7 février 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le bilan en matière de justice sociale, de réussite économique, de libertés, ainsi que sur son engagement dans le débat électoral, Lille, vendredi 7 février 1986.

Mesdames et messieurs, chers amis, laissez-moi vous dire, pour commencer, la joie que j'ai d'être parmi vous £ nombreux sont ceux que j'ai eu l'avantage de connaître ou de rencontrer à travers ces vingt dernières années, du moins pour les anciens.
- Et puis, il y a l'immense foule de celles et de ceux qui se reconnaissent dans les définitions politiques, dans le projet et dans l'action dont j'ai assumé, avec les deux Premiers ministres, Pierre Mauroy et Laurent Fabius, la responsabilité.
- Mais, vous me le permettrez, au-delà de cette salle, au-delà de cette foule, c'est aux Français que je m'adresse, aux Français de toute la France, quels que soient leur opinion, leur choix £ certains se situent dans des camps £ tel n'est pas mon cas £ j'ai la charge de la France entière. Mais, il faut le comprendre, comment mener à bien cette action sans se reporter à quelques principes, à quelques grandes lignes, sans rechercher quelques objectifs que je vais définir dans un instant ?
- Est-ce s'enfermer, s'isoler que de dire ce que l'on pense pour la France ? Je dois le faire £ je n'y ai pas manqué depuis plus de quatre ans £ je le ferai encore, et notamment ce soir, alors que nous sommes avancés dans le débat électoral.
- Ce débat, il vous appartient, selon vos choix, de le mener. Mais comment pourrait-on imaginer que le Président de la République élu en 1981, par une majorité, c'est la définition même de la démocratie, par une majorité populaire, pourrait, à l'heure d'un grand choix, se taire et refuser d'être auprès de ceux qui n'ont jamais manqué d'être à ses côtés dans la difficulté ?
- Voilà pourquoi je suis heureux d'être avec vous, mais aussi pourquoi j'attends de vous que vous compreniez les besoins des autres, leurs aspirations, leurs soucis. Pourquoi ne sont-ils pas avec nous ? Ils ont des raisons. Ces raisons sont-elles bonnes ? Nous avons le devoir d'écouter pour entendre et pour comprendre. Je n'ai jamais rejeté personne.
- Au fond, dans notre communauté nationale, chacun se sent à l'aise, on le sait bien, et ce ne sont pas les paroles exagérées des uns, des autres, qui changent le fait que les Français sont bien en France. Oh ! Certes, il en est des centaines de milliers, et même des millions qui souffrent £ il est bon qu'ils sachent pourquoi, qu'on le leur dise £ il est bon aussi qu'on leur montre le chemin, je veux dire celui de l'espérance, celui du travail reconquis, celui de la France en marche.
- Oui, il n'y a pas de slogan qui soit la propriété de personne, dès lors qu'il s'agit de la France. Moi, j'ajouterai tout simplement, parce que c'est la même image, de la France qui avance, et qui avance aussi parce que nous avons agi pour qu'elle avance, et nous constatons aujourd'hui qu'il en va bien ainsi.
- Mais pour juger du point d'arrivée où nous sommes, qui n'est pas l'arrivée finale, mais l'arrivée d'une étape, d'une étape importante, au terme d'une législature, encore faut-il connaître le point de départ.\
Dans quelle situation étions-nous, dans quelle situation était le pays lorsqu'il nous a confié la charge, lorsque, dès les premiers instants, avec celui qui est resté le maire de Lille `Pierre Mauroy`, nous nous sommes attelés à l'immensité des devoirs. Pour juger du point d'arrivée, je m'efforcerai d'éviter la caricature. N'exagérons pas nos propos, n'exagérons rien. C'était la France avant, c'était la République française avant £ nous ne les avons pas inventés £ simplement nous avons voulu leur donner un contenu nouveau pour qu'on se sente mieux, pour qu'on ait le sentiment d'être plus fraternels, d'être mieux rassemblés, et pour cela, il convenait de lutter d'abord contre les injustices.
- Qu'avons nous fait ? Qu'avons nous trouvé ? Je résumerai en cinq définitions rapides :
- Une société bloquée : une classe dirigeante repliée sur elle-même et sur ses privilèges, les privilèges du pouvoir et les priviléges de l'argent. Fallait-il renoncer à faire reculer ce pouvoir et cette domination ? N'était-ce pas travailler pour l'immense masse, pour le plus grand nombre et d'abord pour les plus faibles et les plus pauvres ? C'est ce que nous avons fait. Une classe dirigeante repliée sur elle-même et des inégalités qui allaient croissant : sociales, fiscales, économiques, culturelles, j'en passe.
- Quel était le deuxième caractère en 1981, qui frappait immédiatement quiconque regardait bien en face l'-état de la France ? J'ai dit une société bloquée, j'ajoute un pouvoir d'Etat dirigiste, avec ses corollaires : la bureaucratie, la centralisation, partout, partout, oui, de tous côtés de l'horizon politique d'hier et d'aujourd'hui, on se plaignait £ ce n'était ni le plan, l'organisation de la liberté du travail, comme on peut le souhaiter, comme je le souhaite, ce n'était pas non plus le libre marché, c'était quelque chose d'indéfinissable à quoi s'applique simplement ce mot "dirigiste". Ils condamnaient le socialisme, ils étaient dirigistes, à mon avis, sans règles et sans lois £ simplement par l'effet d'un pouvoir exercé par quelques uns, la nation était sans garanties et vous en avez souffert.
- Troisièmement, nous avons trouvé une économie en déclin, c'était l'inflation à près de 14 %, 14 % l'an ! C'était un commerce extérieur en déficit de 62 milliards, avec les francs de l'époque. C'était d'immenses secteurs perdus pour l'industrie, vous le savez bien, vous, gens du Nord, c'était le textile ou la sidérurgie, le cuir ou le bois, ou la machine outil. Et l'agriculture ? Dans les années précédentes, c'était, pour le revenu des agriculteurs, une perte de 17 %. On se plaint aujourd'hui, on a raison de se plaindre, mais quand on comparera - j'y viendrai dans un instant - on verra quels ont été les résultats de nos efforts.
- La quatrième partie du paysage qui nous était offert, c'était des libertés compromises £ les juridictions d'exception, qu'est-ce que cela voulait dire ? Cela voulait dire une justice, des tribunaux inventés, j'allais presque dire à la tête du client, à la disposition beaucoup plus du pouvoir exécutif, échappant aux règles fondamentales fixées par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'était le refus d'élargir ou de conquérir des libertés nouvelles, j'y viendrai dans un instant, et je pense d'abord à l'audiovisuel.
- Enfin, c'était une politique étrangère dont certains éléments à travers les temps, à travers les générations, tout le temps de la République, doivent être continués. C'est la politique de fond de la France qui obéit aux lois de l'histoire et de la géographie, qui n'a rien à apprendre des compétitions dans le monde, des rivalités en Europe ou du prix des guerres. Et là, génération après génération, nous traçons le même chemin.\
Mais il faut dire que dans certains domaines nous avions une politique étrangère qui parfois était sans voix - l'Afghanistan ou bien les SS 20 - ou bien quand elle cessait d'être sans voix, qui devenait bavarde et qui avait deux voix pour une, le double langage, entre Jérusalem et Amman, un peu partout dans le monde. Il fallait selon nous corriger ces déviations, ces défauts pour assurer à la France le visage qui est le sien.
- Alors qu'avons-nous fait ?
- Répondant point par point aux éléments que je viens maintenant de ramasser en quelques formules rapides, nous avons d'abord voulu, face à cette société bloquée, bâtir une société ouverte, chaque jour plus ouverte. Ces conquêtes-là ne se font pas en un jour, on le sait bien. Il n'y a pas que les lois, il y a les moeurs, les coutumes, les usages. Un peuple ancien et jeune comme le nôtre, un peuple de 55 millions d'habitants, un peuple formé à toutes les disciplines de l'histoire ne se manie pas au gré des circonstances. Seule une action en profondeur permet d'infléchir une direction donnée ou bien de corriger le paysage ou le visage que l'on entend présenter aux autres.
