7 octobre 1985 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, au déjeuner offert aux organisations agricoles régionales et départementales de Bretagne, au Centre culturel de Plessala, lundi 7 octobre 1985.

Messieurs les Présidents,
- Mesdames et messieurs,
- On me permettra de dire d'abord mes remerciements à Mme le maire qui nous reçoit dans sa commune, qui nous reçoit bien. Cela n'est pas fait pour nous surprendre, mais quand on est soi-même invité, et que l'on peut éprouver la qualité de cette hospitalité, on ne peut qu'y être très sensible, c'est mon cas.
- Maintenant, monsieur le président, vous avez évoqué un certain nombre de problèmes. Je ne pourrai répondre à tous, mais disons que je m'en tiendrai, je crois, à l'essentiel.
- Que la Bretagne soit une région aujourd'hui en mesure de se placer dans la compétition, au premier rang, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde, c'est devenu une évidence. Vous avez d'ailleurs commencé avec un légitime orgueil en disant première région d'Europe. Et cela ne se dit pas assez. Est-ce que tous les Bretons en sont bien convaincus ?
- Lorsque l'on mesure le chemin parcouru depuis la dernière guerre mondiale, je l'ai exprimé ce matin, je le dirai simplement en deux mots : le retard qui était le vôtre ne pouvait laisser supposer - non pas à l'avance, mais tout de même - les conquêtes et les réussites qui aujourd'hui marquent la vie bretonne. Nous ne ferons ni vous, ni moi une description qui flatterait faussement la Bretagne, car il n'est pas de succès sans ombre. Celui là est un très grand succès, celui de la Bretagne et des Bretons sur le terrain international par la qualité des produits, par l'industrialisation et la commercialisation qu'ont trouvé à leur disposition des femmes et des hommes qui sont à la pointe des techniques modernes. Mais, bien entendu, il y a les manques, il y a les secteurs en panne, secteurs industriels et dans certains secteurs industriels ou agricoles des régions ou des fractions de régions qui elles connaissent la détresse.\
Bref, ce mouvement en avant n'est pas uniforme et le devoir de l'Etat en même temps que le devoir de la nation c'est de se retourner du côté de ceux qui se trouvent aujourd'hui distancés pour leur donner les moyens de rattraper le gros de la troupe, sans oublier, mais là, je vais y venir, les quelques grandes questions qui elles frappent tout le monde y compris les meilleurs.
- Donc, j'en appellerai d'abord à ce devoir de solidarité. Pour un homme comme moi, il n'y a pas de Français qui soit sans intérêt, qui ne mérite la solidarité nationale, d'autant plus que chacun des Français remis dans la course prend part à la production et au développement de la France dans le monde, donc à son prestige, dont à sa prospérité générale. Je crois que c'est une tournure d'esprit bien connue chez les femmes et les hommes qui sont issus de mon courant de pensée, de celui auquel j'appartenais avant d'être responsable de tous les besoins, de toutes les inspirations des Français, que de considérer cette solidarité de base comme un devoir essentiel. Nous ne croyons, nous, ni à la morale, ni à la politique des laisser pour compte, ni à la morale, ni à la politique d'un laisser aller ou d'un laisser passer qui ferait qu'après tout la seule règle de la vie ce serait d'être plus fort que les autres et donc de les écraser au passage.
- Et cependant il y a aussi des lois de la vie et ce serait stupide et dangereux que de les ignorer ou de les négliger, car il faut être fort, organisé, il faut savoir combattre. Car si l'on n'est pas le meilleur on risque d'être le moins bon. Il n'y a guère de demi mesure dans la bataille économique. Bon, donc, devoir de solidarité, d'attention des Pouvoirs publics - j'appelle Pouvoirs publics, je pense aussi bien, même si le terme est excessivement étendu, aux élus locaux et régionaux et à ceux qui ont la charge de l'Etat, tous peuvent et doivent, comme vous l'avez fait à l'instant, monsieur le Président, attirer l'attention là où il le faut pour que chacun ait sa chance.\
Voilà, est-ce que la Bretagne a sa chance ? On vient de le dire, elle est très bien placée dans la compétition européenne et elle commence à se rendre compte qu'elle est fort bien placée dans la compétition mondiale. Mais à condition qu'on ne lui coupe pas les jarrets, à la condition qu'elle dispose du ressort nécessaire, à la condition qu'on puisse répondre aux quelques questions majeures dont dépend son avenir et même parfois son présent. Vous avez cité, monsieur le président, quelques questions qui risquent d'atteindre si elles sont résolues l'ensemble des productions bretonnes, surtout naturellement des productions agricoles. Vous avez parlé des montants compensatoires monétaires, des distorsions tarifaires et fiscales, des quotas laitiers, de l'élargissement à Douze, de la viande bovine, des jeunes, de la sécheresse, et bien d'autres questions au passage, mais il serait impossible de procéder à l'établissement d'une encyclopédie dans les quelques minutes, disons un quart d'heure que cet itinéraire me permet.\
Parlons des montants compensatoires monétaires. J'en ai dit un mot ce matin à Lamballe. Je me résume donc, les montants compensatoires monétaires ont été créés en 1969 à l'initiative du gouvernement français. Dans les années qui ont suivi et même dans les mois qui ont suivi cette imprudente initiative, on s'est rendu compte qu'en raison du développement de l'inflation en France et disons des lenteurs de notre développement, qui ont été des réussites par ailleurs, nous n'avions pas intérêt à avoir - par la comparaison trop stricte de la valeur des monnaies ou de leur solidité surtout entre l'Allemagne et la France - nous n'avions pas intérêt à coller les prix agricoles et leurs variations à ces seuls éléments.
