7 octobre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à FR3 Bretagne, devant la presse régionale, notamment sur la modernisation industrielle et la situation agricole en région Bretagne ainsi que sur le parti socialiste, Rennes, lundi 7 octobre 1985.

Monsieur le Président bonsoir.
- Vous allez pendant une heure répondre aux questions que se posent la Bretagne, des questions formulées par des téléspectateurs que nous avons interrogés dans la rue, chez eux ou encore par téléphone. Des questions également des journalistes de la presse régionale présents sur ce plateau. M. Eugène Brulé, rédacteur en chef à Ouest-France, Claude Olivier, directeur départemental du Morbihan à Ouest-France, Bernard Cuny, rédacteur en chef de Radio-France Armorique, Louis-Roger Dautriat, grand reporter au Télégramme de Brest, Laurent Desprez, rédacteur en chef de FR3 Bretagne et enfin Emmanuel Yvon, journaliste à FR3 Rennes.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous êtes un homme du centre géographique £ vos premiers voyages en Bretagne remontent aux années 1974, 1975 £ alors qu'elle image avez-vous de cette presqu'île européenne de cette région que l'on situe aujourd'hui plutôt d'opposition et qui pourtant le 10 mai 1981 avait contribué pour une certaine part à votre élection à la Présidence de la République ?
- LE PRESIDENT.- Je suis venu en Bretagne bien avant les années 1973-1974 pour une raison tout à fait simple : c'est qu'à l'époque de ma naissance, mon père venait tout juste de quitter Chantenay tout près de Nantes où il était chef de gare. Mon père et ma mère avaient beaucoup vécu dans les nnées précédentes au cours des différentes étapes de cette carrière, à Quimper, à Vannes et dans bien d'autres endroits bretons. Et ils avaient naturellement gardé beaucoup d'amis dans ce pays. Alors que j'étais enfant, mais dès que j'ai été en âge de comprendre, je suis venu avec eux voir leurs amis. C'est alors que j'ai connu les paysages surtout du Sud de la Bretagne, c'est-à-dire de Nantes jusqu'à Quimper.
- Tout ceci pour vous dire que ce n'est pas tout à fait d'hier, malheureusement pour moi ! J'ai toujours vécu avec ce récit de ma mère en particulier qui avait gardé de ces jeunes années de ménage, et de ses premiers enfants, l'amour de la Bretagne. Ensuite, j'y suis en effet venu souvent pour des raisons politiques mais je ne vous ai pas rendu compte de toutes les fois où je m'y suis rendu simplement pour mon plaisir. Il m'arrive souvent de prendre la route, et puis de débarquer ici ou là, parce je peux le dire, même si c'est un peu trop facile à dire devant les bretons : moi, j'aime la Bretagne !
- Je sais bien que c'est un pays contrasté. Je sais que les bretons ne sont pas toujours faciles à vivre ! Je sais bien que c'est un pays contrasté. Je sais que les bretons ne sont pas toujours faciles à vivre ! Je le sais autant que vous, mais lorsque leur confiance est donné, ce sont des gens solides qui n'ont qu'une parole. En plus ils ont réussi avec la Bretagne, vraiment, depuis la dernière guerre mondiale, une avancée formidable, pour en faire peut-être la première région d'Europe. Alors j'ai beaucoup de raisons de dire aux bretons qui m'entendent que je suis content d'être parmi eux aujourd'hui.\
QUESTION.- Alors justement aujourd'hui, qu'elle est votre perception de la Bretagne en tant que région à travers ces premières rencontres que vous avez eues aujourd'hui dans les Côtes-du-Nord et en Ille-et-Vilaine ?
- LE PRESIDENT.- Très bien. Région puissante, région active. J'ai commencé à le dire il y a un moment : c'est la région qui a pris la tête de l'Europe depuis 40 ans. Comme elle partait de loin, de très loin, l'effort a été redoublé. A quoi c'est dû ? Eh bien d'abord aux bretons, aux travailleurs, aux producteurs de la campagne et de la ville et puis quand même aussi aux élus locaux, très acharnés au travail, qui aiment leur terre, aux élus régionaux et puis aussi à l'Etat. Alors mon impression c'est que bien entendu, comme tout tissu bien serré, il y a ici et là des fils qui lâchent. Sur le -plan agricole cela dépend des saisons, des marchés, mais aussi de l'Etat, du marché commun agricole qui commande l'essentiel de nos décisions. Sur le -plan industriel, il y avait par exemple des industries très performantes qui avaient complètement changé le paysage du Trégor et puis tout d'un coup, ces industries ne flanchent pas mais c'est l'emploi qui flanche. Alors on sent une inquiétude, parfois une désespérance qui ne m'est pas apparue comme altérée lorsque j'ai entendu, tout à l'heure, les dirigeants agricoles avec lesquels j'ai déjeuné. Ils m'ont fait valoir sans complaisance les difficultés dans lesquelles ils se débattaient, ils m'ont fait valoir aussi très honnêtement leur succès et ils n'avaient pas l'air de baisser les bras.
- QUESTION.- Selon vous, les bretons jouent-ils le jeu de cette décentralisation où ont-ils tendance à traîner les pieds à l'heure actuelle ?
- LE PRESIDENT.- Non, ils le jouent bien. Je vois de temps à autre le président de région, M. Raymond Marcellin, qui m'écrit plus souvent qu'il me voit et qui m'alerte à tous moments pour un train, une électrification, une route... Non, c'est une région active. La décentralisation est en passe de réussir. Souvent on s'est plaint du côté de certaines communes d'avoir moins de moyens qu'avant, en accusant injustement l'Etat d'avoir réduit sa contribution. Ce qui n'est pas vrai. L'Etat a intégralement maintenu ses contributions mais cela va surtout aux régions et aux départements. Et il y a besoin pour les communes d'un certain équilibre qui n'est pas toujours atteint.