- Une société ouverte ? Qui peut dire que nous n'y avons pas travaillé de toutes nos forces et de tout notre coeur ? Et nous avons tout de suite crié justice, justice contre les inégalités sociales, justice pour les bas salaires qui ont tout de même connu une augmentation du pouvoir d'achat de plus de 15 % au cours de ces années. Vous ne trouvez pas que, lorsque les bas salaires se voient garantis contre la misère, la France se sent mieux ?
- Justice pour les personnes âgées ! Nous avons accru le minimum vieillesse, dans le même temps, de plus de 25 %, en pouvoir d'achat. Est-ce qu'on ne se sent pas mieux en France quand les personnes âgées vivent quand même plus à l'aise ?
- Justice pour les handicapés, quelques 400000 handicapés adultes ! Nous avons veillé - et réussi pour une part - à leur insertion scolaire, leur insertion professionnelle. Et nous avons augmenté leurs revenus de quelque 25 %, comme pour les personnes âgées. On dira : ce n'est pas assez. C'est beaucoup ! Ce n'est pas suffisant ? ... Ce n'est pas suffisant, mais la direction est la bonne et j'entends bien qu'à travers les années prochaines chacun devra s'appliquer à améliorer le sort et la vie quotidienne des catégories de Français qui souffrent plus que les autres.
- Justice pour les familles ! Les familles de deux enfants ont obtenu une augmentation de plus de 35 %, compte non tenu de l'allocation parentale, de l'allocation au jeune enfant. Est-ce que vous ne croyez pas que la France se sent mieux quand les familles se portent bien ?\
Mesdames, messieurs et chers amis, justice pour les travailleurs !
- La retraite à 60 ans. C'est un libre choix, ce n'est pas imposé, quiconque se sent avec les moyens de continuer jusqu'à 65 ans le peut. Mais combien de travailleurs, et particulièrement de travailleurs manuels, soumis à des obligations qui souvent les épuisent, ont éprouvé comme une sorte de libération avec la retraite à 60 ans qui leur a permis, désormais, de regarder autour d'eux, de considérer les leurs, les gens qu'ils aiment, de regarder la France et le monde, de vivre enfin ? Lente conquête après trente-sept ans et quelque de travail : enfin vivre ! Ne croyez-vous pas que la France se sente mieux quand les travailleurs sont plus heureux, ont plus d'espoir, vivent davantage sans être gênés à toutes les entournures, sans se cogner à tous les murs, simplement aussi parce qu'ils savent que la société dans laquelle ils vivent est une société ouverte que le pays qui est le leur se fait - comment dirais-je ? - à la fois fraternel et ami ? Oui, justice pour les travailleurs !
- Mais j'éviterai de tomber dans la litanie. Si je me laissais aller à faire la somme des réformes utiles qui vont dans ce sens, j'en aurais pour trop longtemps, je vais donc à l'essentiel. Je dirai : la cinquième semaine de congés payés. Je retrouve dans ma mémoire d'adolescent de 20 ans ce qui était dit en 1936 sur le même sujet, avec les mêmes arguments. Oui, il est important que les travailleurs puissent disposer du temps qui leur permet d'abord un juste repos, le moyen de repartir du bon pied, de se sentir mieux disposés à leur travail, bref de se sentir acceptés dans la socité qui est la leur. Je pourrais dire la même chose des 39 heures, des aménagements du temps de travail. Justice pour les travailleurs !
- Les droits et les libertés des travailleurs dans l'entreprise, c'est une conquête de ces dernières années ! La loi sur la négociation collective, et actuellement même ce débat sur l'aménagement du travail, qui tout simplement laisse à des travailleurs le soin de discuter entre eux, notamment avec les chefs d'entreprise, de ce qu'il convient de faire pour améliorer justement leur façon de vivre, leur façon d'aménager leur temps au sein de l'entreprise.
- Ne croyez-vous pas que la France se sente mieux quand les travailleurs vivent mieux, quand les travailleurs non seulement par le salaire mais aussi par le mode de vie, par leurs relations avec les autres, par l'alternance du travail, de la réflexion, du repos, sentent qu'après tout cette société, bien imparfaite, où il y a encore tant à faire, tant à dire, tant à réaliser, s'est faite elle aussi accueillante, s'est faite également fraternelle, et que cette société, c'est la leur ? Et c'est la leur ! D'ailleurs, mesdames et messieurs, est-ce que la France ne se sent pas mieux lorsqu'elle voit les travailleurs débattre librement, démocratiquement, là où se déroule l'essentiel de leur vie de travail ?
- Sur chacun de ces points, vous le savez bien - on en a discuté - une certaine opposition a toujours refusé ses suffrages pour faciliter le vote de ces lois, mais aujourd'hui elle n'ose même pas songer à révoquer les dispositions que nous avons prises et qu'elle a combattues !\
Justice pour les assurés sociaux dont on me dit que l'on s'apprête à démanteler les acquis, et pas simplement ceux d'hier, ceux d'avant-hier.
- Les comptes de la Sécurité sociale : 1983 : + 11 milliards de francs. 1984 : + 16 milliards de francs. 1985 : + 10 milliards de francs. Et fin 1985 : 29 milliards de trésorerie.
- Vous avez entendu ces alarmes exprimées, cette description maléfique et terrifiante de la gestion des deux gouvernements que j'ai pu, en effet, accompagner dans leur travail ? La généralisation de la couverture sociale, ce n'est pas mince ! Ce sont de nouvelles catégories qui, désormais, sont protégées par notre droit, par notre droit social. Est-ce que vous ne croyez pas que la France se sent mieux lorsque chaque individu, plutôt que d'être obligé de recourir à ses moyens personnels, seulement à ses moyens personnels, à sa débrouillardise, à ses relations - chacun pour soi - voit ce droit préservé ? Est-ce que vous ne croyez pas qu'il s'agit d'une démarche constante depuis le XIXème siècle, et particulièrement dans la classe ouvrière, que de parvenir à conquérir ce droit ? C'est ce que nous avons fait depuis 1981.\
Justice pour les modestes contribuables ! Nous avons exempté de l'impôt sur le revenu quelque 500000 foyers. Il y en a quelque 22 millions en France. Nous avons réduit l'impôt entre 3 % et 8 %.
- Certes, nous avons accru en même temps, pour les trois cent mille foyers les plus riches, nous avons accru la note à payer. On nous dit que le premier soin d'un changement politique serait précisément de revenir sur ces dispositions. Mais enfin, mesdames, messieurs, chers amis, sans entrer dans aucune polémique, vous vous rendez bien compte que ce qui sera retiré - quelque dix milliards de francs aux cent mille foyers les plus riches - sera forcément payé par les autres, c'est-à-dire par les plus modestes. Et cela ne frappera pas seulement les pauvres, cela frappera aussi les classes moyennes.
- Je ne veux pas monter sur les grands chevaux, je ne prône aucune division sociale supplémentaire de la France. Personne ne se méprend sur le contenu de mes propos. Je dis simplement qu'il serait très dangereux pour la paix sociale et pour la paix civique de vouloir revenir sur ce qui est simplement la justice élémentaire : que les plus riches - ils ne sont d'ailleurs pas tellement nombreux, j'ai dit de cent mille à trois cent mille - fassent un effort supplémentaire qui ne les écrase pas, pour que les autres puissent se sentir moins accablés par la contribution à l'Etat. N'est-ce pas normal ? Est-ce que la France ne se sent pas mieux, je vous le demande, est-ce que la France ne se sent pas mieux qu'un peu de justice ait pénétré ce secteur souvent trouble et confus qu'on appelle la fiscalité ?
- Justice pour les épargnants, et ils sont quelques trois millions à détenir des livrets d'épargne populaire. Avant 1981, ils perdaient de l'argent lorsqu'ils plaçaient cet argent à la caisse d'épargne. Aujourd'hui, ils en gagnent, non seulement ils bénéficient des exemptions traditionnelles par -rapport à l'impôt, mais encore, en raison de la baisse du taux de l'inflation, ils se trouvent aujourd'hui bénéficier de garanties et de revenus supérieurs à ce taux d'inflation, alors qu'il en allait tout autrement il n'y a pas tellement longtemps.\
Faut-il que je continue ? Eh bien ! je vais quand même continuer en disant : justice pour les femmes ! Eh oui, justice pour les femmes, quand on décide l'égalité d'accès aux emplois publics, quand on décide l'égalité professionnelle et quand on fait avancer cette égalité dans les faits, ce qui est le cas.
