28 novembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du Sommet franco-italien à Paris, notamment sur le projet d'un "groupe de contact" méditerranéen et sur la coopération technologique franco-italienne, vendredi 28 novembre 1986.

LE PRESIDENT.- Nous venons de terminer nos travaux. Il s'agissait, comme vous le savez d'une rencontre dite "au sommet" entre l'Italie et la France. Je remercie M. le Président du Conseil Bettino Craxi de sa présence et de sa contribution à nos réflexions communes.
- Dès ce matin, nous avons eu un entretien qui a précédé un déjeuner en commun, avec la délégation italienne, un entretien entre le Président du Conseil italien et le Premier ministre français et puis une séance plénière où chacun des ministres intéresssés est intervenu : économie (je cite les secteurs et quelquefois ils sont plusieurs par secteur), affaires étrangères, industrie et défense, ont été les quatre grands domaines qui ont pratiquement mobilisé la totalité des échanges de vues.
- Nous avons examiné la situation monétaire internationale, notamment la question des gouverneurs des banques centrales dans le -cadre du groupe des sept. Sur les affaires internationales, la discussion s'est déroulée sans difficultés entre nous sur les sujets suivants : Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe `CSCE`, avec en particulier la tendance des Etats-Unis à souhaiter que les négociations internationales de ce type se déroulent d'alliance à alliance, alors que les Européens désirent continuer cette réunion à trente-cinq, ce qui nous permet de n'éliminer personne de débats utiles à notre continent. Nous avons examiné la préparation du Conseil européen de Londres, certains problèmes propres à la Méditerranée et procédé à des échanges de vues sur l'Europe : Europe de la technologie, Europe agricole, avec une projection sur le -plan industriel, débat sur la recherche, l'informatique, l'électronique, l'aviation, l'aéronautique, l'espace, les constructions navales, que sais-je encore ?
- Sur le -plan de la défense, nous avons vu les deux volets traditionnels de la discussion : sécurité, armement. Sécurité, l'après Reykjavik, encore la Méditerranée, ce qui est normal entre Italiens et Français et, d'autre part, problèmes d'armements et de satellites, de façon que nous puissions disposer d'une coopération élargie. Voilà pour l'essentiel. Je laisse le Président du Conseil des ministres italien le soin d'ajouter ce qu'il souhaitera vous dire, après quoi, mesdames et messieurs, vous pourrez nous poser les questions de votre choix.\
M. BETTINO CRAXI.- Je vais me limiter à souligner quelque chose qui est une grande satisfaction pour le déroulement de cette rencontre d'aujourd'hui, qui a été fort dense en ce qui concerne les problèmes traités et en ce qui concerne les convergences. En particulier, j'ai remercié le Président de la République française ainsi que le Premier ministre français, de l'intérêt qu'ils ont bien voulu démontrer et manifester à l'égard du développement d'une idée que la France avait avancée et qui peut être reprise aujourd'hui, peut-être dans de meilleures conditions. Il s'agirait de créer une synergie des bonnes volontés, au niveau politique et diplomatique, dans une concertation plus étroite entre Etats européens de la Méditerranée, d'une part, et Etats arabes de la Méditerranée non impliqués indirectement ou directement dans des situations de conflits, une recherche que nous allons poursuivre, afin de créer un pôle qui pourrait influencer la -recherche de solutions pacifiques et négociées en ce qui concerne les nombreux points de crise qui tourmentent la région dans laquelle se trouvent aussi nos pays.
- Donc, j'ai voulu souligner cela, de façon positive, ainsi que le déroulement des conversations sur les nombreux points d'accord qui font partie d'une perspective de développement de la coopération entre nos pays qui devient de plus en plus encourageante et importante chaque année.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pouvez-vous nous préciser, s'il vous plaît quelle est cette idée du groupe méditerranéen de ce - peut-être le mot projet est trop fort mais enfin - de quoi s'agit-il ?
- LE PRESIDENT.- L'idée n'est pas ancienne mais elle date déjà de quelques années. C'était une proposition française que d'examiner entre riverains de la Méditerranée, la situation de cette région du monde. Mais à mesure que l'on avançait dans la réflexion on s'apercevait bien que cette Méditerranée ne pouvait être vue que sous l'angle de la Méditerranée de façon à ne pas se poser en arbitre ou en médiateur d'une série de conflits en chaîne qui se déroulent dans la Méditerranée orientale.
