10 octobre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de la réception de la Communauté française à la Cité Foch, Berlin, jeudi 10 octobre 1985.

Mesdames et messieurs,
- Mes chers concitoyens,
- Je suis très heureux de pouvoir vous saluer ce soir, à l'issue de cette journée passée à Berlin, pour les raisons que vous savez, qui tenaient d'abord à l'invitation qui m'en avait été faite, ensuite à ce que l'on pourrait considérer comme une tradition française - la France étant l'un des pays qui protège et qui garantit le statut de cette ville, les libertés, l'accès. Tout cela justifiait que la France fut présente, en la présence du chef de l'Etat. Mais celui-ci, c'est-à-dire moi, n'oublie pas que vous êtes vous, la permanence : j'arrive et puis je pars. Vous, vous restez.
- Certains d'entre vous sont sans doute, depuis fort longtemps, présents à Berlin. D'autres sont arrivés très récemment. Toutes les conditions, les métiers, les professions, les raisons d'être ici, les raisons professionnelles, les raisons familiales £ bref, on peut tout rassembler sous quelques définitions.
- Vous êtes à la fois loin et près de la France. Près par la géographie, mais loin par tout ce qui a pu se produire sur le -plan politique, par les réalités allemandes et internationales. Et donc, souvent, j'imagine qu'il doit être assez difficile psychologiquement, dans cette vieille et grande capitale, isolée du reste du pays, de trouver, surtout dans les relations avec nos amis allemands, les assises qui assurent la permanence d'une action.
- Vous avez donc un rôle particulier, comme est particulier le statut de Berlin. Vous avez à temoigner pour la France. Vous assurez tous une responsabilité, et certains d'entre vous plus que d'autres. Je pense en particulier à ceux qui appartiennent à l'armée, et qui ont une responsabilité de caractère international et juridique.
- Je suis accompagné, ici, par le ministre des relations extérieures, M. Dumas £ comme vous le voyez, je suis accompagné aussi par l'ambassadeur de France à Bonn £ le général gouverneur se trouve à mes côtés. M'accompagne aussi le général Forray, qui est le responsable de la maison militaire du Président de la République. Et nous avons cette fois-ci innové : puisque je me suis arrêté à Bonn, le Chancelier Kohl est venu avec moi, ce qui n'était pas dans la coutume, dans l'interprétation de la France, habituellement du moins jusqu'alors. On pourrait dire : affaire de protocole ! Non, cela va peut-être un peu plus loin.
- Cela à la signification d'une marque d'amitié, de considération pour le peuple allemand, pour la ville de Berlin. Cela souligne le lien reconnu internationalement et diplomatiquement entre Berlin et la République fédérale allemande. Et puis, dans le -cadre d'une relation qui s'étoffe et s'approfondit de plus en plus, autour d'intérêts qui nous sont communs, d'intérêts européens et bien au-delà, je pense que chacune de ces circonstances, de ces relations doit être célébrée avec une extrême vigilance, une extrême application, un grand souci de servir l'unité de l'Europe.\
Quelle question me poseriez-vous, si nous avions le temps ? - on aura un peu de temps, mais pas beaucoup... Je connais assez bien les questions qui se posent à l'esprit des Français de l'étranger, ayant eu l'occasion d'en rencontrer ici et là. Existe-t-il des problèmes spécifiques ? Je ne le crois pas. Il en existe de caractère général. Ils sont bien entendu, particuliers par leur objet, mais ressentis généralement par la plupart d'entre vous, c'est cela que je veux dire.
- Ailleurs, dans beaucoup de pays du monde, le problème des enfants est difficile à résoudre : c'est le problème de l'école, de l'éducation, de l'instruction. Mais ici, vous êtes bien équipés, vous avez de bonnes structures, civiles et militaires. Vous êtes en mesure de recevoir à tout moment des échanges culturels, vous en êtes vous-mêmes souvent des servants et des auteurs, et il y a parmi vous beaucoup de femmes et d'hommes qui portent loin la culture française, qui l'enseignent, qui la vivent, qui la communiquent.