- Justice pour les femmes dans l'orientation et la formation professionnelle. J'espère qu'on va en finir avec cette vieille habitude qui consistait à former les jeunes filles à des métiers qu'elles ne feraient pas, ce qui permettait ensuite de les sous-payer, de les garder pendant des heures et des heures debout, à des travaux pénibles. Et voilà qu'avec leurs diplômes, leur talent quotidien, leur intelligence, ayant acquis une sorte d'égalité à l'accès à l'emploi public, lorsqu'il s'agit de l'avancement normal d'une carrière, alors, plus question £ quand on choisira un sous-directeur, un directeur, un chef de bureau, je ne sais qui encore, un directeur général, eh bien ! plutôt l'homme que la femme, après tout, en raison d'un droit millénaire des sociétés dont on ne dira pas qu'elles étaient celles du progrès. Eh bien ! est-ce que la France ne se sent pas mieux quand les femmes sont admises, à égalité, à prendre part à la vie de la France ?
- Et je n'oublie pas la loi contre les discriminations sexistes, je n'oublie pas le statut du conjoint de l'artisan. On disait avant "la femme de l'artisan". Eh bien ! si elle travaille, elle est elle-même artisan, artisane, on dira comme on voudra. La femme du commerçant, disait-on. Eh bien ! oui, si elle travaille là, elle est commerçante. Nous avons reconnu à ces deux catégories le droit qui est le leur, comme nous l'avons fait pour les femmes d'agriculteurs devenues, grâce à nous, agricultrices.
- Et l'on retrouve là le même effort, celui qui nous a fait étendre la retraite à 60 ans à des catégories qui ne la connaissaient pas, les commerçants, les artisans, et maintenant les agriculteurs qui, année après année, se trouveront dans la situation des autres catégories de Français, de travailleurs.
- Oui, justice, mesdames et messieurs, pour la consommation populaire. Ce n'est pas rien d'avoir réduit, comme je m'y étais engagé, les taux de la TVA des produits de première nécessité de 7 à 5,5%. C'est tous les jours qu'il faut payer, c'est tous les jours qu'il faut acheter, c'est tous les jours que l'on peut reconnaître que les dispositions prises représentent tout de même un progrès.\
Est-ce que la France ne se sent pas mieux ? Ne va-t-elle pas mieux pour avoir répondu à ces appels à la justice ? Oui, justice pour ces catégories de Français que j'ai citées déjà depuis un long moment, mais aussi justice pour les immigrés. Plutôt que de passer son temps à exciter les passions les moins nobles, plutôt que de faire comme si un grand nombre de ces immigrés étaient venus nous disputer notre travail, alors que, dans l'immense majorité, ils sont venus dans les époques antérieures parce que ce travail était à faire et qu'il n'était pas fait.
- C'est, je le répète, la noblesse d'une majorité de progrès comme celle que j'ai eu l'honneur, à ma façon, d'orienter, que d'avoir refusé de se laisser entraîner dans les formules toutes faites qui n'éveillent que la discorde, quand elles n'alimentent pas la haine, qui détruisent et qui perdent un pays comme le nôtre, fabriqué à travers les temps sans doute avec ceux qui sont nés sur ce sol, mais aussi avec ceux qui ont appris à aimer notre pays, qui lui ont apporté leur labeur, le -fruit de leur intelligence, le travail de leurs mains. Nous refusons la discrimination et nous avons fait admettre un droit d'association pour les travailleurs immigrés £ nous avons résorbé les cités de transit £ nous avons créé un Conseil national des populations immigrées, nous avons fait voter une loi contre le racisme, qui permet désormais à toute association de se porter partie civile lorsqu'il s'agit de défendre leurs droits.\
Est-ce que la France en vérité, est-ce que la France en profondeur, ne se sent pas plutôt mieux d'avoir été conforme à ce qu'elle est, au lieu de se contrefaire, pour obéir à la passion de quelques-uns qui se bornent à compter des suffrages dans les urnes, en oubliant que l'essentiel est de savoir ce qui en sortira pour la France !
- Eh bien, mes chers amis, je ne veux pas tenir là un propos constitutionnel. Ce n'est pas directement dans la Constitution. Je me fais l'interprête du rôle du Président de la République, et, présentement, le Président de la République, c'est moi. Et que l'adverbe "présentement" n'égare pas les commentateurs. Oui, présentement, pour le temps qui m'a été confié par le peuple. C'est le cas de tout le monde dans une démocratie ! Dans une démocratie, on respecte le temps donné au responsable que l'on choisit. Allonger ce temps, sans recourir au vote populaire, c'est glisser dans la dictature £ cela existe assez sur la surface de la planète. Et s'en aller avant, sous la poussée des adversaires de la démocratie, c'est aussi mal répondre aux aspirations d'un peuple.\
Alors, ce que je vais dire n'est pas constitutionnel et donc je ne m'abrite pas derrière une définition écrite. Mais moi, je me considère, après avoir énuméré cette longue file, et elle n'est pas complète volontairement, j'ai voulu vous épargner, cette longue file des "justices pour", pour les travailleurs, pour les immigrés, pour les femmes, pour les familles, je me considère comme le garant de la cohésion sociale, je veux dire par là de la cohésion nationale.
- A partir de là, je demande à ce peuple qui m'écoute de préserver ces acquis, de préserver ces conquêtes, de préserver le résultat de luttes légitimes menées depuis le commencement de l'ère industrielle, c'est-à-dire bientôt depuis deux siècles. Croyez-vous qu'il soit sage de rebrousser chemin ? Je dis que pour garantir la cohésion sociale et donc la cohésion nationale de la France, qui a connu, pendant ces quatre ou cinq années, la période la plus calme en matière de conflits sociaux depuis des décennies, depuis quelque 60 ou 70 ans, je dis que si moi je m'estime ou me considère comme le garant de cette cohésion sociale et donc, si je dois élever la voix pour alerter, pour mettre en garde, pour dire au peuple de France et à l'ensemble des travailleurs : "Attention, protégez vos acquis", alors je n'ai pas d'autre réponse que celle-ci : seul, seul le peuple lui-même sera le garant de ces conquêtes, de ces acquis, de la justice !
- Et, si le peuple, dans sa majorité, manque à l'heure du rendez-vous, qui donc le fera à sa place ? Est-ce que vous ne croyez pas que la France se sentira mieux devant des conquêtes sociales vraiment admises, pas seulement du bout des lèvres ou par l'effet des circonstances, mais du fond du coeur, du fond des volontés ?
- Je pense - et c'est une incidente - à la justice pour les faibles, à la justice pour les pauvres, et je trouve que, de ce point de vue, l'Etat n'a pas assumé tous les devoirs qui sont les siens. Je me réjouis lorsque je vois tant d'hommes et tant de femmes de grand coeur charger leurs propres épaules. Et combien cela est difficile de réduire la misère, de répondre aux besoins, de tendre la main aux autres ! Oui, je me réjouis, mais je dis : la puissance publique, la France, par ses responsables élus, par ses lois et ses institutions, doit aussi être là. Je dirai même qu'elle doit d'abord être là parce que c'est son devoir !\
J'ai dit : une société ouverte. Je continuerai en disant : un pouvoir partagé. Un pouvoir partagé ! C'est essentiellement, mais ce n'est pas cela la loi fondamentale sur la décentralisation, celle qui permet désormais aux élus régionaux, aux élus départementaux et, dans une bonne mesure, aux maires de nos communes, de n'être pas seulement, lorsque c'est difficile, lorsqu'il s'agit de gérer leurs finances ou de décider des travaux, les exécutants de l'administration centrale, les exécutants de l'Etat. Moi, je suis un serviteur de l'Etat, je crois à la nécessité et aux bienfaits de l'Etat lorsqu'il est bien compris, mais à la condition qu'il ne s'empare pas de tout !
