12 décembre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de la séance d'ouverture de la 12ème conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique à Paris, notamment sur la dette extérieure et l'aide au développement des pays africains, la politique étrangère de la France en Afrique, Paris, jeudi 12 décembre 1985.

Messieurs les présidents, Messieurs,
- Nous ouvrons la séance, qui est la séance d'ouverture de la 12ème conférence des chefs d'Etat d'Afrique et de France. Cette réunion a lieu à Paris, selon le rythme déjà établi qui veut qu'une année sur l'autre nous nous retrouvions soit en Afrique, soit en France. L'année dernière nous avions le plaisir d'être reçus par M. le président du Burundi `Jean-Baptiste Bagaza`, que je tiens encore à remercier pour l'excellence de sa réception, l'agrément de son pays et le sérieux des débats. Vous aurez à décider de la capitale où nous nous rendrons l'an prochain £ des suggestions vous seront faites et je ne doute pas que l'année prochaine, comme chaque année, nous n'ayons grand intérêt à nous retrouver pour débattre des grands projets qui nous concernent tous.
- Je remercie les chefs de délégations d'avoir bien voulu se rendre dans mon pays. Ils sont très représentatifs de ce grand continent. Ils représentent les intérêts les plus divers £ ils sont reliés, pour la majorité d'entre eux, par la communauté de culture, à la fois leur culture d'origine et la culture française £ d'autres sont venus d'autres zones africaines, ont été nourris à d'autres sources, mais, eux aussi, à des sources africaines profondes, car il ne faut jamais oublier que la dominante c'est l'Afrique et que vous êtes tous Africains. Chacun d'entre vous est le bienvenu. Ceux qui relèvent d'autres cultures, d'autres formes d'expression doivent se savoir ici accueillis fraternellement.
- De même je saluerai ceux qui, depuis longtemps, j'allais dire depuis toujours, du moins leur pays, certains depuis toujours ont fondé cet organisme, lui ont assuré sa permanence, lui ont donné sa vraie valeur. Inutile que je cite des noms £ chacun les a dans l'esprit. Qu'ils en soient eux aussi profondément remerciés.
- Messieurs les chefs d'Etat, messieurs les chefs de gouvernement, messieurs les chefs de délégations, avant d'évoquer devant vous les grands problèmes qui nous préoccupent et qui seront au coeur de nos débats, laissez-moi vous dire la joie que je ressens de vous accueillir à l'occasion de cette conférence franco-africaine dont je vous ai dit qu'elle était la douzième. Soyez certains qu'en vous retrouvant j'éprouve profondément le même sentiment que lors de nos précédentes rencontres : celui de vivre un moment significatif et privilégié.
- Il est significatif, en effet, que nous manifestions, depuis longtemps déjà, la volonté de nous réunir pour échanger nos idées, pour resserrer nos liens. Voilà qui tendrait à démontrer que s'il existe, dans le monde, des forces de séparation, d'antagonisme entre les Etats, il y a aussi, au moins en ce qui nous concerne, une aspiration très forte au dialogue et à la concertation.
- Face aux multiples problèmes que nous devons affronter, la sagesse nous conseille, sans nier les divergences ni les différends, d'agir de concert. Et je veux insister sur la double solidarité qui commande notre avenir : solidarité des pays africains entre eux, solidarité entre l'Afrique et la France, entre l'Afrique et l'Europe.
- Il existe une grande organisation, l'Organisation de l'Unité Africaine, dont je salue ici le président en exercice, le président Abdou Diouf. Cette conférence, entre nous, n'a pas pour objet, loin de là, de se substituer à la seule organisation qui ait compétence pour débattre des problèmes de l'ensemble de l'Afrique, ou pour représenter l'Afrique dans le reste du monde.
- C'est une démarche originale que la nôtre : informelle, dont l'ordre du jour est maléable à tout moment, qui n'entend pas régler les problèmes qui ne sont pas de notre ressort, qui est une consultation, une façon de mieux approcher les questions graves qui nous sont communes ou qui peuvent devenir communes, et c'est une façon de contribuer, d'aider au développement des grandes institutions, en particulier de celle dont je viens de parler.\
Alors, quelles sont les quelques grandes questions qui viennent à l'esprit ? D'abord, que l'Afrique puisse nourrir les Africains et qu'elle assure son propre développement.