- QUESTION.- Pensez-vous que cette modernité, ce dynamisme sont bien perçus à Paris car j'ai entendu des élus et des responsables de l'administration me dire que, encore à Paris, la Bretagne c'était l'image de la mer, du folklore ?
- LE PRESIDENT.- C'est ce que vous voyez ici. Moi je ne prends pas du tout la Bretagne comme cela. Vous avez une beauté naturelle qui est très certaine. Je le disais tout à l'heure dans le Trégor, quand j'étais beaucoup plus jeune et que j'allais à Trebeurden ou à Perros Guirec : on en prend plein la poitrine ! C'est très beau et récemment j'étais dans le golfe du Morbihan, c'est stupéfiant. C'est vrai qu'arrêter là le paysage de la Bretagne ce serait donner une coloration très fausse de l'effort des hommes car ils ont affronté une terre dure. Quand on pense au centre, à l'arrête centrale de la Bretagne, tout n'est pas pauvre et il y a quand même des régions qui sont déjà un peu désertifiées. Donc je prends la Bretagne comme une région où la qualité humaine est très grande, où finalement ce pays qui paraissait essentiellement rural, s'est révélé tout à fait apte à saisir les grandes filières de la recherche et de l'industrialisation moderne. Voilà pourquoi je ne considère pas la Bretagne comme dans les livres qu'on pouvait lire en 1885.\
QUESTION.- La vie régionale est aussi une vie politique. C'est une vie politique qui va sans doute se renforcer avec les prochaines élections régionales qui auront lieu en même temps que les élections législatives, sans doute au mois de mars. Alors un double scrutin qui laisse un peu perplexe les électeurs. Je vous propose d'écouter à ce sujet leurs réactions à Rennes la semaine dernière.
- (REPORTAGE)
- QUESTION.- Alors vous voyez, monsieur le Président, une certaine confusion sur ce double scrutin dans l'esprit des citoyens. Quelle est votre réponse ?
- LE PRESIDENT.- Il reste encore 4 à 5 mois, il faut que l'information civique fasse des progrès. Posez-vous la question : supposez qu'il y ait des élections régionales pour la Bretagne, par exemple, en dehors de toute autre grande circonstance électorale, comme naturellement le sont les élections législatives. Combien de gens se déplaceraient ? Vous auriez exactement les mêmes personnes qui diraient les mêmes choses : "les élections régionales, je ne sais pas ce que c'est".\
QUESTION.- Avec les sensibilités des situations différentes, l'emploi, le chômage, c'est un problème qui touche beaucoup les bretons £ est-ce que vivre et travailler au pays c'est encore un solgan valable de nos jours ?
- LE PRESIDENT.- Vous me demandez mon avis sur ce qu'ont déclaré les personnes interrogées. Je dirai : elles ont tout à fait raison. L'emploi c'est le problème numéro 1. Je le ressens tout autant qu'eux et tout autant qu'elles puisque vous avez interrogé femmes et hommes. C'est le problème numéro 1, c'est d'ailleurs le problème qui pèse aussi sur le jugement politique parce que c'est tout l'Occident de l'Europe qui est à l'heure actuelle victime de cette sorte de marée terrible qu'est la perte de l'emploi. Vous savez que la Grande-Bretagne a quelques 3 millions et demi de chômeurs. Vous savez que l'Allemagne, qui en avait beaucoup moins que nous il y a treize ans, nous rattrappe. En fait c'est en France qu'il y a eu la plus petite augmentation du chômage au cours de ces quatre dernières années. L'Espagne, l'Italie sont touchées car c'est une maladie européenne de l'Occident de l'Europe, alors que vous voyez des pays comme le Japon, les Etats-Unis d'Amérique, là où il y a le moins de chômage, qui sont pourtant des pays où il y a le plus de modernisation de l'industrie, où il y a le plus d'automation, le plus de robots qui remplacent les travailleurs, pourtant c'est là qu'il y a le moins de chômage.
- Alors il faut s'interroger. J'étais tout à l'heure, je vous le disais, à Lannion et j'ai constaté tous les dégats qui avaient été faits dans ce coin-là, la souffrance et l'angoisse de la population. Pourtant, il s'agit d'entreprises prospères. Il y a la fabrication de produits compétitifs sur le -plan mondial. Seulement voilà ! Au lieu de fabriquer avec, on va dire un chiffre un peu en l'air, 1000 personnes, on peut faire le même travail et le même produit avec 200, parce qu'on n'a pas préparé depuis longtemps - 10 à 15 ans - la transformation industrielle qui permettrait non seulement par la robotisation d'obtenir des marchandises, des produits et des machines capables de produire aussi vite et aussi remarquablement que les machines japonaises ou les machines américaines, mais on n'a pas préparé tout à côté l'environnement qui aurait permis de diversifier l'industrie. M. Marzin, qui était à la tête du CNET autrefois, est vraiment un des hommes dont la réputation est la plus grande dans le domaine des PTT, des télécommunications. Dès 1975 il a exactement défini à l'avance tout ce qui se passe aujourd'hui, en disant : "du moment qu'on ne renouvelle pas nos techniques, on va arriver à la perte de l'emploi". Alors qu'avons-nous fait ? Que s'est-il produit ? Il ne s'est rien produit. Personne n'a voulu tenir compte de ces avertissements.\
Je vous assure qu'en 1981, j'ai trouvé une situation industrielle de la France beaucoup plus grave que je n'imaginais. Alors, nous nous sommes attaqués aux problèmes par la base. Laquelle ? Moderniser les machines mais aussi former les hommes, les femmes, ceux qui vont se trouver devant les machines du futur, qui seront capables d'en comprendre le processus. Si on a ce problème dramatique des jeunes, relevé par l'une des personnes que vous avez interrogée, c'est aussi parce que lorsqu'ils arrivent après avoir eu leurs diplômes, généralement de remarquables diplômes techniques, ils tombent sur une société complètement fermée, complètement figée, où déjà les adultes ont de la peine à garder leur emploi.
