27 novembre 1985 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert en l'honneur de Sa Majesté Hassan II, Roi du Maroc, notamment sur les conséquences de l'élargissement de la CEE pour les pays du Maghreb, les conflits du Sahara occidental et du Proche-Orient, Paris, Palais de l'Élysée, mercredi 27 novembre 1985.

Sire,
- Mesdames et messieurs,
- La France est honorée d'accueillir Votre Majesté pour cette visite d'Etat, la troisième dans notre pays depuis votre accession au trône, témoignage renouvelé des liens nombreux, anciens et profonds qui nous unissent au Royaume du Maroc, liens dont j'ai pu apprécier la force lorsque je me suis rendu à votre invitation dans votre pays.
- L'histoire du Maroc, vous le rappeliez récemment, a débuté il y a plus de 1400 ans, votre peuple est inventif, créateur, tourné vers son avenir, il est fier, courageux dans l'épreuve, prompt à réagir dans la difficulté, il est épris de dignité. Ce peuple, à travers votre personne, la France le salue et lui exprime son amitié.
- La position de votre pays au carrefour de plusieurs mondes, l'Europe, l'Afrique, l'Occident, l'Islam, a toujours été renforcée par l'aptitude des fils du Maroc à s'illustrer au service de sa foi, et dans les arts, les sciences, les techniques de l'agriculture, du commerce, par ses vertus patriotiques.
- Je vois dans le rôle joué aujourd'hui par Votre Majesté au sein de l'Islam et du monde arabe, la meilleure preuve de cette capacité marocaine, d'innover, de concilier et de bâtir. C'est pourquoi je rends hommage à ce que vous représentez en tant que Commandeur des croyants, Président du Comité Al Qods, hôte et président des Sommets de Fès et de Casablanca, investi par les chefs d'Etat islamiques d'une responsabilité à l'échelle d'une planète.
- Le Maroc fidèle à sa tradition, marie les courants les plus divers et apparemment contraires. Cette vocation de comprendre sans contraindre a été récemment rappelée à nouveau par la visite de Sa Sainteté le Pape, Jean-Paul II.\
Le dialogue dans le monde où nous vivons, est plus désirable que jamais. Qui ne souhaite qu'il s'applique en particulier à une région déchirée entre toutes : le Proche-Orient. Vous connaissez la position de la France. Elle repose sur l'affirmation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Je pense en la circonstance au droit des palestiniens et au droit d'Israël à voir son existence garantie dans des frontières sûres et reconnues.
- La France, voyez-vous, tient le même langage, et à tous. Vous me rappeliez cet après-midi que j'avais exposé ces thèmes si simples mais très clairs, le droit des palestiniens à la tribune de la Knesset, le droit du peuple d'Israël à Damas, comme en Arabie saoudite, comme au Caire et, je le rappelais tout à l'heure, à Rabat. La France est, vous le savez, présente et disponible pour faciliter un réglement pacifique. A cette fin, elle a approuvé la démarche du Sommet de Fès ainsi que l'initiative Jordano - Palestinienne. Elle a souhaité que s'établissent des relations directes entre les pays en guerre ou antagonistes mais nous avons dû constater que cette méthode n'avait pas abouti. Nous voyons donc avec faveur se préciser le projet d'une conférence internationale, d'un forum international au sein duquel les contacts directs pourraient s'établir et qui rassembleraient aussi bien les Etats riverains que d'autres, parmi lesquels les membres permanents du Conseil de Sécurité.\
Nos deux pays ont un -rapport particulier, des liens étroits, que les vicissitudes du Protectorat, l'exil de votre Père, le Roi Mohamed V, auraient pu altérer. Il n'en a rien été grâce à l'action de part et d'autre de quelques hommes dont certains que je salue se trouvent parmi nous et de cette histoire difficile, seul émerge aujourd'hui notre amitié. Parmi ces manifestations vivaces, je relève que vous souhaitez maintenir l'héritage de la langue française, notre coopération avec le Maroc est à cet égard une grande et belle réussite. A nous de tirer ensemble le meilleur parti de ce bien précieux et de l'adapter aux nécessités du temps.