- Les premiers contacts concernaient l'Italie, l'Espagne, l'Algérie, le Maroc, la France. La situation de ce moment-là n'a pas permis, après que nous ayons reçu des encouragements, d'aboutir. Le Président du Conseil italien nous disait, reprenant une idée qui lui est chère : "pourquoi ne pas reprendre ce projet ?" et faisait la suggestion suivante, que je vais exprimer à sa place, puisque c'est à moi que vous posez la question : pourquoi ne pas s'adresser également - ce qui me paraît tout à fait normal - à la Yougoslavie ? après tout, cet examen d'une situation entre pays méditerranéens n'a pas à s'enfermer dans les simples limites des alliances ou dans une simple confrontation entre pays d'Occident et pays arabes du pourtour de la Méditerranée occidentale. Pourquoi ne pas aller vers l'Egypte ? En tout cas, pour l'instant, on ne peut pas toucher du doigt le conflit qui sépare nombre de pays de cette région. Faites le tour : le Liban, Israël, la Syrie, etc.. Voilà. Mais je laisse au Président du Conseil italien, qui a repris cette initiative en la reliant à l'initiative française, le soin de l'exposer, si cela vous intéresse.
- M. BETTINO CRAXI.- Je crois que la réponse du Président suffit.
- LE PRESIDENT.- Il s'agit d'une initiative italienne qui se greffe sur la position française en l'adaptant à la réalité présente, c'est le résumé qu'on peut en faire.
- QUESTION.- Est-ce que vous pouvez encore concrétiser un peu les premières étapes de cette nouvelle initiative ou m'indiquer un petit calendrier sur lequel vous chercherez...
- LE PRESIDENT.- Sur la Méditerranée ?
- QUESTION.- Oui.
- M. BETTINO CRAXI.- Il s'agit de procéder à une reconnaissance sur la volonté et la disponibilité de tous ceux auxquels nous nous sommes adressés et tous ceux à l'égard desquels nous voulons nous adresser. C'est donc un travail qui sera fait pour voir si cette idée, qui en soit est excellente, et qui poursuit une bonne cause, qui correspond à une bonne volonté qui vise à aider à la solution des nombreuses crises ouvertes et à créer une synergie de bonne volonté, si cette idée peut être concrétisée. Eh bien, cela dépendra justement de ce que nous pourrons vérifier. Disons que les premières vérifications nous ont fait apercevoir un certain nombre d'ouvertures mais aussi quelques problèmes qui, s'ils ne sont pas résolus, deviendront un obstacle à la poursuite de l'initiative.\
QUESTION.- Ces jours-ci, à Paris, on a beaucoup parlé du projet de l'élection directe d'un Président de l'Europe, l'ancien Président Giscard d'Estaing. On en a parlé avec le Président Mitterrand hier et le Chancelier Schmidt a dit que seule une candidature française pourrait être crédible, beaucoup moins une italienne et encore moins une espagnole. Ma question à M. Craxi : que pensez-vous de ce projet ? Pensez-vous qu'un ballet de candidatures, si l'on peut dire, pourrait semer la zizanie entre les membres de la Communauté ?
- M. BETTINO CRAXI.- Moi ? C'est la première fois que j'en entends parler. Peut-être ne suis-je pas un bon lecteur mais c'est la première fois que j'en entends parler et personne ne m'a exposé ce projet qui devrait comporter un accord institutionnel, une loi électorale, avant même de comporter des candidats. Donc parler des candidats me semble tout à fait excessif.\
QUESTION.- Si j'ai bien compris, les Européens seraient déjà d'accord que la négociation sur les désarmements conventionnels devraient se tenir au niveau du groupe des trente-cinq, au niveau de la CSCE ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas dit "les européens", j'ai dit les Italiens, les Français souhaitent ne pas mettre un terme à ce type de réunion. Ce sont les Français et les Italiens qui se sont rencontrés aujourd'hui, donc nous n'avons pas pu prendre de positions au nom des autres.\
QUESTION.- Je voudrais bien savoir si entre la France et l'Italie, il y a une appréciation identique ou bien similaire à propos de l'option "zéro" après Reykjavik ?
- LE PRESIDENT.- S'il s'agit de la position française, nous n'avons pas eu à l'étudier pour la bonne raison que nous n'avons pas été saisis. La négociation qui a commencé se déroule entre Soviétiques et Américains. Nous ne sommes pas à la table de conférence et nous ne demandons pas à nous y trouver, tant que les deux plus grandes puissances n'auront pas déjà considérablement réduit leurs armements. On sait qu'à Reykjavik, il a été question un moment entre le Président des Etats-Unis et M. Gorbatchev, d'une réduction drastique des armements. On a parlé de 50 %, on a même évoqué, parait-il 100 %. On a évoqué des délais, 50, 10 ans, que sais-je ? et l'on a évoqué l'hypothèse où cet accord étant fait, il conviendrait alors de faire un sort spécial aux forces nucléaires intermédiaires, que l'on appelle l'option "zéro".