- Alors nous, nous nous sommes efforcés de trouver des solutions. Par exemple, avec un système de formation comme on ne l'a jamais vu, qui à l'heure actuelle forme quelques 800000 jeunes gens, souvent d'ailleurs en relation avec les entreprises. Nous avons lançé ce qu'on appelle les TUC. Oh ! Nous n'en attendons pas des merveilles, mais quand même, nous avons des garçons et des filles jeunes, qui s'initient, partout où ils le veulent et où les municipalités s'en occupent, à des métiers qu'ils ne connaissent pas. Et moi, je veux absolument que, notamment par des méthodes d'enseignement et de formation, l'école retienne 200000, 300000, 400000 jeunes gens comme on le fait en Allemagne pour leur donner une formation technologique supérieure et leur permettre d'attendre un peu puisqu'ils seront à l'école pour déboucher plus rapidement sur un métier. Bref, vous imaginez bien que c'est un problème qui me préoccupe.\
QUESTION.- Tous ces problèmes appellent à la solidarité nationale. Pour mettre en oeuvre cette solidarité, vous avez créé avec vos collaborateurs des pôles de conversion. Ces pôles de conversion sont tous situés, soit au Nord, soit à l'Est de la France. La Bretagne semble être un peu orpheline de cette solidarité.
- LE PRESIDENT.- Cela a été. Ce n'est pas ce qui est choisi. D'ailleurs je voudrais faire observer que depuis le début de cette conversation, vous êtes en train de me mettre dans un drôle de cas constitutionnel. J'entends déjà ce qui sera dit à partir du mois de mars, - dans l'hypothèse où, mais rien n'est fait, il ne faut pas jouer avec le futur - en disant "Monsieur le Président de la République s'occupe de tout". Moi je n'ai pas du tout demandé à m'occuper de tout, c'est vous qui m'interrogez. C'est-à-dire que je suis en train de vous répondre sur des sujets qui sont du ressort du gouvernement ou des ministres. Je ne refuse pas de vous répondre et vous le voyez bien. Mais si je le fais, c'est parce que vous me le demandez. Je vous apporte une information et j'essaierai de transmettre au gouvernement les revendications qui me paraîtront justes. Mais dans le domaine constitutionnel, le Président de la République n'est pas chargé de tout faire à la place de ceux qui ont la charge de l'exécutif. Que ce soit bien clair. Nous sommes ici entre nous, j'ai l'occasion exceptionnelle de m'adresser, sur des sujets très sérieux, à la population bretonne et je ne veux pas mésestimer la valeur de ce rendez-vous.
- Une fois que j'ai fait cette remarque, je vous dirai cependant que lorsque je suis arrivé à la Présidence de la République, j'ai hérité de 1700000 chômeurs. Il y avait une forte progression entre 1974 et 1981 et depuis cette époque, cela reste stationnaire.
- Pour avoir un prix compétitif capable de supporter la concurrence et pour fabriquer ces marchandises, il faut avoir des machines modernes qui produisent plus et mieux en moins de temps. Pour avoir ces machines, il faut les fabriquer, ou alors il faut les acheter à l'étranger et cela ruine notre commerce extérieur. Il faut donc que, de plus en plus, les entreprises - c'est le cas en Bretagne, vous avez de nombreuses entreprises électroniques qui font des choses tout à fait remarquables - il faut que les Français s'équipent. Mais il ne faut pas tout attendre de l'Etat. Il y a une curieuse propension qui consiste à dire que c'est à l'Etat de répondre aux questions qu'on pose.\
QUESTION.- Justement à cet égard, de nombreuses entreprises bretonnes ont des marchés privilégiés avec le Moyen-Orient, avec des Etats africains, mais ce sont des micros marchés qui se font en dehors des grands marchés internationaux. Qu'elle est votre position à cet égard sur ces marchés qui sont un peu sauvages et qui sortent des grands courants internationaux ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien écoutez, on fait ce que l'on peut ! Mais quand je vois par exemple, la COOPERL à Lamballe, vendre du jambon de Parme - enfin non - ils sont honnêtes ! Ils ne disent pas qu'il est "de Parme", mais il est transporté en Italie et il est affiné de telle sorte que c'est annoncé comme tel. Il n'y a pas de tromperie sur la marchandise, mais c'est une sorte de Parme venu d'ailleurs : ce n'est pas mal, cela ! Les marchés italiens sont rudes. Lorsqu'on sait que la même société - je prends cet exemple parce que je l'ai vu, il y en a certainement beaucoup d'autres de même valeur, mais quoiqu'il s'agisse là du premier groupe français - va vendre du bacon en Angleterre pour le petit breakfast anglais, que cela vient de Bretagne, et quand on sait que les anglais empêchent souvent les produits français de pénétrer sur leur marché, il faut que ce soit une drôle de qualité ! Voilà deux pays, l'Italie et la Grande-Bretagne sont des pays où la compétition est très rude, qui sont déjà au même niveau que nous, qui ne sont pas de petits marchés. Bien entendu, lorsqu'on me dit que l'on vend des carcasses de porcs, notamment par milliers de tonnes en Angola, c'est très bien et ils ont raison de vendre. C'est en Afrique australe et c'est un pays déchiré par la guerre : alors là, on s'en doute, c'est un pays moins facile géographiquement mais plus facile commercialement à atteindre. Mais enfin ils le font. Après tout, les bretons retrouvent la grande tradition de leurs navigateurs. Ils vont à l'aventure, ils vont à travers le monde. Et ils me disaient la prochaine fois, nous irons en Extrême-Orient. J'ai l'impression que ce sont des gens qui valent les meilleurs dans le monde. Ils peuvent affronter.
- QUESTION.- Cela ne vous semble pas un peu fragile comme procédure économique ?
- LE PRESIDENT.- Mais pourquoi fragile ?
- QUESTION.- Mais précisément je crois que le problème, enfin la question, c'est une question de confiance. Or vous parlez d'aventure, l'appel du grand large. Mais je veux dire au niveau économique, je crois que c'est fort louable également et qui est partagé et désiré par les chefs d'entreprise. Alors précisément ces chefs d'entreprise ont eu cette confiance.