- S'il est vrai que depuis l'an dernier, d'une façon générale, l'économie mondiale va mieux, cette reprise n'en est pas moins fragile, précaire. Les déséquilibres de fond ne sont pas résorbés. Plus grave encore, on assiste à une accentuation des écarts entre les pays en développement, au détriment de l'Afrique. Je n'oublie pas que la sécheresse de l'an dernier a provoqué une famine dramatique et révélé d'une manière cruelle les handicaps structurels des états africains, dont plusieurs comptent parmi les pays économiquement les moins avancés. Cela n'a pas facilité les choses. C'est le moins qu'on puisse dire. Et puis la pression démographique entraîne des difficultés grandissantes pour faire face aux besoins alimentaires des populations. Un témoignage : la baisse de 15 pour cent des indices de production en 10 ans et les efforts douloureux d'ajustement empêchent d'enrayer la baisse de revenus par tête.
- Les pluies de cet été vont permettre des récoltes plus satisfaisantes, dans l'ensemble, et j'espère le retour à une situation alimentaire plus normale avec cependant, dans quelques pays, le maintien de la pénurie. Cette amélioration globale, dont nul ne peut prévoir la durée, ne doit pas nous cacher les déséquilibres de fond que connaissent les agricultures.\
Et je dois dire que face à ces difficultés, rien ne se fera sans le courage et le réalisme des pays africains. Rien ne se fera non plus sans une mobilisation durable et massive de la communauté internationale. Le courage, le réalisme, vous l'avez montré et avec quel éclat, au dernier sommet de l'OUA où a été adoptée une résolution sur la situation économique de l'Afrique, dont il faut retenir les points forts :
- le premier, le développement du continent incombe - je cite : "au premier plan", aux gouvernements africains.
- Le deuxième, c'est la part des investissements publics dans le secteur agricole qui doit être accrue substantiellement afin de parvenir à l'autosuffisance alimentaire £
- - le troisième, le remboursement de la dette extérieure est une obligation que les Etats membres doivent honorer.
- Mais j'ai entendu aussi l'appel lancé à la communauté internationale. En effet, au-delà des aides d'urgence auxquelles la France a contribué cette année, plus de 310000 tonnes, sans compter toute une série d'aides de céréales, qui font passer ces chiffres, par d'autres manières, grosso modo à 400000 que ce soit à -titre bilatéral ou à -titre multilatéral, seule une démarche volontaire peut permettre d'éviter que les écarts ne continuent à se creuser entre les riches et les pauvres. Les obstacles, nous connaissons tous - j'insisterai en particulier sur les conséquences de la nouvelle baisse des prix des matières premières et sur l'alourdissement de la charge de la dette. Ce sera sans doute une part de nos conversations. S'il est indispensable que les pays emprunteurs respectent les engagements contractés, il est aussi nécessaire que le fardeau soit partagé quand la charge devient insupportable.
- Il est impossible d'accepter comme seule perspective d'avenir la récession, sans espoir de retour au développement et donc sans espoir d'amélioration du sort des populations. Cela est impossible.
- Et c'est la thèse que la France défend dans toutes les instances, les enceintes internationales : aux indispensables politiques d'ajustement menées par les pays africains doivent répondre des efforts des pays industrialisés dans les domaines du commerce, de la monnaie, de l'aide au développement. C'est un impératif de solidarité, de justice £ c'est aussi l'intérêt général car ces réformes conditionnent le retour à la croissance de tous les pays. C'est travailler pour les autres £ c'est aussi travailler pour soi.\
Je pense que ce retour à la croissance doit se diriger de trois façons :
- D'abord, c'est la baisse des taux d'intérêt qui, malgré une amélioration, demeurent trop élevés. Cette baisse est indispensable. Il faut également parvenir à une meilleure stabilité des taux de change. Certes, dans ce domaine des progrès ont été enregistrés, grâce à l'accord conclu en septembre dernier par les ministres des finances des cinq principaux pays industrialisés. Pour la première fois il a été reconnu que le libre jeu du marché ne reflétait pas toujours les données économiques fondamentales et on s'est finalement entendu, contrairement à certaines théories développées précédemment, pour intervenir sur le marché des changes.