- Je veux également, Sire, réserver une place dans cette allocution aux ressortissants marocains, qui sont venus nombreux, plus de 500000 dans notre pays. Ils ont droit à notre hospitalité et à notre estime pour la part qu'ils prennent à notre production. Ils ont droit à la dignité, à la sécurité. Et vous connaissez, sur ce point, ma résolution. Tout doit être examiné, à leur propos, dans la clarté, avec l'esprit de coopération qui caractérise nos relations. Le mouvement des personnes aux frontières, leur statut dans notre pays, leur avenir d'hommes et de travailleurs dans leur pays d'origine et leur pays d'accueil. De même souhaitons-nous qu'au Maroc, les membres de la Communauté française, continuent de bénéficier des facilités leur permettant d'oeuvrer, dans les meilleurs conditions, au développement de votre pays et au resserrement des liens avec la France, et c'est ce qui se passe sous votre autorité. J'ajoute que la coopération économique et financière entre nos deux pays se situe à un bon niveau. Le Maroc demeure notre premier fournisseur dans de nombreux domaines, je pense aux phosphates. La France pour sa part contribue à l'effort que vous avez entrepris pour assainir et moderniser l'économie du Maroc. Votre pays reste certes confronté à de réelles difficultés, amplifiées par la crise mondiale et par les conditions climatiques sévères de ces dernières années. Mais il y fait face sous votre conduite avec un sens élevé des responsabilités et je puis dire qu'il peut continuer dans l'effort qu'il accomplit à compter sur la présence amicale de la France.\
Sire, nos deux pays ont, en commun, d'être au premier chef intéressés à un dialogue entre l'Europe, la Communauté et les pays du Maghreb. La France de son côté entretient des relations actives avec l'ensemble et elle tient à les conserver, à les amplifier dans l'intérêt de tous les riverains de la Méditerranée occidentale.
- S'agissant plus précisément de vos -rapports avec la Communauté, la France a le souci que l'élargissement de cette dernière à l'Espagne et au Portugal ne se traduise pas pour vous par une diminution des courants d'échanges et s'accompagne au contraire de mesures destinées à resserrer nos liens.
- Vous savez, nous en avons parlé, quelle a été notre fermeté pour défendre les intérêts de ceux qu'il a convenu d'appeler les pays tiers-méditerranéens et plus particulièrement de votre pays. Et je considère comme essentiel que le Conseil des ministres des affaires étrangères de la Communauté qui s'est tenu lundi à Bruxelles ait décidé l'ouverture de négociations sur ce point. Certes, toutes les attentes ne sont pas satisfaites, mais c'est une base indispensable qui va permettre maintenant que soient négociées avec vous les décisions concrètes qui en découlent. La France a retardé le moment de ratification pour amener les autres pays de la Communauté à comprendre et à saisir avec précision les problèmes posés par le Maroc. Et nous resterons très attentifs et à vos côtés durant le déroulement de ces pourparlers. Nous nous efforcerons de rapprocher le point de vue communautaire de vos souhaits, je pense que c'est l'intérêt mutuel bien compris de la Communauté du Maghreb, du Maroc, de la France.\
Surplombant conflits et antagonismes, les grands équilibres ou déséquilibres stratégiques fixeront notre sort à venir. A Genève, s'est amorcé un processus dont chaque habitant de la planète attend avant tout qu'il inspire aux deux grandes puissances sagesse et prudence.
- Presque partout aussi se présente le spectacle de conflits sans merci. Le Liban est déchiré et martyrisé, la guerre entre l'Iran et l'Irak s'éternise aux -prix de centaines et de milliers de vies humaines. En Asie centrale, en Asie du Sud-Est, en Afrique centrale, partout sur votre continent, les drames de l'Afrique australe, le problème du Tchad : des incendies qui font rage, d'autres qui peuvent se rallumer. Les protagonistes deviennent vite la proie d'intérêts et de calculs qui les dépassent. Pourtant, tous ces peuples n'aspirent qu'à la liberté, à la paix, à la prospérité. Face à ces conflits apparemment sans issue, je crois que quelques principes doivent nous guider.