- LE PRESIDENT.- Je suis allé voir, près de Clermont-Ferrand, une entreprise, de 150 personnes à peu près, de textile, et bien vous savez ce qu'ils vendent ? Ils vendent des chemises, des mouchoirs. Vous savez où ils le vendent ? A Hong-Kong. Je suis allé voir aussi une entreprise de textile près de Bordeaux `Lectra systèmes`. A l'heure actuelle, ils sont en train d'inonder les Etats-Unis et le Japon. C'est possible. Cela n'est pas possible à tout le monde mais cela prouve que l'esprit des français aujourd'hui est nettement tourné du côté de la modernisation. Ils ont fait le saut, les Français et ils savent que le redressement de la France passe par là : l'effort, l'intelligence, l'audace et naturellement le suivi. C'est là que l'Etat doit contribuer à l'effort de ces gens remarquables.\
QUESTION.- Monsieur le Président, messieurs, je vais vous demander de vous plier à une règle quotidienne chez nous, c'est le rendez-vous des titres de l'information de l'Ouest. Cela vous donnera peut-être une idée de ce qui s'est passé aujourd'hui dans l'Ouest.
- Titres des informations régionales
- QUESTION.- Monsieur le Président, pour continuer dans la notion de décentralisation, en 1986 les régions vont être dotées d'un pouvoir politique accru. Cela étant, si l'on considère la notion de grand-ouest économique et social, ne pensez-vous pas que la notion administrative actuelle des régions est une notion qui est dépassée ?
- LE PRESIDENT.- Vous voulez dire leur partage actuel ? LE JOURNALISTE.- C'est cela, la répartition et le découpage.
- LE PRESIDENT.- Je me souviens qu'au moment où cela a été décidé par d'autres gouvernements que ceux que j'ai formés, `décret du 2 juin 1960` donc auparavant, cette discussion a eu lieu. Est-ce qu'il faut beaucoup de régions ? On en a fait 22. Ou est-ce qu'il en faut simplement 9 ou 10 ? Finalement, le gouvernement de l'époque a tranché en faveur de ce qu'il pouvait penser être la réalité géographique et historique et on a fait beaucoup de régions, dont certaines sont en effet très petites.
- Le rêve de grandes régions qui auraient une plus grande unité économique avec des investissements peut-être mieux répartis, ne s'est pas réalisé, mais il est vrai qu'il était un peu artificiel car cela ne correspondait à aucune réalité française née dans l'histoire de notre pays. Je ne peux pas trancher. En ce qui concerne la Bretagne, on a dit : "la région Bretagne, c'est quatre départements". Les Pays de Loire sont alors venus ramasser Nantes et je pense que c'est la question que vous me posez ?
- LE JOURNALISTE.- Tout à fait.
- LE PRESIDENT.- Je pense que si nous avons fait tout ce que nous avons fait, c'est parce que nous voulons que ce soit les populations qui décident elles-mêmes. Donc nous avons décentralisé. De plus en plus, ce sont les élus locaux qui décident dans un certain nombre de domaines qui autrefois relevaient de l'Etat. Ce sont les maires, les présidents et bureaux du Conseil général ou de Conseil régional qui décident là où, auparavant, c'était le préfet ou bien le ministre et le gouvernement.
- Pour ce partage des régions, moi je ne suis pas contre. Organisez des campagnes et dites-moi ce que veulent les populations, dites-le moi. J'en tiendrai compte, croyez-moi.\
QUESTION.- Sur le -plan économique il y a quand même des domaines qui sont communs à la région, aux régions de l'Ouest. Je prends l'agriculture. Vous deviez visiter aujourd'hui une exploitation des Côtes-du-Nord que, malheureusement votre emploi du temps a empêché de visiter, du côté de Plessala. Ce jeune agriculteur que vous deviez rencontrer, c'est ce qui était prévu du moins...
- LE PRESIDENT.- Non, j'ai déjeuné avec eux, c'est ce qui était prévu.
- LE JOURNALISTE.- C'est un jeune agriculteur qui est installé à côté de Plessala. Il est installé depuis moins d'un an, il a repris la ferme de ses parents après le décès de son père. Je vous propose d'écouter son témoignage sur ses conditions d'installation.
- (Interview du jeune agriculteur)
- QUESTION.- Voilà donc l'installation des jeunes agriculteurs, les quotas laitiers, deux questions dont vous avez certainement parlé.
- LE PRESIDENT.- On a fait beaucoup pour l'installation des jeunes, beaucoup. Je me souviens du temps de Mme Cresson quand on a doublé les primes à l'installation des jeunes agriculteurs. Et on a continué, et aujourd'hui encore, il y a quelques ... pas loin d'un milliard, qui est consacré pour l'installation des jeunes, sans oublier un autre milliard et des prêts bonifiés qui doivent servir toujours à cette installation.\
`Suite du commentaire de l'interview d'un jeune agriculteur`
- LE PRESIDENT.- En réalité, le problème des quotas laitiers s'est posé dans des termes simples et je comprends qu'il ait déconcerté les jeunes qui avaient fait un gros effort d'investissement, donc qui avaient fait des sacrifices pour l'avenir. Tout d'un coup ils ont eu l'impression que l'avenir était bouché. Mais il faut savoir aussi que dans le marché commun agricole, nous produisions - c'était les dix pays, maintenant il va y en avoir douze à partir du 1er janvier - l'an dernier 105 millions de tonnes de lait, mais nous n'en consommions ou n'en exportions que 85 millions, ce qui veut dire que l'on stockait 20 millions de tonnes de lait et ce n'était pas la première année. Que faire ? Vous savez que les règles du Marché commun veulent que l'on achète toute la production des agriculteurs-producteurs de lait. On leur achète tout. Mais si on achète tout pour ne pas vendre, il faudra bien payer le stockage et entretenir à perte d'énormes quantités qui ne serviront à rien. Il faudrait donc demander qui doit payer cela, sinon les autres contribuables ? Et les pays comme l'Angleterre, l'Allemagne s'y refusent. Le premier producteur de lait en Europe, c'est la France. C'était le cas en 1984 : 27 millions de tonnes, l'Allemagne venait juste derrière avec 25 millions et les autres pays loin derrière.