- Alors on a commencé à protester. Mais nos partenaires du Marché commun nous répondaient comme ils le faisaient encore récemment, comme ils me le faisaient en 1984, premier semestre - quand je présidais la Communauté j'ai pu, en effet, résoudre ce problème, du moins pour partie, en tout cas pour l'essentiel, pour ce qui concerne les porcs, mais dans une certaine mesure dans toutes les catégories - ils me répondaient "mais que veut la France ?" Vous nous demandez en 1969 de créer cette institution, ce système, vous nous demandez ensuite en 1975, 1980, 1982, 1984, de faire le contraire. Mais comme bien entendu ces pays, je pense surtout à l'Allemagne et à la Hollande, tiraient le plus grand profit de cette disparité et leur accord était nécessaire en raison des règles un peu tordues du Marché commun qui ont été tordues avec ce que l'on appelle le compromis de Luxembourg, qui n'est pas une application extrêmement stricte du Traité de Rome. On demandait aux bénéficiaires-même de cette mesure proposée par la France de renoncer aux bénéfices qu'ils en tiraient, mais ils se sont fait tirer l'oreille. Il a fallu longtemps pour y parvenir. Et je me souviens encore des discussions auxquelles j'ai moi-même participé, depuis 1981, puisque la première fois que je me suis trouvé dans un Sommet, comme on l'appelle européen, c'était à Londres en 1981. Sujet à l'ordre du jour : le lait.
- Bon, les montants compensatoires pour le porc ont été considérablement réduits. Je crois que la production porcine, si j'en parle beaucoup en Bretagne, c'est parce que la Bretagne se situe au premier rang. Elle représente à elle seule peut-être la moitié de la production française et, à l'intérieur de la Bretagne, c'était tout à l'heure au -sein d'une entreprise coopérative qui, elle, représentait à elle seule un facteur très important de cette production bretonne.\
La bataille contre les montants compensatoires a permis à la France de récupérer un terrain antérieurement perdu. Il reste encore une résistance de la Bavière figurez-vous. Et il faut l'accord de l'Allemagne pour arracher les derniers lambeaux. Et les producteurs de Bavière ainsi que ceux du Schleswig-Holstein, M. Strauss ici, l'actuel ministre de l'économie, plutôt des finances, allemand, de l'autre côté, représentent une sorte de facteur, une puissance politique qui pèse lourd dans les discussions que nous avons avec le principal partenaire européen.
- Et puis il faut le dire à l'intérieur du Marché commun il y a aujourd'hui une tendance partagée par l'Allemagne, par la Grande-Bretagne qui tend à considérer que le Traité de Rome a fait la part trop belle à l'agriculture et particulièrement à l'exploitation familiale. Quand on a vu se développer en Grande-Bretagne et dans les Pays-Bas ce qu'on appelle les usines à lait qui sont la cause principale de la surproduction, nous avons demandé qu'il y ait quand même une certaine différence dans les mesures à prendre entre ces usines qui n'ont plus rien à voir avec l'agriculture proprement dite et en tout cas certainement pas avec l'exploitation familiale, en invoquant ce Traité de Rome. Si vous voulez le Traité de Rome ce n'est pas simplement un accord diplomatique entre six pays, ensuite neuf, bientôt douze, c'est aussi un certain choix de sociétés rurales, un certain type d'exploitation et ceci est aussi important pour le moins que cela. Nous avons rencontré fort peu de compréhension.
- En effet, les usines à lait de Hollande, de Pays-Bas ont contribué à une augmentation de 30 % de la production laitière. Tandis que la production laitière française ne s'était accrue, en dépit de ses progrès, que de 7 %. On ne pouvait pas incriminer la France d'avoir pesé trop lourd dans cette fâcheuse surproduction. Mais leurs intérêts à eux sont des intérêts ligués, coalisés, contre les nôtres. Ces pays trouvent incommodes d'avoir à opérer des restitutions. Lorsque nous exportons nos produits agro alimentaires et que l'Europe doit nous concéder la différence entre le prix européen et le prix mondial, la mauvaise humeur règne. On dit : mais pourquoi voulez-vous toujours tout cela. Eh bien parce que c'est la France qui produit, parce que c'est la France qui exporte, parce que c'est la France qui sur ce -plan-là fait la richesse de l'Europe. Oui, mais la richesse de l'Europe à laquelle la France contribue est enregistrée depuis longtemps. Mais au moment où il s'agit de payer, on a oublié.\
Et les mêmes pays offrent un front de résistance extrêmement faible à l'envahissement ou l'invasion de l'Europe par les produits américains.
- Non seulement les montants compensatoires monétaires ont été institués en 1969 dans des conditions que je viens de vous dire, mais encore ce sont les dispositions de ce que l'on appelle le GATT, c'est-à-dire la négociation commerciale, cela remonte très loin en 1962, qui ont en fait contraint l'Europe et contraint la France à supporter cette concurrence du soja et des produits d'alimentation du bétail américain qui viennent sans taxe dans le Marché commun. Non, les Américains disent : mais c'était la compensation, vous avez des mesures protectionnistes dans votre Europe. Alors à bas le protectionnisme - oubliant d'ailleurs le leur au passage - à bas le protectionnisme, alors vous nous devez une compensation. Cette compensation a été pour les producteurs du Middle West la possibilité de déverser sur l'Europe sans taxe les produits d'alimentation pour le bétail. Alors, naturellement une usine dite à lait, où tout se passe mécaniquement, pourrait s'installer, disais-je, si on était en France sur la place de la Concorde, ce ne serait quand même pas très rural, sur la place de la Concorde, mais cela pourrait aussi bien se faire là, en apportant par les moyens de transport également les plus mécanisés les aliments du bétail venus de Milwaukee. Qu'est-ce qui reste du Marché commun agricole et de l'exploitation familiale ?\
Mais c'est quand même comme cela que cela se passe et c'est le résultat de deux accords internationaux : les MCM, accords européens, le GATT, la négociation commerciale, accord mondial auquel la France a souscrit il y a déjà vingt ans. Et pour s'en dégager, il faudrait l'accord des autres. On essaie de s'en dégager. Encore les projets sont-ils nourris par les Etats-Unis d'Amérique, afin d'accentuer cette invasion du Marché commun.