- Une énorme légende a voulu que la démarche qui est la nôtre soit décrite, caricaturée comme une démarche précisément de caractère étatique. C'est le contraire. Il y a maintenant pour le moins vingt-deux pouvoirs en France, vingt-deux pouvoirs institutionnels sur le -plan de la région, sans oublier, ou plutôt sans avoir compté les quatre départements et régions d'outre-mer. Et quelque cent départements ... Et vous savez bien, vous qui vous trouvez devant moi, les élus avec votre écharpe bleu, blanc, rouge, vous savez bien que vous êtes infiniment plus à l'aise aujourd'hui pour gérer les affaires dont vous avez connaissance. Encore cela était-il nécessaire. C'est le premier mouvement qui se soit dirigé dans ce sens depuis Colbert, les Jacobins, Napoléon 1er, la IIIème, la IVème et la Vème République. C'est la première fois que l'on rend une large part du pouvoir aux représentants directs de notre peuple, un pouvoir partagé !\
Et l'on en comprend tout le sens, lorsqu'on va, comme cela m'a été permis récemment, en Martinique ou en Guadeloupe, où la loi régionale a transformé de fond en comble la revendication profonde de ces peuples. Désormais, on ne va pas disant, sauf quelques exaltés qui ne sont pas suivis par le peuple, : "la seule façon désormais de conquérir les libertés qui nous sont dues, c'est de lutter contre la France ! ... ou du moins de s'en séparer" £ où l'on dit maintenant : "grâce à la France, il nous est possible d'être libres" ! Finie, enfin, l'époque coloniale. Encore dira-t-on : l'époque coloniale, elle est loin derrière nous mais les moeurs et les habitudes, les façons de faire, elles étaient encore là.
- N'oublions pas la réforme d'une autre -nature que nous avons décidée pour la Nouvelle-Calédonie et qui doit permettre aux différentes ethnies, à ceux et à celles qui se reconnaissent dans une famille particulière - héritage de l'histoire, l'histoire est comme ça - leur permettre enfin, au travers des assemblées régionales, de voir se dessiner un accord futur et durable, qui sera difficile à préserver, surtout si on allume l'incendie dans les semaines qui viennent, surtout si l'on distribue les paroles d'excitation et de haine mutuelle. Mais, je suis de ceux qui pensent - et je le pense vraiment de tout mon esprit - que ces lois-là, le pouvoir partagé, c'est la réponse aux besoins de notre siècle. Après la grande époque de décolonisation qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, qui en a peut-être été l'effet principal, arrive un moment où certaines collectivités territoriales, petites, éloignées, séparées de la mère patrie ou de la métropole, ont besoin à la fois de préserver ce lien et de se sentir elles-mêmes. C'est ce que nous avons fait et je suis sûr qu'il faudra continuer dans ce sens.
- Un pouvoir partagé. Chers amis, est-ce que vous ne croyez pas que la France se sent mieux et se sentira de mieux en mieux si elle sait qu'un peu partout les responsabilités sont diffuses, que désormais le pouvoir, comme on dit, n'est pas la propriété d'un petit groupe social, socio-professionnel, d'une caste de privilégiés, mais aussi n'est pas la seule propriété des appareils politiques, des partis, des organisations militantes ? Que c'est l'affaire de tous, et je le répète une fois de plus parce que c'est ma conviction depuis le début de ma vie politique, parce que c'est le peuple qui, grâce à vous, est redevenu responsable ?\
Une société ouverte, un pouvoir partagé, et maintenant une économie qui avance. Oui, une économie qui avance.
- Ce n'est pas là qu'on attendait ce type de majorité, je veux dire cette majorité de progrès. Non, c'est vrai, ce n'est pas là qu'on attendait. Depuis toujours ces mêmes deux siècles, cela fait longtemps que le refrain a été entendu, il a fini par entrer dans les têtes sans vérification, à savoir que les uns savaient gérer et les autres pas !
- Quand on fait la comparaison entre le point de départ, ce que nous avons trouvé, et le point d'arrivée, nous n'avons pas cherché à chausser des lunettes, à froncer le sourcil, à montrer que nous étions imbattables dans le calcul des comptes. Nous avons tout simplement démontré qu'on pouvait faire mieux qu'on avait fait avant.
- Ce n'était pas suffisant, assurément. Il va falloir continuer. Comment ? Qu'ai-je dit ? Il va falloir continuer ? Mais c'est bien tout le problème ! Il va falloir continuer à ouvrir la société, il va falloir continuer à partager ou à redistribuer les responsabilités, il va falloir continuer à faire avancer l'économie, et à la faire avancer en même temps par plus d'égalité, car quel serait ce langage qui consisterait à dire - et certains le tiennent - que la France doit être plus riche et qui oublierait qu'en même temps cette richesse nouvelle doit être mieux partagée ?
- J'ai parlé tout à l'heure de l'inflation, c'est-à-dire de la hausse des prix. Oui, la hausse des prix ... Les ménagères qui vont faire leur marché - on parle toujours du panier de la ménagère -, mais il y a beaucoup de gens qui font leur marché, qui achètent des produits, souvent ils ne se rendent pas compte, enfin ils se rendent compte en gros que cela côute toujours plus cher. Mais en 1981, cela côutait 14 % plus cher que l'année d'avant, et l'année d'avant c'était quelque 10 %, et depuis cinq, six, sept ans c'était toujours 10, 9 et demi ou 12 %, c'était en somme une valeur arrachée à leur porte-monnaie pour obtenir le même produit, la même marchandise. Les cours d'économie politique, à ce niveau, sont simples, mais enfin ils n'ont pas toujours été faits à l'école. On n'a pas toujours eu le sentiment que cette perte du salaire réel était beaucoup plus grave que la perte nominale d'une fraction de salaire, car lorsque le salaire est amputé par la hausse des prix, c'est la ménagère, c'est le foyer qui devient plus pauvre, un peu sans qu'il s'en aperçoive.
- C'est parce que l'inflation, la hausse des prix a considérablement fléchi, de 14 %, 13,8 exactement, à 4,7 % en 1985 qu'en toute certitude, si cette politique est poursuivie courageusement, nous arriverons à la fin de 1986 aux alentours de 2 %. Nous sommes déjà au dessous de la moyenne de hausse des prix de la Communauté européenne.
- Nous avons besoin, ayant dépassé la plupart des autres, de rattraper notre voisine et amie l'Allemagne fédérale, parce qu'elle est notre principale cliente et notre principal fournisseur, de telle sorte que lorsqu'on fait le bilan de ce qu'on achète et de ce qu'on vend en Allemagne, on s'aperçoit qu'on perd des milliards, plus de 30 milliards, c'est-à-dire plus que le déficit qui est de 20 milliards du commerce extérieur, en marchandises, étant entendu, il faut bien le répéter, bien le noter pour ceux qui commenteront, qu'en ce qui concerne la balance des paiements, c'est-à-dire finalement ce qui reste, avec les assurances, le tourisme, avec un tas de choses, les comptes de la France en 1985 seront équilibrés. A l'heure actuelle, depuis trois ou quatre mois, avec le régime de croisière auquel nous sommes parvenus et qui doit normalement se poursuivre en s'améliorant pour des raisons objectives, telles que la baisse du dollar et celle du pétrole, mais aussi pour des raisons qui tiennent à la meilleure tenue de notre économie, nous faisons aussi bien que l'Allemagne fédérale. Il suffit de continuer. Alors s'il suffit de continuer, pourquoi rebrousser chemin ?\
Vous en voyez tout de suite les conséquences, et particulièrement vous, les gens du Nord, qui avez une profonde éducation industrielle. Vous voyez tout de suite la différence, à compter du moment où grâce à la chute de l'inflation, de la hausse des prix en France, les entreprises vendront mieux leurs produits, elles pourront mieux investir, c'est-à-dire mettre de l'argent dans de nouvelles machines qui seront plus productives, qui à la fois épargneront aux travailleurs une certaine peine et en même temps rapporteront davantage à l'entreprise, c'est-à-dire à l'entrepreneur, mais aussi aux travailleurs qui y vivent, qui rapporteront en nombre d'emplois.