- Vous savez que cette négociation a échoué pour de multiples raisons qui seraient trop longues à expliquer, mais aussi en particulier parce que s'y est mêlé le problème de l'IDS. Jusqu'alors, nous avions pensé que la conférence de Reykjavik n'était pas une réunion conclusive. Nous avions pensé simplement que c'était une réunion préparatoire, ce qui est d'ailleurs fort important. De telle sorte que si, aussi bien les Etats-Unis d'Amérique que l'Union soviétique nous ont, après coup, tenu informés du déroulement de ces débats et des prises de position respectives des deux partenaires, nous n'avons jamais eu à donner notre opinion et nous n'avons pas été saisis d'une proposition conjointe de ces deux pays. Cela reste une discussion en l'air pour l'instant. Il serait donc prématuré de demander à chacun de nos pays de savoir quelle est sa position par -rapport à ce qui n'est pas encore proposé. Ce qui ne le sera peut-être jamais et si c'est proposé, à quelles conditions ? Quand ? Pourquoi faire ? On ne peut pas traiter de ce sujet au point où nous en sommes. Souhaitez-vous dire quelque chose sur ce sujet ?
- M. BETTINO CRAXI.- Je dirai simplement qu'en la matière, le désarmement et l'expérience nous ont enseigné que tout se tient, qu'il est extrêmement difficile et qu'il sera très difficile d'arriver à des accords partiels sur des aspects essentiels du système de défense. Dans ce sens, dès qu'on aurait approuvé un accord sur l'option "zéro", surgirait immédiatement le problème de ce que deviennent les missiles à courte portée et comment évaluer l'équilibre des armes conventionnelles. Donc tout ceci nous amène à dire, non pas que l'option "zéro" ne soit pas bonne, mais que l'option "zéro" doit faire partie d'un contexte qui doit fournir les garanties de l'équilibre et de la sécurité. C'est là le problème que nous avons devant nous, que nous aurons et que nous aurons encore longtemps sans doute et il faut recueillir l'opinion des alliés et des pays les plus intéressés £ c'est-à-dire les pays européens.
- LE PRESIDENT.- J'ajoute pour l'usage de ceux qui m'écoutent que c'est pour nous une discussion intellectuelle importante. Ces applications politiques ne nous sont pas indifférentes, loin de là. Mais l'armement nucléaire de la France n'est pas un armement intermédiaire, dont elle n'est pas directement intéressée à cette discussion.\
QUESTION.- Toujours dans le domaine du désarmement et des armements, les Etats-Unis ont annoncé aujourd'hui qu'ils sortaient des limites du traité, qu'ils avaient jusqu'à présent respecté £ est-ce que cela vous inspire une réflexion particulière ?
- LE PRESIDENT.- Vous connaissez mieux que personne la réalité diplomatique de ce SALT II. Il n'empêche que cet accord est entré dans les faits. Moi je suis de ceux qui pensent qu'il serait très sage et très utile d'en rester là et que tout ce qui pourrait sortir des accords antérieurs `Traité de vienne 1979`, qu'ils s'agisse de SALT ou d'ABM, serait fâcheux au moment-même où sont engagés les préliminaires d'une conférence sur le désarmement. Donc je n'ai pas de position à prendre, aujourd'hui, sur ce sujet.\
QUESTION.- Sur la question méditerranéenne, vous allez rencontrer le Premier ministre Gonzalès, au retour du Conseil de Londres `Conseil européen`, est-ce que vous allez parler de cette idée méditerranéenne avec lui et est-ce que vous donnez une signification particulière à cet entretien ?
- LE PRESIDENT.- Une signification particulière avec le Premier ministre espagnol, il y en a toujours une ! Il s'arrêtera là pour dîner avec moi, en effet, le 6 décembre au soir et j'attache beaucoup d'importance à cette rencontre. Ceci est le premier point.
- Quant à la proposition méditerranéenne, je le répète, c'est une initiative italienne greffée sur une précédente initiative française et nous approuvons la démarche italienne. Nous n'allons pas nous faire les démarcheurs initiaux d'un projet de ce type. Nous en parlerons avec M. Bettino Craxi qui nous dira exactement dans les jours qui viendront, comment il souhaite que les pays en question soient saisis et c'est dans ce cadre-là que je m'en entretiendrai avec M. Gonzalès.
- QUESTION.- (début de la question inaudible) des relations de vos deux pays avec la Libye ? L'avez-vous fait ? Dans ce cas quel a été le résultat de vos discussions ?