- C'est pourquoi j'ai été saisi à Bonn `Sommet des Pays industrialisés` il n'y a pas si longtemps, cette année-même, d'une proposition de recommencer les négociations commerciales dès le début de l'année 1986, ce à quoi j'ai opposé mon veto à M. Reagan et aux autres qui étaient tous d'accord. Parce que je savais bien que la France se trouverait en situation impossible. Les autres pays du Marché commun, fâchés de voir la France tirer ce profit de sa production agricole, fâchés d'avoir à redistribuer dans la caisse commune le prix de ce qui doit être restitué à la France, aux pays producteurs, aux pays exportateurs, qu'auraient-ils fait dans cette nouvelle négociation ? Ils se seraient joints peut-être aux Américains, nous nous serions trouvés isolés, sans pouvoir compter sur le tiers monde qui a ses propres problèmes, pour venir au secours des producteurs français.
- Non pas que je sois hostile à la reprise de cette négociation. Je suis contre le protectionnisme moi aussi, mais à la condition d'avoir prévu un ordre du jour, de savoir de quelles questions on allait parler. La seule question qui était inscrite à l'ordre du jour par la direction du GATT, cet organisme commercial international, c'était quoi donc : la production agricole ? Il n'était pas question des services, des marques japonaises. Il n'était pas question des actes qui font un protectionnisme terrible sur la navigation du côté américain, puisque les marchandises ne peuvent circuler que sur des bâteaux américains. Il n'était pas question des méthodes adoptées par les Anglais chaque fois qu'arrive Christmas, Noël. Trois mois avant on découvre toujours de ce côté-là que les poulets et les dindes français sont atteints de maladies dont ils sont mystérieusement guéris à partir du mois de février, jusqu'au prochain Christmas. Et il y a là, tout un jeu. Sans parler monsieur le président, vous l'avez fait tout à l'heure - nous pourrions être plus concrets vous et moi, mais on n'en a pas le temps - des distorsions tarifaires et fiscales qui font qu'ici et là on apporte des avantages. Quoique là, je tiens à être tout à fait rigoureux, la France n'est pas avare non plus des dispositions particulières à l'avantage de telles ou telles catégories d'agriculteurs ce qui nous vaut, on ne nous rate pas, des protestations constantes dont M. Delors, président de la Commission `européenne`, me saisit régulièrement. Ce à quoi je réponds de la façon la plus innocente possible, mais enfin je veux dire que dans les distorsions tarifaires et fiscales la France ne serait pas tout à fait absente.\
Alors, maintenant vous avez l'élargissement, l'élargissement à Douze, de Dix à Douze. Les accords avec les deux pays nouveaux, Espagne et Portugal, ont été très sévèrement négociés. Moi je considère que ce sont de bons accords et j'y ai apporté tout mon poids. Je sais que ce je dis là peut mécontenter certains mais rassurez-vous, je l'ai dit à Narbonne, à Perpignan, à Béziers et à Montpellier - ce n'était pas si facile que cela. Mais je suis allé leur dire sur place qu'ils devaient cesser d'être frileux. Et que s'ils avaient des difficultés pour vendre leur vin, les vins courants, ils n'en avaient pas pour les vins de très grande qualité. Au contraire c'est un bénéfice que de pouvoir exporter en Espagne. Eh bien, il fallait dans ce cas-là s'attaquer à la réalité du problème. Et quand on pense qu'en 1970 a été signé un accord industriel avec l'Espagne qui fait que nos marchandises industrielles s'en vont vers l'Espagne ou bien reviennent d'Espagne ici avec une différence de 4 à 17 % de droits de douane, on pense que l'élargissement à Douze va nous remettre sur ce plan-là à un niveau infiniment plus confortable pour les producteurs industriels.\
Qu'est-ce qu'il fallait négocier ? Il fallait négocier trois secteurs : il fallait négocier la pêche, il fallait négocier le vin et il fallait négocier les fruits et légumes. Je vous dis sans risque de me tromper, en affrontant la contradiction s'il le faut - je ne le ferai pas maintenant, mais je veux dire à distance, quand je serai parti - je vous dis : oui, je prends la responsabilité de ces trois accords que je trouve personnellement excellents. Sur les fruits et légumes, monsieur le président, vous avez une compétence particulière. Eh bien je vous dis que le statut, l'accord qui a été passé sur les fruits et légumes, pour les dix ans à venir, est un accord qui naturellement ne peut pas dispenser les producteurs - mais ils ne s'en dispenseront pas - de l'effort de modernisation indispensable et qui permet de protéger contre des lois fiscales et sociales en Espagne, moins coûteuses que les nôtres et donc pesant moins sur le prix de revient. Cet accord permettra peu à peu d'aligner les situations de ces deux pays.