- C'est pourquoi nous avons apporté cette réponse, avec Pierre Mauroy, avec Laurent Fabius, avec tous ceux qui ont pris part au gouvernement et dans chacune des régions, partout avec ceux qui ont pris part à cet effort politique difficile, incompris, à un moment même impopulaire : il fallait tenir le choc. Il fallait, c'est un mot qu'il faut constamment employer, nous l'avons appris dans notre propre jeunesse, il fallait "résister".
- Nous avons été accompagnés, les deux tiers du chemin, par d'autres formations politiques représentant ces masses populaires £ elles ont partagé courageusement la responsabilité de mesures dites de rigueur, et puis au moment où il s'est agi d'engranger les résultats - mais qui pourrait supposer que dans une période de longueur incertaine nous serions peu compris, mal compris, parfois même décriés, dans les milieux qui sont ceux-là mêmes de la majorité de progrès ? - ils n'ont pas su assurer la soudure, continuer l'effort, pour commencer à engranger les résultats.
- Et ces résultats, ils sont pour une part les leurs, mais ils sont surtout naturellement les résultats, oui, de l'effort de ceux qui n'ont pas lâché la rampe depuis 1981.\
J'ai dit tout à l'heure qu'il y avait des secteurs perdus de l'industrie, qu'il y avait des réussites - je pense aux télécommunications, au nucléaire, il y en a d'autres - il ne s'agit pas d'être manichéen : tout est bien d'un côté, tout est mal de l'autre ! Mais des secteurs entiers - et ça dit quelque chose par ici - comme le secteur textile, étaient perdus, mesdames et messieurs, il était perdu, et ce qui a sauvé, s'il l'a été, c'est le plan Dreyfus, soyez-en sûrs.
- De même, mais là j'aborde un sujet peut-être encore plus douloureux, celui de la sidérurgie car, pendant des dizaines d'années, on a égaré l'opinion, et notamment l'opinion ouvrière.
- On a distribué quelque 60 milliards, - 60 milliards de francs actuels - qui sont allés essentiellement améliorer la situation des actionnaires, ou des propriétaires, tandis qu'on s'enfonçait dans le désastre, qu'on allait ruiner des régions, qu'on allait perdre des emplois.
- Il a fallu se dresser, et se dresser contre, disons le clairement, presque tout le monde pour dire : "voilà, il y a des décisions courageuses à prendre si l'on veut que ça reparte, si l'on veut qu'on avance de nouveau après un temps de piétinement ou de recul". Eh oui, ça repart, la France avance, nous sommes dans un ensemble européen qu'il faut savoir respecter, même quand on souffre, parce que l'adversaire, ou plutôt le concurrent se trouve très loin de nous. Le vrai concurrent se trouve sur les bords du Pacifique, il se trouve partout où des gens, travailleurs organisés, intelligents, éduqués, mais aussi sur le -plan du travailleur de base, mal rémunérés, mal protégés socialement, là où en effet les lois de la concurrence sont biaisées, ne sont pas respectées, d'où tous ces protectionnismes qui ne portent pas leur nom, mais qui ont considérablement gêné la France.\
Eh bien, nous avons donné un mot d'ordre : "Moderniser".
- On en a souri en disant : "voilà, ils ont trouvé ça, ils en sont contents... Moderniser, cela n'a pas de contenu idéologique", mais je crois à quelques principes, à quelques explications fondamentales de la vie d'une société, de son passé et de son devenir... Est-ce qu'on peut appeler cela idéologie ? Je n'en sais rien, mais ce que je sais, c'est que lorsqu'il y a une crise, c'est-à-dire une révolution industrielle qui s'achève et qu'une autre arrive, il faut s'y adapter. Aussi longtemps qu'on ne s'est pas adapté, on souffre atrocement. Les industries traditionnelles s'effondrent, disparaissent, le nombre des chômeurs s'accroît, et c'est simplement avec l'arrivée des technologies modernes, pas simplement des industries modernes, y compris dans les industries anciennes, que, repartant d'un bon pied, vous assurez déjà pour la génération présente, mais aussi pour la génération qui vient, une capacité considérable d'emplois.
- Ce n'est pas vrai que la France est le pays qui a perdu le plus d'emplois depuis quatre ans, ce n'est pas vrai du tout. Nous en avons perdu, oui, quelque 400000 mais l'Allemagne - personne ne songe à considérer que son industrie va mal - pourtant, elle a perdu plus d'un million d'emplois. Quant à la Grande-Bretagne - mais la situation présente de ce pays voisin et ami est plus contestable - elle a perdu également plus d'un million d'emplois. Seuls le Japon et les Etats-Unis d'Amérique ont fait indéniablement mieux que nous, et le "mieux que nous" doit être tout à fait relatif car les résultats sont loin d'être suffisants. Nous sommes le seul pays, le seul grand pays d'Europe industrielle à avoir vu le chômage diminuer depuis le début de l'année 1985, le seul.
- Mais lorsqu'il reste plus de deux millions de chômeurs, qui ira - moi pas en tout cas - dans les salles de rassemblement populaire s'en réjouir ? Oui, nous avons, d'une certaine façon stoppé le mal, nous ne l'avons pas encore guéri et nous ne le guérirons qu'après avoir réussi dans les autres domaines : lutte contre l'inflation, restauration de notre balance extérieure, amélioration de notre outil de travail, modernisation, formation des femmes et des hommes appelés à gérer les machines modernes qui changent du tout au tout tous les cinq ans. D'où l'effort considérable réalisé par le plan Informatique pour tous à l'école £ - pas simplement à l'école - c'est ouvert à quiconque le veut dans la ville ou dans le village. Modernisation, formation, je le dis aux chômeurs, je ne m'étendrai pas dans des considérations qui apparaîtraient purement sentimentales, mais qui peut douter que ceux qui ont consacré leur temps à vouloir redresser la situation sociale sur la base d'une meilleure économie, qui veulent la justice - oui, ils en rêvaient, nous en rêvions, mais nous sommes là, il nous faut faire fabriquer, bâtir une société plus juste -, qui pourrait penser une seconde que, plutôt que de penser aux quelques 100000 chômeurs de moins par -rapport au début janvier 1985, je ne pense pas d'abord aux 2300000 chômeurs de trop ?
- Cela ne réjouira personne, mais il est vrai que nous avons réussi à avoir moins de chômeurs, et c'est vrai que la République fédérale d'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et d'autres ont vu le nombre de chômeurs s'accroître dans le même temps, ce qui veut dire qu'à comparaison sérieuse, la gestion de la France a été pour le moins raisonnable.\
Mais une économie qui avance, je l'ai dit tout-à-l'heure, suppose une plus grande égalité dans la répartition des profits, ce qui pose alors tout le problème des relations sociales et, d'une façon plus profonde ou, du moins, plus subtile, tout le problème des libertés. Voilà pourquoi le quatrième point est celui, en réponse à l'époque d'avant 1981, que j'avais qualifié : libertés compromises, libertés refusées. Nous voici maintenant dans une période où les libertés sont rétablies, celles qui étaient compromises et où les libertés sont conquises là où elles étaient refusées.
- Laissez-moi vous donner quelques exemples. Les libertés rétablies : vous pensez au système judiciaire, à sa complexité, à sa brutalité £ vous pensez à ces tribunaux d'exception ... çà fleurissait de tous les côtés et même il fut une période où quand un tribunal ne jugeait pas comme l'exécutif le voulait, on le dissolvait, on en fabriquait un autre. C'est la fin, maintenant, des juridictions d'exception. C'est le travail accompli, sous l'autorité de deux Premier ministres, par Robert Badinter, c'est la suppression de la peine de mort.\
Quant aux libertés conquises, elles sont si nombreuses que vous me permettrez d'aller à l'essentiel. Je parlerai, par exemple, des cultures régionales. Oui, il est quand même important de savoir que, dans des pays comme la Bretagne ou le Languedoc ou la Corse - et, pourquoi pas, dans tous les pays où on se sent, non pas manquer d'une âme française, mais avoir quelque chose en plus, les cultures ooriginelles et originales - son parler natal ou le parler de son père ou de son grand-père sera sauvegardé. Il y a des cultures qui font la culture, la culture de la France, qui font sa richesse.
