16 janvier 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien avec la presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de la visite aux Forces françaises en Allemagne à Baden-Baden en présence du Chancelier Kohl, sur la coopération militaire franco-allemande, jeudi 16 janvier 1986.

Mesdames et messieurs,
- Vous savez pour quelles raisons je me suis rendu à Baden-Baden. Mon intention initiale était de visiter les Forces françaises en Allemagne et j'ai pensé tout aussitôt qu'il était bon de profiter de cette occasion pour élargir la signification de cette visite. Je m'en suis entretenu avec le Chancelier Helmut Kohl et nous avons mis au point cette rencontre, cette démarche commune, cette présence devant nos troupes. La signification de ce qui s'est passé ce matin, revue militaire, conversations entre le Chancelier et moi-même, conversations entre différents échelons de l'autorité politique, ministres et les autorités militaires, nous ont permis d'examiner, en approfondissant chaque fois, les conditions de la coopération franco-allemande.
- Inutile de vous dire que ces conversations se sont bien déroulées. Quand le Chancelier se sera exprimé, nous aurons bien un peu de temps, nous n'avons pas l'intention de faire une conférence de presse, mais nous pourrons échanger quelques propos.
- QUESTION.- Monsieur le Président, pouvez-vous rassurer les milieux français et allemands qui craignent que la puissance du feu conventionnelle souffre des restrictions budgétaires dues entre autres aux préférences accordées à la force de frappe ? Est-ce que vous êtes disposé à accepter la demande allemande concernant les consultations préalables, c'est-à-dire avoir l'utilisation des armes nucléaires dites préstratégiques, je pense au Pluton et à la demande que l'Allemagne a déjà formulée envers les autres puissances nucléaires occidentales, c'est-à-dire l'Angleterre et les Etats-Unis ?
- LE PRESIDENT.- La stratégie autonome de dissuasion française forme un tout et ne se résume pas aux simples forces directement vecteurs ou armements nucléaires. C'est pourquoi nos différentes armes se développent en même temps, y compris, donc, les armes dites conventionnelles. Ce sont les armes qui sont sur le terrain. Ce sont les hommes qui sont même, pourrais-je dire, l'essentiel. On ne pourrait concevoir leur absence de ce dispositif. Selon les besoins, c'est tel ou tel type d'armement qui se trouve privilégié, mais au total tout doit marcher de pair. Actuellement, la part des armées dans le budget français est, par -rapport au produit intérieur brut de la France, la plus élevée qu'on applique. Et, à l'intérieur de ce pourcentage, les forces dites conventionnelles ont reçu une part importante. Mais en fait l'armement nucléaire qui connaît bien des perfectionnements n'a pas vu sa part accrue.
- C'est vrai que notre objectif essentiel par la force de dissuasion est d'assurer la défense de notre pays, dans le -cadre de l'alliance `Alliance atlantique` dont nous sommes solidaires. Cela exige une série d'armements comme l'on dit "hautement sophistiqués", dont on voit l'exemple le plus typique par l'armement des sous-marins nucléaires. Mais cela ne doit pas faire oublier le rôle du fantassin, de l'artilleur, du train des équipages des armées de terre, qui particulièrement en Allemagne, en raison de la situation géographique, remplissent un rôle éminent. L'exposé de M. le Général commandant en chef des Forces françaises en Allemagne, qui vient d'être prononcé avant que nous entrions dans cette salle, le démontre amplement.\
Je répondrai ensuite à la deuxième question. La coopération franco-allemande est aisée à définir et à cerner dans le domaine conventionnel ou classique. Il s'agit de rencontres entre les ministres responsables, entre les états-majors responsables, il s'agit d'actions sur le terrain, de manoeuvres, d'échanges d'informations, d'études stratégiques, tactiques. Un point sensible touche à la géographie, la stratégie, c'est-à-dire la ligne fixée déjà depuis longtemps derrière laquelle se trouve l'armée française en retrait du dispositif de l'OTAN. Mais enfin ce sont des problèmes, je le répète, qu'il est facile de cerner et de définir.
- Le problème nucléaire est plus délicat puisqu'il s'agit là d'une arme typiquement nationale qui relève du seul commandement français, en particulier de l'ordre du Président de la République française. Au demeurant nos deux pays, depuis la dernière guerre, n'ont pas sur ce -plan-là le même statut international. A partir de là, les consultations sont parfaitement normales. Je veux dire qu'il est normal de les prévoir. Mais la -nature même de ce type de combat suppose l'extraordinaire rapidité de décisions. S'il s'agit de l'emploi d'armes stratégiques le problème doit être examiné à la fois par la France, en tant que tel, mais aussi dans sa relation interne à l'Alliance atlantique. Pour ce qui touche au préstratégique, disons le mot, de toutes formes de guerres qui affecteraient directement le territoire allemand, je conçois parfaitement que l'on mette au point un certain nombre de systèmes de consultations. Mais, je le répète, la -nature même de ce type de combat fait que la décision ne peut pas être partagée.
- Quant aux modes de consultations, quant aux précautions à prendre, eh bien, le Chancelier et moi nous en parlons, et cette conversation doit continuer incessamment.\
QUESTION.- Monsieur le Président et monsieur le Chancelier, est-ce que vous permettez que j'aborde un sujet moins spécifiquement militaire en vous demandant aujourd'hui qu'elles sont les chances d'une participation de l'Allemagne au projet Hermès ?
- LE PRESIDENT.- Le Chancelier vient de s'exprimer. Je souhaite très vivement que la République fédérale allemande puisse participer à Hermès. Le Chancelier et son gouvernement sont saisis de ces propositions tout à fait conformes aux engagements européens de la France. Sur le-plan français, ce souhait que j'ai tant exprimé, bien entendu, nous continuerons d'aller dans ce sens, c'est-à-dire de prévoir la fabrication d'Hermès et après quoi sa mise en service.\