- Pour le vin, c'est encore plus fort, puisque nous avons obtenu qu'il y ait un contingentement, une sorte de quota du vin. Ainsi l'Espagne qui produit moins que nous actuellement, beaucoup moins que nous, mais qui pourrait produire très rapidement deux fois à trois fois plus que nous, se voit interdire pour les années qui viennent et même définitivement de dépasser à une production en hectolitres qui la laissera loin derrière la France. Etant entendu que, la même réglementation s'appliquant à l'Italie, nous avons du même coup pour une part résolu le problème qui nous opposait à la plupart des producteurs de Sicile qui d'ailleurs, on le savait bien, inondaient le marché français.\
Non, je défends tout à fait, je suis pour l'élargissement. Eh bien monsieur le président vous n'avez pas dit quelque chose que je soupçonne - non, cela n'a rien d'illicite - vous savez ce dont vous avez envie, monsieur, mesdames et messieurs les Bretons ? Vous avez envie de prendre part aux PIM. Ah ! qu'est-ce que c'est que ce langage barbare des grands technocrates européens. Cela veut dire : les Programmes Intégrés et le "M", cela veut dire Méditerranéens. Les Programmes Intégrés Méditerranéens. L'Europe, au moment où elle a accepté l'élargissement, a consenti à la Grèce, à l'Italie et à la France un certain nombre de programmes qui sont financés par l'Europe dans une proportion fort importante, pour la Grèce surtout, - elle en a le plus besoin - l'Italie encore, mais la France pas mal. De telle sorte que la France peut sélectionner quelques programmes dits intégrés, c'est-à-dire peut financer tout simplement des entreprises régionales.
- Et voilà qu'on s'est aperçu tout d'un coup que la Bretagne ne donnait pas sur la Méditerranée. Mais comme la Bretagne est productrice de primeurs au même -titre que les Pyrénées-Orientales, il y a là un fait, un problème qui n'est pas un petit problème, qu'il faudra bien aborder d'une façon ou d'une autre. La grande difficulté, pour nous, ce sera d'arriver à expliquer à nos onze partenaires que la Bretagne est un petit peu de la mer bleue. Cela ne sera pas très facile. Nous ferons interdire l'approche des atlas et des cartes de géographie pendant le temps qu'on discutera de ces choses, mais, après tout, quand on s'entend bien avec des partenaires, beaucoup d'accommodements sont possibles.
- Mais c'est cela que vous n'avez pas dit monsieur le président. Eh oui, la Bretagne n'a pas de part à ce qui est méditerranéen. Alors elle a peut-être eu tort de limiter les zones géographiques, car après tout la meilleure connaissance des choses nous aurait fait constater ce que vous pensez, ce qui est vrai, monsieur le président. Permettez-moi de plaisanter un moment, mais ce qui est vrai c'est que nous sommes ici dans la première région productrice de primeurs. Alors là, c'est un problème qu'il faut reprendre en tant que tel.\
Et les quotas laitiers, eh bien, mesdames et messieurs, les quotas laitiers c'est moi qui les ai acceptés. Il a même fallu un peu que j'impose. Car beaucoup de dirigeants français étaient effrayés par une responsabilité pareille par -rapport à leurs agriculteurs. Mais je ne suis pas à cela près. Je ne cherche pas des voix, je ne cherche pas à plaire. Je cherche à faire ce que je crois nécessaire. Imaginez la gravité de mes propos. C'est lui donc. Mais oui, c'est moi. Sinon je ne suis pas celui qui a proposé. Les quotas laitiers avaient des partisans féroces. Un peu l'Allemagne. Un peu embarassée l'Allemagne, elle ne voulait pas payer pour la surproduction, mais en même temps comme elle participait à la surproduction par la Bavière, elle ne savait pas trop sur quel pied danser. Bon, et puis d'autres encore. Et puis il y a aussi ceux qui ne produisent pas de lait, eux, ils avaient une indépendance d'esprit tout à fait exceptionnelle.
- Je m'adresse ici à des gens sérieux £ l'avantage avec vous c'est que l'on peut discuter. On peut ne pas être d'accord mais on peut discuter, parce que vous connaissez les problèmes. Donnez-moi la solution, mesdames et messieurs. Une Europe du Marché commun qui produit 105 millions de tonnes de lait et qui n'en consomme et que n'en vend que 85 millions de tonnes, donnez-moi la solution ? Qu'est-ce qu'on fait de la différence ? Chaque année on stocke. Vous croyez que le stockage cela ne coûte rien ?
- Mais je vais entrer plus avant dans le problème. L'Europe du Marché commun c'est une économie contrôlée, dirigée. Certains diraient mais vous oublierez bien vite ce mot un peu socialisé, puisque cela consiste à acheter, quoiqu'il advienne, aux producteurs leur production. A partir de là, puisque les agriculteurs et producteurs sont garantis, toute production sera achetée. Ils peuvent se dire légitimement : produisons plus encore, c'est-à-dire, déconnecter la notion de production de celle de consommation. Les autres, ils se débrouilleront. Si bien que l'Europe paye le lait qui ne se consomme pas et qui ne se vend pas, puis paye le stockage du lait qui n'est ni vendu, ni consommé.\
Ah mesdames et messieurs, comme modèle de société libérale vous m'en reparlez. Car, si l'on cédait à la tentation d'aller vers certaine mode aujourd'hui très répandue autour de ce mot-là, que j'aime infiniment quand il s'agit du mot sur le -plan politique - il faut être libéraux : les droits de l'homme, cela c'est la liberté - mais sur le -plan économique, supposez que le Marché commun craque sur la poussée de ses excédents ? qu'il faut quand même payer, et plus, à cause de nos partenaires qui n'en veulent plus et ils commencent à ne plus vouloir. Cette menace vous l'avez parfaitement sentie, messieurs les présidents, vous m'en avez parlé tout à l'heure à table, mes voisins, cette espèce de refus du côté de nos partenaires.