- Pour moi c'est un pas en avant important. Mais je pense qu'il faut aller plus loin dans l'aménagement du système monétaire international.\
Ensuite une autre condition de retour à la croissance est le recul du protectionnisme. Les négociations commerciales multilatérales n'auront de sens que si les pays en développement y participent pleinement et librement. Leurs intérêts doivent être préservés, car la compétition finalement tourne toujours à l'avantage exclusif des plus forts. Voilà une exigence. C'est d'ailleurs une des conditions de la participation de la France à ce processus de négociations.
- Le recul du protectionnisme n'est quand même pas suffisant. Il doit aller de pair avec la poursuite d'autres efforts en particulier dans l'organisation des marchés mondiaux. C'est très difficile. Les problèmes que connaissent aujourd'hui les accords internationaux de produits nous le rappellent. Il faut une volonté pour maîtriser les conséquences des fluctuations brutales des prix des produits de base, qui constituent pour la plupart d'entre vous une source irremplaçable de recettes extérieures.
- A -titre d'exemple : la déstabilisation du marché du coton par l'irruption massive des produits américains ou chinois - certains d'entre vous l'ont perçu cruellement - a provoqué un effondrement des cours qui aura des conséquences graves sur les économies des pays africains. Comment ne pas penser aux états du Sahel déjà si souvent frappés, je pense à la République centrafricaine, au Mali, au Togo, enfin à d'autres encore.
- Et c'est parce que j'étais conscient de ces risques que j'ai donné instructions au gouvernement de la République française pour qu'il lutte afin d'obtenir un renforcement du STABEX dans la troisième Convention de Lomé.
- Enfin vous aussi, vous pouvez agir en organisant des marchés au niveau régional. Vous n'êtes pas démunis de moyens. Un développement harmonieux des productions, notamment alimentaires, sera facilité par la -constitution d'espaces économiques de dimensions suffisantes où pourront s'exprimer les complémentarités naturelles et où vous pourrez atténuer la compétition ou la rudesse de la compétition aveugle du marché international. L'existence, cette année même, d'excédents dans certains de vos pays, pourrait provoquer localement une chute des prix et décourager les producteurs. Cela existe. Ces effets peuvent être atténués grâce à une coopération régionale tandis que les pays industrialisés peuvent et même doivent y contribuer par une aide triangulaire et des financements adaptés.\
La troisième condition d'un retour à la croissance est d'assurer aux pays du tiers monde et d'abord à l'Afrique de nouveaux apports financiers publics et privés. La naissance d'un consentement, d'un consensus comme on dit, de la communauté internationale en faveur de l'Afrique me paraît être un des éléments les plus positifs de l'action de la France. Et l'Europe a donné un premier signe encourageant à l'occasion de la renégociation de la Convention de Lomé en maintenant, comme je l'avais demandé, les moyens du 6ème Fonds européen de développement, mais en valeur réelle.
- Cette détermination, je l'affirme à nouveau, comme je l'ai manifestée à l'occasion de la création du Fonds spécial pour l'Afrique, Fonds de la Banque mondiale, qui va engager très prochainement ses premières opérations. Vous savez que la France a pris cette initiative, et pris aussi l'initiative d'un financement.
- Je crois que nos thèses commencent à être entendues. Les mesures encourageantes ont été adoptées à Séoul avec particulièrement la décision de recycler en faveur des pays les plus pauvres, les 2,7 milliards de dollars provenant des remboursements du Fonds fiduciaire. L'Afrique devrait bénéficier dans l'avenir de 60 % des ressources ainsi dégagées. Ma conviction, voyez-vous messieurs, est qu'il faut aujourd'hui poursuivre cet effort d'aide au développement tout en réfléchissant aux moyens de renforcer la coordination entre les différentes sources de financement.
- Il vous appartient à vous de profiter de cette conjoncture plus favorable pour préparer les prochaines échéances que sont le Comité de développement du printemps et la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies.\
Sur mes instructions, le gouvernement français s'est prononcé en faveur de la convocation de cette session extraordinaire `de l'Assemblée générale des Nations unies` et aussi pour que l'on procède, ultérieurement, à l'examen particulier de la dette africaine. Nous avons eu un dialogue avec M. le Président en exercice de l'OUA `M. Abdou Diouf`, et nous avons constaté la convergence de nos intentions.
- En effet, si l'endettement de l'Afrique au sud du Sahara - avec plus de 70 milliards de dollars - peut paraître faible par -rapport à celui de l'ensemble des pays en développement qui dépasse, vous entendez bien, 950 milliards de dollars, c'est quand même une charge très lourde, trop lourde pour l'économie des pays africains. Le service de la dette a connu depuis 1983 une forte augmentation £ il devrait atteindre en 1985 près de 12 milliards de dollars, soit plus du quart de vos recettes d'exportation. Voilà pourquoi nous sommes prêts, si vous le souhaitez, à collaborer avec vous pour préparer le prochain Comité du développement.