- Je pense davantage aussi à l'audiovisuel. Les libertés refusées : on poursuivait impitoyablement quiconque voulait s'adresser aux autres autrement qu'en passant par les postes publics ou officiels. J'ai vécu cela, vous vous en souvenez peut-être, dans les années qui ont précédé 1981 et je ne suis pas le seul ici.
- Eh bien, aujourd'hui, il y a 1500 - vous entendez ? - 1500 radios privées. 1500, c'est beaucoup plus que 0 ! Quelquefois je me demande même, un peu effrayé : "n'est-ce pas un peu de trop" ? Ce n'est pas que j'annonce ici des mesures répressives, non, je dis simplement que c'est l'affaire de la Haute Autorité de l'audiovisuel, qu'elle va avoir du travail pour que la liberté soit respectée, car qu'est-ce que c'est que la liberté si personne ne peut en user, si chacun, dans une foule, marche sur le pied de son voisin et si telle radio privée élargit son audience en empêchant celle d'à côté d'être entendue. Mais je fais confiance à la Haute Autorité de l'audiovisuel pour mettre l'ordre nécessaire, c'est-à-dire assurer la garantie de la liberté.\
Et puis, les télévisions. Oh, je sais que cela a été matière à de très nombreux débats assez âpres. Je n'entrerai pas dans le détail, ce n'est pas mon affaire et ce n'est pas de ma compétence. Mais tout de même, il y avait trois chaînes, qui sont d'ailleurs de bonne qualité - 1, 2, 3 - on en a ajouté une quatrième, qui ne s'appelle pas 4, mais qui s'appelle "Plus" `Canal Plus`, on en a ajouté une cinquième, qui, elle, porte son nom, c'est la 5, on en a ajouté une sixième qui porte également le numéro d'ordre, c'est la 6 `chaîne musicale`, on en annonce une septième qui s'appellera autrement, c'est la chaîne culturelle, sur satellite.
- Naturellement, j'entends beaucoup de plaintes et il est possible que, sur bien des points, il faille corriger, améliorer les contrats de base. Mais ce n'est pas un "moins" pour les créateurs, pour les interprètes, les auteurs, tous ceux qui font la richesse de la culture, en France ! Ce n'est pas un "moins", c'est un "plus" ! Charge à nous de faire de ce "plus" se traduise en "mieux" pour les téléspectateurs. Je crois que les téléspectateurs ne sont pas fâchés d'avoir six chaînes ou sept plutôt que trois : le droit de choisir.
- J'ajoute que si nous n'y avions pas pensé, les technologies les plus audacieuses y auraient pensé pour nous. Songez qu'il a suffi d'installer quelques câbles à Cergy-Pontoise, dans le voisinage de Paris, pour que les gens de Cergy-Pontoise puissent déjà être en mesure de recevoir quelque 16 chaînes de télévision.
- Donc, nous avons épousé l'allure de notre temps. Mais c'est une conquête.\
Des télés privées, des radios privées, à côté du service public ! Je vous en conjure, Françaises et Français qui m'entendez, un secteur public qu'il faut préserver ! Car nous avons besoin de services publics soutenus par les Français, par les contribuables, pour produire ou rechercher en toutes circonstances la qualité, pour ne pas se laisser aller simplement à la plus vulgaire des compétitions commerciales, pour ne pas être soumis uniquement à la publicité, c'est-à-dire au pouvoir de l'argent. Il faut préserver le secteur public.
- Je vous dis cela à vous, qui êtes des électeurs, mais il faut le dire aux autres, car cela est du domaine normal d'une majorité, c'est du domaine normal d'un gouvernement. Il vaudrait donc mieux avoir des gens qui gouvernent et des gens qui légifèrent et qui soient partisans des libertés, qui soient partisans aussi de la qualité et qui ne s'empressent pas de distribuer le bien public, avec d'autres grandes industries aujourd'hui prospères qui appartiennent à la nation... Ne pas les vendre au rabais ! A qui donc ? A vous, là ? Au 4ème rang ? Au 10ème rang ? Au 40ème rang ? Au 200ème rang ? Vous pouvez acheter, vous, la télé ? Vous pouvez ? On vous dira : "mais si ! Vous pourrez acheter une petite part, participer au capital"... Vous pouvez ? Vous croyez ? Tout simplement, ce seront une fois de plus - on l'a bien vu pour la cinquième et la sixième `chaine` des groupes considérables qui seront seuls en mesure d'arracher à l'Etat ce qui était la propriété du peuple et de faire ce qu'ils entendent faire, c'est-à-dire gagner de l'argent. Mais gagner de l'argent comment ?
- Voilà pourquoi je pense qu'un juste équilibre entre le service public et les radios et télévisions privées correspond à une sorte - comment dirais-je ? - d'éthique - oui, une certaine façon de concevoir - et d'esthétique, une certaine façon d'aimer la beauté des choses et l'esprit créateur. C'est ce que je souhaite. Mais ce n'est pas moi qui peux en décider, c'est vous. Et pas simplement vous dans cette salle - pourtant, vous êtes nombreux ! - tous les autres, tous les Français. Ils ont le droit de préférer la majorité de leur goût.\
Moi, j'ai une préférence pour une majorité de progrès. J'ai bien mon droit de citoyen !
- On me dit quelquefois, lorsque je m'adresse à un vaste public, là, comme cela, oubliant que mes prédécesseurs en ont beaucoup plus largement usé et mesusé, on me dit : "Comment ? Alors, vous vous adressez au peuple ? Quelle audace ! Il ne faut pas ! Ce n'est pas digne d'un Président de la République " Et certains disent : "Vous êtes un chef de parti "
- Mais non, je ne suis pas un chef de parti. Je l'ai été. Ce n'est plus moi, vous l'avez peut-être appris... Ceux qui me connaissent le savent bien : C'est à cent lieues de mon esprit d'imaginer une seconde que je pourrais assurer la charge essentielle de la nation française sans chercher à rassembler, à réunir et à réconcilier. Je ne suis pas un chef de parti. Mais je m'adresse aux Français, et si les Français qui viennent m'entendre sont a priori, disons, enclins à plutôt approuver qu'à contester cette politique, pourquoi voulez-vous que je m'en plaigne ? Je dirais, à la limite : dommage qu'ils ne soient pas plus nombreux !
- Ce qui est d'ailleurs curieux dans cette affaire, c'est que ceux qui parlent le plus haut de "chef de parti", ce son ceux qui ne rêvent que de restituer aux assemblées parlementaires le pouvoir, excessif, qu'elles avaient autrefois. C'est-à-dire, outre le pouvoir de légiférer - cela, c'est le pouvoir absolument normal et qu'il faut de façon intransigeante respecter -, le pouvoir exécutif, celui de former les gouvernements. Elles peuvent les déformer, ou les renverser, mais les former, c'est organiser la confusion des pouvoirs ! Et ce sont eux qui veulent remettre le pouvoir au Parlement - celui-ci, qui sera élu demain, mais d'autres aussi, ceux qui lui succèderont. Une fois qu'on sera entré sur ce terrain-là, terrain mouvant, on s'y enfoncera, on s'y enfoncera jusqu'au cou. Ce sont ceux-là qui prétendent ne pas être des chefs, ou des hommes de parti... Parce qu'il y a des chefs de parti qui parlent comme cela, mais il y a aussi des hommes sans parti qui parlent d'une façon encore plus partisane que les chefs de parti !\
Enfin, que ces chefs de parti arrangent leurs affaires entre eux, ce ne sont pas les miennes. Je me contente de dire simplement que je ne ressens pas comme une insolence ou comme un injure le fait qu'on me rappelle qu'en effet il y a un certain type de société vers lequel, personnellement, j'incline.
- Oui, ce n'est pas pour rien que j'ai, avec beaucoup d'autres Français, assuré la montée vers le socialisme en France, un socialisme qui ne le serait plus s'il oubliait la liberté. Il n'y a pas de socialisme s'il n'y a pas de liberté.
- Eh bien ! Je dis - et je m'adresse au fond sans colère et sans amertume à tous ceux qui sont là, tous ceux qui m'entendent, qui m'entendront ce soir, demain - : l'orgueil de ma vie publique, c'est d'avoir fait en sorte, exerçant la plus haute charge en France, que jamais aucun individu n'a eu à souffrir dans sa liberté en raison de lois injustes ou par le comportement volontaire de ceux qui exercent le pouvoir.