- Je n'ai donc pas l'impression que ce problème, si difficile en certains lieux, soit pour vous une préoccupation majeure. Alors il reste toute une série de problèmes, de caractère privé, des mariages mixtes, les statuts de droit privé : tout cela, j'en suis sûr, les représentants de la France, ici, s'en préoccupent avec soin.
- Je vais dans un moment, pour le temps qu'il me reste, avant de rentrer à Paris, circuler parmi vous. On pourra échanger quelques propos : ce qui me sera dit me sera utile de toutes façons, n'ayez pas l'impression que ça tombera dans l'oreille d'un sourd.
- Mais que de choses n'entendrai-je pas ? Vos soucis de citoyens, vos préoccupations de Français de l'étranger, vos professions - elles sont de carctère public ou elles relèvent de l'industrie privée, du commerce - chacun vit sa fonction à sa manière et je n'ai pas à intervenir.
- Vous êtes naturellement, comme tous les Français de France, tout à fait différents - je ne dis pas dissemblables. C'est même l'un des caractères principaux de la Nation française que d'aimer cette diversité, et j'y suis attaché moi-même. Cela veut dire que chacun pense par soi-même en évitant de penser par les autres, quelquefois même comme les autres. Et c'est assez rassurant dans la mesure où la France garde sa force, sa puissance, son élan et son dynamisme, tout en faisant la part très large au débat.
- Dans cette ville où l'on parle beaucoup de libertés, parce qu'on en a besoin de cette liberté qu'est le pain même de la vie, ici. La liberté d'accès, la liberté de circulation, la liberté de vie, la liberté d'être soi-même. Vous-même devez, par la proximité des Allemands, le ressentir profondément, dans vos vies personnelles.\
Je voudrais, en même temps, vous dire l'agrément que j'éprouve à me trouver dans cette ville, dans ce pays, en compagnie de personnalités, mais aussi de beaucoup d'Allemands, qui ont montré beaucoup de courtoisie, de gentillesse et d'amitié tout le long de cette journée. Mais vous aussi, vous vivez parmi les Allemands et je pense qu'il serait bon qu'avant que je ne termine cette brève allocution, je rende hommage, précisément, à l'Allemagne, dans sa diversité politique, géographique, diplomatique, aux Allemands avec lesquels nous avons su fonder, depuis bientôt quarante ans, une formation homogène, partie de loin.
- Je suis d'une génération qui a vécu, qui a fait la dernière guerre mondiale - je sais donc de quoi je parle. Et les pères ou les frères aînés de ceux de ma génération avaient connu l'autre guerre. Ce sont des souvenirs qui, souvent, s'éteignent dans un lointain passé pour la génération qui monte - c'est bien comme cela, ainsi vont les choses. Encore faut-il savoir que l'amitié franco-allemande, c'est une conquête fondée sur le bon sens, sur le sens de l'histoire, sur la nécessité et finalement sur la reconnaissance de deux grands peuples qui ont vécu aux sources de la même culture.
- Nous avons donc, ensemble, un langage qui facilite tous les dialogues. Vous en êtes les premiers témoins, mesdames et messieurs, et les premiers acteurs. En ce sens, je peux dire que la communauté nationale compte sur vous pour donner à cette réunion, à cette réconciliation vivante, qui ne fera bientôt plus parler puisque c'est fait, la nourriture, la saveur, la substance d'une vie partagée. C'est votre cas : vous êtes là, à Berlin, lieu particulièrement exposé, mais en même temps particulièrement protégé, qui a été au centre, pendant longtemps, des plus grands périls, qui reste tout de même un sujet majeur de la politique internationale.
- Enfin, je suis venu vous dire, mesdames et messieurs, que je ne vous oubliais pas. Je tenais non seulement à vous le dire, mais à vous le montrer, à m'excuser de faire un passage si bref - mais comment faire autrement... vous imaginez bien - et vous dire le plaisir que j'ai d'être parmi vous pour le service de notre pays. Je vous sens disponibles - nous devons l'être - croyez-moi. La tâche qui nous attend est immense. Elle est passionnante. Tout cela est à la portée de nos mains. Il suffit d'y mettre du sien. Je pense que vous n'y manquerez pas et je vous dis très simplement, pour conclure :
- Vive la République !
- Vive la France !\