- Dans le débat comme dans l'action, je vous le dis solennellement, vous pouvez compter sur l'appui de la France. Notre effort ne peut pas suffire £ il a besoin d'entraîner d'autres pays industriels £ il ne s'agit pas d'énoncer des promesses qui ne pourraient être tenues, et vous devez mesurer notre effort sans supposer qu'il peut se substituer aux autres. Mais enfin, pour ce qui concerne mon pays, il poursuivra son effort d'aide au développement qui est passé de 0,36 % du PNB - du Produit National Brut français - en 1981, à 0,55 % en 1985, dont 0,15 % est consacré aux pays les moins avancés, conformément aux engagements que j'avais pris lors de la conférence de Paris, et nous irons aux 0,7 % recommandés par les Nations unies, proportion désirable pour tous les pays industriels et qui restent très en deçà chez les autres.
- Je ne dis pas cela pour valoriser le rôle de la France, mais simplement pour dire que, grâce à vous et à votre expérience, nous sommes plus en contact, plus informés. Votre concours, et je peux le dire, les liens d'amitié qui nous unissent, permet à la France d'être mieux informée, de mieux saisir, d'être plus sensible aux besoins de votre continent et de vos pays, preuve supplémentaire de l'intérêt de ces débats. Nous n'avons pas plus de mérite que d'autres, simplement une histoire, une expérience, et votre présence.\
Ce que je dis là, devant les Africains, pourrait paraître assez facile à énoncer. Vous me rendrez témoignage que je tiens le même langage devant les autres instances, je l'ai tenu à Bonn, récemment, lors du dernier sommet des pays industrialisés en refusant par exemple trop de précipitation pour l'ouverture d'une nouvelle négociation du GATT, qui au demeurant me paraît souhaitable, à la condition qu'elle ne se passe pas au détriment du plus grand nombre et notamment des pays du tiers monde dont il faut l'accord. A l'époque, il n'y avait pas cet accord £ il commence à se dessiner. L'on ne peut se réunir sur le -plan international avec pour seul objet d'accroître les avantages des plus riches.
- Je l'avais dit à Cancun, dès 1981, et je l'ai répété dans toutes vos capitales et dans les capitales des pays du nord ou plus exactement encore des pays plus riches, ou des pays même très riches. Je l'ai dit à la tribune du Congrès américain et je le répèterai. Je l'ai dit au Brésil où je me trouvais récemment et la France est créancière du Brésil pour 10 % de sa dette qui dépasse 100 milliards de dollars. C'est dire le risque que j'accepte dans un pays qui doit lui-même lutter pour ses équilibres et pour sa croissance, qui doit faire un effort rigoureux pour supporter les effets chez lui de la crise internationale. Donc nous menons de front toute une série d'actions, que je vous prie de bien vouloir considérer. Monsieur le ministre de l'économie et des finances `Pierre Bérégovoy` qui est ici-même, pourrait vous dire la somme d'efforts que représente notre chute d'inflation que j'avais recueillie à près de 14 % par an en 1981, et qui sera au-dessous de 5 % en 1985 avant de connaître une nouvelle baisse, j'en suis convaincu, si cette politique naturellement est continuée en 1986, au point que nous sommes au niveau de la moyenne des pays de la Communauté `CEE`. D'ailleurs ce mois-ci, nous distançons, comme nous l'avons fait le mois dernier, plusieurs pays dont la réputation n'est pas à faire dans ce domaine. Nous allons équilibrer, je pense, notre balance des paiements. Nous avons une capacité d'exportation de produits manufacturés industriels qui s'accroît considérablement. Mais tout cela c'est un effort très dure qui pèse sur ceux qui travaillent, sur ceux qui produisent. On ne peut pas tout demander à la fois. Je vous dis cela pour que vous ayez une conscience nette que la France aussi a ses problèmes. Mais je maintiens cette façon de voir à l'égard des pays de l'Afrique, parce que cela me paraît un devoir et je crois aussi, l'intérêt général au-delà de votre propre intérêt.