- Supposez que ces règles craquent et que ce soit la règle libérale - laisser faire, laisser passer, le meilleur gagne - vos cours s'écroulent et c'est la ruine générale de la production laitiière. Vous n'y arriverez pas. On a pu développer l'agriculture et la production laitière et quelques autres aussi, je pense aux céréales, en France, pour l'essentiel grâce aux règles du Marché commun agricole qui suppose que si l'on achète tout, si l'on garantit une production, on ne peut pas non plus se moquer des lois de l'économie et oublier que cette production doit se consommer ou se vendre. Et l'on en arrive à des absurdités si monstrueuses que si l'on veut tenir bon sur une ligne de défense impossible à tenir, elle craque et il ne reste rien.
- Eh bien moi, je me suis rallié à l'idée des quotas. Avec regrets, mais en sentant bien que c'était donc une nécessité et j'ai donc donné mon accord.
- La bataille n'a pas été aussi simple, parce que, voyons, à ce moment-là, c'était au premier semestre 1984, qu'est-ce que pouvait produire la France ? Environ 27 millions de tonnes. Quelque chose comme cela, un peu plus que l'Allemagne, 25 millions de tonnes et nettement plus que tous les autres. Il s'agissait aussi, dans le partage général de la réduction, c'est-à-dire de la limitation de la production, de fixer quelle serait la part de la France. Elle fut beaucoup plus faible que ce qu'a dû supporter l'Allemagne, que ce qu'a dû supporter la Hollande. Elle était la plus faible, mais c'était quand même une limitation de production.
- Alors il faut choisir. Si l'on ne veut jamais de limitation de production, alors il faut cesser cette protection par l'achat automatique de la production. C'est l'un ou c'est l'autre. On ne peut pas vivre entre les deux. Il faut avoir le courage de le dire. Moi je vous le dis, je vous le répète, je fais ce que je considère comme mon devoir.. Mais il faut que les autres le disent aussi. Il faut choisir entre les deux systèmes. On ne peut pas être garanti contre des excédents.
- Est-ce que l'on exporte assez ? Est-ce que l'Europe est bien organisée pour cela ? Non, pas assez. C'est vrai que dans un pays du tiers monde, tout ce qui est produit animal, graisses animales, est bien moins reçu que tout ce qui est végétal. Ce n'est pas dans les normes de nourriture. C'est vrai que ce sont des produits souvent difficiles à conserver, à transporter et que c'est un marché finalement rebelle. Ceci étant dit, le marché en Europe occidentale est naturellement bourré à plein, tandis que le marché oriental, qui pourrait s'ouvrir pour beaucoup de raisons que vous connaissez comme moi, s'ouvre peu quand ce n'est pas l'Europe du Marché commun elle-même qui refuse par exemple de vendre, comme cela est arrivé pendant longtemps, son beurre au pays de l'Europe de l'Est.\
Alors tout cela fait que le lait n'avait pas dans le temps présent de très grandes perspectives pour tenter de compenser ces différences entre les 105 millions de production et les 85 millions de consommation ou d'exportation. Donc, moi je vous le dis, cet accord a été rendu nécessaire parce qu'il fallait choisir entre les politiques économiques : ou tout laisser aller et c'était la ruine, je vous le dis c'était la ruine, c'était la fin pour la France des restitutions qui l'enrichissent - il faut le dire - qui font de l'agro-alimentaire la première industrie française. Ou bien c'était maintenir cette réglementation et je tenais absolument à ce qu'elle fut maintenue. Mais il fallait alors savoir limiter les excédents.
- Tout de suite naturellement et c'était facile à concevoir, on s'est dit bon, puisque désorMais beaucoup de producteurs de talents, des gens vraiment qui y croient, qui ont mis leur énergie, leur foi, qui ont investi, qui ont pris des risques, pour développer leur entreprise laitière, c'est quand même un coup dur, on n'a pas le droit de faire cela. Tout un coup on brise leur élan. Bon, alors dans ce cas-là, il y a tant de producteurs en France, il y a quand même un certain nombre d'entre eux qui ont d'abord des activités diverses et puis il y en a d'autres - on ne va pas dire que ce sont des personnes âgées. L'âge qui a été considéré comme âgé, c'était quelque chose comme dix ans de moins que l'âge que j'ai moi-même aujourd'hui. Alors je serai très modeste comme appréciation, lorsqu'on parle des personnes âgées, je fais comme si je n'entendais pas. mais, bon, les règles ont été adoptées et finalement ce qui était institué, un peu dans le doute et le scepticisme des organisations agricoles - je n'ai pas apporté avec moi les lettres que vous m'avez écrites, ce n'est pas mon genre, enfin pas vous spécialement, quelques autres - dans le doute et dans le scepticisme, au lieu que cela se passe comme certains le prévoyaient, ces sommes tout d'un coup, au lieu d'être sans emploi, n'ont pas suffi. C'est vrai, c'est une histoire humaine bien facile à comprendre, elles n'ont pas suffi.\
Les ministres de l'agriculture, M. Rocard et M. Nallet, successivement se sont cassé la tête pour savoir comment résoudre le rébus laitier.
