28 octobre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du 48ème sommet franco-allemand, notamment sur l'accord culturel entre les deux pays, Francfort, mardi 28 octobre 1986.

Mesdames, Messieurs,
- Je remercierai à mon tour la ville de Francfort, le Maire, la municipalité, la population, qui nous ont si bien accueillis et qui ont permis le déroulement très utile de ce nouveau sommet franco-allemand. Ces remerciements iront également au Chancelier et aux différentes personnalités qui ont participé éminemment à la préparation et à la tenue de ce sommet de Francfort.
- Pour le reste, c'est-à-dire, l'objet-même de la conférence de presse, ce qui a été dit par le Chancelier M. Helmut Kohl, se suffit à soi-même, mais je suis, comme lui-même, à votre disposition pour répondre aux questions qui vous intéresseraient.
- QUESTION.- Vous préconisez l'apprentissage linguistique mutuel, mais est-ce que ce n'est pas réduire la compréhension culturelle à un problème un peu technique alors qu'il y a des différences franco-allemandes dans beaucoup de domaines et qui ont des raisons plus profondes ? Première question.
- Et deuxième - si j'ose la poser -, la culture, même si on apprend les langues, ne vit pas seulement des mots, mais des idées qui sont exprimées par ces mots et c'est dans ce sens-là que je me rappelle de Voltaire qui était chez Frédéric Le Grand, parce qu'ils avaient quelque chose à se dire. Et quelles sont les idées principales qui vous ont réjoui dans votre conversation avec le Chancelier Kohl, vu que Voltaire et Frédéric c'était aussi un peu un discours gauche-droite ?
- LE PRESIDENT.- Nos travaux ne sont pas du tout restés seulement attachés au développement de l'enseignement et de l'enseignement technique ou de l'apprentissage de ces deux langues. Nos travaux ont visé beaucoup d'autres domaines : l'enseignement primaire, l'enseignement secondaire, l'enseignement bilingue, l'enseignement universitaire. La formation professionnelle, les échanges entre chercheurs, la création du Haut Conseil franco-allemand pour coordonner l'information en matière culturelle, d'un Collège de personnalités françaises et allemandes pour développer les échanges £ un travail est en cours sur les chaînes de télévision. Bref, mon énumération est tout-à-fait limitée. Donc on ne s'en est pas tenu au point que vous avez traité.
- Deuxièmement, je vous remercie pour la référence à Frédéric II et à Voltaire. Je ne sais pas si cela s'est très bien terminé. Mais, si les idées s'exprimaient sans les mots, monsieur, vous admettriez alors que la conversation serait brève. Les mots sans les idées, alors là je vous rejoins. Et j'espère qu'il n'y a pas que Frédéric II et Voltaire qui soient capables d'organiser le dialogue franco-allemand ! D'abord, il serait désormais entré dans le passé, ensuite ce serait faire fi des relations entre les peuples.
- Mais, ce que vous vouliez dire, je le comprends bien et je crois que vous avez raison. Les idées que nous avons échangées, que nous échangeons - quand j'ai dit "nous", le Chancelier et moi, bien entendu, mais bien d'autres encore, les ministres qui se rencontrent et depuis maintenant plusieurs décennies, ceux qui nous ont précédés -, cela représente une somme d'idées, de projets, d'ambitions, parfois de rêves, mais aussi de démarches réalistes qui tournent autour d'idées très simples. D'abord, cela s'appelait la réconciliation, - c'était bien nécessaire -, cela s'appelle maintenant l'unité, l'unité de la démarche, en élargissant peu à peu le champ de cette démarche.
- QUESTION.- De quand date votre première leçon d'allemand et, pour M. Kohl, sa première leçon de Français ?