- Alors tout en préservant les domaines traditionnels de nos interventions, je souhaite qu'un effort supplémentaire soit fait pour soutenir les initiatives de coopération régionale, la recherche notamment en matière agronomique, la lutte contre la désertification. C'est cela l'esprit de mes propositions. Je le répète, ne négligeons pas les enjeux à plus long terme.
- A cet égard, les initiatives de vos pays, notamment de la seconde conférence ministérielle de Dakar, doivent être soutenues. La prochaine Conférence sur l'arbre et la forêt, qui se tiendra à Paris, en février 1986, permettra de donner suite à vos propositions.
- Enfin je voudrais ajouter que parmi les projets français, l'un des plus anciens, est peut-être sur le point d'aboutir : il s'agit d'établir un lien entre la réduction des dépenses d'armement et l'aide au tiers monde, dont se saisira la Conférence qui devrait se tenir à Paris sous quelques mois, à la suite des propositions que j'ai faites à la tribune des Nations unies en septembre 1983.\
J'ai réuni autour de moi un certain nombre d'hommes dont l'expérience et l'imagination ont été éprouvés au service de l'Afrique et du tiers monde. Vous avez le souci qu'en ont les ministres directement responsables, comme M. le ministre des relations extérieures `Claude Cheysson` ou M. le ministre de la coopération `Christian Nucci`. J'ai pris auprès de moi - indépendamment de la présence constante à mes côtés de mes collaborateurs que vous connaissez et spécialement de M. Guy Penne - et après qu'il eût remarquablement conduit la mission qui luiavait été confiée, l'un de ceux qui connaissent le mieux vos problèmes, je veux parler de M. Edgard Pisani. Il est directement à mes côtés, avec une charge polyvalente, mais tout naturellement son attention se portera, de préférence, après avoir négocié Lomé III, et après avoir été commissaire européen, sur tous les problèmes que j'évoque. Je veux dire que nous tendons toujours à renforcer nos équipes pour que nous soyons plus aptes encore du côté français à répondre aux besoins de nos amis africains.\
Je n'aurai garde d'oublier que votre continent n'est pas affecté seulement par des difficultés économiques et financières, qu'il est aussi le théâtre de conflits ou de troubles graves.
- On a parlé, on parlera du Tchad. L'OUA s'est déjà exprimée. Très récemment encore, M. le président Diouf ouvrait largement le dossier et engageait les conversations dans le sillon déjà ouvert par plusieurs d'entre vous, notamment par celui qui en a reçu la charge, le président du Congo `Denis Sassou Nguesso`. D'autres bonnes volontés se sont offertes pour qu'il soit possible d'entretenir ce dialogue, je ne veux pas en faire l'énoncé, je pense à celle de M. le président du Gabon `Omar Bongo`. Il y eut naguère une réunion à Lomé £ il y en eut d'autres, il y en a un peu partout. C'est dire que les bonnes volontés ne manquent pas. Elles doivent éviter de s'éparpiller £ il faut les concentrer. Puisque l'OUA et le président du Congo ont une connaissance de ces choses, eh bien on va essayer de les aider.
- Il est certain qu'il faut que la paix revienne au Tchad, sur la base du droit commun : souveraineté, indépendance, intégrité. Remettre en cause des frontières selon des conceptions ethniques ou tribales, ou simplement par l'ambition de pays riverains, c'est remettre en cause la sécurité de chacun de vos pays car les principes cela pèse. Si l'on manque aux principes, la réalité se charge ensuite de réserver toutes les plus fâcheuses surprises. Et pourtant, je sais bien qu'ici autour de moi se trouvent des amis de la France mais les opinions sur tel ou tel point, particulièrement sur celui-ci, ne sont pas identiques. Au moins il est des principes sur lesquels on doit s'unir, ensuite c'est une question d'appréciation dans l'approche, et cette appréciation, elle doit d'abord être africaine. Ce n'est pas à la France d'en juger.
- Il faut être clair. La France a des accords de coopération et de sécurité, de défense, avec un certain nombre d'entre vos pays. A l'égard de ces pays, elle est tenue de respecter ses engagements, et elle les respectera s'il le faut.
- A l'égard des autres qui sont le plus grand nombre, ces obligations sont d'amitié, de loyauté mais elles ne sont pas des obligations de caractère juridique. La France sera présente de la façon qu'elle jugera bon, si tel ou tel de vos pays fait appel à elle. Elle sera votre amie, mais c'est un autre ordre d'obligation.