- Cette année il y a eu deux cents millions de francs qui ont été accordés pour que ces primes de départ puissent être réglées. Eh bien, je ne suis pas omniscient mais il semble me souvenir que c'était quelques trente mille francs par an. Alors quarante deux millions de francs sur ces deux cents ont été attribués à la Bretagne. Alors je suis allé dans plusieurs régions, notamment en Auvergne. J'étais avec M. Teyssedoux, le président national des jeunes. Là, dans le Cantal, on me disait : "mais vous mettez trop de temps..." C'est le gouvernement naturellement, mais le gouvernement c'est toujours moi, bon ! Enfin, d'ailleurs, j'assume, c'est normal. On n'est pas obligé d'avoir son nez plongé du matin jusqu'au soir dans la Constitution. "Vous n'avez pas réglé les disparités entre les régions, vous n'avez pas réglé les problèmes des montagnes, vous n'avez pas réglé..." Mais je pouvais leur répondre ce que je pourrais vous répondre encore aujourd'hui "mais messieurs c'est un problème qui était laissé au soin des professions". C'est aux professions que nous avons demandé de bien vouloir harmoniser les quotas et les fédérations ne se sont pas mis d'accord. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? J'ai pu être mal renseigné par le ministre de l'agriculture, ce qui n'est pas son habitude. Enfin, là-dessus, il a dû se tromper. Ce qui est vrai, c'est que la profession ne s'est pas entendu et, de ce fait, on se retournait toujours vers les pouvoirs publics qui se trouvaient dans l'impossibilité de répondre comme il fallait.
- Puis, peu à peu, tout s'est harmonisé car les dirigeants agricoles, en France - heureusement pour la France ! - ce sont des gens qui connaissent le poids des choses, qui ont été finalement à l'origine de ce formidable bond en avant de la France. Ils savent de quoi ils parlent et on peut leur parler. Moi, personnellement, je ne lésine pas sur les expressions que j'emploie. J'ai toujours trouvé grand intérêt à les rencontrer, j'en ai toujours tiré profit et c'est vrai que la profession a pris à bras-le-corps l'ensemble de ces problèmes finalement et que grâce à elle on a pu aménager, autant qu'il était possible, ce problème des quotas laitiers.
- Il reste quelques points. Il reste le point que, jusqu'à une certaine date, par exemple, jusqu'à une certaine heure, les dossiers qui sont arrivés peuvent être résolus dans le cadre des crédits attribués. Je crois que M. le ministre de l'agriculture a donné une latitude pour le reste de la journée. Des dossiers sont arrivés, bah ! ce sera jusqu'au soir : ils seront pris aussi en compte, et puis le pauvre, il n'y arrivera pas s'il n'a pas quelque chose en plus, car il aura beau essayer de distribuer le plus finement possible ce qu'il a, il ne pourra pas distribuer ce qu'il n'a pas. Donc finalement cette somme est un peu... pas tellement d'ailleurs, inférieure à la demande et il y a trop de dossiers qui ne peuvent pas recevoir de réponse positive, c'est-à-dire qu'il y a des personnes qui voudraient bien se retirer, ce qui faciliterait la répartition des quotas pour les autres, et qui ne peuvent pas le faire. Ce n'est pas de leur faute -elles le demandent- c'est parce qu'elles n'ont pas l'indemnité prévue à cet effet. C'est cela qu'il convient d'harmoniser. Cela ne représente pas un nombre de millions considérable, peut-être, je ne sais pas, une vingtaine ? Même pas ? Arrêtez-vous là, les comptes que nous faisons, c'est déjà beaucoup : on est à trois sous près ! J'ajoute que je veux bien en donner davantage, mais il faudra bien qu'il y en ait d'autres qui paient, les contribuables, finalement, on sait bien que ce sont toujours les contribuables qui finissent par payer ce que l'on demande, c'est rarement simplement sorti de la poche des ministres. Donc il faut augmenter les impôts, enfin je vous passe la suite de l'histoire.\
Mais alors je vous mets en garde, mesdames et messieurs, sur un premier point : là où nous pouvons agir avec beaucoup de force, c'est sur l'installation des plus jeunes. On assiste, monsieur le président, vous me le disiez à l'instant, à une déperdition dans la demande de l'installation des jeunes, c'est vous-même, monsieur le président des jeunes qui me le disiez. C'est tombé même assez sérieusement, un fort pourcentage et cela, naturellement, c'est la mort d'une région si les jeunes ne s'installent pas et ils n'ont pas très envie de s'installer parce qu'ils se disent "je ne vais pas pouvoir développer ma production, et puis on est trop nombreux, les plus âgés ne peuvent pas encore s'en aller". Il faut donc accélérer ce premier dossier, monsieur le ministre de l'agriculture. - Si M. le ministre de l'économie et des finances était là c'est surtout à lui que je le dirais -. Après quoi, ensuite de quoi il faut faciliter les installations - on l'a déjà fait, on a doublé les primes pour l'installation des jeunes -, il faut faire davantage pour que les jeunes aient envie de s'accrocher au sol, de produire. Ils en sont capables. Les Bretons l'ont montré mieux que n'importe qui en France.