- Pouvait-on continuer à produire des marchandises qui ne sont pas consommées ? C'est une hérésie économiquement Et d'autre part, nos agriculteurs sont généralement plutôt libéraux, je veux dire libéraux économique. Politiquement, c'est très bien, il faut servir la liberté. Mais économiquement, si c'était un régime libéral, on n'achèterait pas leurs productions automatiquement. On achèterait selon le prix ici ou là, en Europe ou ailleurs. On achèterait en Amérique aussi, mon cher, au prix mondial. Si donc ce système du Marché commun, qui est l'achat automatiquement de la production de lait chez tous les paysans producteurs de lait d'Europe, s'arrêtait, les cours s'effrondreraient £ ils seraient ruinés. Ils ne tiendraient pas le choc actuellement en face des prix mondiaux. De telle sorte que le Marché commun leur permet de se développer. Mais, je reviens à la question précédente, à partir du moment où le producteur sait que sa production est automatiquement achetée, ce producteur se dit : eh bien, je vais encore produire davantage. Et oui, mais il y a un point limite. Ce point limite ce n'est pas en France qu'on l'a trouvé.
- Ce jeune homme qui s'exprimait tout à l'heure disait des choses tout à fait raisonnables. C'est surtout dans les pays comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas où ils ont transformé la production agricole de l'exploitation familiale d'autrefois, qui a disparu, en usines, "usines à lait", comme on dit. Ces "usines à lait", en France on pourrait les installer place de la Concorde. Ce ne serait pas très rural, mais il suffit d'avoir une installation industrielle, et on achèterait les produits d'alimentation du bétail aux Etats-Unis d'Amérique. Les gouvernements des années 1962, 1963 ont accepté un contrat avec les Américains qui font que la nourriture pour les animaux vient, à l'heure actuelle, en Europe sans payer de taxes, sans douane, sans rien, et nous font une concurrence.\
`Suite du commentaire de l'interview d'un jeune agriculteur`
- (partie non enregistrée sur la bande magnétique)
- LE PRESIDENT.- ... les montants compensatoires, c'est-à-dire que les Allemands, les Hollandais, les autres avaient un bénéfice sur le prix qui correspondait, pour le porc, à 1,75 F. au kilo. Celà coûtait plus cher pour la France et comment voulez-vous que les consommateurs n'achètent pas en Allemagne et dans les Pays-Bas ? Tout cela à la demande de la France en 1969 ! Les gouvernements qui ont fait cela ont été très inconséquents, mais il s'agit d'accords internationaux et moi je fais avec ce que j'ai : j'ai réussi à débarrasser la production porcine de la plupart de ces montants compensatoires. Maintenant on est dans une bonne situation. Mais par -rapport à ce que dit ce jeune paysan, c'est vrai que les quotas laitiers étaient une issue forcée, qu'on a essayé de corriger en France en permettant aux agriculteurs plus âgés de s'en aller, ceux qui étaient un peu en fin de carrière, qui en avaient assez ou bien qui avaient d'autres productions agricoles.\
`suite du commentaire de l'interview d'un jeune agriculteur`
- LE PRESIDENT.- Il dit "les agriculteurs plus âgés" £ vous êtes jeunes, autour de cette table, presque tous, je n'ose pas dire ce que je vais dire, les agriculteurs âgés à 55 ans, moi qui en ai beaucoup plus et qui ne veux pas me ranger parmi les gens qui doivent nécessairement partir à la retraite. Mais on leur a donné, on leur offre 30000 francs par an, une sorte de prime de départ. Les organisations agricoles nous avaient dit :"ce n'est pas une bonne solution, personne ne le voudra". Or, on n'y arrive plus, tellement de gens aujourd'hui demandent de partir en bénéficiant de cette prime, au point que nous n'avons pas prévu assez de crédits et que maintenant on nous dit : "il faut donner cet argent qui manque". On va le donner d'ailleurs : la région Bretagne nous apporte un concours vraiment correct et l'Etat va participer. Donc on fait à l'heure actuelle ce qu'on peut pour que les anciens s'en aillent, ce qui permettra aux quotas - cela veut dire qu'on limite la production - de s'appliquer. Si cette production réduite n'est pas redistribuée, repartagée entre les producteurs qui restent, s'ils sont aussi nombreux qu'avant, chacun va y perdre, mais s'il y en a moins, ceux qui restent vont s'y retrouver, notamment ces jeunes. C'est ce que nous sommes en train de faire avec succès. Mais cela a commencé il y a simplement un an. Avant que ce système n'aboutisse à tous ces résultats, il faut du temps et j'ai remarqué qu'en Bretagne il y avait moins d'installations de jeunes à cause de cela qu'il n'y en avait auparavant. C'est un danger et il faut que le gouvernement s'en rende compte.\
QUESTION.- Il y a le prix de la terre aussi pour les jeunes, notamment dans le centre-Bretagne.
- LE PRESIDENT.- C'est un problème que j'ai toujours connu. Ce n'est pas nouveau. Je me souviens des jeunes agriculteurs, des premiers, du CNJA, qui disaient une formule très heureuse : "il vaut mieux ne pas mourir riche, en vivant pauvre toute sa vie". Parce qu'en effet, un jeune qui veut acheter la terre, s'endette pour toute sa vie et beaucoup d'organisations agricoles, il faut le dire, ont créé tout un réseau qui permet aujourd'hui aux jeunes de disposer de moyens qu'ils n'avaient pas auparavant. Il n'empêche que le problème de la propriété est un problème déterminant. Je me souviens que mon grand-père était exploitant agricole et quand on lui parlait de la propriété, pour lui c'était comme si on lui parlait du Bon Dieu : il ne fallait pas y toucher !