- Oui, j'ai en effet mes préférences, mais je suis le Président de tous les Français. Je considère l'intérêt des autres comme plus exigeant encore que l'intérêt des nôtres, parce que ce devoir est encore plus exigeant, plus rigoureux. Ce serait trop facile que de porter un peu trop loin la préférence. En profondeur, je n'ai pas de préférence. Mesdames, messieurs, ce que j'aime, moi - je ne suis pas le seul non plus - c'est la France, ce sont les Français.\
Mais avant d'aborder le dernier point de mon exposé - on me dira que c'est un peu long, mais pour une fois qu'on est ensemble, non seulement, moi, je ne m'ennuie pas, mais ça me plaît ! Bien entendu, je ne peux pas garantir qu'il en aille de même pour tout le monde !
- Mais puisque je parle des libertés rétablies, des libertés conquises, je pense aussi à tous ces phénomènes qu'on appelle culturels, à ce formidable épanouissement culturel, cette envie et cette capacité, cette possibilité de créer, d'inventer, en trouvant le support de la puissance publique qui, à aucun moment, n'a voulu imposer de modèles esthétiques, qui a aidé tous ceux qui en avaient besoin, de quelque école de pensée ou d'art qu'ils se réclament. Nous avons naturellement augmenté considérablement les crédits. Encore fallait-il que ces crédits fussent intelligemment gérés. Et nul aujourd'hui ne peut le contester, la floraison intellectuelle, culturelle, de ces dernières années, n'a pas connu d'équivalent depuis longtemps, et je craindrais qu'elle n'en connaisse pas d'ici quelques temps si l'on devait rebrousser chemin !
- Oui, après tout, cette fête, cette fête dans la rue, cette fête dans les espaces nouveaux que les deux gouvernements ont créés en dominant bien des résistances, oui, la fête dans le bon sens du mot, la fête comprise comme un moyen pour des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers, des millions de Français, de partager dans le même moment les mêmes émotions et de se sentir plus proches les uns des autres, de se comprendre mieux, ayant encore un peu plus envie d'être ensemble, et dépassant tous les clivages politiques. Il n'y a pas de parti de ceci, de parti de cela, lorsqu'il s'agit d'écrire en français, lorsqu'il s'agit d'exprimer une pensée forte, lorsqu'il s'agit de représenter des beaux gestes, lorsqu'il s'agit d'exprimer des arts plastiques, lorsqu'il s'agit de peindre, de sculpter, de bâtir £ tous les Français ont en eux une capacité de création, par l'école d'abord, mais aussi par les écoles spécialisées, formatrices pour les jeunes, que nous avons considérablement développées au cours de ces derniers temps. Je l'ai vu en Arles, il n'y a pas si longtemps, lorsque je me trouvais à l'Ecole nationale de la photographie, mais je pourrais, croyez-moi, aller tous les jours, jusqu'au 16 mars - je ne le ferai pas - je pourrais tous les jours aller inaugurer des Ecoles nationales de toutes sortes qui touchent à la promotion des arts et des lettres en France.\
Eh bien ! Est-ce que la France ne se sent pas mieux, lorsqu'elle se dit : voilà, je peux inventer, les crédits de la recherche ont été multipliés comme nulle part au monde ! Est-ce que la France ne se sent pas mieux d'avoir plus de techniciens formés, plus de savants, plus de gens qui cherchent, et donc de gens qui trouvent ? Est-ce que ce n'est pas non plus exaltant pour la jeunesse, toutes les formes de conquêtes de l'espace ? On a dit le quinzième tir d'Ariane... Oui, mais enfin, aujourd'hui, ils vont réussir le seizième. Qui oserait faire mauvaise mine lorsque des gens de travail et de science échouent, lorsqu'on voit l'admirable effort du peuple américain, sachant dominer sa peine et sa douleur `explosion de la navette Challenger`, et contribuer, continuer, toujours continuer £ ce qui est la signification profonde de son histoire, mais aussi de la nôtre.\
Mais voyez-vous, mesdames et messieurs, une menace pèse sur nos libertés, sur ces libertés. Ce ne sont pas des menaces directement politiques, même si je crains qu'on ne rogne sur les acquis culturels comme on pourrait rogner sur les acquis sociaux, sur les acquis économiques. Non. Je pense à autre chose, je pense au terrorisme.
- Aucune société ne peut se développer dans la démocratie sans vaincre toutes les formes de terrorisme.
- Mesdames, messieurs, chers amis, la France est attaquée, elle doit se défendre, et le premier devoir des responsables, gouvernement et moi-même, c'est de la défendre par tous les moyens qui sont à la disposition d'honnêtes gens. La France est attaquée et je veux la défendre.
- On cherche peut-être, à l'étranger, à frapper l'opinion pour faire reculer le gouvernement français dans ses entreprises de politique extérieure, dans ses choix et dans ses amitiés. Eh bien ! Je vous le dis, le gouvernement de la République ne traitera pas et l'opinion le suivra.
- Il en est quelques-uns, pas tous, qui osent dresser l'acte d'accusation contre les autorités légales de leur pays, dès lors qu'éclate ici ou là un explosif fait pour terrifier, pour provoquer la peur, la colère, l'amertume, des mouvements irréfléchis, le désarroi, la désagrégation d'une société, le changement d'une politique qui mérite d'être suivie. Mais je leur dis : "pour frapper l'opinion, vous voulez faire reculer le gouvernement. Je vous annonce que le gouvernement ne reculera pas, et je vous annonce que l'opinion le suivra, lui, gouvernement de la France, s'il s'agit de dresser le barrage contre les actes terroristes et contre ceux qui cherchent à s'en servir". J'ajoute : non, non, ce n'est pas le terrorisme qui choisira le gouvernement de la France !
- Et je suis sûr que dans tous les partis, que dans toutes les formations politiques, les vrais responsables le comprennent. J'ai observé qu'ils le comprenaient. Ils se sont conduits loyalement à l'égard de la démocratie. Cela doit être dit £ je suis sûr que partout, là où l'on est responsable, on le comprend et on l'admet, hors quelques écervelés, ou démagogues de la pire espèce, qui croient faire leurs affaires avec le sang des autres.
- J'ai réuni tout aussitôt, après les attentats coup sur coup à Paris, le Premier ministre et les ministres directement responsables de l'ordre public £ puis le Premier ministre a tenu un Conseil restreint pour décider des mesures indispensables. Le ministre de l'intérieur `Pierre Joxe` travaille, on peut l'imaginer, avec sa capacité de travail, de patience, avec sa volonté de servir le pays £ nul n'a le droit de gêner ses efforts.\
Alors, mesdames, messieurs et chers amis, la conclusion de tout ce que je viens de dire est : ouvrir, ouvrir la société, un peu d'air, je vous en prie, ouvrir la société... - comme elle était bloquée - £ partager les pouvoirs - pouvoir, contrepouvoir - £ institutions décentralisées, tout cela est bien nécessaire £ améliorer l'économie qui, hier, était en déclin, qui maintenant prend de l'avance £ reconquérir des libertés, en gagner d'autres. Voilà un beau programme ! Il n'est possible que si nous avons la capacité de regarder autour de nous, sur tous les -plans : économique, social et politique.
- On regarde devant soi, autour de soi. L'axe majeur, l'axe premier de la politique extérieure de la France, c'est l'Europe - il faut bâtir l'Europe - pas n'importe quelle Europe, une Europe organique, une Europe capable, pour les compétences qui lui sont reconnues, de décider. Une Europe capable de décider à la majorité, plutôt que de recourir aux moyens de l'ancienne Diète polonaise, avec une unanimité exigée dans tous les domaines, ce qui veut dire : impuissance, carence, et finalement, échec. Il ne faut pas que l'Europe échoue. C'est une des traditions de la France, de ces trente dernières années, que de rechercher à bâtir l'Europe, d'abord par la réconciliation franco-allemande, ensuite par l'-institution de structures durables, autour d'un traité de base qui s'appelle le Traité de Rome - 1957 -, autour des accords subséquents dont le dernier s'appelle Accord du Luxembourg, qui décide d'ajouter aux compétences communes des douze pays de l'Europe, d'ajouter aux transports et à l'agriculture, l'environnement, la technologie, la pêche, et que, peu à peu, par le canal d'un marché unique, ou entrent 320 millions - 320 millions ! - d'habitants, plus qu'il n'en existe aux Etats-Unis d'Amérique, 320 millions d'Européens vont pouvoir bâtir ensemble la puissance économique et commerciale qui fera de l'Europe la première puissance du monde !