- Puis, d'autre part, je sais que la région Bretagne de ce point de vue ne manque pas d'audace et qu'elle a elle-même un projet. Après tout, elle aurait pu ne pas en avoir, elle en a et elle est prête à prendre sa part de l'effort. Monsieur le président de région `Raymond Marcellin` est là, je vois qu'il approuve - enfin, il me l'a dit. La région est prête à faire un effort pour hâter la résolution des dossiers de départ en question. Ce que je puis dire alors pour vous répondre, monsieur le président - c'est à vous que je m'adresse en cet instant - que la région faisait cet effort et inversant la proposition, l'Etat prendra sa part. Je pense qu'au bout de très peu de temps nous arriverons à dominer ce sujet qui, prenant de plein fouet, en 1984, les agriculteurs, leur a posé des problèmes très graves. Je ne l'ignore pas, mais le problème en soi lui-même était grave et il fallait bien le résoudre. J'ai essayé de vous le poser dans les termes qui sont propres à ma conviction, je vous l'ai exposé sans fard mais ce problème étant là, il faut bien essayer de le résoudre, c'est ce que nous avons fait.\
Je voulais vous exprimer une certaine mise en garde, mesdames et messieurs, car la production en France est en train de croître à nouveau et si l'on dépasse le quota, qu'est-ce qu'il va se passer ? L'Europe va se retourner contre nous et voudra nous imposer des pénalités : c'est un accord international et il faut le respecter. Ce n'est pas aux jeunes que je dirai cela. Eux, ils aspirent à produire demain. Mais, pour l'instant, ils n'embarrassennt pas la production puisqu'ils n'arrivent pas à s'installer. C'est une politique générale qu'il faut arriver à instaurer pour harmoniser nos obligations internationales avec les possibilités très grandes de la production française.
- Quant aux viandes bovines, oui, c'est vrai aussi, monsieur le président, tout se tient : à compter du moment où vous réduisez la production laitière, vous savez qu'il y a une large part de production animale £ d'un côté pour le lait, de l'autre côté pour la viande, mais ce sont des secteurs qui communiquent à tous moments. Si vous voulez produire moins de lait, cela se traduit souvent par l'abattage des vaches et l'abattage des vaches c'est de la viande, sur le marché, de la viande qui n'était pas planifiée. Et les producteurs de viande, alors, qui voient tout à coup cette concurrence qui fait tomber les cours, sont aujourd'hui dans la difficulté. Ce problème on le connaît bien, mesdames et messieurs, et on veut l'aborder avec vous en communion d'effort avec les vôtres. Le gouvernement a obtenu de l'Europe de la Communauté un achat public de viande pour le mois d'octobre. Naturellement on recommence chaque mois. On vient d'obtenir un achat public important alors qu'il y a - j'y insiste - actuellement déjà 750000 tonnes de viande en stock dans la Communauté. Ce n'est pas commode d'obtenir un achat public supplémentaire alors qu'il y a ces tonnes qui attendent là dans les frigos. Nous avons pu l'obtenir. Notre situation au sein de cette Europe est une forte situation : on tient compte de ce que nous disons, mais, naturellement, pas toujours.
- On vient aussi de faciliter les prêts spéciaux d'élevage en permettant les déficits d'amortissement. Je crois qu'il faut surtout aider la trésorerie des éleveurs de viande. C'est ce que nous faisons. J'ai moi-même représenté, pendant 35 ans, l'un des principaux départements producteurs de viande, le Charolais, j'ai donc vécu ce problème intensément mais je veux dire aussi, par amitié pour ceux que j'ai toujours représenté pendant toute ma vie parlementaire, j'ai une certaine connaissance de leurs problèmes et vraiment je souhaiterais très vivement être l'un de ceux qui participent au redressement de leur marché. J'ai moi-même beaucoup poussé, monsieur le président, à ce qu'on développât, dans cette région où j'étais, les marchés de cadrans qui nous venaient de Bretagne et qui représentaient un assainissement, une rapidité, une modernisation considérable par -rapport aux habitudes anciennes.\
Vous avez parlé de la sécheresse, monsieur le président, oui la sécheresse est très dure. Elle a frappé surtout les départements assez éloignés d'ici. Vous avez, par acte de solidarité, tout-à-l'heure, émis un certain nombre de propositions. Je vous en remercie. Je peux vous dire que le gouvernement aidera ceux qui ont été frappés, surtout les éleveurs. Il leur permettra de reporter leurs cotisations sociales ainsi que les annuités de certains prêts. On mettra à leur disposition avec votre aide et vous n'y manquerez pas, les céréales, les fourrages, enfin que sais-je encore ? Bref ce sera un effort de solidarité. Ce ne sera pas un impôt sur la sécheresse. On ne fera pas l'impôt sécheresse comme cela a été le cas en 1976. Mais nous avons commencé d'organiser un effort national et professionnel de solidarité.\
Bon ! Les jeunes j'en ai dit un mot, comme cela, au passage, on a dit le départ des moins jeunes, je me suis attardé sur ce problème qui est primordial, mais il y a aussi le problème de la formation et tout passe par là : la formation des jeunes. Je vous signalerai pour cela qu'au moment où l'on réduit les crédits dans beaucoup d'autres domaines - vous l'avez noté à diverses reprises, monsieur le président - les crédits des jeunes agriculteurs sont augmentés. Cela va à contre-courant du mouvement général du budget. C'est tout simplement non pas pour s'en flatter car, au fond, j'aimerais qu'on en fasse plus encore, mais c'est pour montrer que ce problème nous a quand même frappé et que nous entendons vous aider à le résoudre.\
Parmi les mesures récentes que nous avons prises, vous le savez, il y a cette fameuse retraite à soixante ans pour les agriculteurs. J'avais dit lors d'un voyage en Picardie : cette décision sera prise en 1985, elle a été prise. Dès le début de l'année prochaine, en 1986, les agriculteurs de 64 ans. Il y a un échelonnement. Ceux qui voudront naturellement, pourront prendre leur retraite. Car on a toujours confondu l'abaissement de l'âge de la retraite à soixante ans, pour toutes les catégories. C'est un acte de volontariat, ceux qui veulent, pas ceux qui ne veulent pas. Ceux qui veulent mais ceux-là le peuvent. Ceux qui le voudrons à leurs prochains soixante quatre ans le pourront et par échelonnement, entre 65 et 60 ans, comme vous le voyez, ce sera assez vite fait.