- Les agriculteurs d'aujourd'hui, les jeunes, ne demandent pas tellement la propriété du sol, ils en demandent l'usage et que cet usage ils puissent en disposer de telle sorte qu'ils puissent profiter de leur travail, bref s'enrichir. Et s'ils doivent passer nécessairement par l'achat de la terre, alors ils sont obérés pendant toute leur vie, indiscutablement... Mais je ne veux pas avoir l'air de dire que rien n'a été fait depuis 40 ans : beaucoup a été fait dans ce sens et par la profession et par les gouvernements qui se sont succédés.\
QUESTION.- Justement, depuis 1981 vous n'avez pas l'impression que le gouvernement de gauche a un peu manqué le rendez-vous avec les agriculteurs ? On a l'impression qu'il y a un malentendu entre les socialistes et les agriculteurs.
- LE PRESIDENT.- Vous me faites parler tout d'un coup au nom des socialistes, je parlais tout à l'heure au nom du gouvernement. Vous me menez sur de drôles de chemins ! Je suis tout à fait fidèle à mes convictions et à mes amis, mais enfin je ne suis pas chargé de parler à leur place. Ce que vous appelez les "socialistes" ont toujours été minoritaires dans les groupes socio-professionnels agricoles, toujours. C'est une sorte de modèle culturel qui existe depuis longtemps. Je ne veux pas faire une campagne électorale, je ne suis pas venu pour cela, mais à mon avis, les agriculteurs ont plutôt tort ! Enfin ! Il faut qu'ils comprennent que seules les solutions d'avenir et l'organisation économique et sociale leur permettront de vaincre les difficultés qui sont les leurs. Et que la règle du "laissez faire, laissez passer", propre au libéralisme, les condamnent à la ruine.
- QUESTION.- En ce qui concerne l'agriculture, vous avez parlé des quotas laitiers, vous êtes dans une région qui produit une très grande partie ...
- LE PRESIDENT.- Sur les 200 millions pour l'aide à la prime de départ, ils ont reçu 42 millions, ce qui donne à peu près une idée de la proportion.\
QUESTION.- Vous avez répondu en ce qui concerne les cessations d'activité, sur les problèmes de l'installation des jeunes. Je reviens sur ce qui vient d'être dit, tout à l'heure, aux informations où il a été question en particulier des chantiers navals. Vous venez de visiter une région particulièrement touchée par le chômage sur la région du Trégor. Vous venez de voir le problème des chantiers navals, vous venez de lancer dans le Nord-Pas-de-Calais un plan économique et social de 3 milliards, particulièrement intéressant, est-ce que vous envisagez quelque chose de semblable pour l'Ouest ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison de poser cette question maintenant, monsieur Brulé, parce que tout à l'heure j'avais parlé un peu longtemps, on a coupé et je n'ai pas répondu à la question des pôles de conversion. Vous m'offrez l'occasion d'y revenir. C'est vrai que ce sont des régions entières, ou des gros centres, qui ont bénéficié de la définition "pôles de conversion" ou un certain nombre d'avantages incitent les entreprises à venir s'installer, donc à créer de l'emploi : c'est le cas de la Lorraine, c'est le cas du Nord, etc ... Dans l'Ouest, je suis de l'Ouest aussi, j'ai donc quelques faveurs pour l'Ouest, mais enfin, dans l'Ouest, particulièrement en Bretagne, il n'y a pas de pôles de conversion. Aussi j'ai dit tout à l'heure, dans le Trégor, qu'il fallait peut-être retenir une distinction lorsqu'une petite région comme celle-là se trouve terriblement affectée par la réduction de l'emploi £ dans le triangle qui est là-bas, il faudrait des mesures adaptées, c'est-à-dire créer une sorte de règle dans la distribution des primes de la DATAR, c'est-à-dire l'aménagement du territoire, dans les primes à l'emploi. C'est un des éléments que je vais rapporter au gouvernement dès après-demain car, je pense qu'il serait utile de s'attaquer à tous les centres particuliers qui ne sont pas "pôles", mais qui souffrent autant de la perte de l'emploi.
- Vous avez parlé des chantiers navals, enfin on nous en a parlé. Les chantiers navals, il leur faut des commandes et on n'a pas beaucoup de commandes si on fait trop cher, si on n'a pas l'équipement le plus moderne. A ce moment-là, on file à Hong-Kong, au Japon ou ailleurs, même en Yougoslavie. Voilà un problème. L'effort fait pour les chantiers navals est financièrement considérable. Mais comment trouver des marchés ? On a obtenu le norvégien, qui est venu nous confier la fabrication d'un énorme bateau, nous sommes en train de réussir pour la voile, les bateaux de petits tonnages où la France se situe au deuxième rang dans le monde. Mais pour ce que l'on appelle, d'une façon classique, les bateaux relevant des chantiers navals tels qu'ils existent dans l'Ouest-Atlantique et sur le bord de la Méditerranée, il n'y a pas pour l'instant les commandes extérieures suffisantes. Il faut donc équiper et moderniser les chantiers. Seulement, voilà : ceux qui y travaillent nous entendent disserter de ces choses et, pendant ce temps-là, ils voient leurs emplois disparaître. Ils se mettent en colère et je les comprends, mais ce n'est pas comme celà qu'on trouvera la solution. C'est en modernisant et en transformant notre appareil industriel s'il faut le transformer, faire autre chose si cela ne marche pas et ne pas rester simplement désespérés sur le terrain où disparaissent les installations d'autrefois.\
QUESTION.- Vous parlez peut-être de la pêche, mais auparavant une question très concrète parce que je sais qu'elle est attendue de beaucoup de gens et notamment des élus en ce qui concerne la réforme sur les collectivités locales et le statut de l'élu, ils l'attendent beaucoup, alors on parle d'élections régionales, il y a aussi un peu ce financement, et beaucoup d'élus, notamment de l'opposition, sont inquiets en disant : "où va-t-on ?". On est en train de faire une superposition de structures".