- Elle se refuse en tout cas, selon une expression que j'ai cent fois employée, à être considérée comme le gendarme de l'Afrique. Finie l'époque coloniale, je ne la ressusciterai pas, même pour rendre service. Vous êtes des pays, des Etats souverains, comme la France £ nous parlons à égalité et cela fait partie des grands principes qui m'animent. Mais naturellement le devoir d'assistance est inscrit dans les droits reconnus par l'Organisation des Nations unies, par la morale internationale, par l'amitié.
- La France est donc ouverte à toute conversation, mais j'ai voulu tout de suite définir, marquer, qu'il existe des différences dans l'engagement. Que ceux qui ont fait confiance à la France par ces accords continuent d'avoir pleine confiance. Que ceux qui n'ont pas jugé bon d'agir de cette façon, mais c'est de leur propre autorité, et bien entendu, ils sont aussi respectables, sachent que la France est leur amie. On verra bien selon les cas qui se présenteront.\
Pour le Tchad, il n'y a pas d'accord international. Je l'ai déjà dit l'an dernier. Mais il y a une réalité. Cette réalité c'est que le Tchad est un pays ami de la France, qu'il a un chef d'Etat reconnu par les instances internationales, un gouvernement et que ce pays aspire, plus que tout autre, à connaître enfin la paix intérieure, l'unité, à se voir respecté dans son indépendance. Et la France ne peut qu'approuver cette démarche. Elle est intervenue une fois, sous ma présidence, elle était intervenue d'autres fois, dans d'autres circonstances, au cours des années précédentes, dans un pays en guerre intérieure depuis bientôt vingt ans.
- Il a été fait appel à la France. Nous y avons répondu. Le droit est le droit. La France ne consentira jamais, chaque fois qu'elle sera consultée, à considérer qu'il pourrait y avoir une partition du Tchad. Dans les faits, l'unité du Tchad concerne d'abord les Tchadiens, ensuite les Africains, enfin les institutions internationales qui se portent garantes de l'indépendance des Etats.
- Et si la France n'a pas une vocation ni même une obligation de caractère contractuel pour assurer la sécurité par ses propres moyens, ajoutés à ceux, courageux et méthodiques, du gouvernement du Tchad, il n'en reste pas moins qu'elle a déjà indiqué qu'elle pourrait s'engager si on le lui demande, naturellement, si les états africains réunis dans leur instance suprême, n'ont pas d'autres propositions à faire - et ils peuvent en faire.
- La France considère qu'elle a une solidarité à l'égard de ce pays. Après avoir conclu un accord, sur le principe simple et saint : "pas de forces étrangères au Tchad", le respect de cet accord est la règle d'or du retour à la paix. Je le répète, la France est entièrement engagée par le respect de cet accord dès lors qu'il serait respecté d'autre part. Sinon, le risque est réel, étant bien entendu que c'est le gouvernement du Tchad et le président du Tchad, parce que ce sont les Tchadiens qui doivent en décider, qui doivent d'abord apprécier la situation et juger de la façon dont il faut y répondre.
- La France est l'amie du Tchad : elle soutient le gouvernement légitime comme elle soutient tous les autres. Elle n'est pas l'ennemie des voisins du Tchad, et particulièrement de la Libye. Elle souhaite simplement que la raison prévale et le respect du droit.\
Je remercie ceux d'entre vous qui ont favorisé, de façon éminente, les négociations entre les différentes composantes tchadiennes. Comme il n'y a pas de solution militaire possible - en tout cas ce serait tout à fait détestable - je pense que vos démarches vont dans la bonne direction. Je les encourage £ je souhaite qu'elles aboutissent, qu'elles réussissent.
- Toute aggravation de cette situation compliquerait sérieusement la situation en Afrique même. D'abord dans tous les pays limitrophes, ensuite dans les pays un peu plus lointains. Si un climat d'insécurité se répand en Afrique, alors que vous avez tant à faire pour promouvoir l'-état économique et social de vos populations, comment ne pas se dresser pour dire "halte" à quiconque voudrait troubler la paix davantage. Plutôt que d'inciter les Africains à troubler la paix, la plus grande preuve de ferveur pour la cause africaine serait de leur dire, eh bien mettons-nous au travail ! Exploitons notre sol, tirons-en les richesses, developpons le bien-être de notre population, investissons, produisons, développons ! N'est-ce pas cela la première façon de servir votre cause ? C'est l'indépendance de l'Afrique qu'il s'agit de proposer, son indépendance, sa fierté, son bien-être et d'abord sa survie. N'est-ce pas par cela qu'il faut commencer ? Plutôt que d'assouvir des ambitions particulières, qui n'ont pas beaucoup d'intérêt par -rapport à ce grand projet.