- LE PRESIDENT.- Moi, j'ai appris un peu d'allemand lorsque j'étais prisonnier de guerre en Allemagne et, depuis lors, dans d'autres conditions. J'ai amélioré ma connaissance de cette langue. Elle est loin d'être suffisante. Donc, ma première leçon est déjà prise, les autres sont à venir.\
QUESTION.- J'imagine que le dialogue franco-allemand, cela porte aussi sur les questions internationales et notamment, il y a une question qui vous a intéressé tous les deux immanquablement, c'est la réunion de Luxembourg `réunion des ministres des affaires étrangères de la CEE` et la non décision qui a été prise. Alors est-ce que le Président François Mitterrand peut commenter ce que moi je qualifie de non décision ?
- LE PRESIDENT.- Je la commenterai brièvement. Les ministres se sont rencontrés à Luxembourg. Un certain nombre de ministres en titre étaient déjà, en raison de la nécessité d'aller vite, engagés dans d'autres lieux et sur d'autres sujets. Je crois qu'une rencontre informelle doit avoir lieu entre les ministres, le 10 novembre. Cela permettra de parfaire une discussion qui est loin d'être achevée. Il y a, d'un côté, à préserver et même à renforcer la solidarité entre les pays de la Communauté £ il y a, d'autre part, la façon d'aborder les problèmes du terrorisme et, par -rapport au terrorisme, la responsabilité de certains Etats. Cela ne permet pas l'improvisation. J'espère que les prochaines rencontres permettront les rapprochements qui n'ont pas été remarqués au cours de la réunion de Luxembourg.
- Je m'exprimerai certainement à ce sujet, mais je ne veux pas me substituer, dans l'-état actuel des choses, aux ministres responsables. Je dirai simplement que, toute chose étant établie, les arrangements particuliers devront toujours céder le pas à la solidarité contre le crime.
- QUESTION.- J'ai une toute petite question supplémentaire à monsieur le Président : pendant cette période un peu délicate, est-ce qu'on peut avoir l'assurance que la France ne fera aucune livraison d'armement à la Syrie ?
- LE PRESIDENT.- Vous faites -état d'informations qui n'ont pas été confirmées. Ensuite, je répondrai, à la question précise que vous avez posée, qu'il n'est pas question, pour la France, de vendre des armes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, dans deux ans vous allez fêter à Paris, le 200ème anniversaire de la Révolution française, qui est le fondement de nos systèmes politiques, des deux systèmes. Du point de vue culturel, est-ce qu'il ne faut pas une réflexion sur ce que signifiait cet événement, aussi bien pour les Allemands que pour les Français, disons vis-à-vis des étrangers, vis-à-vis de la terre d'asile, vis-à-vis de ceux qui ont faim, qui trouvaient, à cette époque-là à Paris, un refuge vu que, même la ville de la Révolution française, aujourd'hui, est une ville de la ségrégation sociale où les pauvres sont jetés dehors. Est-ce qu'un sommet culturel prochain ne devrait pas réfléchir sur des questions comme ça ?
- LE PRESIDENT.- Sans aucun doute. Il n'est pas prévu de sommet culturel prochain. Mais les relations culturelles entre la France et l'Allemagne fédérale seront - sont et seront - constantes. Le fait de cette célébration, en 1989, représente pour la France une sorte de grand rendez-vous avec elle-même. Et en raison des répercutions et des effets de cette Révolution, sur le monde entier, et en particulier en Europe, il est bien évident que nous aurons tout intérêt à associer nos partenaires habituels, traditionnels, et nos amis, au débat de fond qui s'engagera autour de cette célébration. J'ajouterai qu'en France, vous savez, ce débat est déjà engagé. Il prend même une tournure assez vive. Mais l'on célèbre la Révolution, ceux qui en ont pris l'initiative, on le fait surtout pour tenir compte des apports considérables que la Révolution a signifié pour la société française.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République, est-ce que vous pouvez préciser votre position sur "l'option zéro" ?
- LE PRESIDENT.- Ce qu'a dit M. le Chancelier me convient tout-à-fait. Pour ce qu'on appelle "l'option zéro", tout ce qui tend au désarmement doit être approuvé. Quelle peut en être la limite ? Cela doit être considéré par -rapport au reste. Cela veut dire : est-ce que l'option zéro concerne seulement, comme il en était question au point de départ, les armes nucléaires à moyenne portée, dites intermédiaires, ou bien aussi les armes nucléaires à courte portée, puisque c'est un problème sur lequel on a mis l'accent. Il n'est pas nouveau ce problème, bien sûr, ce qui est nouveau, c'est que l'on ait mis l'accent dessus. Depuis Reykjavik, cela reste à débattre.