- Et d'abord tout simplement le libre choix du peuple, le droit à l'autodétermination, c'est cela la règle d'or à laquelle nous devons veiller, nous, pays responsables. On me posera aussitôt la question "et le Sahara occidental qui vous touche de si près". Je l'ai dit le 27 janvier 1983 à Rabat devant la Chambre des représentants. Permettez-moi de me citer "que les peuples, ai-je dit, puissent faire entendre leurs voix, que les évolutions nécessaires se fassent par la négociation, que les conflits soient réglés par les principaux intéressés eux-mêmes". C'est le sens, vous le savez, de la position de la France. Cela a composé le sujet-même de notre première correspondance après le mois de mai 1981. Oui la France est favorable, là comme ailleurs, à l'organisation d'un référendum d'autodétermination sous contrôle international. Vous êtes acquis à ce principe. Les modalités continuent de donner lieu à des interprétations jusqu'ici différentes. Eh bien il faudra y parvenir. Notre conviction est que le Secrétaire général des Nations unies et je l'espère l'Organisation de l'unité africaine soit en mesure de remplir en la circonstance un rôle utile sinon déterminant. L'amitié que nous portons aux deux grands pays que sont le Maroc et l'Algérie, nous conduit à souhaiter profondément que leur dialogue contribue à l'apaisement.\
Sire, je ne voudrais pas aller plus loin sans rendre un hommage solennel à votre père déjà cité, Sa Majesté Mohamed V, fondateur du Maroc indépendant moderne, et je le fais, ayant en mémoire ce qu'à l'époque j'avais estimé devoir faire pour la dignité de la France et pour l'avenir des -rapports franco-marocains. Les éminentes qualités de ce souverain exemplaire, qualités qu'il vous a léguées, sont le propre de la dynastie alaouite que vous incarnez, et qui, dans sa continuité, s'est identifiée à l'histoire-même du Maroc.
- Entre nous, entre nos ministres, vont se poursuivre, durant deux jours à Paris, des entretiens confiants qui constitueront la suite de ceux qui nous auront occupé durant quelques quarts d'heure aujourd'hui-même.
- Je me souviens du temps passé, Majesté, des jours anciens où j'ai eu l'honneur de vous rencontrer pour la première fois, dans cette ville de Paris. Vous traversiez bien des épreuves, vous marquiez déjà votre courage et votre fidélité dans l'épreuve. Ces heures sombres se sont dissipées et les Français vous ont vu à la tête de votre pays. Ils savent que votre esprit est habité par de grandes conceptions. Je souhaite que cela soit compris un peu partout, pour que la tâche du Maroc, marqué par l'histoire, puisse se poursuivre. les qualités de votre peuple méritent d'être reliées aux grandes heures d'un passé qui appartient déjà au présent, et ce présent est déjà votre avenir puisque vous êtes en action pour justifier partout l'héritage dont vous assumez la charge et que vous transformez au gré des besoins du monde moderne.
- Je veux qu'en levant mon verre, selon la tradition, saluer Sa Majesté le Roi Hassan II, souverain du royaume du Maroc, et vous souhaiter, Altesse, aussi bonheur et réussite, pour vous-même, Sire, pour votre famille, pour tous ceux qui vous sont chers, je voudrais que vous sentiez, ici, la présence de la France.
- Celles et ceux qui ont répondu à notre invitation, très représentatifs de ce qu'est notre pays, et qui ont voulu se retrouver autour de vous ce soir, parce que c'est une affaire importante. Sur la surface du globe, il n'est pas tant d'amitié et de liens qui aient cette solidité. Je veux vous dire, à travers votre personne, que nos voeux d'amitié et de prospérité vont au peuple marocain parce qu'il est lui-même, parce qu'il est l'ami de la France, parce que nous lui devons beaucoup, parce que vous représentez à nos yeux, Majesté, l'exemple d'un haut responsable, au-delà de son pays, parmi ceux qui peuvent parler au nom d'immenses multitudes et qui démontrent, par leur action quotidienne, que l'histoire se fait par leurs mains.\