- LE PRESIDENT.- Le mot Libye est venu plusieurs fois sur les lèvres des interlocuteurs mais il n'y a pas eu de concertation sur l'attitude à avoir à l'égard de la Libye, sinon bien entendu que nous souhaitons que ce pays apprenne à vivre plus tranquillement.\
QUESTION.- Quelques question à l'adresse de M. Craxi sur les dossiers commerciaux et de coopération industrielle, j'aimerais savoir si vous avez fait -état de la plainte française pour la taxation excessive du champagne ? Vous a-t-on demandé que l'Italie soit plus favorable à l'achat d'Airbus et si du côté italien, vous avez demandé une meilleure collaboration pour la construction du nouvel ATR et quels ont été les autres chapitres économiques que vous avez traités ?
- LE PRESIDENT.- Il a été question du champagne. Nous trouvons, nous français, que les taxations italiennes sont un peu lourdes. Voilà, c'est tout.
- Il a été question d'aviation, surtout de l'ATR 42 et l'ATR 72 mais je laisse au Président Craxi, le soin de le dire.
- M. BETTINO CRAXI.- Le champagne est un problème qu'il faut résoudre, résoudre dans le sens français. Le gouvernement italien avait présenté un projet de loi qui égalisait les droits du champagne aux droits nationaux mais le projet n'a pas eu de chance au Parlement. Le Parlement a été plus fort que le Gouvernement ou d'autres ont été plus forts que le Gouvernement, dont il va falloir trouver une solution à ce problème dans le sens souhaité par la France semble-t-il.\
`M. Bettino Craxi ` Suite`
- En ce qui concerne les autres questions, il y a une longue liste des collaborations qui sont en oeuvre, ou projetées et naturellement vous aurez des informations et des détails techniques qui vous seront donnés. Moi je préfère répondre à des questions plus spécifiques plutôt que de faire un rapport général.
- LE PRESIDENT.- J'ajoute que sur beaucoup de points, sur le -plan industriel et commercial, on a pu assister à une nette progression des intentions italiennes et françaises. Il semble d'ailleurs qu'on ait largement dépassé le stade des intentions par -rapport à l'ATR 42 qui est déjà, comme vous le savez en cours, et sur l'ATR 72. Nous avons aussi parlé de télévision, de constructions navales, de télécommunication en général, d'espace, du programme cadre-recherche où l'approche est un peu différente, de l'informatique, de l'électronique, des relations ITALTEL - CGCT, d'Ariane. Bref il a été question de beaucoup de choses et d'une façon très positive, au point que pour essayer de faire avancer ce domaine, il est question de la création d'une association de coopération technologique franco-italienne pour suivre chacun de ces dossiers. C'est vraiment une préoccupation très forte que je crois avoir perçue de la part de la délégation italienne et pour nous, pour moi-même qui ait lancé l'idée d'Eurêka, c'est aussi une préoccupation majeure. Donc voilà un point quand même fort. Ce qui n'a pas pu être traité au cours de quelques heures dans une négociation de ce genre, sera traité désormais à demeure et en permanence par les gouvernements et par cette association.\
QUESTION.- Je voudrais savoir si dans le sommet franco-italien a été évoqué le fantôme de M. Berlusconi ?
- LE PRESIDENT.- Pourquoi le réduisez-vous à l'-état de fantôme ? En Italie, il n'est pas fantôme du tout. En France, vous savez les histoires de fantôme c'est très difficile à vérifier. Je ne sais pas ce que décidera la Commission indépendante créée à cet effet `CNCL`, ce qu'elle fera des différentes chaînes dont elle a à s'occuper, des différentes conventions qui ont été précisément passées £ il est certain que ce que l'on sait semble montrer qu'il y aura beaucoup de changements dans ce domaine. Peut-être que M. Berlusconi en sera victime, mais je n'en sais rien. Je ne sais pas si M. Craxi est mieux informé que moi. Mais je crois qu'il serait sage que vous reposiez la même question dans une dizaine de jours, mais pas à moi.
- M. BETTINO CRAXI.- Nous avons mis en oeuvre une collaboration avec la France dans le secteur de la production télévisée que nous considérons comme tout à fait importante, dans le -cadre des rapports entre nos pays. La collaboration entre industries de nos pays peut aussi donner corps à une collaboration plus vaste dans la production européenne.
- Donc, c'est une voie nouvelle que nous avons commencé à parcourir et j'espère que le gouvernement français voudra bien décider ce type de collaboration et son développement en France et aussi en Italie, c'est-à-dire avec des présences françaises dans les milieux télévisés italiens. Ce serait une excellente chose, une très bonne collaboration et ceci constituerait un point d'appui, une contribution importante à une collaboration européenne. Donc, j'espère que ceci pourra se faire.
- LE PRESIDENT.- Je le souhaite aussi.\