- Consolider la paix, c'est un mot d'ordre qui vaut partout, sur les cinq continents. Nous sommes prêts à le dire aux autres ailleurs, enfin, faisons-le aussi chez nous, en Europe, faites-le aussi chez vous, en Afrique. Mais je n'ai pas à préciser davantage ce que peut être une ligne de conduite. Je n'interviens que dans la mesure où la France est concernée, ou l'a été. Pour le reste, monsieur le président de l'OUA `Abdou Diouf`, et vous, messieurs les Anciens et les Sages, ce qui ne veut pas dire que les moins anciens soient moins sages, simplement c'est un degré dans l'expérience, vous tous, unissez-vous, précisément forts de vos divergences pour que quelques lignes de conduite communes finissent par s'imposer.\
Il y a d'autres conflits : il y a le Sahara occidental, on ne peut pas le taire, il a déjà provoqué assez de débats au sein de l'Organisation de l'unité africaine et je ne veux pas aviver les plaies qui sont encore cruellement ressenties.
- J'ai dit un jour et j'ai écrit d'ailleurs : "Chaque peuple a le droit de choisir son destin". Mon principe de base : l'autodétermination, qu'on la fasse là comme ailleurs. Et j'ai recommandé aux parties en cause, notamment à mes amis marocains, de recourir à un référendum sous contrôle international, pour que, naturellement, cela se déroule correctement. Et quand ce peuple se sera déterminé, chacun s'inclinera devant sa volonté.
- Il existe des difficultés de procédure, je sais, des recommandations ou même des délibérations de l'OUA qui ont posé des conditions subséquentes. Cela n'est pas du domaine de la France. Nous n'avons pas à nous mêler plus qu'il ne convient de la mise en oeuvre de vos décisions £ c'est votre affaire, ce n'est pas la mienne. Je n'ai donc pas à intervenir dans ce domaine : ce serait manquer de délicatesse à votre égard. Mais, sur le principe, on peut le mettre en oeuvre pour que cela devienne une pratique. Référendum, droit d'autodétermination, vote, contrôle international. Le reste est de votre ressort.
- J'avais dit d'ailleurs à Rabat, le 27 juillet 1983, devant la Chambre des Représentants - je me cite, pardonnez-moi - : "Que les peuples puissent faire entendre leur voix, que les évolutions nécessaires se fassent par la négociation, que les conflits soient réglés par les intéressés eux-mêmes".\
Puis il y a le défi - il y a bien d'autres conflits certes, mais je vais à l'essentiel - le défi, vraiment inadmissible lancé par l'Afrique du Sud à la communauté internationale. Dès la proclamation en particulier de l'-état d'urgence, en juillet dernier, le gouvernement français a décidé de suspendre tout nouvel investissement £ il a rappelé son ambassadeur, son attaché militaire £ il a saisi le Conseil de sécurité afin de faire adopter le 26 juillet 1985, la résolution 569 qui demande aux états membres de prendre des mesures restrictives à l'encontre du pays où se maintient l'odieux système de "l'apartheid".
- Nous n'avons de ressentiment contre personne. Nous pensons simplement qu'un Etat ne peut s'édifier sur la ségrégation, légaliser en somme ce qui échappe à la loi, ce qui doit échapper à la loi. Nous poursuivrons cette action jusqu'à l'abolition totale de l'apartheid et l'établissement, là comme ailleurs, d'une société multiraciale, libre et démocratique. Nous ne voulons pas intervenir dans les affaires intérieures de ce pays autrement que par ce qui touche au droit international et aux Droits de l'homme. Là s'arrête notre intervention. Ce peuple aussi a le droit de se déterminer lui-même. Et il y a certains personnages symboles, certaines attitudes qui doivent être corrigées. Comment ne pas être fortement impressionné par le sort d'un homme comme Nelson Mendela, par exemple, ne pas saluer le mérite et la constance d'un homme comme lui, qui se bat pour une juste cause. Je vous le répète, la France n'est pas un redresseur de tort mais elle est un adepte du droit international, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et tout simplement des Droits de l'homme. C'est pourquoi, avec détermination, nous continuerons de nous sentir proches des pays de la ligne de front et, dans le cas de la Namibie, nous pensons qu'il n'est pas acceptable de perpétuer des occupations étrangères, contrairement d'ailleurs aux résolutions de la communauté internationale.