- LE PRESIDENT.- Les élus de l'opposition ?
- QUESTION.- Notamment, oui parce que ce sont eux qui, à cet égard, ont la critique la plus facile.
- LE PRESIDENT.- Ils ont bien fait la région.
- QUESTION.- Oui, certes, mais avec le statut.
- LE PRESIDENT.- C'est eux qui demandaient, comme nous d'ailleurs, le suffrage universel.
- QUESTION. Mais le conseiller régional aujourd'hui aura quand même un mandat beaucoup plus important qui sera indemnisé, cela entraîne nécessairement une dépense supplémentaire, et à cet égard ils se posent beaucoup de questions, d'abord combien va être payé un conseiller régional ?
- LE PRESIDENT.- Ah ! je n'en sais rien. Je n'en sais strictement rien. Je pense aussi que les régions y pourvoiront. Ce n'est pas l'Etat qui va payer les conseillers régionaux.
- QUESTION.- Oui, mais une décision qui sera prise au niveau national.
- LE PRESIDENT.- Peut -être bien, mais je n'en sais rien.\
QUESTION.- Oui. Sur le salaire, n'en parlons plus, c'est une question matérielle. Les conseillers régionaux héritent des lycées, les départements des collèges, or, nos régions restent sous-équipées dans le -plan éducatif, comment l'Etat aidera-t-il nos régions à régler les lourdes factures ?
- LE PRESIDENT.- Sous-équipées, cela dépend où. J'étais à Saint-Brieuc tout à l'heure pour constater qu'il n'y avait pas d'Institut universistaire technologique, alors qu'il y en a six autres en Bretagne. Pourquoi Saint-Brieuc n'en a pas eu dans le passé ? Il faut poser cette question. Vous pensez qu'il n'y a aucun -rappport avec la politique ? Bon. Ce n'est pas forcément la faute du gouvernement, mais si on a fait cette répartition c'est parce qu'à compter du moment où on a décentralisé il faut bien que les élus régionaux et départementaux aient des compétences, aient quelque chose à faire, autrement ils se diraient : "avec cette loi de décentralisation, on se moque de nous". Et si on passe des compétences, il faut aussi passer le financement.
- Eh bien, messieurs, je le dis devant tout le monde, nous avons créé une Commission nationale pour contrôler si l'on avait passé aux régions et aux départements tous les financements auxquels on s'était engagé. Cette commission nationale est composée d'une majorité d'élus locaux et parmi ces élus locaux, il y a une majorité d'élus d'opposition. Eh bien à l'unanimité, cette commission, à plusieurs reprises, a estimé que l'Etat, au centime près, avait rempli toutes ses obligations. Alors, à compter du moment où nous avons passé aux collectivités départementales et régionales, tous les financements correspondant aux compétences concédées, que nous demande t-on de plus ? Tout simplement, on était habitué depuis que la République existe, à demander au gouvernement quand on était un peu influent. Vous savez, j'ai été pendant 25 ans dans l'opposition et je me débrouillais quand même, mais enfin je passais à travers les gouttes de la pluie mais il y en a d'autres qui n'y arrivaient pas. Et puis j'ai été aussi dans la majorité £ j'ai été au gouvernement pendant 7 ans. J'ai vu comment cela se passait, d'un côté et de l'autre. C'était finalement à la débrouillardise, le système D et même le système D se cassait quelquefois le nez sur les impératifs politiques. Tout d'un coup le préfet intervenait en disant "non cette commune-là, il n'y a pas de place, ce n'est pas la peine..." Et puis, nous nous sommes débarrassés de cette tare. Mais les communes étaient tellement habituées à obtenir du gouvernement un certain nombre de subventions qu'aujourd'hui, alors que la région et les départements ont l'argent correspondant aux compétences, exactement au centime près, les communes voudraient bien avoir en plus des dotations particulières si bien que c'est impossible, car enfin il faut quand même gérer les affaires de la France sérieusement. Nous avons limité à 3 % le déficit budgétaire, ce qui est un chiffre tout à fait raisonnable, mais il ne faut pas le dépasser. On ne peut quand même pas à la fois envoyer aux régions et aux départements, aux conseils régionaux et généraux des milliards et en même temps là où ils ont des compétences, notamment sur le -plan de l'enseignement, les payer à leur place. Il faut être raisonnable et ne pas tout confondre. Ce n'est pas ce que vous avez fait. Vous m'avez posé une question mais je mets en garde les élus locaux : ils n'auront pas de financement supplémentaire là où c'est leur compétence.\
QUESTION.- Une question politique. Monsieur le Président, vous étiez aujourd'hui dans un département, les Côtes-du-Nord, qui voilà 8 jours a basculé dans le rocardisme. Alors comment est-ce que vous appréciez aujourd'hui les effets de cette poussée rocardienne en France et dans la perspective de 1986 et d'autre part est-ce que vous pensez que cette poussée est susceptible de modifier pour l'échéance de 1988 qui elle, vous concerne directement ?
- LE PRESIDENT.- 1988 est une échéance qui ne me concerne pas du tout. 1986 me concerne. En 1988, c'est la fin de mon mandat, ce n'est pas le commencement d'un autre.
- QUESTION.- Peut-être ?
- LE PRESIDENT.- Ah qui sait ? Vous êtes vraiment trop malin ! C'est vraiment le genre de questions à laquelle il m'est très difficile de répondre. D'abord parce que vous me ramenez sur le terrain du parti socialiste qui m'est cher, mais ce n'est pas moi qui m'occupe de ses affaires. Il y a un premier secrétaire qui s'appelle Lionel Jospin, il y a des élus de toutes sortes, y compris ceux dont vous avez prononcé les noms. Ce n'est pas de ma responsabilité : j'ai fait cela pendant 10 ans, ça suffit, c'est très bien, je fais autre chose. Pour l'instant, je m'occupe des Français, quelle que soit l'opinion politique, même si j'ai mes préférences que je ne mets pas dans ma poche.