- Quel sort réservera-t-on - mais là, je répète le Chancelier Kohl -, aux forces conventionnelles ? Y aura-t-il des vérifications consenties entre les deux plus grandes puissances sur la réalité de l'application des accords ? Sur les armes stratégiques par exemple ? Tout cela mérite d'être examiné. Je ne suis pas du tout hostile à ce que l'on considère "l'option zéro" avec le plus grand sérieux. J'attends d'en connaître l'environnement.\
QUESTION.- (Jean-Paul Picaper - Le Figaro) Monsieur le Président et monsieur le Chancelier, comment ferez-vous pour que cette déclaration culturelle commune - excusez-moi de revenir un peu en arrière - ne reste pas platonique ? Comment assurer ses conséquences pratiques à long terme, car dans le culturel, c'est du long terme qu'il faut parler ? Et même en cas de changement d'orientation des deux pays, dans quelques années éventuellement. Votre porte-parole, monsieur le Président, nous a dit qu'on a beaucoup précisé les termes de cette déclaration. Mais pourquoi alors n'en a-t-on pas fait un accord ? Des ministres ont signé des accords dans des domaines particuliers.
- Alors ma question - une question subsidiaire - est-ce que ce sont les Allemands qui ont des difficultés, à cause du fédéralisme, à signer un accord ? Mais on peut signer des accords, comme nous l'avons vu hier, malgré le fédéralisme. Alors, ma question : est-ce que cette déclaration sera suivie par des accords sur des points particuliers ? Et comment seront, par exemple, nommés les membres du Haut Conseil et du Collège permanent ? Est-ce qu'ils formuleront de simples recommandations, ou est-ce qu'ils seront habilités à préparer les décisions ?
- LE PRESIDENT.- Mais, monsieur, la déclaration vaut accord. Dès lors qu'ont été énumérées, dans cette déclaration, un certain nombre de dispositions qui ont été précisées en cours de route, qui ont été accrues au cours de nos conversations, cela vaut accord, et les deux gouvernements se sont engagés à les mettre en oeuvre. Chacun de ces point donnera finalement naissance à des accords particuliers. Quand vous me dites, ce Collège franco-allemand, comment sera t-il désigné ? Je n'en sais rien. Il n'en a pas été question. Il était important d'en décider la création. Mais les deux gouvernements se sont engagés à ne pas perdre de temps, pour que cela existe. Et ils examineront, j'imagine à très bref délai, de quelle façon ils désigneront leurs représentants. Je ne pense pas que l'on pouvait attendre de ce sommet, par -rapport aux 10, 11, 12 points traités, extrêmement pratiques, qu'il soit possible d'organiser - comme on dit - l'ensemble de l'argument diplomatique. Mais l'élan est donné. Il appartient aux autorités des deux pays de veiller à l'exécution. Le seul point sur lequel on a donné l'année, 1987, - et encore en ajoutant "le plus tôt possible en 1987" - c'est sur les chaînes franco-allemandes. C'est le seul point, ce qui veut dire a contrario, que tous les autres points devront être réglés avant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les questions qui concernent la doctrine d'emploi des armes prestratégiques françaises, sont des questions françaises, mais qui intéressent beaucoup l'Allemagne. Vous en êtes vous entretenu dans le -cadre de ces échanges franco-allemands et avez-vous une certaine compréhension pour la position allemande qui préfèrerait éviter une décentralisation de la prise de décision.
- LE PRESIDENT.- Nous avons évidemment traité de ce sujet parmi d'autres. Reykjavik, armement conventionnel, discussions franco-allemandes sur les conceptions stratégiques, réunion de Luxembourg, etc. Mais ce n'est pas l'objet de cette conférence de presse que d'approfondir maintenant des sujets stratégiques. J'aurai d'autres occasions de le faire.\