- Voilà pourquoi nous entendons peser dans ce sens et nous approuvons tout à fait la démarche du président Abdou Diouf qui proposait de réunir une conférence à ce sujet.\
J'achève cette intervention un peu longue mais nous avons beaucoup de choses à nous dire. J'ai brossé un tableau plutôt sombre de la situation économique qui prévaut sur votre continent. Mais enfin nous ne devons quand même pas nous laisser envahir par une sorte de maladie du pessimisme ou de la paralysie. Qu'est-ce que vous voulez, l'Afrique n'est pas l'objet d'une malédiction qui relèverait d'un décret de la nature. La nature cela se domine, à condition d'y mettre de la patience et de la ténacité. Il ne faut pas céder au manque d'imagination. Je me souviens de ces paroles de Jean Jaurès £ il disait : "Que les progrès de l'humanité ont toujours été accomplis contre ce que l'on appelle, souvent à la légère, la nature des choses". Et vous avez déjà montré, dans beaucoup d'endroits de l'Afrique, que vous en étiez capables.
- La culture, au sens large, est la condition du développement humain et donc du progrès. Et tous les pays, ici représentés, en sont conscients. D'ailleurs, ils consacrent à l'éducation, en moyenne 25 % de leur budget annuel. Mais je peux vous dire que la France est fière de contribuer à la formation de la jeunesse africaine, quand on lui demande son -concours. Elle accueille chaque année sur son sol de nombreux étudiants. Elle envoie des enseignants français. Elle souhaite que vous ayez confiance en elle.
- Je vous avais parlé de la création d'une Maison de l'Afrique, l'an dernier à Bujumbura. Vous pourrez voir la maquette du bâtiment prévu £ elle est exposée dans un des salons de ce centre de conférences. Je crois que toutes les occasions que nous aurons de multiplier les relations culturelles et humaines, toutes les occasions seront bonnes. Bref, vous connaissez mon attachement personnel à l'avenir de votre continent.
- Je souhaite que nous nous unissions pour réaliser avec toutes vos énergies, les lignes d'actions principales que vous avez vous-mêmes retenues. J'avais même l'idée suivante. Voyez, nous faisons une année de l'Inde actuellement en France, qui appelle, à l'origine, de puissantes manifestations de resserrement de nos liens avec ce grand pays. Pourquoi est-ce que nous ne ferions pas une grande année de l'Afrique, chez vous et chez nous, avec sans doute une projection dans la Communauté européenne ? Cela aurait un grand retentissement, cela sensibiliserait l'opinion publique, cela mobiliserait peut-être plus encore la communauté internationale. C'est une idée parmi d'autres. Mais quelques symboles, quelques signes, quelques gestes, sortis du fond de nos peuples, faisant appel à la beauté, à la capacité de création artistique, esthétique, à la richesse culturelle qui, chez vous, puise à plusieurs sources - sont une force supplémentaire. C'est une dimension qui me paraît aussi indispensable que la dimension économique ou politique.\
Voilà, j'en ai fini, messieurs. A vous maintenant de vous exprimer.
- Je vous ai dit tout-à-l'heure que je n'avais pas d'ordre du jour £ c'est notre règle. Nous ne procédons pas à des votes. Nous avançons dans un débat £ nous nous nourrissons de ces débats. Chacun d'entre nous en tire les conséquences qu'il souhaite.
- Notre attention est naturellement attirée par les problèmes économiques - j'en ai parlé -, par l'endettement - j'en ai parlé - par certains conflits régionaux - j'en ai parlé. Tout autre projet ou intention que vous souhaiteriez évoquer ici, bien entendu, le sera. Les débats sont ouverts. Je donne la parole à ceux qui voudront. Mais, en terminant, je vous remercierai, messieurs, pour votre -concours et pour votre attention. Je souhaite la réussite de nos travaux.
- Vive l'Afrique !
- Vive l'amitié qui nous unit !
- Je suis là devant des hommes éminemment responsables. C'est cette responsabilité dans les conduites des affaires du monde qui importe le plus.
- Merci.\