- Certes, il y manquera le couronnement politique, je veux dire un couronnement politique à la mesure de l'effort à accomplir. Eh bien, c'est à cela que la France travaille. Elle y a travaillé avant nous, elle y travaille avec nous, et je suis de ce point de vue assez convaincu qu'elle y travaillera dans les décennies qui viendront, parce que les Français ont désormais compris que la dimension européenne était leur façon à eux d'être Français, de le rester, de grandir, de développer leur langue. Et l'on réunira tous les pays francophones, dans la semaine qui vient, pour la première fois, après tant d'années d'espoirs généralement déçus. Oui, la France trouvera sa véritable dimension par le moyen de l'Europe dont il faut maintenant construire l'unité politique.\
Il faut aussi développer nos relations avec le tiers monde. Nous avons aujourd'hui une position immense auprès des 2/3 de l'humanité. La France, oui, la France a pris position, dès Mexico et dès Cancun, pour les droits des pays du tiers monde, le droit de vivre, le droit de se nourrir, le droit d'échanger. La France, en toutes circonstances - elle n'est pas la seule - a assumé la responsabilité de la -défense des droits de l'homme. La France n'a jamais accepté de se laisser entraîner dans les fanatismes concurrents, ni au Proche-Orient, ni en Amérique centrale, ni en Afrique australe, ni dans le Moyen Orient ni en Extrême Orient. Nulle part, nulle part sur la surface de la planète nous n'avons consenti à être les défenseurs d'un camp, si cela signifiait l'écrasement d'un autre ! Nous connaissons notre histoire, nous connaissons notre géographie, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qui est l'un des éléments fondamentaux, tout simplement des droits de l'homme !.\
Eh bien ! Mobilisez-vous, mobilisez-vous, Françaises et Français ! Ouvrez votre société ! Croyez que vous réussirez par ce moyen, mieux qu'en la refermant ! Diffusez les pouvoirs et les responsabilités, vous ferez la démocratie moderne, la vraie démocratie ! Ces mots, non plus, n'appartiennent à personne, mais s'ils prennent une signification particulière, tout à fait légitime, c'est tout de même par là que la démocratie se modernisera. C'est-à-dire qu'il y aura plus de citoyens responsables, qui connaîtront les affaires et qui les gèreront. C'est aussi simple que cela.
- Le développement de notre économie, la sauvegarde des libertés, leur conquête ou leur reconquête, la -défense des droits de l'homme dans le monde, la construction de l'Europe, et la France, dans tout cela, toujours ouverte, sans haine pour personne, s'étant débarrassée de tous ses restes de nationalisme, mais ayant accru, au contraire, sa charge patriotique.
- Oui, la France, notre patrie !... La France, notre patrie !... J'ai prononcé ce mot en 1981, cela a été presque mes premiers mots et l'on m'a dit que cela avait étonné : la patrie, on ne l'avait pas oubliée dans les coeurs mais on n'en parlait plus... la patrie !... La France, notre patrie... L'Europe, notre patrie !
- Nous aurons à bâtir les institutions. Tout est difficile, il faudra des générations, il faudra des sacrifices, des efforts qui ne seront pas toujours récompensés. Il y aura des reculs, il y aura des échecs. Il y aura la volonté, l'espoir.
- La France, la patrie française a la chance de posséder une vocation universelle qui fait qu'elle a compris, depuis le premier jour, le langage des autres, pas toujours le langage parlé, mais le langage que les pensées expriment, que les sentiments transmettent. C'est toute l'histoire du monde dont nous sommes comptables, ou du moins dont nous avons le sentiment d'être comptables. Qu'il se passe quoi que ce soit dans le monde, que de fois vous l'ai-je dit - pour qui sonne le glas ? reprenant le thème d'Hemingway - "il sonne pour toi, lorsqu'une liberté est perdue quelque part dans le monde, il sonne pour toi". La France a depuis longtemps cette tradition profonde de considérer que toute liberté perdue, que toute mort, que toute torture, que tout supplice contre une homme, une femme, un être humain, dans le monde, c'est aussi une torture, un supplice, une mort pour elle.\
Quand on développe tout cela à Lille, dans cette ville qui compte tant dans le destin français, dans cette ville que vous aimez, que vous servez, avec les élus de ce département, de cette région et au-delà, lorsqu'on s'adresse à elle, comme je l'ai fait tout-à-l'heure dans son hôtel de ville, et que dans notre mémoire aussitôt s'inscrivent tous les faits qui ont marqué les victoires de la France en même temps que la poursuite démocratique et forte des conquêtes du peuple, des conquêtes ouvrières. Tout cela se trouve symbolisé dans ces murs, tout cela est inscrit dans votre paysage. Combien, au-delà, sentiront que tout ce que j'ai dit devait être dit à Lille, notamment parce que je parle devant le premier responsable qui a conduit les affaires de la France dans la période, qui n'est pas achevée, de grandes réformes, qui a amorcé avec son gouvernement la bonne gestion heureusement continuée - chacun à sa manière et son tempérament - dans la même direction.\
Eh bien, je le répète, oui, moi je me sens à l'aise. Je dis : ça ira mieux pour la France ... mais moi, ça va très bien.
- Je me sens naturellement affronté à quelques difficultés que certains pressentent. Ils y insistent beaucoup. On me fait un schéma, ou un dessin : le labyrinthe ! Mais qui m'a appris que dans le labyrinthe il y avait aussi une façon d'en sortir qui s'appelait le fil d'Ariane. Le fil d'Ariane, qu'est-ce que c'est ? C'est la loi, c'est la démocratie, c'est la Constitution, dans ce qu'elle a de bon et de durable. Vous savez, avec ce fil d'Ariane, - ne vous faites pas de souci - je ne me perdrai pas !
- Mesdames, messieurs, si nous avons fait des progrès, si cette majorité de progrès a réussi suffisamment dans son action pour justifier l'espoir, mieux que d'autres quand même, alors n'est-il pas logique, n'est-il pas raisonnable de demander aux Français de résister à certaines de leurs envies, et de leur dire : "croyez-moi, il faut continuer, pas simplement pour faire la même chose, pas pour se répéter, pour faire mieux ?" Quand on a été capable de faire mieux, on peut faire mieux encore.
- Nous ferons mieux, et d'autant plus que se dessinera une majorité réelle, sincère, unie, d'autant plus que le Président de la République que je suis n'aura jamais à l'égard de quelque Français que ce soit un mouvement de refus, un mouvement de rejet, mais dira à tous : oui, rassemblez-vous ! Vous êtes filles et fils du même peuple, produits de la même histoire. Vous avez à bâtir le siècle prochain.
- Vous toutes et vous tous, plus jeunes que moi, le siècle prochain, c'est votre jardin, c'est votre domaine. Nous commençons d'ensemencer, mais la moisson sera là. Dans pas longtemps, il faut 15 ans pour y arriver. 15 ans, pour certains, c'est un peu long, mais pour la plupart d'entre vous c'est à portée de la main.
- La justification d'une vie et d'une action, c'est de pouvoir vous dire en toute conscience : Françaises et Français, ne rebroussez pas votre chemin. Continuez dans la même direction, mais aussi rassemblez-vous, unissez-vous ! une fois dépassées les compétitions de la démocratie dans lesquelles vous saurez garder la mesure, sachez qu'ensemble vous êtes la France et que la France durera bien longtemps après vous, bien longtemps après moi, que ce sont les fils et les filles de nos fils, de nos filles qui poursuivront la tâche.
- Ne seraient-ils pas en droit de dire à la génération d'aujourd'hui : "mais pourquoi donc en 1986 avez-vous rebroussé chemin, alors que nous allions récolter enfin les fruits de votre action ?"
- Merci. Vive Lille ! Vive la République, Vive la France !\