de la circulation des idées et des hommes au sein du continent. Et je suis frappé du nombre très insuffisant de jeunes Européens qui, à l'issue de leur période de formation, choisissent de séjourner dans un laboratoire ou une entreprise européenne, préférant le plus souvent aller aux Etats-Unis. La Communauté a proposé d'encourager la mobilité des étudiants avec le projet Erasmus. Il est vital pour la construction européenne que les jeunes scientifiques prennent l'habitude de faire leur tour d'Europe, comme jadis il fallait faire son tour de France avant d'être consacré compagnon.\
Partant d'Ampère et de la Cité des sciences et de l'industrie, j'ai été naturellement porté à vous parler de la politique de la science. Qui ne voit le lien si fort entre ces thèmes, car nous sommes légitimement fiers que la France ait donné naissance à des génies dont l'oeuvre se prolonge jusqu'à nous. Et elle continue au demeurant, nous avons foi dans notre avenir, nous saurons, par la diffusion de la culture scientifique et technique, favoriser ce changement de mentalité que j'appelais de mes voeux et qu'exige le monde d'aujourd'hui, nous saurons répondre à l'urgence des besoins de formation, nous saurons construire l'Europe pour qu'elle conserve le rôle moteur auquel les siècles l'avaient habituée.
- Mesdames et messieurs, la Cité de la Villette, cette petite ville dans la grande, ce lieu de communication exceptionnel, marque notre entrée dans la modernité. Je lui souhaite un vrai, un grand succès à la mesure de nos espoirs. Et ces espoirs, on le devine, je crois le lire dans vos regards, c'est celui que nous partageons : que le signal d'Ampère dure à travers le siècle, atteigne le prochain, suscite encore une fois les vocations dont nous avons besoin, et que la France dans ses institutions et surtout par son peuple comprenne que là est son destin. Merci.\