- De quelle façon ? C'est évident que tout cela doit se payer. Ce que je puis dire, par des cotisations, notamment, c'est que l'Etat en prendra une forte part à sa charge et que ce sera le seul régime de retraite en France où l'Etat agira de la sorte. Alors je crois que pour beaucoup d'agriculteurs arrivés à soixante ans, la vie était dure. Ils ont souvent beaucoup souffert. Il suffit d'ailleurs de regarder les statistiques démographiques pour savoir que ce sont des catégories, comme les catégories ouvrières, où la longévité n'est pas la plus assurée. Il est quand même triste de penser que la moyenne d'âge était, il n'y a pas si longtemps, de 63 ans pour des activités manuelles alors que la retraite était à 65. Quand pouvaient-ils se reposer, regarder autour d'eux, regarder derrière eux, considérer leur vie, aimer leur famille, tout simplement vivre : quand ? Personnellement, je considère que la retraite à soixante ans est l'une des plus importantes mesures qui ait été prise depuis longtemps. Oh ! je sais bien qu'on dit : alors les Français on les invite à ne plus travailler ? Permettez, pour les catégories dont je parle, c'est un peu facile et je suis sûr que c'est une démarche de civilisation.
- Je sais que les hommes et les femmes vivent de plus en plus âgés, que cela crée un problème pour un certain nombre d'institutions dont la sécurité sociale. Il y avait sept ans de distance dans la moyenne des Français entre l'âge de la retraite et la mort et, aujourd'hui, c'est dix sept ans. Mais il faut s'adapter, on s'adaptera, tous les spécialistes de la sécurité sociale s'attèlent à la besogne et je ne suis pas pessimiste du tout.\
Voilà un certain nombre de problèmes, monsieur le président, mesdames et messieurs, que j'ai abordés, sans prétendre pouvoir examiner à fond tous les sujets traités. Comment pourrais-je le faire ? Et puis, après un agréable déjeuner, où j'ai eu grand plaisir à connaître mes voisins, où j'ai pu entendre, d'une façon très intéressante pour moi, leurs avis, où j'ai pu aussi vous apercevoir assez nombreux puisque depuis ce matin je commence à être un habitué de la Bretagne, dont je sens un peu les choses, puis je les vois.
- Bref, moi, personnellement, je n'engage personne d'autre, j'éprouve grand plaisir et grand intérêt à me trouver parmi vous. Il m'est arrivé de le dire ailleurs, je le répète ici : chaque homme est marqué par sa propre enfance. Moi, je suis né à la campagne avec un grand-père exploitant agricole, chez un grand-père. Comme nous étions huit frères et soeurs, nous étions un peu partagés entre les uns et les autres. Moi j'étais parmi les petits, alors chez les grands-parents j'ai donc connu toutes les saisons de l'année. Il y a beaucoup de gens qui mourront sans avoir connu, sans avoir vraiment éprouvé que, dans les climats tempérés, il y avait quatre saisons. Eh bien ! moi, je le sais bien, je sais ce que c'est que le printemps, l'été, l'automne et l'hiver parce qu'on le sait quand on vit à la campagne et cela a une signification qui dépasse la simple énumération, qui dépasse de très loin le plaisir de vivre ou bien la poésie des choses. C'est un rude apprentissage. J'ai gardé ces racines. Nous sommes quatre frères : mon dernier frère est toujours exploitant agricole actuellement en Charente et je vais le voir souvent. C'est mon pays d'origine. J'ai été représentant pendant 32 ans d'un canton. Pour confidence, on n'est pas à cela près maintenant, j'ai toujours été élu au premier tour de scrutin alors que, dès que je me retrouvais aux élections législatives, je perdais au moins un bon tiers de ces voix parce que, vous savez ce que c'est, quand on se connaît, on se connaît, tandis que quand on arrive aux idées politiques, ça se gâte, enfin souvent, quelquefois cela s'arrange, comme 1981. Mais dans mon canton, il y a des paysans, avec de la forêt. Ce sont des gens celtiques, dans un pays qui s'appelle le Morvan et cela devait ressembler un peu à la Bretagne, sur une vieille terre hercinienne. On produit à peu près la même chose mais c'est pauvre parce que c'est à 600 mètres d'altitude, entre 600 et 900 mètres. J'ai vécu parmi eux pendant 32 ans et j'ai été pendant 17 ans le président du conseil général de ce département essentiellement rural.
- Pourquoi est-ce que je vous dis cela ? Non pas pour convaincre, non pas pour vous séduire, simplement pour que vous soyez assurés que, non seulement ces problèmes dont j'ai la charge lourde, je les considère comme importants, mais pour vous dire que je les aime et que je souffre chaque fois que je vois une part de l'agriculture française céder du terrain. Lorsque je vois la misère gagner, lorsque je vois ces gens qui ont fait la civilisation de la France craindre pour leurs enfants alors, bon, cela va, j'ai fini ... je n'ai pas besoin d'en dire davantage, mesdames et messieurs.
- Je vous remercie de votre patience, je vous remercie surtout de votre présence et je vous prie de croire qu'au-delà des espoirs politiques des uns et des autres, de vous à moi de les ignore. Je ne sais pas exactement qui vous êtes en dehors de quelques-uns. Je sais surtout que vous êtes de solides Bretons, que vous êtes de bons Français autant que je sais aussi que vous êtes, dans la majorité des cas, des agriculteurs issus de l'agriculture, représentants de l'agriculture. Je voudrais souvent que votre exemple fût offert aux autres Français pour que tous apprennent que l'effort est la première des récompenses.\