- Mais pour répondre simplement, disons d'une façon légère, en passant, à cette question qui se veut un peu pernicieuse, je vous dirai que je ne sais pas ce que c'est des "mitterrandistes". Je ne sais pas ce que c'est ! Et je ne reconnais pas les mitterrandistes du parti socialiste parmi les différents courants, CERES, Rocard, Mauroy et bien d'autres : j'ai des amis dans tous les courants, ce n'est pas que je sois un coeur qui se distribue à tout le monde, mais ce sont mes amis. C'est avec eux que j'ai fait le parti socialiste et ils restent mes amis, Michel Rocard, Jean-Pierre Chevènement, Pierre Mauroy, Lionel Jospin et les autres.
- Alors moi je fais absolument un désavoeu de parternité lorsque je vois partout écrit par vous, "les rocardiens : tant", "les mitterrandistes : tant". Mais au parti socialiste, tous les socialistes sont "mitterrandistes". Quand j'y étais, tout le monde n'était pas "mitterrandiste", pour employer l'expression qui est la vôtre et qui n'est pas la mienne, car j'ai horreur de ce mot-là. Quand j'ai pris la direction du parti socialiste, en 1971, j'avais une majorité de 51 %, ce qui veut dire qu'il y en avait 49 % qui était contre. Au congrès de Metz, je n'avais pas du tout la majorité absolue, pas plus que maintenant, mon ami le Premier secrétaire, n'a pas la majorité absolue. Ce n'est pas nouveau tout cela. La presse fait des découvertes £ elle découvre un peu trop souvent le Pérou. Mais le Pérou a été découvert il y a bien longtemps.
- Non, je ne suis aucunement en opposition avec ceux dont vous me parlez. Michel Rocard est un homme de valeur, qui a des vues personnelles sur la société de la France, sur l'-état du socialisme et Lionel Jospin est un homme qui a beaucoup de force intérieure et qui a en même temps une conception extrêmement élevée, honnête, idéale du développement du socialisme. Nous citons ces deux noms £ mais Pierre Mauroy est un homme solide, très engagé dans ses convictions. Jean-Pierre Chevènement, vous savez qui c'est, etc. Moi, je me sens vraiment, je ne dirais pas "le père" car vous allez me croire centenaire, mais tout de même un peu l'ancien responsable de ce grand mouvement qui durera longtemps après moi. Je désire les voir unis. Mais je ne m'occupe pas de la bataille électorale proprement dite, même si je m'estime responsable de la conduite de ce qui a été accompli depuis maintenant quatre ans, et qui sera examiné par les Français avec leur esprit critique habituel, car c'est cela la démocratie.\
QUESTION.- Monsieur le Président, une dernière question que nous ne pouvions ne pas vous poser. Jean-Paul Kauffmann est un garçon de notre région, de la banlieue de Rennes, son père est boulanger, il est un ancien élève de l'école de Lille, a fait ses premières armes dans notre journal. Je l'ai très bien connu. Il est prévu, je crois, que vous receviez sa famille aujourd'hui £ je voulais vous demander, s'il n'est pas indiscret de votre part, parce que je ne voudrais vous poser aucune question qui puisse gêner en quoi que ce soit sa libération prochaine : est-ce vous pouvez nous dire si vous pouvez aujourd'hui rassurer la famille Kauffmann sur la libération de Jean-Paul ?
- LE PRESIDENT.- Avant d'arriver ici, j'étais chez les Kauffmann. Je connaissais moi-même personnellement le journaliste Kauffmann et j'ai toujours avec lui des relations cordiales. Je connais la valeur humaine et professionnelle de ce garçon. C'est dire que son enlèvement et le mal dont il souffre aujourd'hui, séparé des siens et dans l'incertitude de son propre sort, me touchent aussi. Mais je me suis gardé de toute parole, à l'égard de son père, de sa mère, de ses frères et soeurs. Je me suis contenté de leur dire que seuls les faits comptent et que je ne veux pas, par une parole quelconque, lever une espérance qui serait démentie. Ce sont les actes et les faits qui comptent. Simplement ils avaient besoin, sans doute, de savoir que le Chef de l'Etat a comme tous les autres citoyens qui s'intéressent à ce garçon et aux trois autres otages au Liban, une pensée constante, que nous n'avons perdu aucun des fils diplomatiques et que nous savons quels sont les groupes, leurs tendances, leurs orientations, leurs liens qui pourraient jouer un rôle dans la libération de ces otages.
- Et je profite de votre question dont je mesure l'importance pour dire ici, à FR3 Bretagne, que si l'on pouvait m'entendre au Liban, je dirais aux groupes qui ont jugé bon de faire cela pour des raisons qui tenaient à la politique et aussi à la passion, que leur cause ne peut pas s'acheter aux -prix des souffrances d'un homme. Il n'y a de réussite pour une grande cause que dans le service de ce qui est juste. La France et le Liban ont des liens très anciens : on y parle français, on connaît notre langue et notre culture. Il y a un échange spirituel intellectuel intense et que l'on soit au Liban musulman ou chrétien, on parle souvent le même langage. Que les passions de ce pays ne viennent pas altérer ce que peut représenter le bonheur ou la réussite d'une famille. Moi, dans le rôle qui est le mien, je peux vous dire qu'il ne se passe de jours, sans que j'agisse pour que nos quatre otages soient libérés. Nous avons mis dans d'autres circonstances, je pense aux otages du Soudan il y a peu de temps, plus d'un an et nous y sommes parvenus. Vraiment, je fais tous les voeux pour que dans un délai plus bref, nous y parvenions.
- Vous savez ces nouvelles qui nous sont arrivées, la personnalité soviétique qui a été abattue, cet américain détenu depuis 18 mois, d'autres dont le sort reste incertain, tout cela me fait mal aussi, mais je pense que nous avons suffisamment de raisons de croire que c'est possible pour ne pas perdre, dans des paroles inutiles, l'effort diplomatique et politique qui doit être fait. Je puis vous dire que cet effort, je l'accomplis. Je vous remercie.\